15/09/2015
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Activités étrangères au Gondo - Page 6

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Observant les troupes partir.

Les chenilles soulevaient d’épaisses mottes de terre sur leur passage, labourant le sol et creusant de large sillon où pourrait bientôt s’écouler le sang de leurs victimes. L’un après l’autre, les blindés kah-tanais rejoignaient le cortège qui partait vers le sud. Miriam le savait, on avait donné l’ordre d’assaut. Si Dieu le voulait elle ne verrait aucun de ces véhicules revenir par cette même route. Arrivés au sud, ils prendraient aux colons ce qui revenait au Gondo, et continueraient leur route vers le cœur sordide du dispositif ennemi, cette citadelle noire que l’on avait tant fantasmée et où Dieu seul savait quelles étranges réunions prenaient place.

Miriam était une femme de foi. Elle avait une résolution révolutionnaire parfaite, et une intime conviction qu’il existait quelque chose de l’ordre de l’inexplicable, et du sacré. Deux caractéristiques que l’on associait rarement, au moins quant on avait jamais rencontré de communalistes. Beaucoup de ses camarades croyaient, après tout. Combien de temples avaient été construits, dans le nord du pays, depuis sa libération ? La plupart des grands villages en possédaient un. Multiconfessionnels, modernes, adaptés aux vieux cultes de la terre, aux vieux visiteurs catholiques et musulmans, aux nouvelles réalités kah-tanaises ou nazumis. Ces temples n’étaient certes pas ces sanctuaires de rigidité que l’on répandait au sud. Pour les révolutionnaires, la guerre n’avait rien de sacré, elle était de la logique historique, matérialiste, nécessaire des choses. Mais Dieu n’avait pas grand-chose à voir là-dedans.

Miriam considérait pour sa part qu’il devait bien être du côté de la liberté et de la démocratie, puisqu’il avait créé l’homme à son image, et que capable de penser, celui-là avait le don d’autonomie ; C’était peut-être ce pourquoi elle détestait les clovaniens avec tant de passion. Le rapport théocratique que leur pouvoir entretenait avec le sacré s’opposait à cette notion d’autonomie. Ils répandaient la religion comme une sale certitude, oubliant par la même que sans doute, pas de croyance, et que l’on ne pouvait pas imposer l’intime sans infantiliser.

« Mais après tout c’est comme ça qu’ils nous voient », grogna-t-elle. Comme des enfants.

Un autre blindé passé. Pas un char, cette fois, mais un véhicule de transport dans lequel se trouvait sans doute dix, quinze, peut-être vingt soldats. Les hélicoptères et les avions étaient déjà partis pour mener des raids et déposer des groupes avancés sur des points clefs. On espérait pouvoir dégager la route qui séparait la frontière du territoire libéré de la nouvelle cible de l’Armée Démocratique. Tout le monde était préparé, cela faisait des mois que l’on s’entraînait, répétait les mêmes gestes et mouvements précis et experts. On avait très peur que cela ne suffise pas, que l’armée révolutionnaire soit confrontée à des eurysiens plus au fait de la guerre.

Mais pourquoi le seraient-ils, après tout. Ils avaient tué quelques fanatiques dans une jungle, mais n’avaient jamais menés de grandes opérations ici. L’Armée Démocratique avait cette expérience. De plus, elle se battait pour sa terre. N’y avait-il pas là quelque chose de viscéral, qui pousserait chaque soldat à combattre avec plus de force et de passion qu’un quelconque mercenaire étranger ?

Après tout, peut-être bien que si.

Miriam n’était pour sa part pas une combattante. Elle avait techniquement un rôle et un grade au sein de l’institution militaire, mais sa carrière avait commencé dans une petite agglomération du nord, en tant que représentante des communautés locales. En d’autres termes elle venait se plaindre du prix d’achat de la viande et des céréales par les soldats, auprès de leurs officiers. Ceux-là avaient pris la question très au sérieux et mis en place des accords qui s’étaient changés, après l’apparition des kah-tanais, en des instances plus construites. Des commissions et comités, notamment. Soudain on achetait plus la production des paysans, on l’obtenait gratuitement contre d’autres avantages, dans un mécanisme de partage qui en fit grogner plus d’un avant de progressivement faire l’unanimité : la région allait mieux, on comprenait que ce nouvel écosystème économique pouvait vivre de retour d’ascenseurs et de planification démocratique. Miriam ; qui n’était dès-lors plus l’envoyée des siens, devint leur représentante puis, lentement, une attachée aux questions miliaires. Quand l’Armée Démocratique avait quitté ses montagnes, elle les avait suivis en tant qu’officière de liaison et responsable de certains pôles civiles. Elle avait soulevé des montagnes pour permettre l’intégration des communautés rurales et traditionnelles dans le tissu économique communaliste. Et elle savait que ça ne serait rien en comparaison au travail qu’il faudrait faire plus au sud.

Les clovaniens, pensait-elle, avaient peut-être tout pourris, avec leurs investissements douteux et leurs promesses illusoires de s’élever. Pour ces petits blancs, un gondolais restait avant tout un nègre : même ceux qui s’élèveraient deviendraient des citoyens de seconde place, des curiosités. C’était comme ça, inutile de se faire d’illusion au sujet d’un peuple qui ne comprenait que la violence et le contrôle des terres. Mais beaucoup voudraient croire à leurs promesses. Après tout, que savaient-ils du nord ? Et qu’y avait-il à savoir de la révolution ? Des nombreux exemples de ses succès ? Il se trouverait toute une classe de riches sans éducations, de travailleurs terrifiés, de profiteurs divers et d’agents du système, laquelle poserait de vrais soucis et créerait pour une génération entière une opposition au système même que cherchait à installer l’Armée Démocratique. Les autres composeraient des communes, des gouvernements, des cercles démocratiques où l’opposition ne viendrait pas remettre en cause mais compléter et améliorer le système. Ces autres, espérait-elle, seraient plus nombreux.

Pour l’heure en tout cas, le gouvernement les avait réprimés avec une violence tout à fait typique de sa politique sociale habituelle. Il n’y avait rien à espérer d’eux avant que les forces ne les libèrent. Connaissant leurs intérêts, ils resteraient silencieux, terrés jusqu’à la conclusion de la guerre. Ils avaient bien raison, et jusqu’à un certain stade, elle aurait fait la même chose qu’eux. Son implication dans la guerre, son élévation au poste de cadre de la Révolution, tout cela tenait de l’accident, du hasard.

Elle était ce que pouvait devenir le Gondo si on le laissait à lui-même. Restait à espérer que ses nombreux camarades arrivent à le libérer. La guerre ferait des morts, la guerre détruirait des vies. La guerre, ultime solution, amènerait peut-être à quelque chose de beau. Faire du pays un jardin, comme disait l’autre.

Miriam soupira et grimpa dans la jeep qui l’attendait. Elle partirait après les soldats, et ferait le nécessaire. Comme tout le monde, ici.
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Terrible cortège

Les troupes impériales refont routes vers Sainte-Loublance, un goût amer de défaite dans la bouche.

Le soldat Crémieux gardait, malgré la tombée du soir, les yeux grand ouverts, fixé sur le dossier du siège situé devant lui. Le corps tassé sur la banquette du véhicule, son esprit était ailleurs et ressassait les images du combat des trois dernières semaines. Alors que le sombre paysage défilait à cent kilomètres à l'heure en direction de Sainte-Loublance, son âme était encore au Nord, à Cap-Franc.

L'assaut avait duré trois semaines, et la ville avait été durement défendue par les soldats clovaniens. Mais on avait mal assuré les positions défensives, et chacun des soldats qui rentraient à ce moment dans les véhicules vrombissant vers le Sud pensaient à la manière dont on aurait dû prévoir l'arrivée des communistes. L'Armée Démocratique se rapprochait toujours plus de la ville depuis déjà trop longtemps, et aucune directive n'avait été émise de la part du commandement pour ajuster la défense de Cap-Franc. On s'était battu vaillamment, sans aucun doute, et le courage dont on avait fait preuve encore la veille permettait à tous de se rassurer moralement quant à la population locale. Marin Crémieux, simple soldat, avait suivi les directives à la lettre, et l'espoir n'avait pas dépéri dans son cœur avant que la défaite ne devienne inévitable et que l'ordre de repli ne soit lancé. Mais il ne pouvait qu'imaginer ce qui traversait alors l'esprit du général Descombes, lui qui avait été à la tête des troupes clovaniennes de Cap-Franc pendant toute la bataille, et qui devait regretter bien plus amèrement les mauvais préparatifs défensifs où la défaite trouvait certainement sa source.

Marin avait été surpris comme tous les autres d'apprendre l'arrivée imminente des troupes communistes en direction de la ville. On avait à peine eu le temps de former les bataillons. Heureusement, les soldats connaissaient bien la ville. Ils y avaient patrouillé en long et en large depuis plusieurs années, ils connaissaient par cœur les districts auxquels ils étaient affectés, leurs habitants et leurs commerces dont ils prenaient plaisir à profiter des produits. La sympathie des soldats de l'Armée Impériale avec la population locale émanait d'un ordre très précis de l'état-major. Il fallait faire comprendre aux habitants du Gondo que la présence clovanienne était une bénédiction, une protection autant qu'une ouverture. Aussi Marin Crémieux avait-il, comme ses collègues et amis, discuté avec presque tous les habitants de son district au cours des patrouilles quotidiennes organisées par le général Descombes. Au cours de ces moments qui avaient lieu souvent au début et à la fin de la journée, les militaires échangeaient avec les commerçants, les passants et même les enfants, sur des banalités plus que triviales. Si ces discussions forcées avaient paru rébarbatives à Marin au début de sa mobilisation sur le font gondolais, il avait, au cours des mois et des années, appris à connaître les autochtones et il aurait donné cher pour retrouver ces moments de sociabilité. Quelques mots dialectaux s'étaient mis à fuser parfois dans les conversations entre soldats, et ces derniers avaient développé un argot nouveau que peu de Clovaniens auraient pu comprendre. La sociabilité entre militaires avait aussi disparu dans le cortège de la défaite qui roulait vers Sainte-Loublance, et ces expressions gondolaises flottaient maintenant, solitaires, enfermées dans l'esprit de Marin.

Le silence régnait dans l'habitacle. Pour Marin, qui frottait sa barbe de trois jours, le regard pensivement fixe, une présence étrange demeurait pourtant en sa compagnie. Il avait beau chercher à se débarrasser de cette lourdeur, rien n'y faisait. Cette pesante angoisse raidissait tous ses muscles, et son cœur était comme pris en étau par d'épaisses masses de plomb. Ce que Marin ne parvenait pas alors à déterminer, c'était que cette présence douloureuse était une absence, la cruelle absence du soldat Joseph Lionard.

En dehors des permissions, pas un jour ne s'était écoulé depuis 2010 sans que Marin ne rencontre le visage amical du soldat Lionard. Lionard venait de Leongrad, et Crémieux de Solgrad. Les deux hommes avaient d'emblée partagé une relation soudée, et l'amitié qui les liait semblait relever de l'instinct, vue de l'extérieur. En réalité, cette amitié, bien que mue à l'origine par des sentiments tout à fait innés et inexplicables, avait été renforcée par cinq années de vie commune, cinq ans de rires, de conversations intimes, cinq ans à découvrir ensemble le paysage et la population du Gondo. Lionard avait le don de communiquer son sourire à ceux à qui il s'adressait, et cette qualité était bien précieuse lors des patrouilles auprès de la population gondolaise. D'aucuns auraient pu prendre sa sympathie et son apparente volonté de partager également son rire avec chacun pour de l'hypocrisie, mais cette opinion relève des esprits qui considèrent la joie et l'optimisme comme un capital limité qu'il est impossible de distribuer à tous et non comme ce que ce trésor est vraiment, à savoir une corne de jouvence exponentielle qui se remplit à mesure que l'on distribue ses présents.

On se moquait souvent de Lionard à cause de son homophonie avec la capitale loduarienne, et le soldat prenait toujours ces boutades avec le sourire, sans jamais perdre la joie de vivre qui forgeait son caractère. Sans lui, la vie au bataillon aurait été bien plus morne, et certaines journées seraient passées bien plus lentement. Si le silence se faisait trop pesant lors d'un repas ou d'une patrouille, on pouvait toujours compter sur une plaisanterie, parfois pas très fine, de Joseph Lionard, ou sur un jeu de mot sur son nom de famille de la part de Crémieux. Lorenzo, Léonard, la petite lionne, on ne comptait pas les surnoms dont le bataillon avait affublé son plus précieux histrion. Lorsque Crémieux pensait aux souvenirs qu'il pourrait ramener du Gondo lorsqu'il rentrerait en Clovanie, et il pensait souvent à cet instant désiré, la figure du soldat Lionard apparaissait toujours en première position. Il espérait beaucoup pouvoir faire le chemin du retour avec lui, qu'ils revoient ensemble la terre clovanienne dont ils parlaient tant. Tout cela s'était éteint, cinq jours plus tôt, en même temps que le regard de Lionard figé dans la boue de Cap-Franc, pendant que son sang s'échappait silencieusement par l'arrière de son crâne perforé par une balle de l'Armée Démocratique.

Crémieux ne ressentirait le poids de ce deuil que plus tard, une fois l'adrénaline de la bataille complètement évaporée. Seulement alors pourrait-il comprendre pleinement les tenants et les aboutissants de l'événement auquel il avait pris part, et prendre entièrement conscience de la douloureuse perte marquée par la disparition de Lionard. Il reconstituerait alors avec clarté ce combat décisif du 8e district, au cours duquel il avait délivré le grand immeuble en face de la station essence, accompagné seulement de trois camarades. Lionard en faisait partie, et l'image de son bras agitant le drapeau clovano-pétroléonien sur le toit du bâtiment flotterait encore longtemps dans l'esprit de Crémieux. Il pourrait aussi se souvenir du dernier combat de Lionard, un jour de pluie battante au pied de ce même immeuble. Beaucoup de sang avait inutilement coulé pour cette portion de rue, beaucoup trop de sang. Cette dernière attaque des forces communistes avait précipité la retraite de l'Armée Impériale, amère fuite que les soldats poursuivaient maintenant à bord des véhicules qui n'avaient pas été détruits par les hordes rouges.

