Posté le : 22 fév. 2025 à 18:06:35
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Carnet de contrôle - Unité 16 924 - SEC B
16 924 - SEC B a écrit :Cher lecteur,
Je tiens ce carnet dans le but d'informer le monde sur les conditions de vie au Drovolski. J'espère que ce carnet a pu sortir des murs du système bureaucratique de mon pays. Je m'appelle 16 924 SEC B. Comme mes parents, je travaille à la mine de Verbana dans la section nickel. Nous logeons au district 87 de Mesolvarde et à Verbana. Je tiens ce carnet pour décrire la vie au Drovolski et espère trouver un secours pour mon pays, qui semble ne plus se soucier de nous. Nous mourons par milliers chaque jour. Sans Bonsecours, nul doute que nous aurions disparu dans la fumée qui recouvre le paysage.
J'ai fait mes classes au collège central du district 91 en spécialité gisement métamorphique, une spécialité assez élitiste comparée à la filière sédimentaire, mais définitivement moins bonne que celle de mon frère, qui a pu accéder à la formation Ventafalle. Depuis, on ne le voit plus. Il me semble qu'il habite au district 46, mais les restrictions de circulation ne me permettent pas de descendre plus loin que le district 54, où mon visa ne me donne pas accès. À la fin de mes études, j'ai passé le concours central et obtenu le poste de mineur à Verbana haut la main. À 14 ans, j'ai commencé à travailler à la mine en parallèle d'une formation citoyenne sur la dialectique industrielle. On nous formait davantage à être des rouages et à comprendre les mécanismes de l'industrie qu'à comprendre la politique. Lors d'une livraison vers Velsna, un marin m'a donné un livre sur l'extérieur. Rien de particulier, mais je ne connaissais rien de ce qui était hors de Mesolvarde. J'ai découvert dans ce livre la simple notion de liberté.
Ce concept, absent du dictionnaire de la vérité d'État, m'a fait prendre conscience de ma situation, mais l'a surtout modifiée à jamais. J'ai maintenant peur que, d'une façon ou d'une autre, la police m'arrête. Je mens systématiquement lors de mon contrôle d'intégrité mémoire. J'ai peur que cela ne suffise plus. J'ai entendu dire que le gouvernement avait passé des accords avec GKD pour améliorer le contrôleur. Je pense que mes jours sont comptés. Alors, dans un appel à l'aide, voici la journée d'un Mesolvardien modèle :
À 4 heures, les haut-parleurs du district appellent les groupes de mineurs par ordre de trolleybus. On attend souvent quelques minutes dans le froid, mais le trolleybus arrive toujours. On donne alors notre permis de travail et parfois notre visa de transit si on ne va pas directement à la mine. Le trolleybus prend alors la direction de la périphérie sans plus s’arrêter. On arrive au district 234, tout le monde descend et, dans un bruit assourdissant, les très nombreux stentophones hurlent les groupes de mineurs et leur position dans le garage. On embarque souvent vers 4h20 en direction de Verbana.
Le trajet est assez court. Verbana est dans la zone CMD ouest 56°5. On arrive en moins de 34 minutes, directement sous terre. En effet, je ne l'ai pas dit, mais tout au long de la journée, je porte mon masque. Mais ici, à la surface, même avec le masque, n’espérez pas survivre. Les tempêtes et la pollution sont si violentes que même les tunneliers n’y survivent pas.
Arrivés à la mine, de nouveaux stentophones donnent des ordres. La police, toujours présente où que l'on soit, nous invite à prendre place dans la mine et à changer de cartouche. On nous distribue des produits médicaux assez violents qui provoquent une forme d'euphorie, mais aussi d’oubli, facilitant le travail. Je ne les prends pas, mais je vois bien que je fais exception. Nombre de mes collègues sont déjà devenus les rouages de Mesolvarde, les parfaits mineurs. Le bruit assourdissant du tunnelier nous rappelle pourtant bien notre place : celle de mineurs, de moins que rien que le système envoie sous terre pour les oublier. Comme l'a dit le livre Manifeste du PEV, la collectivisation doit nous conduire à dissocier le travail du moyen de production. J’ai bien peur qu’au Drovolski, ce soit même l’ouvrier qui fasse partie du moyen de production.
Vers 13 heures, une sorte d’alarme sonne. C’est le seul moment de vraie liberté qui nous est accordé. Nous remontons en train, souvent avec le sourire, vers le district 1. Oui, le 1. Nous traversons des nuages de pollution, des bâtiments sinistres, des habitants croulants et malades. Les industries se font de plus en plus rares, et nous arrivons au 1. Tout y est plus beau : de la peinture sur les murs, des vitres transparentes, de la lumière. Nous y sommes pour 45 minutes. Le réfectoire central, notre lieu de sociabilisation, nous offre notre bouillie d’amidon avec parfois un complément en vitamines. Nous mangeons doucement pour profiter d’un air pur sans masque. La cour nous observe depuis son balcon. Nombreux sont ceux qui s’inclinent devant le noble.
Fini le repas, nous devons nous diriger vers le tribunal central où nous sommes enregistrés et contrôlés par un automate. La grande machine bureaucratique prévoit, calcule et administre la société pour le compte du gouvernement, qui nous a trahis en ne freinant pas le tribunal. Nous recevons des instructions et subissons un contrôle d'intégrité physique, une sorte de test pas très amusant, avant des tests de mémoire, de logique et d’endoctrinement. À la fin, nous recevons le journal, un bon de consommation que nous devons composter au guichet pour demander à l’appareil de production de la fabrique ce que nous voulons. En réponse, il nous sort un ticket La Nouvelle, qui indique la mission du reste de la journée et de demain. Sans vrai suspense, on me demande de retourner à la mine jusqu’à 23 heures, puis d’aller dans un district assurer la continuité de Mesolvarde, comme ils aiment dire. En d’autres termes, je dois aller féconder une demoiselle, puis me rendre à Bonsecours pour donner mon sang.
À minuit, je suis enfin retourné au district 87. Je fais valider mon ticket La Nouvelle. La police contrôle que chacun fait ce qui lui a été demandé, sinon demain, pas de bon de consommation. Heureusement, le logement comme la nourriture, ça, on ne paye pas. Mais j’ai envie de dire : comme des esclaves. Nous sommes les esclaves de Mesolvarde. Qui décide ? L’empereur ? Personne ne l’a jamais vu. Adélaïde ? Elle ne fait que jouer la marieuse.
Je parcours le brouillard de la ville, discute avec quelques amis et rentre pour me mettre en veille. Pendant que la ville ronfle, je sais que les mines tournent. Ma femme n’a pas obtenu le droit de dormir à la maison, manquement à la productivité.
Nous, Mesolvardiens, sommes aux portes de la mort. Si vous connaissez le chef de ce pays de fous, raisonnez-le ! Où est l’Empereur ?!