12/03/2013
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[RP] Lastenkoti

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Il existe sur l’île de Maailmanloppu, tout au nord du Pharois Syndikaali, dans les mers gelées du pôle, une institution ancienne et très particulière : l’orphelinat de Lastenkoti. Le Roi d'Albi Lemminkäinen II avait ordonné sa construction afin d’accueillir les enfants des officiers de la marine royale disparus en mer, à l’époque où les îles polaires servaient encore de lieu d’escale et de résidence pour les travailleurs de l’industrie de la pêche et les raffineurs d’huile de baleine. Cette dernière n'avait été achevée que sous le règne de son fils, Lemminkäinen III, à la fin du XVIIIème siècle, en plein âge d'or de cette économie. Avec l’essor du charbon puis du gaz, cependant, les ports septentrionaux avaient petit à petit été désertés, trop coûteux à entretenir et inhospitaliers pour y abriter des communautés conséquentes ; mais l’orphelinat Lastenkoti, lui, était resté.

Vue de loin, l’île de Maailmanloppu faisait un peu effet d’un grand buisson qu’un coup de vent particulièrement violent aurait déposé simplement sur la mer. Il s’agissait d’un bout de terre volcanique érigé comme une corne et touffu d’une épaisse forêt d’épicéas et de pins sylvestres d’où émergeait un petit plateau rocheux. C’était là-haut qu’on avait construit l’orphelinat. De nuit, quand le temps était clément et le ciel noir, on pouvait parfois en distinguer les lueurs des fenêtres se détacher haut dans l’obscurité comme des étoiles. Le matin, l’orphelinat trônait au-dessus des brumes basses qui recouvraient la forêt, mais le reste du temps il semblait baigner dans les nuages qui rendaient les rideaux et les moquettes humides.


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Pour accéder à l’orphelinat par l’océan, il fallait accoster quand l’eau n’était pas gelée à un embarcadère en béton – l’ancien en bois n’avait pas survécu aux âges – près duquel logeait le gardien de phare. Seul personnage de l’île à ne pas résider à Lastenkoti directement, il habitait un chalet de bois qui servait également de salle de radio et sur laquelle un pylône de fer s’allumait au besoin pour indiquer la voie aux voyageurs et éviter les morceaux de glace flottante qui encerclaient généralement l’île. Depuis quelques décennies toutefois, on venait plus volontiers en hélicoptère afin d’éviter tout risque de collision. Une clairière avait été aménagée à cette seule fin non loin du bâtiment et le ministre des Investissements publiques de l’époque s’était déplacé en personne pour l’occasion afin de donner une conférence de presse pour vanter les nouveaux aménagements censés rendre plus facile le quotidien des enfants et du personnel.

Depuis l’embarcadère et le chalet du gardien de phare démarrait une route de terre battue qui pénétrait en serpentant dans les bois. Le chemin suivait tant bien que mal l’escarpement de l’île et semblait se faufiler entre les arbres et les rochers par de nombreux détours en cherchant à épouser une pente douce. Celle-ci grimpait sur un kilomètre avant de déboucher sur une hauteur plus escarpée et rocailleuse. Autrefois on abandonnait là la calèche pour finir le chemin à pied par des escaliers creusés dans la roche mais Lastenkoti avait récemment réalisé des travaux d’aménagement pour que la route épouse progressivement le dénivelé et celle-ci tournait désormais autour du plateau en pente douce, assez largement pour y faire passer une voiture. Il fallait néanmoins conduire prudemment, le gel qui recouvrait les pierres faisait risquer les dérapages et la hauteur du plateau rendait tout accident mortel.

Au terme du chemin, on débouchait sur le plateau qui servait de parc au domaine. N’y poussait plus qu’une rêche toundra, la majeure partie de l’année recouverte de neige et où les seuls arbres et ornements végétaux avaient été plantés là par la main de l’homme parfois des siècles au paravent. Aujourd’hui encore un jardinier solitaire, le citoyen Pekko, entretenait les genévriers, travaillait les arbustes et élaguait les pins afin de permettre au domaine de garder un aspect habité et praticable. La flore restait toutefois austère à de telles latitudes et peinait à dessiner quelques allées mornes où le gravier et la pelouse se recouvraient indistinctement de lichens et de mousses dès que la pluie tombait. L’orphelinat se tenait posé au centre du plateau, entouré de plusieurs centaines de mètres de jardin lui-même encerclé par un vieux mur de pierre orné régulièrement de lanternes. En tout et pour tout, le domaine se composait d’étendues d’herbes mortes, d’un maigre petit bois d’épicéas dont on avait fait le tour en cinq minutes et de quelques constructions comme un pavillon surélevé qui donnait sur la mer, une nacelle qui grinçait et pour les plus jeunes un carrousel de chevaux de bois qu’on pouvait faire tourner en pédalant. Derrière Lastenkoti on devinait également la forme d’un labyrinthe défraichi dont les murs en haies de ronces centenaires dissuadaient efficacement les tricheurs de tenter de passer à travers et dont l’intérêt ludique se limitait aujourd’hui à offrir aux adolescents des déambulations pensives ou amoureuses dissimulées aux yeux des autres pensionnaires.

