À destination de Jamal al-Din al-Afaghani, Ministre des Affaires étrangères du Sultanat d’Azur
Votre Excellence,
Je vous remercie de vos paroles empreintes de respect et d’humanité, et je vous prie de croire que les cœurs endeuillés du peuple burujois ont trouvé, dans la bienveillance azuréenne, un baume aussi sincère que rare. La mémoire du Heiwana demeure vive dans l’esprit de notre nation, et je puis vous assurer que, si un monument venait à être érigé en sa mémoire, la présence de l’Ambassadrice d’Azur, Son Excellence Madame Malika bint Sawr al-Qasîmi, ainsi que celle de vos représentants, serait accueillie avec un honneur et une reconnaissance profonds. Ce geste incarnerait la résonance d’un deuil partagé, au-delà des mers et des frontières.
Vous évoquez avec une lucidité qui vous honore les incertitudes du moment. L’Empire Burujoa suit avec la plus grande attention l’évolution de la situation, et reste animé d’un espoir sincère en la voie de la raison et du dialogue. Vous avez toute notre gratitude pour l’appui que vous offrez, avec discrétion et élégance, à la préservation de l’équilibre fragile qui unit les nations du monde.
Ces trois points que Votre Excellence souhaite à juste titre porter à notre attention, et que vous avez si clairement énoncés, appellent de notre part une écoute attentive et un examen empli de gravité. Permettez que j’y réponde selon l’ordre que vous avez vous-même établi.
Il est réconfortant de constater cette convergence entre l’Azur et le Burujoa sur le principe fondamental de la libre navigation. Il s’agit là, en effet, d’un droit qui ne saurait être altéré par les caprices de quelques nations bellicistes. À travers les siècles, les mers ont porté les peuples vers l’inconnu, ont tissé les liens du commerce, de l’échange et parfois même de la réconciliation. Que cette liberté soit défendue et codifiée dans une pierre juridique solide honore votre initiative, et nous y reconnaissons un écho profond à nos propres conceptions, l’Empire étant un farouche partisan de la tradition millénaire du droit écrit.
La mention que vous faites des pêcheurs, ces artisans de la mer souvent invisibles et pourtant essentiels à la subsistance de tant de communautés, m’émeut tout particulièrement. L’océan est un domaine vivant, non un territoire à posséder — et ceux qui y vivent ou en vivent doivent être protégés dans leur droit de jeter les filets, non repoussés par des logiques de domination. Sur ce point encore, nous nous retrouvons.
Il est vrai que la position du Burujoa, renforcée par des siècles de maîtrise navale, offre à notre Empire un sentiment de sécurité que d’autres, comme l’Azur, ne peuvent encore s’offrir sans compromis. Mais croyez bien que cette sécurité n’est jamais envisagée, dans notre philosophie, comme un droit à l’arrogance, ni comme un prétexte à l’indifférence. Elle nous impose au contraire un devoir de retenue, de discernement, et de solidarité envers ceux qui, comme vous, voguent sur des flots incertains avec courage et dignité.
La souveraineté des États côtiers sur les zones maritimes avoisinantes est une question qui ne saurait être balayée d’un revers de main au nom de la liberté absolue. Il y a là une ligne de crête subtile : entre liberté de circulation et respect des droits souverains, entre l’universalité des mers et la particularité des territoires, entre l’ouverture et la protection. Sur cette ligne, chaque nation marche avec des appuis inégaux, et il serait injuste de n’en tenir compte.
Vous évoquez l’Océan des Perles avec une poésie qui n’en masque pas la dureté. Les tensions, les convoitises, les pressions que vous décrivez y sont bien connues, même vues de nos rivages lointains. Si des accords bilatéraux existent, mais qu’ils excluent les puissances capables de vous imposer leurs choix, alors, oui, c’est une faille que la situation actuelle ne comble pas. Et c’est une faille qui peut devenir une blessure.
Le Burujoa reconnaît la légitimité de votre inquiétude. C’est pourquoi, dans l’esprit du développement harmonieux des nations du monde qui anime l’Empire, nous sommes prêts à avancer avec vous vers la conclusion d’un accord bilatéral dans le domaine maritime. Toutefois, le projet que vous nous avez soumis ne nous paraît pas des plus optimal et demande à être complété et revu.
L’article qui, à ce stade, soulève chez nous les plus vives réserves est l’article 1.1, en ce qu’il établit une zone maritime souveraine s’étendant jusqu’à trois cents kilomètres au large des côtes. Une telle disposition, si elle répond à certaines réalités géographiques, mérite toutefois d’être nuancée dans le cas spécifique des détroits ou des mers semi-fermées, tels que ceux d’Azur ou d’Indigo, où les souverainetés côtières de plusieurs États sont appelées, de manière inévitable, à se superposer. Il me semble indispensable que nous en débattions avec mesure et discernement. Cela dit, j’ai pleine confiance en notre capacité commune à dépasser ces difficultés par la voie du dialogue éclairé.
Maintenant, parlons des mines.
