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Activités étrangères au Gondo - Page 9

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GONDO, LA GUERRE SALE (partie 3)
La présence clovanienne, retour du colonialisme au XXIème siècle


Par Patrick LEFORESTIÉ et Annaluanda KITSESHEDI
Publié le 29.06.2016 à 9h21

clovafarée
Maximilien Dietrich, patron du géant de l'hôtellerie TOURHOTEL, est salué par la garde présidentielle gondolaise à son arrivée au Gondo.


"Le colonialisme, c'est maintenir quelqu'un en vie pour boire son sang goutte à goutte." Voilà ce que nous aurions pu écrire, en une phrase plutôt qu'en mille, en suivant la maxime d'écrivain de Massa Diabaté. Mais il fallait encore qu'AFAREA AWAKENS se penche pour décrire et décomposer les faits, les détails et la réalité du néocolonialisme clovanien au Gondo. Loin d'être une locution accusatoire dont se gargariseraient, par effet d'automatisme, quelques orateurs intentionnés performant une rhétorique eurysiophobe, la question du colonialisme est bien sur la table. Que le préfixe « néo » qu'on y appose ne fasse pas perdre de vue la description de l'entrée de la Clovanie au Gondo et la nature de sa politique en Afarée. Il ne vise qu'à resituer l'action de la République Impériale Pétroléonienne dans son contexte, qui n'est pas celui d'un dix-neuvième siècle exacerbé par les progrès du charbon, de l'acier, des économies industrielles eurysiennes et du nationalisme, mais celui d'un vingt-et-unième siècle qu'on pensait définitivement débarrassé des logiques impériales, et noyé dans une soupe numérique et médiatique où flottent, pêle-mêle, les espoirs d'une gauche utopique et les exactions périphériques d'un libéralisme débridé. Il faut laisser les effets de tribune et cesser de se gargariser de mots anathèmes, et repartir du réel.

Le réel, pour nous, commence le 5 septembre 2010. Dans la nuit tropicale, les premiers transporteurs de troupes atterrissent sur la surface bitumée de l'aérodrome de Porzh-Erwan, et dans la banlieue de Sainte-Loublance, première phase du déploiement d'un contingent clovanien de 18'000 soldats au Gondo. Non seulement toléré par le régime présidentiel en place, mais surtout accompagné, sollicité et facilité par lui, cette intervention est le fruit d'un accord négocié au printemps entre Désiré Flavier-Bolwou, chef de la République Libre et Démocratique du Gondo, et Gaspard Razoumikhine, Ministre Impérial des Affaires Étrangères de Clovanie. Déjà englué dans un conflit ouvert face à la guérilla mené par des groupes d'oppositions tels que le Groupe d'Action Légitime Kwandaoui (GALK), le Mouvement Pitsi-Libertés (MPL) et d'autres, le gouvernement de Sainte-Loublance voit alors la Clovanie comme un appui providentiel. Le royaume eurysien, fort de considérables moyens militaires et industriels, cherche alors à redorer son blason sur la scène international, à une époque où l'Occident est marqué de vexations intempestives que lui infligent tour-à-tour l'oligarchie carnavalaise et l'autocratie loduarienne. C'est donc dans ce pacte faustien, entre un régime afaréen à bout de souffle, et un Etat nationaliste en quête de gloriole militaire, que se noue le destin du Gondo dans les années qui suivent.

Déjà perçu comme un gigantesque terrain d'entraînement pour son matériel neuf et ses recrues enthousiastes, le Gondo est pour la Clovanie l'occasion d'un déploiement qui s'accroît et se renforce au fil des ans. Galvanisés par leurs succès, notamment par l'élimination de la guérilla dans toute la région côtière sud constatée dès décembre 2010, les Clovaniens renforcent leur influence et leur emprise sur le territoire contrôlée par le gouvernement légitimiste. Un personnage, celui de l'envoyé spécial Ives de Tholossé, incarne ce véritable cheval de Troie militaire et diplomatique que l'Empereur Pétroléon V vient de planter dans le coeur de l'Afarée. L'envoyé se met aussitôt au travail, obéissant aux impératifs cachés de cette intervention qui n'a rien d'humanitaire ; dès l'annonce de la sécurisation des plages, les capitaux clovaniens se rendent au Gondo pour y prospecter le potentiel touristique de la région autant que pour y constater l'aubaine d'un pays aux ressources minières considérables, livré à leur contrôle incontestable.