Bâti dans un style lemminkäinien, le bâtiment de Lastenkoti était construit en pierres blanches et en briques rouges délavées par le sel et les embruns marins. Il s’agissait d’une grande demeure en U dont les deux ailes cerclaient une cour intérieure où se trouvait un puit et qui ouvrait sur un portail de fer d’où on pouvait apercevoir la mer en contrebas, par-dessus la forêt. A une époque pas si lointaine on se servait du puit pour laver le linge des pensionnaires, mais son fond de cuve gelait trop souvent et trop profondément, le rendant inutile une grande partie de l’année si bien que l’orphelinat s’était récemment doté d’un réseau de tuyauterie efficace qui venait alimenter les salles d’eau et les radiateurs à l’intérieur. A mesure que la modernisation apportait le confort, la capacité d’hébergement des lieux avait augmenté et l’accueil des orphelins des disparus en mer n’étant plus seulement réservé à la seule marine militaire, Lastenkoti avait abrité près d’une soixantaine de pensionnaires dans les années 1900 et désormais plus de deux cents en ce début de XXème siècle.

Malgré les nombreux travaux et investissements dont l’orphelinat avait bénéficié ces dernières décennies, il restait de notoriété publique que Lastenkoti était un endroit dur à vivre. Passées les portes du domaine, la nature redevenait immédiatement sauvage et les températures chutaient si bas en dessous de zéro qu’elles rendaient toute longue excursion impossible la plupart du temps. En été, le thermomètre indiquait rarement plus de vingt degrés les meilleurs jours et pouvait tomber à moins trente autour de janvier et février. La proximité de l’océan évitait heureusement des chutes de température trop insupportables mais rendait également l’air humide, renforçant la sensation de froid. Plus gênant encore que les températures, la proximité des pôles altérait le rythme des saisons, divisant l’année en deux : un hiver et un été qui se caractérisaient chacun par un temps d’ensoleillement radicalement opposé. Pendant près de la moitié de l’année, les saisons hivernales étaient plongées dans d’immenses nuits, l’été offrait quant à lui d’interminables jours. Les enfants et le personnel pouvaient heureusement bénéficier des services d’un solarium construit dans les sous-sols du bâtiment et d’épais rideaux afin de masquer la lumière du soleil au moment de dormir, mais il était reconnu que ces étranges bouleversement saisonniers provoquaient parfois chez les nouveaux pensionnaires d’ennuyeux troubles du sommeil auxquels l’infirmière de l’orphelinat répondait en général par des infusions censées relaxer le corps et apaiser l’esprit.

A l’intérieur des murs, Lastenkoti se révélait être un lieu de vie agréable quoiqu’au style franchement vieillot. Les parquets et les gonds des portes grinçaient, les moquettes sentaient un peu le moisi et la vieille poussière, et les plafonds étaient recouverts d’anciennes moulures offrant à voir ici et là des visages de plâtre figés et grimaçants. Malgré les vastes et hautes fenêtres dont bénéficiait les lieux, la lumière polaire peinait la plupart du temps à éclairer convenablement l’intérieur des pièces dont il fallait laisser allumés les luminaires aux abat-jours jaunis même en plein milieu de la journée. Vestige d’une époque où l’autorité des adultes s’exprimait dans l’apparat de l’architecture, tout à Lastenkoti était grand : de longs couloirs, de larges salons, le tout bien souvent disproportionné au regard de la petite communauté qui y vivait au quotidien. Même en triplant ses effectifs par rapport au moment de sa construction, l’orphelinat continuait d’inspirer une impression constante de vide et de solitude que la décoration chargée ne parvenait pas à combler. Les chambres des pensionnaires qui pouvaient abriter jusqu’à quatre lits étaient pour la plupart encore inoccupées et si on avait regroupé au maximum les enfants par tranches d’âge et par sexes, afin de mieux les surveiller et que la chaleur que chacun dégageait contribue à rendre les pièces vivantes et agréables, il n’en restait pas moins qu’une fois plongée dans la pénombre, chacune d’entre-elle donnait un peu le sentiment de s’endormir dans un vaste dortoir déserté.


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On avait placé les chambres au premier étage, ainsi que les salles d’eau et les toilettes. Chaque aile du bâtiment accueillait séparément l’un des deux genre, l'aile ouest pour les garçons, l'aile est pour les filles. Les pensionnaires pouvaient toutefois se retrouver au milieu dans les pièces mixtes réservées au travail et à la détente. Les enfants bénéficiaient d’un salon télévisé avec un lecteur DVD et une petite médiathèque enrichie au fil du temps par les dons et les commandes passées par l’institution. Depuis maintenant trente ans l’orphelinat bénéficiait également d’un partenariat avec les studios Elokuva, la principale compagnie de production pour le cinéma pharois dont l’État possédait des parts, ce qui permettait aux pensionnaires d’avoir accès aux dernières sorties en salle avant tout le monde. Néanmoins, l’accès aux écrans était relativement limité pour une question de choix pédagogiques et si on organisait bien une soirée TV une fois par semaine, la plupart du temps il fallait demander l’autorisation pour obtenir la clef de l’armoire à DVD. Les enfants avaient bien organisé une fois une opération visant à en subtiliser un double dans le bureau du personnel mais la supercherie n’avait pas duré bien longtemps et tout le monde avait fini puni. On trouvait également au premier étage des salles de travail pour les temps calmes et dédiées aux devoirs ainsi qu’un accès à la bibliothèque qui s’élevait sur toute la hauteur des trois étages du bâtiment en une haute tour circulaire où l’on se déplaçait en suivant une promenade en pente douce qui grimpait en spiral le long de l’intérieur des murs. Sur le toit de celle-ci avait été installée une antenne suffisamment puissante pour communiquer avec Valaidenportti, la grande ville la plus proche.