Crémieux n'avait regardé ni à droite, ni à gauche au moment de la retraite, et surtout pas en arrière. La seule image qui demeurait dans son esprit sur la route de Sainte-Loublance était celle d'une mère portant son bébé, marchant la tête basse sur le bord de la route. Crémieux n'avait pas immédiatement reconnu ce visage, lourdement assombri par les larmes. Au cours des derniers mois, Crémieux et ses camarades s'étaient de nombreuses fois enquis de l'avancée de sa grossesse, et beaucoup craignaient un accident lors de l'accouchement. Apparemment, l'enfant était venu au monde sans trop d'encombre. Restait à savoir s'il allait survivre, seul avec sa mère, sur la longue route de Sainte-Loublance.

Ce dont Crémieux pouvait avoir conscience à ce moment, c'était de la dette qu'il avait contractée, au moment de la bataille, auprès du peuple gondolais. Si son existence avait un sens, il se trouvait dans la protection de ses femmes, de ces enfants, de ces hommes et de ces vieillards à qui il avait parlé pendant cinq longues années. Il n'avait qu'un but, garder les murs de la ville contre les terroristes de tous les horizons. Et le soldat avait échoué à sa mission, son bras protecteur avait tremblé et la population avait été livrée aux barbares. Cette population défilait par milliers sur la route, lui rappelant sans échappatoire qu'il devrait retourner à Cap-Franc. Il le faudrait, pour ces gens à qui on avait promis sûreté et prospérité et qui avaient une fois de plus connu la désolation et la misère.

Mais une autre redevance pesait sur le cœur du jeune homme, et elle concernait ceux qui avaient causé la bataille, ceux qui avaient profité de la faiblesse de leurs effectifs et de leur défense pour s'emparer de Cap-Franc. Cette obligation était un devoir de vengeance, et il était dirigé directement vers ceux qui avaient tué le soldat Lionard, ceux qui avaient fait couler sur le sol de la ville un sang chaud et et encore fougueux, maculant la terre d'un rouge sanguinolent.
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Le poids des mots (discours suivant la Libération de Cap-Franc)

Le discours était un exercice dangereux, et personne dans le haut commandement et la cellule centrale de l’Armée Démocratique ne l’ignorait. On avait gagné le nord par des actes, pas par des mots, mais les mots devaient précéder les actes. Sans les mots il n’était pas possible de contrôler le narratif, l’histoire que chacun se faisait de la guerre civile, de ses conséquences, et des raisons d’être de ses acteurs. C’étaient les mots qui permettaient de maîtriser la situation, de donner à chacun un aperçu de l’avenir que l’on souhaitait mettre en place. Les mots qui étouffaient les rumeurs, où en faisaient naître d’autres, plus conformes aux besoins de l’instant.

Les mots.

Ainsi, il fallait un discours. C’était nécessaire. La révolution se nourrissait de rhétorique, et le peuple voulait savoir, le plus rapidement possible, comment il serait traité par le nouveau régime. Pourtant on ne l’ignorait pas, beaucoup croyaient assez peu à la survie de l’Armée Démocratique, et beaucoup s’attendaient à ce que la défaite Clovanienne soit de courte durée. Il y avait aussi cette résistance passive de la classe moyenne et d’une partie du fonctionnariat. Terrifiés pour leur sécurité, leurs intérêts de classe, incapables de comprendre que le Gondo se ferait avec ou sans eux. Avec ou sans leur coopération.

Des mots, encore.

Il fallait donner des gages au peuple. En un siècle de guerre civile, il avait entendu de nombreux discours. Ceux de l’Armée Démocratique, au moins, pouvaient dégager une certaine forme de sincérité. Ils étaient prononcés avec cette verve sincère des militants de terrain. Ce n’étaient que rarement des discours de politiciens, plus généralement des déblatérations militantes, dont l’énergie convoyait plus de messages que les phrases, et dont l’articulation violente et rythmé, comme une prestation opératique, déclaraient déjà l’intention de ses locuteurs.

Mais l’exercice revenait à donner des informations, à confirmer ce que l’on craignait, ou croyait savoir, ou espérait deviner. L’exercice pouvait fâcher les uns et les autres, et il fallait jouer l’équilibre pour plaire autant aux vieux de la première heures, aux radicaux les plus révoltés, aux citoyennes et citoyens qui ne demandaient qu’à prolonger la tranquillité de leur existence. Le Gondo était un pays assoupis, et affaiblis. On ne pourrait le réveiller de force, et aucun discours réellement sincère sur la démocratie directe, sur l’énergie qu’elle déployait, n’aurait pu le satisfaire.

Il fallait trouver un équilibre. Lui dire à la fois que tout irait bien, que les choses se feraient naturellement, tranquillement, et amèneraient à des conclusions plaisant à l’esprit naturellement conservateur des gens, tout en lui assurant la fin des problèmes quotidiens du pays. Il fallait expliquer que communisme par voie communaliste était l’objectif, mais éviter d’évoquer les imageries monstrueuses associées à la révolution. Il fallait moquer l’armée Clovanienne et briser le colon, mais jamais se montrer cruel avec lui, de peur que ses sympathisants le prennent pour eux.

Il fallait trouver les mots juste. Marc Moke monta à la tribune, et pris une inspiration.

« Camarades !

Il me semble plus juste de vous qualifier ainsi. Bien que nous ne soyons pas tous ici des socialistes convaincus, je suis certain que beaucoup d'entre vous, à différents niveaux, croient en la démocratie. Et même sans cela, nous partageons tous une même origine : nous sommes Gondolais, et cela suffit à faire de nous des camarades. Mais, enfin, je préfère m’adresser à vous en tant qu'amis, car c'est ainsi que notre peuple doit se redécouvrir après tant d’années de guerre, de souffrances et de conflits. Après tant d’incapacité de la part de nos dirigeants à établir une démocratie juste et légitime, celle à laquelle nous aspirons tous !

Cette incapacité à établir la démocratie n'est rien d'autre qu’un symptôme de l’échec de ce gouvernement. Le régime actuel, cette 4e République que nous combattons, n’est que le résidu putride de nos luttes passées, une spoliation perpétuée par une élite politique déconnectée du peuple, une élite qui vit sur le sang et les larmes de ceux qui ont payé de leur vie contre les juntes successives. Oui, du sang versé par nos ancêtres, par nos pères et nos mères, par ceux qui, comme nous aujourd'hui, se sont battus pour les libertés, pour la démocratie, pour que tout le peuple du Gondo puisse enfin avoir son mot à dire ! Puisse enfin s’exprimer librement dans les urnes, dans la presse, et puisse avoir une véritable influence sur son avenir.

Il y a trois ans, nous n’étions qu’un petit groupe, isolé dans les montagnes du Nord, un mouvement d'exilés, ignoré, rejeté par les puissants. Les experts internationaux, ceux qui se croient détenteurs de la vérité, nous méprisaient. Pour eux, nos luttes révolutionnaires, nos objectifs socialistes et communalistes étaient des idéaux démodés. Ils pensaient que ce seraient les mouvements ethniquee, les milices de ces peuples martyrisés par le gouvernement, qui finiraient par faire exploser le Gondo. Comme une baudruche trop pleine de ces erreurs. Ils avaient tort.

Ils n'avaient pas vu la force grandissante de notre peuple. Avant-hier, nous avons fait une percée. Une percée militaire d’abord – rappelez-vous, nous avons pris Port-au-Truites avec une facilité qui a fait trembler ce gouvernement ! Et ce n’était pas simplement une victoire sur le terrain militaire, non. C’était une victoire économique, car nous avons réorganisé le Nord, transformé une région dévastée en un centre de manufactures, d’écoles, d’hôpitaux. Trois ans plus tard, nous voilà à un tournant : hier votre ville était libérée. Demain, peut-être, la grande ville suivra.

Mais ce n’est pas tout. Combien de fois avons-nous été trahis par ceux qui se sont servis de notre terre, de notre peuple ? Combien de fois avons-nous été abandonnés par des gouvernements corrompus qui ont permis que des puissances coloniales viennent piller notre pays ? Nous avons été maltraités, humiliés. Aujourd’hui, c’est fini. Nous avons pris le contrôle de notre destin, et nous n’avons pas l’intention de le laisser retomber entre les mains de ces mêmes oppresseurs.

Le gouvernement actuel, avec son président, n’ont rien compris. Chaque fois que des manifestations légitimes ont éclaté, ils ont réagi par la violence, par l’oppression. Combien de frères, de sœurs, de mères, de pères ont été emprisonnés, torturés, laissés à pourrir dans des geôles ? Combien de voix ont été étouffées dans le sang ? Pour défendre quels intérêts ? Ceux de la Clovanie ?

Nous, nous avons changé le cours de l’histoire. Nous avons pris les armes. Nous avons pris le contrôle. Nous avons refusé d’être les éternels exploités.

Nous n’allons pas reconstruire ce pays sur les bases d’une autre dictature, sur un vocabulaire martial, comme certains voudraient nous le faire croire. Non. Le communisme, le vrai socialisme, ce n'est pas ce qu’on nous décrit comme une grande purge, des prisons pleines de miséreux, de la famine, de l’ignorance. Si le communisme, c’était ça, alors le Gondo serait déjà communiste ! Parce que ce pays, notre pays, est déjà un lieu de privations, d’oppression, d’autoritarisme ! C’est un pays où le droit de chaque individu à décider de son destin a été arraché et remis à un gouvernement corrompu, à une élite au service des intérêts étrangers. Ce n’est pas cela que nous voulons.

Ce que nous voulons, camarades, ce n'est pas la spoliation des riches. Ce que nous voulons, c’est l’égalisation des chances. C'est l'accès pour toutes et tous à l'éducation, à la santé, à un travail digne, mais aussi à un temps libre, à la culture, à la vie. Nous voulons une société où chacun ait accès à une vie digne, avec trois repas chauds par jour, à l’électricité, aux soins. Ce n’est pas une utopie, c’est ce que nous exigeons aujourd’hui. C’est ce que nous avons construit dans le nord.

La vraie démocratie, la vraie justice sociale, c’est cela que nous voulons. Pas la spoliation des riches, mais l’élévation des pauvres. Nous voulons que la démocratie ne soit pas une promesse vide, mais une réalité concrète, vivante, dans chaque village, dans chaque quartier, dans chaque commune. Nous voulons que chaque Gondolien puisse s’exprimer, prendre part aux décisions qui affectent sa vie, et avoir le droit de se retirer ou de s’engager selon ses choix.

Nous voulons un pays unifié, un pays qui retrouve l'esprit de son indépendance, qui se débarrasse de son héritage colonial, de son passé de domination et d’exploitation. Nous ne combattons pas pour instaurer un nouvel ordre tyrannique, mais pour que le Gondo devienne enfin ce qu’il a toujours dû être : un pays libre, un pays d’égalité, un pays gouverné par le peuple et pour le peuple. Un pays où le sang et les larmes versés par nos ancêtres n’auront pas été en vain. Nous sommes les enfants de cette lutte, et nous continuerons à nous battre, jusqu’à la victoire. Pour la démocratie, pour la liberté, pour l’avenir du Gondo !

Aujourd'hui, la ville qui portait le poids de l'oppression, de l'injustice et du silence, est tombée entre nos mains. Mais je vous le dis, la prise de Cap-Franc n'est pas une fin, ce n'est qu'un nouveau commencement. Vous avez survécu à la guerre, vous avez enduré la violence des derniers mois, mais ce que nous vous offrons, ce n'est pas la guerre, ce n'est pas la brutalité des armes. Ce que nous vous offrons, c'est un avenir : un avenir où chaque voix, chaque souffle, chaque vie compte.

Je sais que la situation ici, dans les rues de cette ville, n'est pas simple. Le bruit des combats résonne encore dans les oreilles, les cicatrices laissées sur vos maisons et dans vos cœurs ne se refermeront pas du jour au lendemain. Mais je vous demande de ne pas céder à la peur. Ne laissez pas le souvenir de la guerre et de la souffrance guider vos pas dans cette nouvelle ère. Car aujourd'hui, nous commençons à reconstruire, à réparer ce qui a été détruit, à soigner les blessures de cette guerre fratricide. Certains d'entre vous pourraient se dire que rien ne changera. Qu'après tant de souffrances, ce changement ne sera qu’une illusion. Mais laissez-moi vous dire ceci : ce n'est pas un autre pouvoir qui s’installe ici. Ce n'est pas une nouvelle élite qui prend les rênes de la ville. Ce n'est pas la promesse de nouveaux maîtres qui vous est faite. C’est le peuple, c’est vous, c’est nous, qui allons reprendre le contrôle de nos vies.

Oui, le combat a été difficile. Oui, nous avons perdu des hommes, des femmes, des enfants, des jeunes, des anciens. Mais leurs sacrifices ne seront pas vains. Nous n’avons pas combattu pour que quelques-uns accaparent tout le pouvoir, comme l’ont fait ceux qui nous ont précédés. Nous avons combattu pour la démocratie, pour la justice, pour que les décisions qui vous concernent soient prises par vous, pour vous. Parce qu'il est temps que vous, habitants de Cap-Franc, que vous, citoyens du Gondo, soyez les véritables maîtres de votre destin. Et nous vengerons le Gondo de ces clovaniens et de ce gouvernement impérial qui, tout en évacuant leurs troupes, se retranchaient entre vos maisons, dans vos rues, ont portés le combat là où il nous ferait le plus mal : au sein même du peuple qu’ils étaient supposés défendre, du peuple auquel nous venions dire : mieux que des amis, nous sommes vos frères !

Et même avant cette bataille ! Je sais que certains d’entre vous ont souffert des abus, des exactions commises au nom de l’ordre, de la paix, de la stabilité ! D’autres prétextes, faux noms pour l’oppression ! Que vous avez été délaissés, ignorés, écrasés par un système politique qui vous traitait comme des pions sur un échiquier ! Que vous avez vu vos proches disparaître, enfermés, torturés, brisés. Je vous en fais la promesse, ici, aujourd'hui : ces jours sont révolus. La loi ne sera plus ce qui écrase le plus faible, mais ce qui protège le plus vulnérable. Nous mettrons fin aux injustices et à l’impunité de ceux qui se sont servis du pouvoir pour asservir le peuple.