Le Burujoa, à l’instar de l’Azur, considère les mines antipersonnel et marines comme les vestiges d’un âge où la guerre se croyait éternelle et la cruauté, stratégique. Ces armes, dissimulées dans le sol ou sous les eaux, ne protègent rien — elles dévorent l’avenir. Elles rendent inhabitable ce que la guerre a épargné. Elles prolongent la mort là où la paix tente de renaître. Nous le savons, comme vous, cruellement.
L’idée d’une Charte internationale contre les mines terrestres et navales, telle que vous la proposez, trouve un écho immédiat dans la conscience impériale. Il nous semble en effet que le temps est venu non plus seulement de dénoncer, mais de bâtir : un cadre commun, une volonté partagée, un programme d’action vérifiable et soutenu. Le Burujoa serait donc prêt à examiner cette proposition avec sérieux et ouverture, et à y apporter sa voix — que vous jugez, avec une amitié que je salue, "singulière".
Un tel instrument, pour être crédible, devra, comme vous le suggérez avec justesse, inclure les engagements précis que l’on attend des acteurs majeurs : l’interdiction de production, la destruction des stocks, l’assistance au déminage, et l’accompagnement des victimes. Il devra aussi s’armer contre les faux-semblants diplomatiques : car il est aisé de condamner en paroles ce que l’on perpétue en actes.
Vous mentionnez la Listonie, et la guerre civile au Gondo : nous partageons votre préoccupation. Que la Charte puisse, d’une manière ou d’une autre, introduire des obligations morales et pratiques à l’égard de ces foyers de souffrance, nous paraît essentiel.
Je note avec un profond respect que l’Azur est prête à commencer par l’exemple. Votre offre de destruction de votre stock, modeste peut-être, mais hautement symbolique, honore votre nation. Si un tel processus global devait être lancé, il est clair que le Burujoa ne saurait s’y soustraire.
Considérez donc, Excellence, que votre proposition — bien qu’introduite "à titre propositionnel, entre nous" — a été reçue avec toute la gravité, la considération, et l’élan qu’elle mérite.
Enfin, il est des idées qui, lorsqu’elles sont saisies « au vol », comme vous le dites avec cette vivacité propre aux esprits agiles, révèlent à la fois leur justesse et leur promesse. Celle d’ouvrir au Burujoa les portes du Traité du Pavillon septentrional, aux côtés de vos éminents partenaires jashurian et icaméen, en fait assurément partie.
Permettez-moi de vous dire combien cette perspective honore notre Empire. Nous en recevons l’invitation avec attention et reconnaissance. La coopération technologique et académique, lorsqu’elle est conduite par des États qui partagent des principes d’intégrité, d’excellence et de respect mutuel, produit bien plus que du savoir : elle cultive la paix, elle raffine la puissance, elle prépare l’avenir.
Concernant les coopérations commerciales et industrielles, vous mettez en lumière un champ d’opportunités qui, à mes yeux également, ne demande qu’à s’épanouir. Vous soulignez la rigueur de nos productions ferroviaires — elle est, je vous l’assure, le fruit d’une longue tradition d’ingénierie, nourrie de patience et d’une obsession presque sacrée pour le détail et la ponctualité. Si elle peut trouver, dans les territoires azuréens, un espace d’expansion et de partage utile, alors il nous incombe d’explorer cette voie avec sérieux.
Je serais donc fort favorable à ce que nos chancelleries respectives œuvrent à la préparation d’un sommet bilatéral commercial et technologique, qui pourrait se tenir dans un cadre aussi symbolique que propice — je pense à la ville de Souhoro, en bordure de la mer Indigo, où se croisent depuis des siècles les caravanes de savoir et les routes du commerce.
Sauf si, bien entendu, l’Azur préfère proposer un autre théâtre pour cet échange d’envergure. En tout état de cause, nous sommes prêts à engager une conversation plus technique dans les jours qui viennent, afin de poser les premières fondations de ce que je souhaite, à l’instar de vous, mutuellement bénéfique.
La longueur d’une lettre, lorsqu’elle est portée par la clarté des intentions et la noblesse des idées, ne saurait jamais être perçue comme un excès. Votre prolificité, bien au contraire, illustre la richesse des chemins que nous pourrions ouvrir ensemble — et, oserai-je dire, la profondeur d’une entente qui ne demande qu’à croître.
Soyez assuré que vos paroles seront portées avec soin à Sa Majesté Impériale, dont le respect pour l’Azur s’est trouvé, à la lecture de votre missive, renouvelé et affermi. Quant au gouvernement et au peuple burujois, ils recevront vos vœux avec l’honneur dû à une parole amie — et désormais précieuse.
Puisse le sillage que nous traçons ensemble sur les mers du monde devenir le fil d’or d’une amitié durable.
Recevez, Excellence, l’expression de ma considération la plus distinguée et la plus confiante.
Karaimu, le 15 avril 2016, Keiko Burujoa, 3e princesse burujoise et directrice du département des affaires étrangères