Au deuxième étage, sous les combles, on trouvait les salles de classe ainsi que divers espaces de rangement. Une douzaine d’enseignants se partageaient les matières pour tous les niveaux et trois maîtres et maîtresses avaient à leur charge l’éducation des plus jeunes. C’était objectivement l’étage le plus calme de tout le bâtiment, entièrement dédié aux études et où l’on croisait des adultes à n’importe quelle heure de la journée, soit des professeurs, soit le concierge qui s’occupait de tenir les salles propres. Depuis les fenêtres du troisième, on dépassait confortablement la cime des arbres de la forêt étendue autour du plateau et pour peu que quelqu’un fasse le tour des pièces unes à unes il aurait pu constater empiriquement que Maailmanloppu était belle et bien une île entourée par l’océan. Certains soirs, en regardant vers l’ouest, on devinait la proximité de Valaidenportti au reflet orangé de son éclairage public sur les nuages, mais la rotondité de la terre empêchait d’en distinguer les lumières directement. Si on avait de la chance, ou avec une bonne paire de jumelles, on pouvait à l’occasion distinguer au loin la silhouette d’un baleinier ou d’un navire cargos du Syndikaali. Les plus jeunes des pensionnaires croyaient également parfois repérer des vedettes pirates sillonner furtivement la zone mais leurs coques peintes aux couleurs de la mer empêchaient toujours d’être réellement certain de ce qu’on pensait avoir aperçu.

Au rez-de-chaussée se trouvaient les communs ainsi que les pièces réservées aux adultes. En pénétrant dans le hall tout en largeur, on avait accès au fond à un double-escalier qui permettait de monter dans les étages. A gauche, sous l’aile ouest, le bordait un vaste réfectoire dont les fenêtres donnaient sur le petit bois, à droite, sous l’aile est, une vieille salle de bal qu’on utilisait rarement en tant que telle et qui servait en général comme d’un gymnase lorsqu’il faisait trop froid pour sortir. Sous l’escalier une porte dérobée donnait accès aux chambres des enseignants et du personnel ainsi qu’à des petits bureaux qui servaient pour l’administration ou la détente des adultes. C’était également là que se trouvait l’infirmerie et le bureau du directeur, fermé par une porte à double battant devant laquelle il ne fallait surtout pas parler trop fort au risque de le voir surgir furieux et d'écoper d'une heure de colle. Divisé en larges espaces de vie, le rez-de-chaussée était l’étage qui comportait le moins de pièces et les plus hautes sous plafond ce qui faisait qu’on avait de fait le plus de difficultés à les chauffer. En hiver et bien que doté d’une épaisse cheminée qui tournait en permanence, les résidents étaient souvent contraint de se rendre au réfectoire avec moufles et bonnets ce qui n’était guère pratique pour déjeuner.

L’espace finalement le plus mystérieux à Lastenkoti était sans aucun doutes son sous-sol qui s’était étendu progressivement à mesure que le besoin de nouvelles pièces se faisait ressentir et qui bénéficiait donc des infrastructures les plus modernes mais également du plus grand nombre de lieux interdits. Toute l’installation électrique, le traitement de l’eau, la buanderie et les cuisines s’y trouvaient, bien évidement fermés à double tours par d’épaisses portes de fer dont seuls le personnel habilité possédait les clefs. Le nombre important de couloirs interdits aux élèves baignait évidement les lieux d’une aura étrange qu’entretenaient sciemment les plus âgés des pensionnaires en colportant nombre de rumeurs et d’histoires horrifiques sur ce qui se déroulait dans les boyaux de l’orphelinat. Creusées à même la roche, les pièces mêmes les plus hospitalières n’étaient éclairées qu’à la lumière artificielle ce qui leur conférait une ambiance légèrement oppressante. Outre le solarium dont l’utilisation était restreinte mais obligatoire pour tout le monde afin d’éviter des carences en vitamine D, on trouvait également une piscine longue d’une petite dizaine de mètres et large de trois qui pouvait initier les jeunes pharois à une baignade autrement impossible dans la mer à de telles latitudes.


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Le quotidien des pensionnaires s’organisait la plupart de l’hiver entre ces quatre niveaux, quand il faisait vraiment trop froid pour faire quoi que ce soit dehors. Afin d’éviter la monotonie, certains étaient occasionnellement autorisés à quitter l’île dans le cadre de sorties scolaires mais la mer gelée empêchant le passage des navires et puisque les hélicoptères étaient limités en nombre de places, la majeure partie des résidents passaient les six mois confinée à Lastenkoti. Noël et le nouvel an marquaient la moitié de la saison et les équipes pédagogiques mettaient bien en place divers projets ludiques visant à occuper les longues et sombres soirées des orphelins mais la vie enfermée au creux de l’hiver prenait un tournant indiscutablement lugubre pour les résidents de l’île à l’année. L’été était plus joyeux, en général. Déjà parce que c’était les vacances scolaires pendant deux mois mais aussi parce que la liaison revenait avec le Syndikaali et permettait aux enfants de multiplier les excursions et les voyages, y compris dans des pays étrangers. On organisait également des activités nautiques dans l’océan, des initiations à la navigation ainsi que des promenades dans la forêt. Les températures plus douces autorisaient à profiter du parc du domaine où la neige avait fondu et pour chaque solstice on mettait en place une série de compétitions sportives qui donnaient lieu à des entrainements tout le reste de l’année.