Camarades de Cap-Franc, regardez autour de vous : il est temps de reconstruire, de redonner à cette ville, à chaque ruelle, à chaque quartier, à chaque famille, la place qu'elle mérite dans la nouvelle nation que nous allons bâtir ensemble. Cela prendra du temps, certes, mais nous avons la force et la volonté de le faire. Ce ne sont pas les destructions matérielles qui nous feront tomber, mais l’incapacité à garder notre solidarité intacte, notre foi en un avenir commun. Nous avons libéré cette ville et Cap-Franc appartient à chacun de vous ,désormais. Vous n'êtes plus sous le joug d'un pouvoir extérieur, sous l'autorité de ceux qui vous ont ignorés et manipulés. Vous êtes maîtres de vos vies, et avec cette liberté vient une responsabilité. Celle de participer à la reconstruction de ce pays, celle de veiller à ce que plus jamais une guerre fratricide ne déchire le Gondo, celle de faire entendre votre voix dans les décisions politiques et économiques. Loin d’être une simple prise de pouvoir, notre action doit être celle de la réconciliation, de la reconstruction, de la justice sociale. Les soldats qui sont venus ici ne sont pas vos conquérants, mais vos frères et sœurs dans la lutte. Nous avons traversé ces épreuves ensemble et c’est ensemble que nous ferons face aux défis à venir.

Car l’opération Rectitude, bien qu’ayant été un succès militaire pour nos forces, n’est qu’une étape dans la longue marche de notre révolution, une révolution qui ne se limite pas à la prise de villes, mais bien à l’instauration de la démocratie véritable, de la justice sociale, et de la dignité pour chaque Gondonien et Gondonienne.

Nous avons pris Cap-Franc, ce symbole du pouvoir impérial, après une opération menée avec courage et détermination. Mais qu’avons-nous véritablement gagné en prenant une ville, en chassant un millier d’hommes qui se battent pour un système qui ne les comprend pas, qui ne les protège pas ? Ce n’est pas une victoire, c’est un combat pour la dignité. Ce n’est pas le fracas des armes qui doit nous faire avancer, mais le cri du peuple. Le sang versé, des deux côtés, n’est pas une victoire : c’est un échec de plus des pouvoirs en place, de ceux qui nous ont opprimés et écrasés sous le poids de la guerre.

La défaite militaire du camp impérial est évidente, mais ce n’est qu’une fraction du problème. Nous ne devons pas nous contenter de conquérir des territoires. Ce que nous devons conquérir, c’est l’esprit de ceux qui vivent dans ces villes, dans ces régions, c’est leur espoir, leur futur. Que la prise de Cap-Franc n’éclipse pas la réalité du pays tout entier : un pays brisé, une société dévastée par des décennies de guerre civile, d’injustices systématiques, de massacres, de trahisons.

En regardant les pertes humaines sur les deux bords, on ne peut qu’être frappé par la futilité de cette violence. Nous avons perdu des milliers d’hommes et de femmes, des civils et des soldats, des enfants de notre pays, de notre lutte. Et pourtant, ces vies perdues ne sont pas de simples statistiques dans un rapport militaire. Elles sont la conséquence directe d’un échec politique, d’une absence de vision commune, d’une incapacité à comprendre que ce n’est pas le nombre de chars, de fusils ou de drones qui décide du futur du Gondo, mais bien la volonté de son peuple à s’unir pour reconstruire une nation de liberté et de prospérité pour tous.

L’Armée Démocratique a accompli ce que beaucoup croyaient impossible. Mais nous ne devons pas laisser la victoire militaire se transformer en victoire de l’autoritarisme, en victoire de la guerre contre le peuple. Nous devons comprendre que nous ne faisons pas la guerre pour substituer une tyrannie par une autre, une élite par une autre. Nous faisons cette guerre pour que chacun, de la plus grande ville aux plus petites campagnes, ait un rôle à jouer dans l’avenir de ce pays. Pour que la démocratie, celle que nous construisons ensemble, devienne la norme et non l'exception.

Ce qui nous attend après Cap-Franc, c’est un travail de longue haleine. Nous devons redonner vie à chaque village, à chaque famille, à chaque quartier dévasté. Nous devons replacer l’humain au centre de tout : l’éducation, la santé, le logement, le travail, mais aussi le droit de participer à la vie politique. Ce ne sont pas les armes qui construiront un Gondo libre, ce sont les mains des travailleurs, des paysans, des artisans, des intellectuels, des jeunes, des femmes, de tous ceux et toutes celles qui ont été écrasés par le système. Ce sont eux et elles qui seront les architectes de notre avenir.

Camarades, ce n’est qu’un début. Nous devons nous préparer à ce qui va suivre, car la route sera encore longue. La victoire militaire n’est qu’un moyen pour atteindre un objectif bien plus grand : un Gondo libre, un Gondo démocratique, un Gondo sans divisions, un Gondo qui appartienne à son peuple et non à des puissances étrangères ou à une élite locale déconnectée des réalités du terrain.

Nous sommes les héritiers de la résistance, de la révolte, et de l’espoir. Nous avons montré que, malgré les difficultés, malgré les sacrifices, nous pouvons triompher, non pas par la force des armes, mais par la force de notre conviction. Ce n’est pas la violence qui nous guidera, mais l’amour de la liberté, l’amour de la justice, et la volonté de voir nos enfants grandir dans un monde où ils auront la possibilité de décider de leur avenir.

L'opération Rectitude n’est qu’un épisode dans notre lutte. Nous savons que d’autres batailles, d’autres luttes nous attendent, mais aujourd'hui, regardons-nous et souvenons-nous de ce que nous avons accompli ensemble. C’est par notre unité, par notre engagement, et par notre rêve commun que nous ferons tomber le dernier vestige de l’Empire et que nous bâtirons un Gondo libre pour tous.

Aujourd'hui, les armes se taisent, mais ce ne sont pas elles qui nous guideront dans l'avenir. Ce sont vos rêves, vos espoirs, vos désirs d’un Gondo libre et équitable. Le processus de transition vers la démocratie commence maintenant. Chacun de vous aura un rôle à jouer. Que ce soit dans les quartiers, dans les écoles, dans les usines, dans les champs ou dans les bureaux, vous serez les acteurs de ce changement.

Ne laissez pas la peur vous envahir. Ne laissez pas la mémoire des souffrances passées vous paralyser. Au contraire, utilisez cette mémoire pour forger un avenir meilleur, un avenir où plus personne ne devra se battre pour sa liberté, où l’injustice ne sera plus qu’un mauvais souvenir.

Le combat n’est pas fini, il a seulement pris une nouvelle forme. Unissons-nous pour reconstruire le Gondo, pour donner à nos enfants ce que nous n’avons pas eu : la possibilité de grandir dans un pays où la justice, la liberté et la solidarité régneront. Ensemble, nous bâtirons un Gondo où chaque voix comptera, un Gondo où il n'y aura plus de place pour la peur, pour la guerre, pour la tyrannie.


Il est évident que notre victoire ici n'est qu'un chapitre d'une lutte plus vaste, d'une révolte qui, par son élan, se propage bien au-delà de cette ville. Mais avant tout, il est important de parler de ce qui se profile à l'horizon. Certains, parmi ceux qui ont encore l'illusion d'un pouvoir impérial, imaginent qu'une riposte clovanienne pourrait inverser la situation, mais cette illusion ne tiendra pas.

L'armée clovanienne, qui se croyait invincible, est désormais en déroute. Ses forces ont été brisées, désorganisées, affaiblies de près d'un millier d’hommes. Le moral des troupes impériales est au plus bas. Ceux qui tenaient encore le front, convaincus que l'ordre impérial serait inébranlable, se retrouvent désormais à battre en retraite, conscients que leur cause est perdue. Mais il ne faut pas se laisser abuser par ce qui semble être un simple repli stratégique. Non, l'ordre clovanien, cet empire de l'exploitation et de la domination, est en train de s'effondrer. L’issue de cette guerre ne fait désormais plus aucun doute : le pouvoir impérial ne peut que reculer. Chaque bastion qu'ils perdent, chaque zone qu'ils abandonnent est un pas de plus vers leur fin. Et bien qu’ils essaient de maintenir l’illusion d'une résistance, leurs jours sont désormais comptés. La décolonisation du Gondo est en marche, et elle est irréversible.

Nous savons que l’armée clovanienne, malgré sa défaite militaire, pourrait chercher à lancer des attaques sporadiques, à harceler nos positions, espérant redresser la situation ou, du moins, prolonger l’agonie de leur emprise coloniale. Mais ces tentatives seront vaines. Le peuple gondolais a déjà trop souffert sous leur joug. La population, elle, s’est dressée. Et désormais, ce n’est plus un combat militaire que nous menons, mais un combat pour la justice, pour la liberté, pour la dignité humaine. Nous n’avons pas seulement gagné une bataille. Nous avons, avec cette victoire, amorcé le début d’une révolution qui détruira définitivement le colonialisme clovanien. Leur empire ne pourra plus jamais asservir un peuple, ne pourra plus jamais écraser la voix des opprimés. La décolonisation, la vraie, est désormais en marche et elle ne s’arrêtera pas tant que chaque dernier vestige de l’ordre clovanien n’aura pas été chassé de nos terres.

Le peuple du Gondo n’est plus sous la domination de qui que ce soit. Ce n’est pas le prix d’une victoire militaire que nous cherchons, mais bien l’instauration d’une liberté durable. Le temps de l'impérialisme est révolu. La seule chose qui reste à décider, camarades, c’est de quelle manière nous bâtirons ensemble cette nouvelle nation, libre, équitable et solidaire. La victoire est là, et avec elle, le poids de la responsabilité. Nous avons pris cette ville, mais la guerre a laissé des cicatrices profondes. Ce ne sont pas seulement des bâtiments que nous devons reconstruire, ce sont des vies, des familles, des communautés entières que la guerre a brisées. Vous avez souffert, vous avez vu vos rues transformées en champs de bataille, vos proches tombés, vos vies chamboulées. Il est donc impératif que nous, votre nouveau gouvernement, agissions avec détermination pour réparer ces torts et garantir que les sacrifices consentis ne soient pas vains.

Nous commençons par ceux qui ont payé le prix ultime pour cette victoire, que ce soit sur le champ de bataille ou dans les rues de Cap-Franc. Tous les morts de cette guerre doivent être honorés. Chaque corps sera retrouvé, chaque nom sera inscrit, et nous organiserons une cérémonie digne de ceux qui ont perdu la vie pour que ce moment historique puisse vivre dans nos mémoires. Ceux qui ont péri, qu’ils soient combattants ou civils, ont montré un courage exceptionnel. Ils ont combattu pour un avenir meilleur. Ils méritent que leur sacrifice soit gravé dans notre histoire.

Quant aux blessés, ils ne seront pas laissés pour compte. Une aide économique d’urgence sera mise en place pour soutenir les blessés, ainsi que les familles des morts. Nous savons que cette guerre a laissé beaucoup d’entre vous dans une situation de vulnérabilité. Nous ne vous oublierons pas. L'aide immédiate que nous mettrons en place sera destinée à assurer que chaque blessé, chaque famille en deuil, reçoive le soutien nécessaire pour reprendre pied et avancer.

La reconstruction de Cap-Franc, et plus largement du Gondo, ne pourra se faire sans une connaissance précise de notre situation. Ainsi, nous allons procéder à un census complet de la population de la ville. Nous devons savoir qui nous sommes, combien nous sommes, et quelles sont les conditions dans lesquelles chacun d’entre vous vit. Chaque quartier, chaque secteur de la ville sera enregistré. Les infrastructures économiques seront également évaluées. Nous devons savoir ce qui est encore en état de fonctionner et ce qui doit être reconstruit. C’est à partir de cette base de données que nous pourrons mettre en place un véritable plan de redressement économique.

Une fois ce recensement effectué, nous organiserons des assemblées populaires dans les places publiques, des espaces ouverts à tous où vous pourrez exprimer vos besoins, vos préoccupations, vos attentes pour l’avenir. Ce ne seront pas seulement des réunions bureaucratiques : ce sera l’occasion pour chaque citoyen de faire entendre sa voix. Nous allons créer des cahiers de doléances. Nous voulons connaître vos aspirations profondes, car cette révolution appartient au peuple et ce sont vos voix qui guideront nos actions.

De plus, nous ne pourrons avancer vers la démocratie sans une presse libre et indépendante. Le peuple doit pouvoir s’exprimer, dénoncer, proposer. C’est pourquoi nous annonçons aujourd’hui que la liberté de la presse sera rétablie, sans censure, sans peur. La presse, les médias, les radios, doivent pouvoir transmettre la vérité sans entrave. Parallèlement, tous les prisonniers non-criminels, ceux qui ont été emprisonnés pour leurs idées, leur opposition à un pouvoir tyrannique, seront immédiatement libérés. Aucun homme, aucune femme, ne doit être privé de sa liberté pour avoir voulu défendre un avenir meilleur.

Je sais qu’après tant de destructions, il peut sembler difficile de reconstruire à partir de zéro. Mais il est crucial de maintenir un minimum de continuité administrative pour assurer le bon fonctionnement de la ville. Les structures essentielles de la ville, telles que la gestion des services publics, les écoles, les hôpitaux, seront maintenues pour permettre une transition en douceur. Cependant, sachez que cela n’est qu’un point de départ. Nous procéderons rapidement à une réforme en profondeur de toutes ces institutions, afin de garantir qu’elles soient au service du peuple et non plus d’une élite étrangère ou d’un pouvoir oppressif.