À partir d'avril 2011, c'est donc avant tout pour la défense de ses investissements et l'affermissement de son emprise sur le Gondo que la Clovanie organise de nouvelles manoeuvres, parvenant à décapiter le GALK à travers une opération aussi vive que violente dans l'intérieur des terres, et provoquant le reflux du Mouvement de Libération Likra dans les vallées encaissées de l'Est du pays. Les routes sont dégagées entre les grandes villes de la côte, et des opérations tactiques ouvrent à l'exploitation les mines de la région Gonda Central. Les échecs majeurs qu'essuient les troupes clovaniennes, avec la capture d'un cargo transportant du matériel militaire par des pirates alliés à l'Armée Démocratique en 2013, et plus tard la chute de Cap-Franc aux mains des rebelles après une bataille ayant fait plus de 3500 morts dont plus d'un millier de combattants clovaniens, ne sont cependant pas de nature à contraindre la Clovanie à revoir sa politique au Gondo. Au contraire, Legkibourg accentue sa stratégie d'emprise et intensifie ses efforts pour garder le contrôle du terrain.

Mis en difficulté par les succès foudroyants des rebelles dans l'interception des convois, le contingent clovanien répond par le renforcement de ses bases et de ses ateliers, produisant en 2014 des munitions pour son usage et celui des forces gouvernementales dans sa base de Sarcopte. Par ailleurs, la Clovanie déploie une escadre navale dans la zone maritime sud pour renforcer la sécurité des navires qui alimentent autant ses forces militaires que ses entreprises sur place ; cinq patrouilleurs, deux corvettes, deux frégates, et quatre sous-marins dont deux équipés d'ogives balistiques quadrillent les eaux territoriales gondolaises sur la façade sud. Le rôle d'auxiliaire a été renversé en quelques années ; désormais, c'est bien la hiérarchie clovanienne qui imprime sa volonté sur le champ de bataille, la police et l'armée gondolaises étant mises devant le fait accompli d'un allié mieux équipé et plus fanatisé qu'elles.

Car fanatisme est bien le mot : se décrivant eux-mêmes comme les « forces du Bien », les Clovaniens identifient leur présence militaire au Gondo comme celle d'anges gardiens, ainsi que le dépeint la propagande qu'ils diffusent au sein de la population. Au contraire, leurs opposants sont « les avatars du Malin », les pires d'entre eux étant « les communistes », dont l'idéologie diabolique est à l'exact inverse des valeurs proclamées par la phraséologie militaire clovanienne. Ces discours, qui transparaissent même dans les échanges diplomatiques, ainsi que l'a montré la réaction de la Clovanie à la Déclaration de 33 Etats pour la paix au Gondo, indiquent un raidissement mental teinté de fanatisme pseudo-religieux. Ce langage, qui n'est même pas celui du gouvernement officiel gondolais, a de quoi inquiéter même les alliés de la République Pétroléonienne. Après la chute de Cap-Franc, le Maréchal Joffrin déclare que « tous les civils doivent combattre les communistes », cette « malédiction ». Les patrouilles se multiplient, rendant le soldat clovanien ostensible dans les villes gondolaises, mais établissant un rapport d'autorité entre le prétendu protecteur et les citoyens de la République Libre.