Au jour le jour, en dehors des périodes de congés, les pensionnaires suivaient un rythme de vie assez rigide mais qui avait beaucoup évolué au fil du temps, suivant et expérimentant les derniers progrès des sciences de l’éducation. Véritable laboratoire avant-gardiste pour les nombreuses écoles privées que comptait le Syndikaali, Lastenkoti expérimentait avant toutes les autres les innovations pédagogiques permises par les sciences humaines et cognitives. On se levait à neuf heure pour être prêt à dix ce qui était censé assurer une nuit de sommeil suffisante pour des adolescents en pleine croissance. Passé le petit déjeuner, les élèves avaient cours jusqu’à treize heure, déjeunaient, bénéficiaient d’une pause digestive d’une heure, puis reprenaient les cours jusqu’à seize heure. Ils profitaient ensuite d’une heure de sport collectif puis goûtaient. Le reste de la soirée était occupé par du temps libre, les devoirs ou les divers activités associatives. Enfin, on dînait léger, les plus jeunes s’en allaient coucher à vingt-et-une heures, les plus âgés pouvaient éventuellement veiller jusqu’à vingt-trois heures.
Le week-end se divisait en deux : le samedi était consacré aux travaux d’entretien des bâtiments, le jardinage ou les tâches ménagères. Le dimanche était complètement libre. Les pensionnaires pouvaient également bénéficier de plusieurs services sur-mesure : outre l’infirmière, deux psychologues résidaient à l’année à Lastenkoti, censés assurer le suivi et le soutien des orphelins au moins dans les premiers temps de leur arrivée. Les trois professeurs d’éducation physique organisaient sur demande l’encadrement des activités sportives spécifiques et l’institution comptait deux équipes de basket, une de football, un cours de danse moderne-jazz et une fanfare. Enfin, une partie du mur ouest du parc avait été transformé en stand de tir à l’arc où l’on pouvait aller s’entrainer les jours de beau temps. Sauf en cas de tempête, la connexion internet avec le Syndikaali était assurée par l’antenne relais de la bibliothèque ce qui permettait aux enfants de se connecter dans la salle des ordinateurs et même de faire des demandes d’entretien avec des professionnels afin de les aider dans leur orientation. A condition de ne pas trop tirer sur la bande passante, on pouvait également le week-end jouer aux jeux vidéo en ligne ou bien en réseau local, une fois par semaine le jeudi soir, pour des petits tournois entre les pensionnaires. Bloqués également sur l’île, les adultes étaient encouragés à se mêler aux enfants pendant leurs activités afin d’assister les plus en difficulté ou de stimuler leur esprit de compétition. On assistait ainsi régulièrement à des affrontements sportifs entre « équipe des adultes » et « équipes des ados » qui participaient à resserrer les liens entre les pensionnaires et l’équipe pédagogique.

Le budget important attribué à Lastenkoti et la bienveillance dont bénéficiait cette institution deux fois centenaire auprès de l’opinion publique contribuaient à compenser quelque peu sa géographie et son climat polaire, peu adaptés à la vie moderne. Les enseignants qui acceptaient de travailler dans ces conditions étaient payés le triple de ce qu’on pouvait leur proposer ailleurs et ce type d’emploi vous auréolait d’un certain prestige qui assurait de trouver ensuite du travail dans d’autres endroits sélectifs et plus hospitaliers. Lastenkoti était donc souvent considéré comme une étape de passage dans une carrière : on y enseignait cinq ou six an en moyennes, un temps minimum exigé par le contrat de travail pour être embauché, mais rarement plus à l’exception de quelques indécrottables qui s’attachaient aux paysages et à cette atmosphère hors du temps et décidaient d’y terminer leur parcours. Le corps enseignant et professionnel de l’île était également pour presque un tiers composé d’anciens orphelins revenus plus tard y travailler afin de faire bénéficier aux pensionnaires de leur expérience ou désireux de rendre aux enfants ce qu’ils avaient eux-mêmes reçus à leur âge. Enfin, l’île comptait quelques ermites. L’isolement de la civilisation et le fait que les Ressources Humaines posaient peu de questions au moment du recrutement attirait certains profils de misanthropes aigris ou de poètes romantiques qui composaient le gros du personnel de l’établissement.

Lastenkoti faisait ainsi figure d’institution paradoxale : à la fois attirante et repoussante, attractive et difficile à vivre, éloignée de tout mais au centre des attentions, un lieu d’épanouissement mais aussi de détresse qui recueillait tout en isolant du reste du monde ceux dont la vie avait pris un tournant dramatique. Par certains aspects, on avait pu reprocher à l’orphelinat de chercher à mettre de côté les défaillances idéologiques de la nation : le Pharois Syndikaali comptait un important nombre d’accidents en mer chaque année et s’il était rare de perdre ses deux parents d’un coup, les statistiques étaient néanmoins plus inquiétantes que chez les voisins. Le danger faisait partie intégrante de l’idéal pirate qui occupait l’imaginaire collectif des Pharois et toutes les mesures visant à imposer un permis de navigation ou renforcer la sécurité à bord des navires s’étaient systématiquement heurtées à une levée de bouclier de l’opinion publique. En conséquence de quoi, tout le monde prenait la mer et parfois un peu n’importe comment, ce qui entrainait logiquement un taux de disparitions largement comparable à celui des accidents de la route dans d’autres pays. Lastenkoti héritait donc des victimes de ce romantisme adolescent, l’orphelinat était le prix à payer pour un mode de vie authentiquement libéral, défendu par les autorités du Syndikaali et sa population. La professeure Noora, éminente et médiatique psychanalyste, avait à ce propos parlé d’un « refoulé national ». L’exil de la perte qu’on arrosait d’un important budget pour se donner bonne conscience, les Pharois envoyaient se perdre leurs démons dans le Grand Nord, comme on mettrait la poussière sous un tapis cousu de fils d’or.