Le changement ne se fera pas en un jour, mais nous devons commencer par ce qui est urgent, ce qui est nécessaire. Le chemin vers une véritable démocratie, où chaque citoyen aura sa place et pourra participer activement à la gestion de son avenir, commence aujourd’hui, ici, à Cap-Franc. Nous avons pris cette ville, et maintenant il nous faut la reconstruire. Et cette reconstruction, camarades, elle ne se fera pas seulement en pierres et en briques, mais dans les cœurs et les esprits. Elle se fera avec la volonté de chacun de participer, d'apporter sa pierre à l'édifice d’un futur juste et équitable pour tous.

Le processus est lancé. Notre révolution est en marche. Que ceux qui doutent encore sachent une chose : la décolonisation réelle est désormais en marche, et le Gondo ne sera plus jamais le terrain de jeux des puissances impérialistes. L’Armée impériale a reculé, mais elle ne s’effondre pas encore, et elle sait que ses jours sont comptés. Le Gondo, notre Gondo, est désormais libre. Et il sera libre pour toujours.

Il est essentiel, dans un moment aussi critique de transition, de garantir que la justice soit rendue à tous, sans distinction. C’est pourquoi je tiens à annoncer que, concernant le personnel étranger présent dans la ville, il sera désormais libre de ses mouvements. Nous ne cherchons pas à retenir quiconque contre sa volonté, et chaque citoyen ou travailleur étranger pourra désormais décider de sa situation. Ceux qui souhaitent partir, qui n'ont aucun lien avec notre lutte et qui préfèrent rejoindre leurs pays respectifs, pourront le faire en toute liberté.

En ce qui concerne le personnel Clovanien, une situation spécifique mérite d’être précisée. Le gouvernement Clovanien et son armée ont montré leur caractère oppressif envers notre peuple pendant trop d’années. Nous ne permettrons pas à ceux qui ont participé à l’oppression de ce peuple de circuler librement ou de revenir dans des zones encore contrôlées par l’ancien régime en déroute. Le personnel Clovanien ne pourra pas retourner dans les zones sous contrôle de l’Empire impérial, ni rejoindre les dernières poches de résistance impériale. Cependant, pour ceux d’entre eux qui souhaitent retourner dans leur pays d’origine, il leur sera permis de passer par la frontière nord du pays, en direction de Fortuna, où ils pourront prendre le chemin du retour vers le Clovania. Ils pourront quitter le Gondo en toute sécurité, mais à condition de ne pas tenter d’interférer dans le processus de transition.

Nous agissons ainsi non par vengeance, mais par principe de justice et de sécurité. Ceux qui ont choisi de participer à la machine de guerre impériale, de soutenir un régime colonialiste et oppressif, doivent comprendre qu’ils ne sont plus les bienvenus dans une société qui œuvre pour la liberté et l’émancipation de son peuple. Le processus de décolonisation est maintenant inéluctable. Nous sommes engagés dans une guerre pour la dignité, et bien que la fin de cette guerre approche, nous devons nous assurer que l’oppression ne puisse plus se refaire une place dans notre pays. Il n’y a pas de retour en arrière. Les anciens maîtres ne gouverneront plus ici.

La liberté n’est pas négociable, et elle s'étend à tous ceux qui se battent pour elle.

Vive la liberté ! Vive le Gondo ! Vive le peuple !
 »
2045
Réaction des Cap-franconniens au discours du caporal Moke et à l’invasion de l’AD

Le discours de Marc Moke fut écouté par quelques centaines de personnes, surtout des convaincus. Sur la Place Guillaume, au centre du quartier colonial, les drapeaux rouges et portraits de Yannick Sangaré étaient nombreux. Un public déjà conquis. Mais une minorité.

La plupart des cap-franconniens ont fui la ville avant les combats, et s’occupaient donc dans les jours qui suivirent la bataille à revenir dans leurs résidences. Une petite partie d’entre eux seulement suivit l’armée impériale, principalement la minorité kwandaouie. Il est à noter que la ville avait été évacuée par la RDLG dès que les forces rouges avaient commencé à prendre position. C’est au total près d’un tiers de la population du second port gondolais et troisième ville du pays qui a fui ou péri.

Pour ceux qui sont restés, l’anxiété était grande. La liesse a surtout touché les quartiers populaires de cette ville. Le centre-ville, aisé, est pratiquement vide. Pour les classes moyennes et les commerçants, l’heure est à la partie de cache-cache. Cloîtrés chez eux avec quantités de provisions, les cap-franconniens ne craignaient pas tant les impériaux et la police politique du PND que l’armée démocratique. On craint toujours ce qui est nouveau.
Fait important : Cap-Franc, en tant que ville francophone et ouverte au tourisme, était peut-être celle qui, dans le pays, avait le mieux accueilli les clovaniens. À cet égard, les propos de Moke sur un soit-disant « colonialisme clovanien » parurent assez hors-sol, même si c’était un poncif des rebelles communistes. L’AD partait donc avec un capital confiance très bas. Méfiance et opposition seraient le maître mot pour les cap-franconiens dans les mois à venir. Marc Moke avait dit ce qu’il ferait aux clovaniens présents dans la ville, mais pas ce qu’il ferait aux sympathisants du Parti National-Démocrate.

La grande question qui agitait les observateurs politiques était celle-ci : l’AD allait-elle proclamer une nouvelle république socialiste ? Ou simplement la VIe république. Un choix serait déterminant : celui d’accepter, ou non, que Fetnat Ongalolu, chef de l’opposition en exil au Banairah (Parti du Renouveau Afaréen), et Patiente Anihilé-Sangwa, cheffe du MLL et opposante politique historique, entrent sur le territoire « libéré ».
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Communiqué confidentiel à l'intention de Yahnik Sangaré

Trahir la clémence de l'Empereur est une erreur que l'on ne commet qu'une fois. Vous la paierez de votre chair.

Yves de Tholossé
5005
La Clovanie pleure ses fils, le Gondo pleure sa terre


Cela faisait trois semaines que les forces communistes assaillaient Cap-Franc, sans autre motif que leur soif inextinguible de puissance et de domination. On sentait les forces du bien fléchir et les soldats clovaniens perdre la bataille depuis déjà quelques jours, et l'ordre de retraite fut lancé ce 13 avril, assénant comme un grand coup de massue sur les esprits gondolais et clovaniens. L'une des trois plus grandes villes du pays a été prise par les communistes, et un nombre encore jamais vu de soldats de notre patrie sont tombés sous les balles rouges. Ils ont été 1 185 blessés ou tués par les forces du Mal, ceux dont la terre doit à tout prix se débarrasser pour retrouver sa pureté originelle.

Contenant son sang chaud, le Grand Maréchal de Clovanie, Paul Joffrin, a donné un discours le lendemain de la bataille pour informer les populations gondolaise et clovanienne du déroulé des événements. Nous en avons restitué ici un extrait :

Grand Maréchal de Clovanie Joffrin a écrit :"Clovaniens, Gondolais,

Je sais que chacun et chacune d'entre vous reteniez vos souffles quant au sort de Cap-Franc, craignant pour le sort de vos frères, de vos sœurs, de vos parents, de vos enfants, de vos compatriotes. Je sais aussi que beaucoup d'entre vous sont aujourd'hui plongés dans le deuil et les pleurs, le cœur endolori par la perte de l'un ou l'une des vôtres. Cap-Franc a été prise, les communistes s'en sont emparé. Comme toujours assoiffés de haine et de mort, toujours plus désireux de corrompre la terre de leur doctrine, ils ont déferlé sur la ville ce dernier mois. Seules les forces du diable ont pu donner une telle force à leurs actions, propulser aussi loin leurs balles et leurs bombes. Seul l'aveuglement de l'idéologie communiste a pu les conduire à semer sans état d'âme la désolation et la mort sur une population innocente.

Depuis cinq ans, le peuple cap-franconnien avait retrouvé peu à peu la joie et la prospérité auprès de la présence clovanienne. Nous pouvons oser l'affirmer, haut et fort, l'alliance clovano-gondolaise est certainement la meilleure chose qui soit arrivée à la plupart des cap-franconniens ces dernières années, et à la plupart des gondolais en général. Seuls les traîtres à leur nation et les séparatistes criminels ont pu regretter un tel bienfait. La population de Cap-Franc vient d'être punie pour cette joie. Certains hommes refuseront sans cesse que le Gondo connaisse un jour la paix. Ces hommes sont conçus du Mal le plus sale et le plus impur, ils ne peuvent émaner que des méandres les plus putrides de ce que le Malin a pu créer. Face à de tels monstres, rien n'est plus nécessaire que le combat.

Cap-Franc avait retrouvé la joie, le lien social, le travail et la santé, grâce à l'Armée Impériale. Aujourd'hui, un tiers de sa population est sur les routes, ne sachant où se loger car les communistes ont envahi leurs rues, saccagé leurs maisons et pillé leurs commerces. Un tiers de Cap-Franc a quitté la ville ! Nous ne pouvons que nous confondre en excuses auprès de ces hommes, de ces femmes et de ces enfants dont la vie a été détruite. Nous ne pouvons que leur promettre de leur faire retrouver leur terre, leurs foyers, leurs écoles et leur travail. Je le jure, au nom de l'Empereur et de la Patrie, au nom de l'alliance éternelle des peuples clovanien et gondolais, nous libérerons Cap-Franc. Une cruelle ironie a gagné le nom de cette ville lorsqu'elle perdit sa liberté sous le joug communiste. Mais le mot de Cap prend aujourd'hui tout son sens. Cap-Franc est un objectif, notre mission principale, notre dette envers le peuple du Gondo. Nous retrouverons Cap-Franc, nous lui offrirons à nouveau ce que nous lui offrîmes ces cinq dernières années.

Cette mission ne pourra passer que par l'anéantissement des forces barbares qui ont conquis la ville. Rien d'autre que leur destruction ne pourra remédier à l'état de détresse qui gagne peu à peu la terre gondolaise. Nous le jurons encore, le Bien vaincra sur le Mal, il s'agit là de sa raison d'être. Notre lutte ne sera pas vaine, et Dieu accompagne ceux qui agissent pour la paix commune, pour l'établissement de valeurs vertueuses et bienfaitrices pour chacun. Ceux qui s'opposent à ce dessein ne méritent que d'être écartés d'un revers de main. Le glaive parlera contre ceux qui demeurent sourds aux exhortation du bon sens et de la sûreté commune.

Nul n'ignore la barbarie des communistes. L'idéologie qui habite ces criminels leur permet de s'affranchir de toute morale et de relativiser tous les conseils transcendants qui pourraient les conduire sur un chemin paisible. Aucune compassion n'existe dans leurs cœurs. Voilà pourquoi Cap-Franc se trouve à présent en état de détresse ultime. Nous avons déjà recensé plusieurs viols commis par les envahisseurs sur des femmes cap-franconniennes. Plusieurs enfants ont aussi été tués de sang froid. Ces accusations ne sont pas lancées en l'air, elles s'appuient sur des témoignages concrets de cap-franconniens qui ont fui la ville, trop tard pour échapper à de tels spectacles. Le communisme est une malédiction, il ne peut en découler que misère et atrocité pour les hommes et les femmes qui se trouvent sous son joug.

Cette malédiction rejette toute forme de tradition, et porte en aversion les conceptions gondolaise et clovanienne de la famille. Toutes les coutumes ancestrales qui guident nos vies depuis des dizaines de générations constituent des obstacles à l'établissement de l'ignoble utopie rouge. Voilà pourquoi nous devons combattre de toutes les manières possibles les représentants de cette doctrine. Les militaires agissent avec bravoure, ils continueront à combattre sans relâche les hordes barbares qui menacent le Gondo. Mais ce sont tous les civils qui doivent aussi combattre les communistes, dans leurs cœurs, dans leurs âmes, dans leurs familles et dans leurs villes."


Journal de Legkibourg
Émile Georges,
Pour le Journal de Legkibourg
14/04/2015
1533

République d'Ouwanlinda


Drapeau


Peuple ouwanlindais, levez vous pour la prise de parole de l'Amiral-Président !



Citoyens des quatre ethnies de notre grande nation,

Je vous parle aujourd'hui avec gravité. Oui, mes frères et mes sœurs...l'Ouwanlinda est attaqué...Mon cœur saigne. Et lorsque mon cœur saigne, les eaux du fleuve Podera se mettent bien souvent à monter et monter...jusqu'à être en crue ! L'Ouwanlinda est attaqué moralement ! Cela fait des mois et des mois que nous avons à pleurer le vol de l'emblème le plus sacré de la nation ouwanlindaise, par un gouvernement de voyous et de lâches. Regardez donc le résultat de cette escroquerie !

*montre un drapeau du Gondo*

Regardez cet aigle ! Avec cette croix barrée... Non content de nous le voler, ils l'ont défiguré ! Sous l'égide du cruel chef de guerre Désiré Flavier-Bolwou. Alors, lorsque j'ai appris que qu'un nouveau chef de guerre, plus honorable, était peut-être en passe de libérer ce pays de ce tyran, j'ai décidé de prendre les choses en mains ! C'est ainsi que j'ai formulé la demande auprès de lui, en échange de mon soutien tacite dans sa lutte; de retirer l'aigle ouwanlindais injustement volé par le tyran Désiré. En gage de bonne foi de ce nouveau gouvernement.

Ainsi j'en fais officiellement la demande: rendez nous l'aigle. Mon ministre du respect, notre très cher Barnabas, se chargera de vous transmettre le message, si vous ne captez pas les puissantes ondes de la radio de notre nation.

Vive les quarte ethnies, vive l'Ouwanlinda !

Votre Amiral-Président et votre frère, Ateh Olinga. Président honoraire de l'Alguarena, Triumvir des triumvirs de la Grande République de Velsna, Soleil éternel de la nation, Roi consort de Teyla, Podestat de Léandre, l'Aigle d'Ouwanlinda qui voit à travers les nuages, défenseur des musulmans et des chrétiens d'Afarée.

Drapeau
2289
Affiche placardée et distribuée à Sainte-Loublance, Ceriera, Porzh-Erwan et dans les environs de ces villes, en langues française, clovanienne, portugaise et en quelques dialectes gondolais

Cap-Franc a été prise par le spectre rouge !

Cap-Franc réduit en ruines par les communistes !