L'emprise militaire de la Clovanie non seulement sur la population dont elle prétend assumer la sécurité, mais sur l'appareil d'Etat gondolais, est abordée par nos confrères du Globe Diplomatique dans un article du 28 novembre 2015. Ils y estiment que « le contrôle du Gondo sur la gestion de ses infrastructure touristique a été formellement abandonné par le second traité clovano-gondolais. » « Le président peut-il seulement se défaire de son allié ? »interrogent-ils ; nous sommes alors à la fin de l'année 2015... Selon eux, le piège pourrait se refermer sur « DFB » : ayant abandonné des pans entiers de son économie au nouvel arrivant, qui assure désormais la sécurité du régime et donc un rôle politique primordial au Gondo, le régime présidentiel pourrait n'être bientôt plus qu'un jouet dans la main de l'état-major clovanien.

Car cet état-major ne vise pas seulement le contrôle militaire ; comme on l'a dit plus haut, dès le début des opérations clovaniennes au Gondo, cette présence s'accompagne de lucratifs investissements. Le secteur hôtelier est le plus marquant ; Tourhôtel, entreprise spécialisée dans l'hébergement touristique, acquiert des terrains et lance dès 2011 la construction de plus de soixante-dix hôtels de luxe. Selon le Globe Diplomatique, les conditions d'acquisition de ces terrains relèvent du « land grabbing », ce procédé par lequel les puissances financières évincent les populations locales, au mépris de leurs droits, et accaparent la propriété foncière pour la détourner de l'usage social habituel et la vouer à la productivité économique. Cette pratique, pointée comme un marqueur essentiel du néocolonialisme économique, est caricaturale au Gondo. Confiés à des entreprises clovaniennes, les chantiers de l'hôtellerie qui fleurit comme champignons le long de la côte sécurisé par l'armée est un marché juteux. Par ailleurs, c'est également à des capitaux clovaniens que sont confiés la régie des transports publics, via RMTBV qui prend le contrôle de la flotte de bus de ville gondolaise...

C'est donc non seulement dans les secteurs économiquement profitables, mais aussi dans ceux qui la rendent visible auprès de la population, que la Clovanie investit des moyens conséquents. Dans les rues de Sainte-Loublance, l'armée étrangère assure ainsi la distribution de nourriture autant que le maintien de l'ordre, se substituant à la police loyaliste dans le plus grand silence consensuel de la Djéroua et du Président. Mais c'est la « Nouvelle École Gondolaise » qui est, parmi les projets fantasques de Legkibourg, le plus détonnant ; ce système offre une éducation gratuite aux enfants gondolais, dans des établissements scolaires où ils apprennent le français, « la langue et l'histoire clovanienne », un enseignement historique « basé sur l'union de la nation gondolaise » et « l'effacement des ethnies » ; en somme, un véritable programme de réécriture de l'identité gondolaise au service de l'Etat clovanien ! Cette tentative grossière de faire disparaître la diversité des cultures locales, d'effacer les traditions en formatant les jeunes esprits par un récit national idéologique et autoritaire, est sans doute l'attentat le plus odieux à la souveraineté et à la dignité du peuple gondolais. Comment peut-on expliquer le Désiré Flavier-Bolwou laisse faire pareil embrigadement de la nation dont il a la charge, dans un nouvel ordre strictement et irréfutablement colonial ?

Comment peut-on dès lors ignorer que, de toute évidence, la solution de la paix au Gondo ne peut se satisfaire d'un accommodement avec les structures installées par la Clovanie pour proroger sa domination ? Au XXIème siècle, l'ère des impérialismes est terminée ; assurément, l'opinion publique mondiale, qu'elle soit afaréenne, nazumie ou eurysienne, ne saurait s'accommoder d'aucune forme de colonialisme. Il faut bien écrire colonialisme, qui caractérise factuellement la situation, là où l'accusation de fascisme à l'encontre du régime clovanien en minimise le degré de spoliation Nord-Sud qu'on a constaté dans ces pages. Alors oui, au-delà d'une opposition de principe, et d'un affrontement idéologique, c'est bien au nom du principe universellement accepté par tous les Etats qu'il faudra que la présence clovanienne au Gondo prenne fin. Et pourtant, face à la cruauté du conflit, peut-on se satisfaire des offres alternatives à ce régime de la plantation ? C'est ce que nous aborderons dans une prochaine édition.
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