C’était néanmoins oublier une règle fondamentale concernant l’amour des Pharois pour les mystères : loin d’être un lieu aussi désert et inexploitable qu’on aurait pu le penser, les mers gelées pharoises abritaient en vérité certaines des institutions les plus fondamentales du pays. Comme les pirates avaient rapidement compris l’intérêt de se dissimuler dans les glaces, le Syndikaali avait depuis longtemps investi dans ses îles septentrionales, comptant sur leur isolement et leur inhospitalité naturelle pour y enfouir ses secrets. Tel un iceberg, Lastenkoti n’était que la partie immergée d’un projet d’une complexité littéralement abyssale, s’enfonçant profondément sous la mer, dissimulé à l’opinion publique et au reste de ses voisins au milieu des lignes de compte du budget d’un lugubre et ancien orphelinat qu’il aurait été indécent d’interroger.
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Dans le parc de Lastenkoti, deux adolescents emmitouflées discutent, accoudés à la rambarde du belvédère. Celui-ci est construit surélevé, un petit escalier de bois permet d’y accéder et de passer au-dessus des murs qui encerclent tout autour le domaine de l’orphelinat, si bien que là-haut la vue est dégagée sur la forêt et l’océan en contrebas. C’est l’hiver ; le soleil vient timidement de se lever à l’horizon ; d’ici une heure, il aura disparu.

- « Toi aussi tu les as vu ? »

Sous les couches de vêtements, bonnets et écharpes de laine, seul le visage des adolescents est dégagé. De petits nuages de vapeur d’eau se dégagent devant la bouche à chaque mots prononcés.

- « Bien sûr. »

Une quinzaine de mètres sous eux, la moitié de la hauteur du plateau, la cime des arbres frémit sous le vent, faisant parfois s’écrouler dans un bruis étouffé des monticules de neiges accumulés sur les branches des pins très vite à nouveaux parées de blanc. La neige tombe drue autour des adolescents, protégés par le toit du belvédère.

- « J’en ai parlé à monsieur Kaleva, il dit que ce sont juste des feux follets... »

- « N’importe quoi ! »

Le citoyen Kaleva est leur enseignant de sciences de la vie et de la terre, ayant en charge les programmes du collège/lycée de biologie, physique-chimie et géographie à Lastenkoti. C’est un homme barbu et sympathique, toujours vêtu hiver comme été de tricots de laine à cols roulés dont les motifs symbolisent grossièrement divers sujets de ses cours comme les planètes du système solaire ou bien les particules élémentaires et qu’il change selon l’avancée du programme. Référent pour la vie quotidienne des garçons âgés de dix à quatorze ans, ces-derniers ont tendance à lui faire confiance ; il n’a jamais donné de raisons de se méfier de lui. Jusqu’à aujourd’hui, toutefois.

Quand les adolescents lui avaient rapporté avoir vu des lumières briller dans les forêts de Maailmanloppu, le professeur s’était contenté de rire et de leur rappeler qu’aussi loin dans le nord, par cette saison, personne ne pouvait accéder à l’île sans passer par l’héliport et qu’en ce qui concernait ses résidents, les promenades hors des murs du domaine sans accompagnateurs étaient formellement interdites. De toute façon il faisait trop froid pour aller s’amuser à aller s’aventurer dans les sombres sous-bois où la neige pouvait à tout moment dissimuler une tourbière ou une plaque de verglas ; avec deux heures de soleil par jour et des températures pouvant descendre jusqu’à moins trente, il ne faisait vraiment pas bon se tordre la cheville là en bas ; d’autant plus que malgré les talkies walkies qu’utilisaient les membres du personnel, aucun réseau téléphonique portable ne passait aussi loin du Syndikaali. Allez donc appeler à l’aide dans ces conditions.

Cette explication, bien entendue, n’était parvenue à rassurer personne. Monsieur Kaleva avait eu beau inviter les adolescents à s’occuper autrement l’esprit qu’en se racontant des histoires effrayantes, en révisant leurs prochain devoir de SVT par exemple, ou bien en allant prendre un chocolat chaud dans la salle commune, Antero et Pauli, eux, savaient bien ce qu’ils avaient vu, à travers les vitres du troisième étage, le soir dernier. Des lumières dans la forêt, des lumières étranges, diffuses, qui ne ressemblaient en rien au faisceau des lampes torches qu’ils avaient l’habitude d’utiliser à l’institut, quand il fallait sortir dans l’obscurité du parc passé quinze heure de l’après-midi. Ces lumières en vérité avaient quelque chose de bizarrement… organiques. Aquatiques, même, comme projetées à travers un rideau d’eau, ou comme on regarde le soleil loin en dessous de la surface de la mer, si profond que ses rayons peinent à vous atteindre.
La vision avait été très fugace, quelques passages rapides à travers les branches des arbres, un qui attire l’œil d’abord, un second qui confirme que quelque chose se passait bien là, en bas. Et pourtant… Pourtant il était très improbable qu’on se promène dans la forêt à une heure pareille, le professeur Kaleva l’avait confirmé.