Les communistes de l'Armée Démocratique ont assailli Cap-Franc, assassinant et détruisant tout sur leur passage. Un tiers de la population de la ville est sur les routes, chassé de son foyer et de la terre de ses ancêtres. Des familles sont détruites, des femmes ont perdu leurs fils et des fils ont perdu leur mère. L'Armée Impériale a combattu jusqu'à la mort, bravant les forces du diable avec une bravoure inégalée. Mais la lâcheté des communistes a été plus forte, leur perfidie a eu raison de la droiture des chevaliers clovaniens. La population a souffert le martyre, et la Clovanie a perdu 1 185 de ses plus valeureux soldats.
Des milliers de Cap-franconniens fuient leurs foyers, leur ville détruite et saccagée par les communistes !

Les communistes sont des violeurs et des tueurs d'enfants !

Rien de pire n'aurait pu arriver aux Cap-franconniens que la conquête de leur ville par les communistes. À peine ces derniers eurent-ils pénétré dans la cité qu'ils y semèrent peine et désolation. Aucune portion de quartier, conquise avec violence et barbarie par les communistes, n'a pu échapper à un déferlement méthodique d'atrocités sur ses habitants. Il certain que de nombreuses femmes furent violées sans aucune pitié ni humanité par les membres de l'Armée Démocratique. La haine qui les habite est la seule force qui a pu leur permettre de commettre de tels actes. Le nombre de femmes victimes est encore inconnu : il continue d'augmenter au rythme des témoignages confiés par les migrants cap-franconniens aux soldats de l'Armée Impériale. En fuyant la ville, un bataillon de soldats impériaux trouva aussi un cadavre d'enfant, tué d'une balle dans la tête. Les communistes sont des barbares, rien d'autre que le glaive de la justice ne pourra les anéantir !
Vengeance et résistance !

Nous devons faire corps ! Seule l'union peut permettre le retour de la paix et l'anéantissement des forces criminelles et terroristes qui ont pris possession de Cap-Franc. L'Armée Impériale est le glaive du guerrier gondolais, et la population est son cœur, l'organe qui lui insuffle la force de vaincre. Chaque gondolais doit résister ou combattre le communisme, à son échelle ! Le communisme est une grande maladie, une peste affreuse que nous ne pouvons vaincre que si chacun y met du sien ! Résistez ! Aucun répit pour les tueurs, les violeurs, les terroristes assoiffés de destruction et de mort ! Ils veulent la mort, ils l'obtiendront !
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Sarcopte, la clé de la victoire ?

La construction de la base Sarcopte a été achevée

On attendait la fin du chantier depuis déjà plusieurs semaines, mais tous les ouvriers travaillant à la construction de la base Sarcopte pressentaient amèrement que ce qui devait être une heureuse fête d'inauguration aurait un sale arrière goût. En effet, la finalisation de la base coïncidait, à quelques jours près, avec la défaite de Cap-Franc. Tous les Gondolais n'avaient que ce nom à la bouche, et personne n'avait échappé à la triste nouvelle. Les communistes avaient pris Cap-Franc, et semé le désespoir à des dizaines de kilomètres à la ronde. Le jour où l'on avait appris la retraite de l'Armée Impériale, les sourires s'étaient effacés sur les visages, le travail était plus long, les tâches plus pénibles. Les soldats clovaniens, la mine anxieuse, cherchaient à tout prix à obtenir des nouvelles de la bataille. Ce qui intéressait le plus les militaires était la liste des tombés au combat. On redoutait de trouver dans ces centaines de noms celui d'un ami, d'un frère, ou même d'une simple connaissance.

Les ouvriers gondolais, quant à eux, affichaient un air sombre et rageur. Leur vie aux côtés des Clovaniens et la joie qu'ils avaient trouvée à travailler dans le chantier de Sarcopte prenait une tout autre saveur. On leur avait vendu de l'espoir, la promesse d'une paix future, et voilà qu'on semait le chaos, une fois de plus. Une fois de plus, mais cette fois était plus douloureuse que prévue. On n'avait pas vu un tel affrontement urbain au Gondo depuis bien longtemps. Ainsi, ceux qui étaient trop habitués à la présence Clovanienne et qui ne réalisaient pas encore que la paix était un luxe se virent rappeler par leurs aînés que le Gondo demeure une terre de sang. Ceux qui avaient des proches habitant à Cap-Franc ne vinrent pas au travail le jour de la défaite. On accorda des dispenses, et des salut de bonne chance. Bienheureux était celui qui retrouverai le Cap-franconnien qu'il recherchait parmi la foule de réfugiés qui se dirigeait vers la capitale.

Tout au long de la bataille, des réfugiés avaient défilé devant le chantier, certains avaient installé leur campement provisoire aux alentours de la base, d'autres étaient venus proposer aux soldats impériaux tout ce qu'il leur restait, à savoir leurs bras. Au fil des jours, de nouveaux témoignages affluaient de Cap-Franc, on en savait toujours un peu plus de la défaite qui se profilait. Ce fut lors de la dernière semaine qu'on fut certain que la ville ne tiendrait pas. Les foules se faisaient toujours plus denses, et les récits de migrants toujours plus pitoyables. La ville était tombée.

Le jour de l'inauguration de la base Sarcopte, on pensait que le Grand Maréchal de Clovanie ne se déplacerait pas comme il l'avait promis. Il avait d'autres chats à fouetter, et l'heure n'était pas à la réjouissance, aux petits fours et aux flutes de champagne. Mais Paul Joffrin fit le déplacement. On ordonna à tous les ouvriers et aux soldats de se rendre au point de rassemblement, là où le chef des Armées clovanien donnerait son discours d'inauguration.

"La défaite de Cap-Franc ne doit pas vous faire désespérer de notre mission à tous. Elle ne doit surtout pas vous faire oublier l'effort mémorable que vous avez accompli ces derniers mois. Construire un tel complexe militaire, sans encombre ni attaque extérieure et en si peu de temps relève de l'exploit. Cet accomplissement ne peut être que la conséquence d'une fermeté d'âme inébranlable, d'une force d'esprit forgée par l'amitié clovano-gondolaise. Notre mission est grande, personne d'entre vous ne doit l'oublier. La base Sarcopte sera une arme d'une importance capitale pour vaincre les barbares qui attaquent le peuple du Gondo.

Oui, l'exploit que vous avez accompli grâce à votre union indestructible nous sera d'une aide inimaginable dans la lutte contre les forces du Mal. Les communistes ont pris Cap-Franc et l'ont livré à la ruine et au massacre, vos efforts vont permettre de reconquérir ce dont le démon s'est emparé. Libérer vos frères, vos sœurs, vos fils et vos pères, telle est la mission à laquelle l'Opération Chrysope est dévouée. Telle est la mission dont la base Sarcopte est la clé de l'accomplissement. Sarcopte est la clé de la victoire.

Ainsi, soyez fiers de votre travail, et ne relâchez rien. La lutte contre le Mal ne s'arrête jamais, et ce n'est pas parce que la base Sarcopte est sur pieds qu'elle est invulnérable. Les usines de cette base doivent tourner à plein régime et l'Armée Impériale doit protéger le plus fermement possible son enceinte. Lourd est notre devoir, et je vous sais capables de m'aider dans la conduite de notre mission céleste. Nous prendrons notre revanche contre les hordes sanglantes, et vos efforts seront capitaux dans cette croisade. La haine du Mal doit être votre carburant, tout autant que la poursuite du Bien."


La base Sarcopte fut ainsi inaugurée par ces mots cinglants, martelant les esprits et revigorant les cœurs des soldats et des ouvriers. Après le discours du Grand Maréchal de Clovanie, l'ambiance était plus légère, les pas plus rapides et les gestes plus vifs. Chacun avait pris conscience de sa mission historique au sein de Sarcopte.

Finalisation de la base Sarcopte (SECRET D'ÉTAT) :

La base Sarcopte est une base militaire comprenant une usine d'armes clovanienne. Avant et pendant le chantier y ont été amenés par avion (3 avions de ligne de niveau 2 et 3 avions de transport tactique de niveau 2) :

  • Le 3e régiment Joffrin : 3 000 soldats professionnels.
  • 3 000 armes légères d'infanterie de niveau 11.
  • 20 canons antiaérien de niveau 4.
  • 20 canons antiaériens de niveau 1.
  • 10 canons automoteurs de niveau 5.
  • 10 chars légers de niveau 1.
  • 5 véhicules de combat d’infanterie de niveau 4.

Trajet des avionsTrajet des avions acheminant le nouvel arrivage à la base Sarcopte

La base Sarcopte comprend une usines d'armes, une base militaire similaire à celles de Sainte-Loublance et Porzh-Erwan, une mine de métaux, une zone résidentielles destinée aux ouvriers et aux soldats, et un poste de commandement. Le commandement de la base Sarcopte est confié au général Alberthier du 3e régiment Joffrin. Conformément au traité signé entre l'Empereur Louis Ier et le Président Flavier-Bolwou, la base Sarcopte est soumise à un strict contrôle des entrées et des sorties.
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Nouvelles instructions confidentielles de l'état-major clovanien au sujet de l'Opération Chrysope, adressées aux officiers impliqués dans ladite opération

Suite aux récents événements dont vous avez connaissance, une adaptation est de vigueur pour ajuster la poursuite de notre lutte contre les terroristes. Rappelez-vous que rien ne doit vous faire reculer contre la barbarie, et que le dégoût occasionné par celle-ci doit se transformer en moteur pour vous aider à en vaincre les représentants. Voici les nouvelles instructions, qui prennent effet dès maintenant :

  • Les patrouilles urbaines auront maintenant lieu, à Sainte-Loublance, Ceriera et Porzh-Erwan, le matin de 8h à 11h et le soir de 18h à 21h. Au cours de ces patrouilles, les soldats de l'Armée Impériale établiront un échange amical auprès des habitants des villes et chaque bataillon sera assigné à un district précis dont il ne changera pas. Les soldats consommeront dans les commerces gondolais et distribueront lors des patrouilles du soir des vivres et des habits. On donnera aussi des livres qu'on puisera dans les stocks de la Nouvelle École gondolaise. L'échange verbal et amical demeure la priorité de ces patrouilles quotidiennes.

  • Des périmètres de sécurité seront mis en place autour des campements des réfugiés de Cap-Franc, ceci afin de préserver la sécurité urbaine. On distribuera nourritures et vêtements dans ces campements, et les patrouilles seront renforcées dans ces zones.

  • 2 338 soldats professionnels du 17e régiment de l'Épée arriveront bientôt en renfort pour compenser les pertes de la bataille de Cap-Franc. Ils stationneront dans la base militaire de Sainte-Loublance et arriveront par avion avec chacun une arme légère d'infanterie de niveau 11. Ces soldats seront maintenant affectés au 2e régiment Joffin.
19816
De chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins

Otem Adiwuor observait le petit groupe de représentants, cadres du mouvement, envoyés communaux, experts, technocrates et ambassadeurs officieux du Grand Kah rassemblé au cinquième étage de ce qui jusqu’à récemment avait été un complexe hôtelier Clovanien. Le bâtiment – dont des services compétents s’étaient assurés qu’il ne contienne ni mouchard, ni assassin – était idéalement placée à proximité du centre-ville et présentait un avantage certain sur le centre-ville, à savoir celui de ne pas être pris d’assaut par la légion de fonctionnaires importés depuis le nord pour mener à bien la mise au pas de la ville.

Alors on avait décidé que la réunion se ferait ici. D’aucuns diraient que le bâtiment pouvait faire office de commissariat provisoire, d’autant plus provisoire que la ville pouvait à tout moment être reprise par les forces de l’armée nationale, être bombardé depuis les côtes par la flotte clovanienne, se faire infiltrer par un groupe de commandos particulièrement remontés. Pas que cela semblait inquiéter ses camarades, tous plongés dans les rapports qu’Otem avait fait produire sur la situation économique du nord du pays.

Après tout le gouvernement suivait le front, organisant ainsi les territoires nouvellement capturés par les forces démocrates.

Gouvernement. Otem n’était même pas convaincu que le mot soit adapté. L’Armée avait un organe militaire, au sommet duquel siégeait Sangaré, un organe politique, au sommet duquel siégeait une foule de commissions, mais le communalisme était une chose étrange, et la foule de syndicats, coopératives, commités qui avaient fleuri au nord donnaient à sa ligne un caractère presque spectral, comme si l’esprit du pays s’exprimait de sa propre voix.

C’était déstabilisant, au moins pour Otem. Car à vrai dire, on pouvait difficilement le qualifier de révolutionnaire. Même le qualifier de communiste aurait été un abus de langage. Il avait été économiste, universitaire et compagnon de route des socialistes réformistes. Républicain avant tout, sa sympathie pour l’Armée Démocratique s’était exprimée après ses premières victoires, lorsqu’il lui sembla qu’elle pouvait rétablir la démocratie au sein du Gondo. Une démocratie respectueuse de chacun, progressiste, multi-ethnique. Il n’avait pas envisagé que cette démocratie passe par ce qu’il aurait par le passé qualifié d’anarchisme.

Certes, il était un homme éduqué, il savait que ce mot n’avait rien de sale : les kah-tanais semblaient très bien s’en sortir. Mais ce n’était pas sa doctrine, et ce n’était pas non-plus l’idée vers laquelle son naturel le pourrait le plus naturellement. Seulement voilà, maintenant il était membre de l’Armée Démocratique, et on l’avait nommé au sommet de ses instances économiques – un sommet à mitiger, considérant le système d’organisation des régions contrôlées par la faction révolutionnaire. Et lui, qui avait imaginé un Gondo unifié autour d’un parlement et d’un État-providence, s’était attelé sans trop d’état d’âme à faire fonctionner les embryons d’une future république populaire. Le pays, quelle que soit sa forme de gouvernance, allait avoir besoin de fonctionnaires, de faiseurs séparés de l’idéologie. Et peut-être mieux valait-il se détacher de l’idéologie, pour prendre le pas de ce rêve fou que défendaient les comités. Lui pourrait sans doute y vivre, il y trouverait la liberté qu’il attendait. Pour le reste, il ne tenait qu’à lui de faire en sorte qu’il fonctionne de la meilleure façon possible.

