29/05/2013
09:22:03
Index du forum Continents Eurysie Empire Listonien

Activités étrangères dans l'Empire Listonien - Page 15

Voir fiche pays
4278
Logo d'un journal local.

10 octobre 2007 - Le Prince Mutarrif ibn Saadin est-il l’ultime rempart dressé contre le terrorisme et le chaos au Kodeda?


Portrait du prince Mutarrif ibn Saadin
Pilier de la politique intérieure kodedane, par son empreinte visible dans le tissu social kodedan, le Prince Mutarrif ibn Saadin alimente nombre des ambitions parmi les populations rurales, mais reste toutefois controversé.


Faut-il considérer le Prince Mutarrif ibn Saadin comme un maillon essentiel à la préservation de l’unité nationale kodedane, pour ne pas dire l’unité impériale listonienne, ou bien une menace à celle-ci? Les autorités impériales listoniennes elles-mêmes sont enclines à considérer toutes les approches possibles à son égard, considérant la demande de rencontre orchestrée entre le Général impérial listonien Cortès et le patriarche des Beïdanes répondant au titre de Prince.

Lien central dans la médiation et la communion des communautés rurales kodedanes, le Prince Mutarrif ibn Saadin veut apparaître comme le trait d’union entre l’idée d’un Kodeda indépendant mais surtout seul et livré à lui-même, ainsi que l’idée d’un Kodeda entièrement dédié à la bonne marche de la métropole listonienne, ce qui aurait pour effet de rompre durablement le lien entre la population kodedane et les autorités impériales listoniennes des colonies. Le clan Saadin en est alors persuadé, la reconstruction politique du Kodeda est vouée à l’intégrer pour enfin toucher du doigt l’unité nationale.

Dans les journaux et les manifestations des grandes agglomérations, beaucoup de personnes remettaient en question la nécessité de placer au coeur de la vie politique, les oligarques du Kodeda traditionnel, à l’image du Prince Mutarrif ibn Saadin, considéré par les communautés beïdanes et dans une moindre mesure par le pouvoir impérial lui-même, comme l’une des seules personnalités publiques locales en mesure de stabiliser l’autorité listonienne dans cette région en mal d’indépendance.

Il faut reconnaître que les nombreux échecs politiques listoniens et sa diplomatie "agressive", ont jusqu’ici grandement affecté la force économique de son territoire, par le retrait progressif d’investisseurs étrangers, particulièrement ceux en provenance des pays limitrophes à ses principales colonies (le Lofoten pour la Jadis, le Jashuria pour le Macao, l’Alguarena pour le Pontarbello…). Une désertion et un désamour des capitaux étrangers, qui a inéluctablement affecté le confort de vie des locaux et plus généralement, la santé économique des autorités chargées d’administrer les territoires coloniaux.

Pour l’autorité impériale, il lui importerait donc de se positionner sous deux objectifs :
  • Identifier des intermédiaires locaux dans ses colonies, pour assurer l’interface, la relation avec la scène politique internationale, de sorte à contourner les froids politiques installés entre l’Empire listonien et d’autres puissances étrangères,
  • De ne pas céder sur l’indépendance de ses colonies résiduelles puisque par leur positionnement géographique, ce sont elles qui nouent le lien commercial de l’Empire à travers le monde. Plus l’Empire listonien se prive de colonies, plus il s’oblige à la mise en place de moyens logistiques d’importance, pour maintenir ses approvisionnements vers la métropole. Le maillage colonial de l’Empire listonien offre une capacité de prospection hors norme, pour toucher le plus large choix de fournisseurs mondiaux, à moindre frais.