- « Moi, j’en ai discuté avec Leena et Loviatar, elles ont dit pareil, que c’était déjà arrivé ! »

- « Alors pourquoi les adultes ne le savent pas... ? »

- « Peut-être qu’ils ne veulent pas savoir ! Voila ? »

L’autre se dandine un peu, visiblement mal à l’aise. Ou bien est-ce à cause du froid ?

- « Elles aussi les ont vu alors ? »

- « Oui je te dis, tout le monde les a vu, tout le monde est au courant mais personne veut nous le dire, c’est tout ! »

- « Et alors ? On va faire quoi Pauli... ? »

- « Moi je dis, faut aller voir, sinon on en aura jamais le cœur net ! »
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Antero est couché depuis une heure maintenant, sans parvenir à trouver le sommeil. L’obscurité profonde des nuits d’hiver polaire permet de laisser les rideaux de la fenêtre ouverts et d’un côté comme de l’autre du carreau, tout est noir d’encre. Seule la discrète lumière d’une veilleuse branchée au pied de l’armoire à chaussette permet de distinguer les formes des meubles pour ne pas s’y cogner. A Lastenkoti, les enfants sont habitués à l’obscurité : tous les six mois ils y sont plongés comme dans un bain dont on ne sort qu’à la fin de la saison. Six mois de nuits, après ça, vous ne craignez plus les fantômes.

De toute façon, Antero n’avait plus l’âge de croire à ses bêtises. Quand il était arrivé à l’orphelinat, quelques jours avant de fêter ses sept ans, il avait d’abord été terrifié par l’aura étrange de la vieille demeure, son parc désolé et ses dimensions démesurées. Dès que le silence tombait passé le couvre-feu, les murs et les sols du bâtiment se mettaient soudain tous à craquer de concert, comme si s’y promenait une foule de très légères personnes, avançant à grands pas lents et espacés dans les couloirs, juste de l’autre côté de la porte. Les enfants plus âgés racontaient d’ailleurs tout un tas d’histoires aux nouveaux venus, sur ce qui se passait dans les sous-sols et sur ce qui rodait dans les bois. A sept ans, tout est effrayant, surtout lorsqu’on vient de perdre ses parents et d’être envoyé à l’autre bout du monde, sur une île gelée près des pôles. Cinq ans plus tard, entrant fièrement dans sa douzième année, Antero n’avait plus peur de rien. Il se glissait sans crainte hors de sa chambre passé minuit pour retrouver ses amis Loviatar et Pauli, regardaient droit dans les yeux et sans ciller les grands qui lui disaient de dégager et avait même relevé le défi de « touche la statue » avec ses copains.

« Touche la statue » était un jeu très populaire auprès des pensionnaires et qui servait en quelque sorte de rite initiatique pour l’entrée dans l’adolescence. Quand un enfant atteignait l’âge de dix ans, les plus grands organisaient pour lui une soirée un peu spéciale. On le tirait de son lit en plein milieu de la nuit, on l’habillait chaudement et sur la pointe des pieds, tout le monde sortait dans le jardin.
Dehors, le groupe contournait silencieusement l’aile du bâtiment pour rejoindre le labyrinthe qui se trouvait de l’autre côté. C’était un dédale dont la création datait du XIXème siècle et dessiné par des murs de ronces vieilles dont les épines rendaient impossible toute triche, à défaut d’empêcher complètement de regarder à travers les murs. Le Labyrinthe n’était pas grand, vu de dessus, mais tout de même imposant pour un enfant de dix ans et il comportait suffisamment de fausses pistes et de culs de sac pour faire perdre le sens de l’orientation aux plus aguerris. Au cœur du labyrinthe se trouvait une statue en pierre, recouverte de lichen. Elle figurait un grand ours blanc, relevé sur ses pattes arrière et qui s’il avait l’air mignon en pleine lumière pouvait vous arracher un frisson en pleine nuit. De couleur grisâtre, délavée, lorsqu’il neigeait sur Lastenkoti il retrouvait sa couleur naturelle et puisqu’on pouvait l’apercevoir depuis certaines fenêtres du troisième étage, l’épaisseur de la couche qui le recouvrait et la vitesse à laquelle l’ours disparaissait donnait une aperçu de la rudesse de la tempête là au-dehors.
« Touche la statue » exigeait donc de s’engouffrer seul dans le dédale, épié par un enfant plus âgé qui vérifiait que vous ne trichiez pas, et d’atteindre le centre du labyrinthe pour y toucher le museau de l’ours. Présentée comme une petite formalité, une épreuve sans aucun risques ni dangers, on ne vous révélait évidement pas que dans le labyrinthe, plusieurs « grands » vous attendaient, dissimulés sous d’épais manteaux de fourrure et masqués comme des animaux ! Chaque enfant réagissait à sa manière, certains fondaient en larmes, d’autres essayaient de se battre et la plupart s’enfuyaient en courant. C’était toujours bien drôle à voir, ou au moins à écouter pour ceux qui étaient restés à l’entrée du labyrinthe.
Les adultes n’étaient plus dupes évidement depuis le temps mais considéraient que la pratique ne faisait de mal à personne et la toléraient tacitement. Le lendemain au petit déjeuner, vous aviez même en général droit à un surplus de tartines par la cuisinière pour vous féliciter de votre courage. Le Syndikaali avait beau faire preuve d’une grande ouverture d’esprit en termes de pédagogies alternatives et expérimentales, il n’en restait pas moins ancré dans l’imaginaire collectif qu’un peu de violence initiatique ne faisait jamais de mal. Après tout, ces enfants seraient un jour amenés à devenir marins et la mer ne faisait aucun cadeau pour les faibles.