Il toussota, et commença enfin à parler.

« Comme vous avez pu le constater, la destruction des monopoles et la nationalisation des sociétés appartenant aux oligarques ou aux puissances étrangères hostiles ont déplacées la fenêtre de fonctionnement de nos régions vers le socialisme. Pourtant nous n’avons que très marginalement modifié la vie urbaine au nord du pays, faute de moyens et de volonté politique. Notre révolution est issue des montagnes. Beaucoup de nos officiers sont d’abord des démocrates, et l’Armée démocratique a des racines plus urbaines, mais la forme que prend actuellement notre gouvernement est confédérale, et ses efforts ont été principalement ruraux : au fond nous avons décentralisé le pays et établit dans les champs et villages une forme de bien-vivre que la construction libérale de notre pays ne facilitait pas.

La capture de Port-au-Truite a donnée lieu à une politique quasi-attentiste de notre part. Nous avons essayé de maintenir le fonctionnement de l’État et de ses administrations et avons été confrontés au refus de coopération des instances politiques et administratives préexistantes. De même, notre souci de préserver la classe moyenne et la petite bourgeoisie ont amené à une situation quasi-attentiste sur plusieurs chantiers économiques. Enfin, les réformes agraires et la création de coopératives rurales n’a pas donné suite à une politique suffisamment volontariste en ville. Nous avons, si j’ose-dire, assurés un service minimum à Port-auTruite.

Certains d’entre vous ont participé à ces réunions mais pour les autres je me permets un rappel : nous avons considéré que tant que la question de la forme de notre gouvernement n’était pas traitée, il ne serait pas adapté d’essayer d’imposer un système de gouvernance aux métropoles. Une décision qui a certes facilité le dialogue avec nos ennemis du gouvernement de Sainte-Loublance mais suivait une logique discutable : nous n’appliquions pas en ville ce que nous faisions pourtant bien dans les campagnes. Cette incohérence n’a fort heureusement pas déstabilisé notre mouvement ou ses efforts puisque les communes urbaines mises en place et les coopératives soutenues par nos commissions ont, avec l’aide des nouveaux syndicats, participé à la création d’un nouveau tissu économique et politique au nord. Ce dernier a cependant une existence officieuse qui n’a pas encore supplanté les structures capitalistes que nous avons mis en suspens en attendant que soit réglée la question politique.

La capture de Cap-Franc est un grand succès pour nos organes militaires mais a aussi motivée cette réunion.
 »

Il se tut un instant et attrapa un verre d’eau plein qu’un assistant avait placé là pour lui en début de réunion. Le ton même de son discours était dans le continuum de cette nouvelle réalité révolutionnaire. Il devait y croire, pour la faire fonctionner. C’était aussi un gage qu’il donnait à ses interlocuteurs, certains se demandaient si son élection à ce poste ne répondait pas à un énième désir de satisfaire les modérés et les classes moyennes du Gondo. Impossible de leur donner tort, mais il pouvait au moins les rassurer.

« En effet, elle nous met face à nos contradictions, ou plutôt face à la nécessité de faire bientôt un choix sur les modalités de collectivisation – ou de non-collectivisation – sur nos territoires. Je sais que les structures de l’AD dans les zones urbaines du nord sont en mesure de rapidement installer le communalisme total si la décision était approuvée par les communes supérieures. Je sais aussi que les communes rurales sont déjà communalisées.

En bref, avec la capture d’une seconde métropole – et pas des moindres – il faut immédiatement nous poser la question du modèle de société que nous voulons. Ou plus précisément, réfléchir aux modalités réformistes ou révolutionnaires permettant à notre Armée et à son appareil politique d’assurer l’indépendance économique du Gondo et le bon fonctionnement de sa démocratie.

Notre priorité doit être de planifier un développement économique assurant au Gondo la capacité d’exister en tant que tel, indépendamment du bon vouloir de ses mécènes et néo-colons étrangers.
 »

Il jeta un coup d’œil aux kah-tanais, ceux-là prenaient des notes sur leurs petits ordinateurs portables Saphir. L’une des plus âgées acquiesça avec gravité. Il continua.

« Le modèle voulu par le gouvernement que nous combattons s’appuie presque exclusivement sur des entreprises étrangères, propriétés de Flavier-Bolwou ou de ses alliés clovaniens. Le reste est au mieux une économie de renter sur laquelle nous avons partiellement mis la main dans le nord du pays. La nature de cette économie nous rend dépendants des cours des prix des matières premières et impacte négativement le développement de notre industrie.

Or, le Gondo ne peut être une nation important l’ensemble des biens dont sa population a besoin. Ce n’est pas le modèle que nous voulons. D’importantes politiques publiques ont été expérimentées au nord avec la création de manufactures de bien de consommation et de coopératives agricoles, avec un succès jugé satisfaisant. Ces expérimentations ont été possibles grâce au soutien économique de nos alliés internationaux. Cependant, afin de pouvoir étendre leur développement sans nous placer dans une position de dépendance, nous préconisons la création d’un Fonds souverain Gondolais, permettant de financer l’expansion de notre économie. Nous devons aussi nous baser sur les analyses fournis par nos alliés pour mettre en place… Oui ?
 »

La kah-tanaise avait levé la main. Elle la rabaissa doucement et lança un regard panoramique à l’ensemble des représentants installés autour de la table. C’était une femme qui devait aller sur ses cinquante ans, peut-être plus. Très grande, elle avait un foulard doré autour du cou et ne s’était pas séparé du grand imperméable vert avec lequel elle avait débarquée en ville. Otem l’avait vu arriver, à bord d’un grand voilier, et avait aussitôt décrété que cette femme était peut-être un peu excentrique, ce qui au fond était le propre de beaucoup de kah-tanais.

Son ton de voix, au moins, était posé. Elle devait savoir que sa présence ici ne faisait pas l’unanimité. Les véritables révolutionnaires la respectaient sans doute pour ce qu’elle incarnait, mais restaient sur leurs gardes face à son potentiel impact sur l’autonomie du pays. Quant aux modérés, aux républicains et aux militaires de la première heure, leur méfiance se nourrissait autant de l’un que de l’autre.

« Merci de m’accorder la parole. Je voulais simplement rappeler la position d’Axis Mundis à ce sujet. Il y a au sein de la Confédération une structure dédiée pour les révolutions démocratiques, les indépendances coloniales, les luttes justes telles que la vôtre. C’est elle qui s’est chargée d’aider l’Armée Démocratique à atteindre le potentiel militaire nécessaire à son déploiement. Cette structure est politiquement agnostique, s’intéressant à la démocratie et à la fin des empires avant toute chose.

Il existe également une autre structure, consacrée à la construction de nation. Cette structure se charge de fournir une aide économique et industrielle, des conseillers divers et des synthèses visant à aider les pays récemment libérés à s’établir, se stabiliser et se renforcer. Elle a pris connaissance de vos efforts et de vos études sur les caractéristiques économiques du Gondo, ainsi que de vos propositions pour son développement. Elle a jugée que votre mouvement était en phase de devenir un gouvernement, ce qui a motivé mon arrivée.
D’après nous, avec un soutien économique suffisant, nous pourrions non seulement vous aider à concrétiser certaines de vos propositions clés, mais aussi accélérer les retombées positives, notamment en favorisant l’autonomisation de votre économie.

Cependant, il convient de souligner que cette aide dépendra d’une reconnaissance officielle de votre mouvement par l’Union. Nous craignons qu’une telle reconnaissance ne vous attire une attention qui pourrait s’avérer dangereuse pour la situation au Gondo. En conséquence nous attendrons que vous nous donniez votre aval pour agir.

Je tiens à préciser que le budget alloué à l’Armée Démocratique par la Convention Générale est de trente milliards d’unités internationales. Ces fonds seront débloqués dès que vous nous en ferez la demande. Nous tenons à soutenir votre révolution dans les conditions que vous jugerez appropriées
. »

Il y eut un moment de flottement. C’était la première fois que la somme exacte de l’hypothétique aide kah-tanais avait été donnée. Otem acquiesça. Lui était resté sur le choix de vocabulaire employé par l’envoyée. Révolution. Lui parlait encore de guerre civile. Il acquiesça malgré tout.

« Merci. Comme j’allais le dire, notre objectif ne doit pas être d’organiser une collectivisation sur un modèle loduarien, si j’ose dire. Le maître-mot de notre démarche soit être la création d’une économie participative. Après tout le mot d’ordre du communalisme est l’extension de la démocratie à tous les domaines, n’est-ce pas ?

Nous devons construire une société où chaque individu peut participer activement à la gestion de ses ressources, en mettant l’accent sur l’autogestion et la coopération plutôt que sur l’exploitation. Une société qui dépasse les anciennes divisions de classe, qui détruit l’individualisme, et qui place la solidarité et l’égalité au cœur de son fonctionnement. Le modèle que nous proposons ne cherche pas à reproduire les hiérarchies passées, mais à créer une organisation sociale et économique basée sur l’entraide et le respect mutuel.

Dans ce cadre, nous allons œuvrer pour un système économique qui, tout en respectant les droits à la propriété privée et à l'entrepreneuriat, en fait un service pour le bien commun. Nous reconnaissons que la liberté économique est un droit, mais celle-ci doit se conjuguer avec une responsabilité envers la collectivité. Ainsi, tout comme dans le modèle coopératif, les ressources de notre région doivent être gérées par les communautés locales, pour les communautés locales.

Les coopératives seront le pilier de notre économie. Elles doivent fournir les besoins essentiels de notre peuple, de l’agriculture à l’énergie, de la construction aux marchés publics. Ces coopératives doivent être responsables, non seulement de leur gestion économique, mais aussi de la transformation sociale de notre région. Elles seront autonomes, mais fonctionneront toujours dans un cadre de solidarité et de soutien mutuel.

Les grandes industries seront socialisées pour garantir que la production profite à tous, et non à une minorité. Mais nous devons également reconnaître et soutenir les petits propriétaires, ceux qui, par leur travail, contribuent à la diversité et à la richesse de notre économie locale. Il ne s'agit pas d'effacer l'initiative individuelle, mais de veiller à ce qu’elle serve les besoins collectifs plutôt que de reproduire les injustices d'un système capitaliste. La destruction des monopoles et la collectivisation des biens des djérouites devrait créer des failles suffisamment béantes dans l’économie pour offrir une position confortable aux nouvelles coopératives. La petite propriété et les petites entreprises, si elles devront se conformer aux nouvelles normes d’actionnariat et aux fonctionnements décisionnels coopératifs, pourront continuer d’exister en tant que telles jusqu’à être intégrées au tissu coopératif ou vaincus par la concurrence du dit tissu. En d’autres termes nous allons injecter de la démocratie dans l’économie, sur le lieu de travail et dans les structures financières, de façon éviter l’apparition de nouveaux monopoles et à gommer les inégalités économiques. La redistribution du solde capitalistique devrait permettre de couvrir l’augmentation des salaires. Vous trouverez associé au dossier qui vous a été remis un document sur le fonctionnement des coopératives, largement basé sur les expériences au nord du pays, mais adaptés aux nécessités du sud du pays.

Tout comme lescommunalistes l’ont démontré, il est possible d’organiser une économie de manière décentralisée, sans hiérarchies oppressives, en mettant les travailleurs au cœur du processus décisionnel. En quelques mois, une telle transformation a déjà prouvé sa viabilité dans certaines régions. L’autogestion, loin d’être une utopie, est une force constructive capable de donner naissance à une nouvelle forme d’économie, juste et durable.

Cet aspect économique doit être accompagné de réformes culturelles et morales favorables au modèle de société que nous essayons de construire. En plus des comités ouvriers et communaux, il fait établir des lieux d’éducation populaire telle que des athénées : des espaces de partage culturel et d’éducation.

La question des services publics se pose également avec acuité. L’échec de la collaboration avec la fonction publique lors de la prise de Port-au-Truite est encore dans les mémoires. Ici, le risque est d’autant plus élevé qu’une part significative de l’administration demeure loyaliste envers le président, prête à reprendre ses fonctions dès le retour des armées clovaniennes. Il convient d’ouvrir une porte à ceux qui souhaitent s’engager dans les efforts de réorganisation, mais il est impératif que des fonctionnaires formés soient en mesure d’assurer la transition.
Des mesures concrètes s’imposent : instaurer des cours populaires pour encadrer la justice, mettre en place une protection civile citoyenne pour suppléer la police, garantir le financement des écoles et des hôpitaux, et collectiviser les chaînes de télé et de radio. La censure doit être abolie, les prisonniers politiques libérés. Les chaînes d’information affiliées aux intérêts djérouites doivent être nationalisées, leurs actifs redistribués au sein de structures publiques, destinées à être progressivement confiées aux travailleurs. Les responsables des crimes économiques, tels que la spoliation des richesses nationales, devront être jugés dans le respect des procédures légales, à l’issue d’enquêtes rigoureuses.
Cette démarche ne vise pas une purge, mais une transformation radicale de la société. Tous, y compris ceux issus des anciennes structures, seront contraints de participer à la nouvelle économie que nous construisons. Cependant, leur pouvoir d’influence ne dépassera pas celui de n’importe quel citoyen, libre de s’organiser pour modeler un futur qui lui convient.
Enfin, il est crucial de favoriser l’émergence d’une élite populaire, capable d’épauler ou de remplacer une classe moyenne qui, si elle persiste dans son inertie culturelle, pourrait évoluer en une opposition non pas idéologique, mais existentielle au projet que nous portons.

Telle doit être notre ligne de conduite. Dans l’éventualité d’un retour des forces clovaniennes, il est impératif que les habitants puissent témoigner d’un élargissement de leurs droits, de la protection de leurs biens, de l’absence de chaos, et de la discipline de nos troupes, avec des sanctions exemplaires pour tout écart constaté. Nous devons également veiller à ce que la population bénéficie rapidement des premières retombées positives de nos promesses, avant même d’adhérer pleinement à notre lutte.