Antero avait triomphé de l’épreuve avec un succès indéniable. Quand au détour d’un coin de mur une ombre s’était faufilée dans son dos en grognant, le petit garçon lui avait foncé dessus et d’un coup d’épaule projeté contre les ronces, arrachant un grognement de douleur à l’enfant qui avait tenté de le surprendre. Sans demander son reste, Antero avait ensuite filé comme un dératé, était passé devant un second embusqué tellement vite qu’il ne lui avait pas laissé le temps de réagir, puis avait atteint la statue. Deux autres enfants dont celui sous le nez duquel il était passé avaient alors surgit pour l’encercler et se sentant piégé, Antero leur avait balancé des boules de neige, provoquant l’hilarité des plus âgés. On avait ramené le petit jusqu’à l’entrée où il avait reçu les félicitations de tout le monde pour sa vaillance. Antero n’avait jamais révélé à quel point il avait eu peur cette nuit-là, mais désormais il se savait courageux.

« A cœur vaillant rien d’impossible » avait dû dire quelqu’un quelque part. Antero se retourne dans son lit pour la millième fois. Le matelas est si moelleux qu’on s’y enfonce, les draps sont doux et sentent bon la lessive, Lastenkoti ne néglige pas le confort de ses pensionnaires… autant qu’il est possible dans les latitudes gelées si proches du pôle Nord. Mais Antero a l’esprit occupé. Occupé par quelque chose qui l’obsède et l’empêche de trouver le sommeil : une vision dans le noir.

Quelque part dans un couloir sonne une vieille horloge. Deux heures du matin, Antero repousse les couverture, tant pis pour la fatigue, tant pis pour son cours de mathématiques, demain, avec le professeur Bourbaki, tant pis, tant pis. Ses pieds touchent le planchers, cherchent ses chaussons, s’y glissent. A tâtons, il attrape également une épaisse chemise de nuit, il fait peut-être bon dans sa chambre mais Lastenkoti a toujours eu du mal à chauffer ses longs réseaux de couloirs désertés.

Chaussons aux pieds, chemise de nuit nouée autour de la taille, Antero s’enfonce un bonnet sur la tête, le voilà prêt. Devant la porte de sa chambre, la main posée sur la poignée, il laisse tout de même s’écouler quelques secondes. Il n’a pas peur, non, il écoute simplement le silence, histoire de vérifier que rien là dehors ne rôde sur son palier. Simple précaution. Finalement convaincu, dans un léger bruit de serrure, la porte s’ouvre et donne sur l’obscurité.

Ici, pas de veilleuse, le couloir est entièrement abandonné à la noirceur de l’hiver polaire. Les adultes qui s’y déplacent la nuit le font avec une lampe torche. Tous les cinq ou six mètres, Antero sait que sur un guéridon se trouve posée une lampe à l’abat-jour vieillot, mais l’allumer c’est l’assurance de réveiller quelqu’un. Le garçon se tient dans l’embrasure de la chambre et de sa veilleuse, à un pas de l’obscurité. Il aura beau attendre, ses yeux ne s’habitueront pas, derrière les carreaux des fenêtres le ciel est couvert, il n’y a littéralement aucune source de lumière.

Antero prend une grande respiration, passe le pas, la porte se referme derrière lui. Heureusement pour lui, il connait le chemin à emprunter. Cela fait cinq ans que chaque matin il parcourt les mêmes couloirs dans les mêmes chaussons – enfin presque, il a pas mal grandi – pour se rendre aux salles d’eau, y faire un brin de toilette avant le petit déjeuner, les yeux et la tête encore écrasés du sommeil de la nuit. Cette nuit, Antero n’a pas sommeil. En fait, il ne s’est jamais senti aussi réveillé alors que silencieusement il compte les pas qui le séparent des toilettes. Dix pas, attention au guéridon, encore dix pas, encore un guéridon. Le bord du tapis l’aide à avancer droit. Ses doigts effleurent un mur devant lui, il a atteint une intersection, il prend à gauche. Le tapis, les pas, les guéridons.

A sa droite, un imperceptible changement de nuance de noir attire son attention. La porte des salles d’eau est blanche, pour la distinguer de celles des chambres et venue d’on ne sait trop où un vague fond lumineux la fait ressortir dans l’obscurité. Antero en saisit la poignée, pousse la porte, encore le noir, la referme derrière lui, son bras s’élance, heurte un mur, cherche, tâtonne, trouve un interrupteur.

Explosion lumineuse, le garçon ferme immédiatement les yeux. Vingt-cinq néons viennent de s’allumer en même temps sur une vaste pièce carrelée de bleu ciel. Antero éteint immédiatement la lumière. Il espérait en tirer un bref réconfort, s’assurer d’être arrivé au bon endroit, mais inutile de se brûler les yeux encore longtemps. A Lastenkoti, ça peut être un poison.

Bon. Antero n’a rien à faire dans la salle d’eau, mais elle lui sert de repère. Deux portes plus loin se trouve la chambre de Pauli. Pauli a un an de moins que lui, onze très exactement, c’est un courageux trouillard qui pleurniche au moindre bobo mais qui n’est jamais le dernier pour escalader un arbre ou une clôture. A croire qu’il aime bien passer du temps à l’infirmerie. Pauli est le meilleur ami d’Antero, à eux deux ils forment un duo « terrible » dixit la directrice, ce ne sont pas les plus rebels de l’orphelinat, loin de là, ni les plus sages non plus. En fait, ils se fondent dans la masse et quand il faut effectuer des travaux de groupes, entre deux calculs d’aire et un resserage de boulons en salle technologique, ils se chuchotent des théories et des remarques sur les msytères de Lastenkoti.

Lastenkoti est mystérieuse. Pas seulement parce que c’est une île, bordée de forêt, sur laquelle on a posé un manoir vieux de deux cents ans, si proche du pôle qu’il y fait nuit la moitié de l’année et qui abrite les orphelins du Syndikaali, non. Non pas seulement. Même si ça joue sans doute un peu.

Lastenkoti est mystérieuse parce qu’il s’y passe des choses étranges. Les emplois du temps changent régulièrement, les classes se mélangent et se confondent – pour raisons pédagogiques apparemment – souvent des élèves s’en vont en voyage, reviennent, disparaisse deux jours, réapparaissent, de nombreux étrangers passent ici, de grands sportifs, des recruteurs, qui proposent des carrières aux enfants les plus âgés. Lastenkoti donne l’apparence d’être réglée sur du papier à musique, parce que la vie y est rude tout transpire la rigueur et le professionnalisme, parce qu’elle accueille des enfants qu’on suppose avoir besoin d’un cadre sécurisant, mais en vérité tout est chaotique. L’esprit de groupe est bizarre, imprégné de non-dits, parfois les enfants tombent malade « problème de luminosité » sans doute, dit l’infirmier, et puis il y a ces lueurs dans les bois…

« Pauli ? »

La voix est soufflée devant la porte, la deuxième porte en partant de la salle d’eau. Est-ce qu’il dort ? Pas de réponse en tout cas.

« Pauli t’es réveillé ? »

Faut croire que non. Ca n’arrête pas Antero, son ami ne lui en voudra pas. La poignée tourne, la porte se déverrouille et laisse passer une faible lumière, celle de la veilleuse. Chaque enfant en a une, libre à lui de l’allumer ou non.

« Pauli ? »

La lumière est faible, faite pour ne pas éblouir même après l’obscurité du couloir, branchée au ras du sol, elle ne projette que des ombres. La chambre peut accueillir quatre personne, mais seul Pauli y dort pour le moment, en attente de nouveaux pensionnaires. Quatre lits faits aux carrés, et pas trace de son ami.
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- « Ok bonhomme, tu connais la procédure, tu restes allongé tranquillement jusqu’à ce que le minuteur sonne, ok ? Je vais lancer ta playlist mais tu ne retires pas les lunettes de soleil. »

Allongé dans le caisson à UV, Antero se contente de hocher la tête. Une fois par mois, avec un roulement, les pensionnaires de Lastenkoti descendent dans les sous-sols de l’orphelinat pour rejoindre le solarium. La luminosité est si faible à cette époque de l’année que la production de vitamine D est perturbée et pourrait finir par manquer et entrainer faiblesses ou maladies. Alors il faut compenser artificiellement, et rater les cours du matin au passage, ce qui est plutôt sympa.

A quelques pas du caisson, Jalmari pianote sur l’ordinateur qui commande les enceintes.

- « Pink Chocolat ? C’est Kah-tanais ça non ? Tu veux pas écouter du bon vieux punk plutôt ? Je te ferai découvrir à l’occasion, l’Epine noire tu connais ? »

Jalmari est sympa. Il sait que l’expérience de l’isolement et du caisson à UV peut être impressionnante, même après cinq années passées à Lastenkoti, alors il fait la causette avec les pensionnaires. Autour d’Antero, les parois du caisson commencent à s’illuminer doucement, d’ici quelques secondes il sera nimbé de lumière.

- « Jalmari ? »

- « Ouais ? »

- « Tu as vu Pauli aujourd’hui ? »

Il y a un infime silence, de ceux qui réfléchissent ou qui hésitent.

- « Il doit être en cours pourquoi ? Tu ne l’as pas vu au petit déjeuner ? »

Non.

- « Non. »

Un nouveau silence, seulement brouillé par le bourdonnement du caisson et le pianotement de l’infirmier sur le clavier.

- « Eh bin je ne sais pas je t’avoue, faudra demander à monsieur Kaleva c’est lui qui fait les emplois du temps. Je te mets un peu de punk dans ta sélection quand même, tu verras c’est sympa, t’es bien installé. »

- « Oui oui… »

- « Oook bonhomme ! Alors on se dit à dans vingt minutes ça roule ? »

- « Ça roule Jalmari, à tout à l’heure. »

Des enceintes jaillit la musique d’Antero, c’est lui qui a fourni la playlist même si apparemment Jalmari y a ajouté des trucs. Le son est fort sans être désagréable et c’est à peine si le gamin entend la porte de la pièce se refermer sur l’adulte qui la quitte. Voilà, seul. Avec ses questions.
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