L’utilisation des cahiers de doléances actuellement en cours d’élaboration représente une opportunité stratégique. Ils peuvent servir de base pour identifier des projets communautaires concrets et immédiatement réalisables, que les travailleurs, travailleuses et riverains pourront s’approprier. Ces initiatives pourraient inclure la rénovation d’une route ou d’une école, la création d’une ligne de bus essentielle, ou encore l’aménagement de potagers collectifs. Des actions simples, mais porteuses de sens, doivent être entreprises rapidement, pour que la population les considère comme les leurs.

Ainsi, toute tentative des forces clovaniennes de revenir sur ces acquis serait perçue non pas comme une restauration de l’ordre, mais comme une agression directe contre les intérêts et les aspirations de la population locale.

Enfin, en ce qui concerne l'aide aux victimes de la guerre et l'aide à la réinstallation des déplacés de guerre... »

La kah-tanaise interrompit d’un geste calme, levant la main avec un sourire.

« Vous n’aurez qu’à nous dire combien. »

Résumé des éléments discutés concernant la réorganisation et le développement du Gondo

Transition économique et sociale :
  • Destruction des monopoles et collectivisation des biens des djérouites et des entreprises coupées de leurs administrations.
  • Soutien à la création de coopératives agricoles et industrielles pour renforcer l’autogestion et l’économie locale dans le sud du pays.
  • Planification de la création d’un Fonds souverain gondolais pour financer l’indépendance économique du pays.
  • Maintien de la petite propriété et des petites entreprises sous des normes coopératives, avec une transition progressive vers un modèle participatif dans le sud du pays.

Services publics et réformes structurelles :
  • Mise en place de cours populaires pour encadrer la justice.
  • Création d’une protection civile citoyenne pour seconder puis remplacer la police.
  • Collectivisation des chaînes de télé et de radio, suppression de la censure formelle ou informelle, et libération des prisonniers politiques.
  • Jugement légal des responsables de crimes économiques (djérouite) après enquêtes rigoureuses.
  • Garantie du financement des écoles et des hôpitaux.

Participation citoyenne et projets communautaires :
  • Lancement des cahiers de doléances pour identifier des projets locaux simples et immédiatement réalisables (rénovation d’écoles, création de potagers collectifs, etc.).
  • Renforcement de l’éducation populaire par la création d’athénées et autres espaces de partage culturel et de formation continue.

Préparation au modèle économique participatif :
  • Mise en œuvre progressive d’un modèle économique basé sur l’autogestion, la coopération et la démocratie sur les lieux de travail.
  • Mesures visant le déplacement d’une élite populaire pour épauler ou remplacer les anciennes structures économiques et sociales (mobilisation autour de syndicats, etc).

Position face au risque de reconquête clovanienne :
  • Actions destinées à démontrer que les droits des habitants ont été élargis, leurs biens protégés, et que l’ordre public est maintenu sans chaos.
  • Importantes aides économiques aux familles des victimes du conflit ainsi qu'aux déplacés cherchant à réinvestir leurs logements.
  • Implication directe des habitants dans les efforts de réorganisation pour contrer toute tentative ennemie de renverser les acquis.
  • Organisation d'enquêtes sur les éventuels abus commis durant la conquête de la région, mais aussi sous la présence de l'armée clovanienne et gouvernementale

Aide internationale :
  • Un budget de 30 milliards d’unités internationales, alloué par Axis Mundis, disponible pour soutenir la transition économique et sociale.
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Le contrôle du ciel (deuxième édition)
Réaction de l'Armée Démocratique à l'incursion d'avions Clovaniens dans "son" ciel.

https://www.military.africa/wp-content/uploads/2023/05/image-scaled.jpg

Depuis trois ans déjà, l'Armée Démocratique a mis en place un important dispositif de batteries sol-air, désormais renforcée par les avions et canons volés aux forces impériales. Si leurs avions voulaient passer, ils allaient devoir se battre.
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Pourquoi les communistes gondolais restent marginaux, malgré la prise de Cap-Franc


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Le Globe Diplomatique

Ecrit par : Moussa Nkenou, posté le 05/05/2015 à 13h40.


Le second port du Gondo est tombé sous les mains des rebelles communistes de l'Armée Démocratique, mais si ces derniers feignent de crier victoire, les observateurs internationaux restent prudents. Derrière cette prise de guerre se cache une réalité largement favorable aux forces gouvernementales dans la guerre civile gondolaise. Les annonces d'un déplacement de l'État légitime du sud vers le nord demeurent irréalistes.

Depuis que la ville de Cap-Franc, cité francophone du cap ouest de l'Afarée dont l'aire urbaine compte un peu plus de 120 000 habitants, est tombée aux mains des rebelles communistes de l'Armée démocratique (AD), les commentaires annonçant le basculement de la guerre civile se sont multipliés. L'ampleur de la capture de cette ville portuaire, plutôt opposée à l'idéologie communaliste promue par les rebelles, est indéniablement conséquente. Les sorties du Président de la république gondolaise, habituellement discrètes et équilibrées, donnent la mesure de l'affront. Désiré Flavier-Bolwou, qui dirige le pays depuis les années 2000, a promis « une contre-attaque féroce » sur « les agents de l'étranger » qui selon lui ont capturé le second port commercial et quatrième port de pêche de tout le pays. Du côté de l'opposition, l'attitude est aussi à l'envolée : le leader du Parti du renouveau afaréen (Pareaf) Fêtnat Ongalolu parle de « tournant historique », dans cette guerre civile qui a pourtant une histoire déjà conséquente. Déclenchée à partir des années 1930 dans le bourbier d'une décolonisation difficile, elle est souvent qualifiée de « conflit séculaire ». Peut-on vraiment y voir un tournant majeur qui rebat les cartes de ce pugilat inextinguible dont les enjeux et les généalogies militaro-politiques donnent souvent des migraines aux chercheurs ? L'idée est alléchante, quand on voit que les personnalités les plus proches du terrains dégainent tous cette interprétation, à commencer par M.Ongalolu, qui appelle désormais à établir une république sans idéologie dans la partie communiste.

Il faut prendre garde à cette idée, qui a tout d'une illusion. Comme le rappelle très bien le théoricien de la guerre Charles de Clovisse, « tous ceux qui crient victoire ou défaite y trouvent un intérêt ». Ici, cette maxime est d'une vérité criante. Pour reprendre l'exemple du Pareaf, le politologue René Jolue, spécialiste de l'idéologie panafaréenne, soutient que « il ne faut pas oublier d'où vient Fêtnat Ongalolu, quelles sont ses idées ». Le leader du Pareaf est en effet un pro-RDLG convaincu, qui avait retiré sa candidature aux élections présidentielles de 2002 en faveur de Désiré Flavier-Bolwou pour éviter la victoire de Patience Anihilé-Sangwa, une opposante à la IV République gondolaise. « Mais Ongalolu peut espérer que la victoire d'une faction défavorable comme lui à un morcellement ethniciste du Gondo lui donnera les moyens d'accéder au pouvoir dans un pays réunifié ». M.Ongalolu est en effet inéligible en RDLG depuis 2005 (sentence confirmée en appel en 2006) et condamné à une peine de prison. Il ne peut donc pas compter sur une élection en RDLG pour prendre le pouvoir.

Le Président Flavier-Bolwou a aussi un intérêt à crier défaite. On l'a bien vu dans sa façon de gérer l'affaire avec la communication clovanienne. Il s'agit de mobiliser les Gondolais de la partie Sud du pays, encore majoritairement aux mains du gouvernement, dans la lutte contre l'ennemi. L'instrumentalisation des nombreux déplacement de population, les plus nombreux dans l'ouest du Gondo en cent ans de guerre, peuvent jouer en ce sens. De l'autre côté du front, l'intérêt des rebelles communistes à crier victoire est évident. Le commandeur militaire de l'AD (qui est aussi son fondateur historique), le général Sangaré, a appelé le président Flavier-Bolwou à démissionner en dissolvant les institutions, promettant une paix immédiate en échange. « Nous sommes donc entrés dans cette phase de la guerre où les canons se taisent et les Hommes hurlent à gorge déployées » estime Bernard Vegant, spécialiste de la géopolitique en Afarée équatoriale, qui suit la guerre civile gondolaise depuis plus de quarante ans. Après un déluge de feu depuis 2014 et la rupture par le MLL¹ et l'ARL² des Accords de cessez-le-feu d'Icemlet, les combats sont en effet moins intenses depuis quelques semaines. Les politiques et communicants présents dans chaque faction placent en revanche leurs pions.

Mais alors, maintenant que l'ont connait les motivations de cette cacophonie pour revendiquer la victoire totale, qu'en est-il concrètement des conséquences de la chute de Cap-Franc ? N'est-ce donc qu'un écran de fumée ? Non, évidemment. Les déplacements de populations, et plus généralement le traumatisme subi par les cap-franconniens, épargnés par les combats depuis plusieurs décennies, quoique réutilisés par le pouvoir gondolais, sont bien réels. De même que l'importance de la prise de cette ville : désormais, le Gondo républicain ne contrôle plus que trois villes de plus de 50 000 habitants sur six (Sainte-Loublance, la capitale, Cereira, et Port-Yves, une ville pauvre et disputée). C'est une de plus que l'AD (Port-en-Truite, enclavée au Nord, et Cap-Franc). Plus important, les rebelles rouges se sont rendus maître d'un port à conteneurs national, et d'un tronçon de la seule autoroute du pays, qui leur ouvre grand la voie vers la capitale. Ils sont le premier mouvement rebelle à y parvenir depuis le GALK³ en 1993. Enfin, ils se rapprochent plus que jamais de Sainte-Loublance, et verrouillent définitivement la frontière gondo-fortunéenne.

Mais tous ces résultats ne sont que des trophées secondaires. Du point de vue militaire, il faut déjà rappeler que si l'Armée démocratique s'engage désormais sur la route de la capitale, elle est toujours cantonnée sur la rive nord du fleuve Gonda. Ce fleuve, l'un des plus larges d'Afarée, sera probablement difficile à traverser. Quand on ajoute à cela une professionnalisation très inégale de part et d'autre du front, malgré les conseillers militaires vraisemblablement envoyés par les puissances communistes comme le Grand Kah, ont obtient une équation qui ne met pas vraiment la rébellion à l'honneur. « On aurait véritablement tort de sous-estimer la capacité de l'armée impériale [l'armée clovanienne, ndlr] à mener une contre-attaque d'ampleur », rappelle Bernard Vegant, faisant écho à une déclaration semblable du ministre de l'intérieur gondolais Jean-Claude Mbihan (PND). Par ailleurs, l'autres force rebelle du pays, le MLL, plutôt bien équipé, rassemblant beaucoup d'hommes et tenant la grande ville de Togubele, ne semble pas encore ouvert à une union de la rébellion. Ce mouvement séparatiste sera à prendre en compte dans l'équation d'une supposée victoire communiste. Mais surtout, au-delà du simple aspect militaire qui démontre bien sûr que la route est très longue avant une victoire totale de l'AD, il faut conserver à l'esprit les singularités du paysage gondolais.

Le Gondo est un pays au maillage territorial disparate, marqué en particulier par une très forte macrocéphalie urbaine. Cela signifie que, si une bonne partie de la population reste rurale, l'exode vers les ville est massif et surtout extrêmement concentré. Les petites villes et les villes moyennes sont délaissées, et la population afflue en masse vers Sainte-Loublance, vue comme la cité de tous les possibles. Ainsi, l'agglomération loublancienne concentre le tiers de la population nationale, soit plus de deux millions et demi de gondolais (d'après des estimations consruite à partir du dernier recensement en 2000). Les départs de cap-franconniens pro-RDLG après l'avancée des communistes accroissent cette réalité. De plus, au-delà des hommes, c'est l'activité économique qui est concentrée à Sainte-Loublance. Le taux de chômage y est le plus bas du pays, tandis que le niveau de vie, le meilleur (à nuancer toutefois, les chiffres officiels ne prenant pas en compte les importants bidonvilles loublanciens). C'est là que convergent les matériaux bruts destinés à l'exportation, activité vitale pour le Gondo. La ville est aussi proche des principales exploitations de terres rares, notamment le diamant présent au Nord, plus facile d'accès depuis l'éradications des rebelles du GALK en 2011. Elle est encore au milieu des exploitations de fruits exotiques, comme la banane, le café ou le cacao. « L'histoire de la guerre civile gondolaise nous montre que la réussite d'un régime politique gondolais est toujours conditionné à son contrôle de Sainte-Loublance », note Jean-Marie Assurduvié, directeur du programme d'histoire universitaire gondolais. L'existence de la République Sociale du Gondo avant sa prise de la ville en 1963, comme sont départ par un coup d'État localisé uniquement dans la capitale en 1974, en sont le témoignage. La mise à l'écart de l'AD des grands centres économiques s'explique aussi par son éloignement des grandes régions minières, situées plutôt à l'Est et au centre du pays. En clair, l'essentiel du territoire contrôlé par l'AD est composé de montagnes assez pauvres. Cap-Franc dispose d'un tout petit arrière-pays productif (hinterland).

Enfin, la troisième grande limite à la prise de Cap-Franc est l'isolement politique et international de l'AD. Certes, on peut arguer que le groupe rebelle de Yahnik Sangaré a le soutien officieux des puissances communistes, notamment, même s'il le nie, du Grand Kah. Officiellement, l'Armée est tout de même soutenue par l'Union Internationale du Communisme et du Socialisme (UICS), dont elle est membre. Mais si ses dirigeants crient si fort qu'ils ont gagné, c'est surtout parce qu'ils se savent malgré tout en retrait. Au milieu des puissances rebelles, du fait de son oppositions aux revendications ethniques, l'AD ne fédère pas les plus petits groupes armés comme a su le faire avec brio le MLL, son principal rival. Son alliance avec l'armée des indépendantistes pitsi (MIPL) est assez circonstancielle. D'autre part, les revendications de l'AD restent pour le moment assez inaudibles sur la scène internationale. En effet, du point de vue du droit, toute la légitimité politique incombe sans aucun doute possible à la RDLG, qui a d'ailleurs pour l'instant le soutien unanime de toute la communauté internationale, y compris du Kah ou de la Loduarie. Et il faudra plus que la capture d'une ville pour faire basculer la balance. Les garanties de stabilité apportées par le régime djérouite⁴ sont pour l'instant inégalables, et même si la IVème République gondolaise a tout d'une démocratie illibérale et dysfonctionnelle, nulle n'a la garantie que le régime proposé par l'AD sera plus stable.

Cet isolement politique de l'AD, il est aussi à prendre en compte chez les gondolais. Même si la part de gondolais manifestant leur soutien aux rebelles du nord a explosé en quatre ans, elle reste marginale. Il y a fort à parier que, si de vraies élections étaient organisée demain dans tout le pays, le PND ferait un score très honorable, et le Parti de la liberté, autrefois celui de madame Sangwa et interdit en 2002, se hisserait devant la faction communaliste.


1. Mouvement de libération likra, fédération de mouvements ethniques et séparatistes, possédant une branche armée
2. Armée républicaine libre, les forces militaires gouvernementales
3. Groupement armé légitimiste kwandaoui, une armée rebelle ethniciste
4. Nom donné à l'élite gondolaise corrompue, dont l'influence politique s'exerce via la chambre coutumière (Djéroua)
7121
Octobre 2014, avant la chute de Port-Franc.

Yoan Tshela

Ils avaient fait connaissance sur internet. Sarghat l'avait contacté sur Meep. Cliquant sur la petite notification bleue, alors qu'il regardait ses actualités comme tous les matins sur un ordinateur du cybercafé Lalane, il ignorait alors dans quoi il s'engageait.

Plusieurs messages avaient été échangés. Ton boulot nous intéresse, disaient-ils. Tu acceptes la monnaie numérique ? Yoan n'en espérait pas tant. Je prend tout, avait-il répondu, mais surtout la carte de presse. Sans cette carte, son travail n'aurait sans doute pas été possible. On va voir ce qu'on peut faire. Et finalement il avait reçu le graal, d'abord en format PDF sur sa boîte email, puis sous la forme d'un mince rectangle plastifié. Il était allé la chercher à Sainte-Loublance, en empruntant un taxi brousse qui reliait Cap-Franc à la capitale. Là, à la mosquée Abou Kwanga, le trésorier de la communauté musulmane était en lien avec l'Azur.

– Le Sheikh n'est pas là, repasse demain.

Yoan avait insisté, disant qu'il avait reçu la confirmation sur son téléphone que sa carte de presse était arrivée là, à la mosquée, et que c'était prévu avec le Sheikh qu'il la récupère. Mais le secrétaire n'avait rien voulu entendre et faisait traîner les choses.

– Je vais appeler mes contacts, s'énervait Yoan. Ils vont savoir ce qu'il se passe ici.

– Si tu n'as rien de plus à dire, va-t-en.

Le secrétaire devenait désobligeant. Quelqu'un parut derrière un rideau de perles. Son chapeau et sa barbe l'identifiaient immédiatement comme le Sheikh.

– Celui-là dit qu'il veut une carte de la presse, expliqua le secrétaire, soudain un peu penaud.

– Sheikh, mon contact à Agatharchidès m'a dit que je devais récupérer ma carte de presse.

Le vieil homme jeta un regard noir à son secrétaire et lui ordonna d'aller chercher le document. Un instant plus tard, Yoan Tshela quittait la mosquée Abou Kwanga, l'exemplaire rigide dans sa poche. Se serrant dans l'un des bus qui quittait la banlieue de la capitale, il songea avec mécontentement à l'attitude du secrétaire. Symptôme individuel d'un cancer généralisé au sein de la République Libre et Démocratique du Gondo : la corruption. A tous les échelons, ceux qui disposaient du moindre levier de pouvoir l'utilisaient pour monnayer aux usagers tous les services dont ils ne pouvaient se passer. Cela existait autant dans les associations que dans les administrations publiques.

Le taxi-brousse filait sur la route de Cap-Franc, où Yoan habitait avec son frère. Le soir déclinait à l'occident, et le petit bus en tôle roulait à vive allure sur le bitume. Chargé de bagages, de sacs de légumes, parfois même de poules que certains avaient achetées au marché, il emmenait une population d'hommes, de femmes, jeunes et vieux, visages fatigués ou rieurs du peuple gondolais. Au sud s'étendait l'océan, que longeait la route nationale. Yoan laissait son regard divaguer sur ce paysage. Quand il arriva à Cap-Franc, la nuit était tombée ; il sortit du taxi-brousse, laissant la nuit chaude l'envelopper tandis qu'il regagnait sa maison, au-dessus d'une épicerie.

J'ai bien reçu la carte, textota-t-il à Sarghat qui affichait sa petite notification sur l'écran de son téléphone. Il reçut une réponse quelques minutes plus tard : Super. Avec ça tu es dans le fichier des journalistes. Tu disposes donc de la protection légale.

Yoan sourit. Pour fêter ça, il descendit l'escalier et retrouva son frère qui discutait avec un voisin en rangeant des bouteilles de liqueur de gingembre et de sauce tomate, sur lesquelles des traces de calcaire signalaient qu'elles étaient en usage depuis fort longtemps. C'était un grand jour pour lui.

– C'est bon, tu es journaliste, lui dit Alan avec un regard de fierté.

Ils trinquèrent ensemble autour de canettes de bières. Selon la loi azuréenne, tout détenteur d'une carte de presse émise par l'Office de l'Information d'Agatharchidès disposait d'une protection légale en Azur du fait de la Loi sur la Protection de la Presse de 1979. Cette loi conférait une protection aux journalistes à un niveau remarquable pour l'Afarée. Il étendait un certain niveau de protection juridique. Une jurisprudence de 1987 avait confirmé que cette protection s'étendait aussi aux personnes d'une nationalité étrangères à l'Azur. Pour Yoan, détenir cette carte marquée de son visage et du logo du Ministère azuréen signifiait un supplément de sécurité.

– Qu'est-ce que tu vas faire avec ça, demanda Aimé, l'ami d'Alan.

– Avec ça, j'aurais peut-être moins de problème avec la police. Et aussi, je serais mieux payé.

Plus tard dans la soirée, il alluma l'écran de l'ordinateur du Lalane Cybercafé. Il se trouvait seul dans la pièce, avec un ventilateur qui balayait paresseusement l'air tropical. A vingt-trois heures, il se connecta à Meep Time. Son visage s'afficha, gribouillé par l'informatique, puis deux autres visages apparurent, et le son de leur voix crépita dans les vieux hauts-parleurs du PC.

Salam aleikum.
Wa aleikum salam.
– Yoan, c'est bien ça ?
– Oui monsieur, Yoan Tshela, enchanté.
– Enchanté. Je suis Mahmud, et lui Kamil. Bon, tu as pu récupérer ta carte ?
– Oui monsieur. Elle est là.

Il présenta sa carte à la webcam.

– Tu n'as pas eu trop de problème pour la récupérer ?

Yoan sourit. Il ne répondit pas, souhaitant laisser couler l'épisode du secrétaire de la Mosquée.

– Vous avez eu mes photos ? demanda-t-il.

Les deux Arabes de l'autre côté de l'écran se consultèrent un instant. Ils lisaient, en parallèle, quelques pages accompagnées de photographies, que malgré les pixels Yoan reconnaissait comme siennes.

– Excellentes.
– C'est du bon travail, confirma Kamil.

Yoan se réjouit intérieurement.

– On va les publier dans notre prochain article. Ce que tu décris est vraiment très intéressant. A ma connaissance on n'a pas de description aussi précise et documentée de la situation.
– Cette info est d'intérêt général, renchérit Mahmud. On est vraiment contents d'avoir réussi à te faire faire une carte de presse.

– Je suis content que mon travail intéresse l'étranger, répondit simplement Yoan.

C'était un accomplissement. Depuis qu'il était petit, Yoan avait une curiosité hors du commun. Avec son smartphone, il enregistrait ou photographiait bien des choses autour de lui. Discussions des femmes sur un marché. Les bavardages de la file d'attente à l'entrée de la boîte de nuit L'Alambik, dans le sud de Cap-Franc. Les bruissements des oiseaux du marché des pêcheurs. La mélodie des rues, les traces des fils électriques dans le ciel du centre-ville, les étals de fruits, de légumes, le riz dans les sacs, et au village, les mortiers, les cases équipées d'antennes TV, la barge des années soixante qui, vaille que vaille, assure le transport des voyageurs le long du fleuve Gonda. Des images de sa patrie, son pays tant aimé, déchiré par la guerre.

– On a montré ton article en haut lieu, avoua Mahmud.
– Apparemment, c'est remonté.
– Ce doit être la photo de la madrassa de Blancheville. Tu sais, quand un politicien voit un minaret par terre, il ne lui en faut pas plus. Les enfants soldats, les amputés, ça n'a pas toujours le même effet, malheureusement.
– Enfin, on peut s'en réjouir, ça a l'air de bouger en haut.
– C'est parce qu'ils savent pour ton article. Ils anticipent la réaction de l'opinion.
– Bah, c'est comme ça, la politique. Tout est affaire de paraître.
– Paraître du bon côté de l'Histoire, tu vois.

Yoan s'abstint de tout commentaire. Si ses photos, si son article parvenaient, par le miracle de Sarghat, à être largement diffusées à l'étranger, et que cela permettait même d'engager de nouvelles actions au niveau politique pour qu'un jour, justice soit faite, alors c'était bon à prendre, et les intentions des uns et des autres devenaient dérisoires face à ce seul résultat. C'est le rêve de tout journaliste, songea le jeune Gondolais. Voir son article publié dans la presse internationale. Entraîner des prises de conscience. Des changements.

La visio trembla à cause la connexion internet.

– On prépare déjà la publication d'après.
– Tout ce que tu as, on est preneurs.
– On va déjà te virer tes honoraires sur le compte de la mosquée Abou Kwanga. Puisque ça s'est bien passé, il ne devrait pas y avoir de problèmes pour qu'ils te donnent ta paye en liquide. On va commencer par trois mois, et en fonction de tes besoins on ajustera.
– D'accord. Merci.

Yoan se mordit la lèvre.

– On reste en contact.

La visio se coupa.
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Ajustements de l'assistance à la population de Sainte-Loublance par l'Armée Impériale


Le peuple de Sainte-Loublance semblait transformé depuis un mois. Depuis la défaite de Cap-Franc, les forces républicaines et clovaniennes avaient profondément modifié leur comportement dans la capitale du Gondo. Étrange défaite, dont les séquelles se lisaient dans les regards des soldats de l’Armée Impériale, mais qui avait eu des conséquences bénéfiques sur le quotidien de la population. Le général Descombes, sur le siège passager d’une voiture militaire clovanienne, arpentait les routes de la ville toute la journée pour contrôler l’avancement des différentes politiques mises en place. Rien ne devait échouer, Sainte-Loublance devait demeurer le cœur de la présence clovanienne au Gondo.

Sous les yeux de l’austère général, les patrouilles biquotidiennes de l’Armée Impériale se déroulaient comme prévues. Les soldats clovaniens distribuaient de la nourriture et quelques produits de première nécessité aux Gondolais qu’ils rencontraient. Comme depuis cinq ans, ordre était donné d’établir un « contact social substantiel » avec la population, à chaque interaction. À chaque rencontre, les soldats devaient poser au moins cinq questions aux bénéficiaires, de quoi se rendre familier auprès de la population. Si la plupart avaient accompli cette mesure avec entrain ces dernières années, les conversations se faisaient plus mécaniques depuis la bataille de Cap-Franc. Les Gondolais bénéficiant des distributions biquotidiennes devaient renseigner leur nom, leur prénom, et leur adresse. Ils s'acquittaient de cette formalité le cœur léger, puisqu'elle était la promesse de la provision tant attendue. Depuis peu, les rations distribuées aux Gondolais se faisaient plus maigres. Cette diminution n’était pas due à un manque d’approvisionnement de la part de l’Armée Impériale, mais à un tout récent renforcement du dispositif baptisé Nouvelle École gondolaise, déjà en place depuis 2011. Une centaine de professeurs et d’instituteurs avaient débarqué dans l’aéroport de la capitale la semaine dernière, et avaient été répartis dans les immeubles qu’on avait transformé en écoles à Sainte-Loublance. Dans ces curieux endroits, les enfants défilaient en désordre sous le regard attentif de soldats clovaniens postés aux entrées et sorties des écoles. Les nouveaux instituteurs tentaient tant bien que mal de faire régner l’ordre dans les classes, et il y parvenaient peu à peu grâce aux conseils de leurs prédécesseurs. Mais ils comprirent vite que le but premier des enfants n’étaient pas l’apprentissage des mathématiques ou de la littérature clovanienne, lorsqu’ils assistèrent à la ruée du midi vers les petites cantines de ces écoles. La cantine était gratuite, à condition de suivre les cours. Les enfants dévoraient les plats militaires réchauffés à la va-vite et divisés en petites portions, sous le règne calme des drapeaux clovanien et gondolais disposés dans les réfectoires improvisés.

Depuis sa voiture, le général Descombes observait - il était 9h - les petits groupes d'enfants se dirigeant vers les écoles, aux portes desquelles les gardes se raidissaient à son passage. Un peu plus loin, un petit bâtiment était flanqué d'un drapeau clovanien. Il s'agissait d'un des tout récents Bureau d'Assistance Publique (BAP) installés dans la capitale gondolaise. On projetait de mettre également en place ces infrastructures dans les autres villes gondolaises où était présente l'Armée Impériale. Dans les BAP, les Gondolais pouvaient accéder à un entretien avec un capitaine qu'on avait pour l'occasion décoré du titre d'Officier d'Assistance Publique. Ces derniers avaient pour mission d'assister les Gondolais dans leurs conflits du quotidien, et de tenter d'arbitrer les différends locaux qui pouvaient avoir lieu au sein de la population urbaine. Les OAP s'appuyaient pour cela sur les registres d'identité tirés des patrouilles biquotidiennes. Pour l'instant, les Gondolais étaient peu habitués à ce système, mais on comptait sur l'efficacité de l'Armée Impériale pour leur montrer son utilité.
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