Dans ces conditions, il serait aisé d'identifier le Prince Mutarrif ibn Saadin parmi les personnalités kodedanes les mieux disposées à satisfaire les enjeux défendus par l’Empire listonien. Outre ces considérations, le Prince a aussi pour lui la fortune de son clan, ce qui lui permettrait de rediriger massivement ses investissements sur le territoire, et d’initier des projets économiques notables, pour relancer l’activité commerciale autour du Kodeda:
  • financement des coûts de réaménagement de la zone portuaire de la principale ville kodedane : 2 millions de livres listoniennes [LL] (soit 2 000 pts de développement),
  • création d’environ milles emplois, par la réimplantation des sites de sous-traitance au Kodeda, afin qu’ils fournissent les manufactures appartenant au Prince et déjà installées à l’étranger : 6 millions de livres listoniennes (soit 3 000 points de développement),
  • interdiction en conseil d’administration, d’autoriser la création de nouveaux de production en dehors du Kodeda, seuls des plateformes logistiques pour approvisionner les points de vente à l’étranger seront admis : 3 millions de livres listoniennes [LL] (soit 3 000 pts de développement).

Sur cette base, le Prince Mutarrif ibn Saadin est prêt à défendre la crédibilité, la viabilité et plus encore, la bienveillance des actions économi-politiques imaginées dans le pays,
26516
Suite de ce poste.


Je suis l’air du temps.
- Andrean Gabriel d’Alcyon.




D’Alcyon admirait l’avenir, sur le pont d’une vedette torpilleuse il rêvassait imprudemment l’avenir, laissant l’appareil aller à des vitesses folles comme un cavalier sur une bête rebelle, cherchant à la fatiguer pas d’intenables pointes de vitesse. Mais la vedette tenait la ligne. Mue par la force mécanique qui avait tant inspirée les futuristes d’antan, elle se prêtait à la folie du poète superbe, et sublimait le concert des vagues et de la brise par ses hurlements de tueuse. Elle avait tué. Elle tuerait à nouveau. C’était un appareil de guerre, rapide et cuirassé, armé pour tirer des tueurs de navire. Un modèle fluvial, ou maritime, qui appartenait à un temps révolu. Un modèle de gloire facile qu’on avait employé pour tuer la flotte monarchiste ; Tuer la flotte du Grand Kah réactionnaire. La flotte blanche. Cohorte, légion de tueurs pathétiques, de marins en ayant oublié jusqu’à leur serment révolutionnaire. Armada de pirates, soudards, pillards, qui violaient chaque jour un peu plus la doctrine et le serment de leur corps, alors qu’ils marchaient au pas en bonnes marionnettes de la dictature. Un, deux. Un, deux. Puis une torpille paraît et perçait la coque, et l’eau s’y enfonçait en hurlant, et un second missile faisait sauter les moteurs, et l’ensemble disparaissait enfin d’une magnifique conflagration. Quelque-chose de beau, à s’en cramer les rétines. Un nouveau Soleil.

Soleil, c’était le nom que D’Alcyon voulait donner à Lac Rouge, au moins à Axis Mundis, lors de la dernière révolution. Soleil. Soleil ! La Révolution grandiose devait faire de cette ville le nouveau Soleil du monde ! D’aucun dirait l’Anus Solaire, en ça que s’y trouvait le parlement tout juste bon à l’indigestion d’idées et la diarrhée de verbe. Tout de même, c’eut été quelque-chose si l’on avait pas repris le vieux nom, Axis Mundis, dont l’aspect superbe, proprement moqueur, ironique, rebelle, proto-punk avec deux siècles d’avance, n’avait pas été effacé par le temps, et la force d’habitude. Axis Mudis, axe du monde, centre du monde ; C’était rai et indéniable, mais ça n’avait plus rien de révolutionnaire, maintenant que tout le monde s’était fait à la plaisanterie.

Une nouvelle pointe de vitesse. La vedette naviguait sans but, errait sur les eaux calmes pour les troubler à dessein. Son maître, dressé sur le pont, restait stoïque, mais souriait. Il repensait aux torpilles, aux conflagrations, et se demandait encore, toutes ces années plus tard, si ce qu’il avait entendu après les tirs était le métal qui se déchirait, ou les cris unis de tout ces marins. Cette masse morte, morte depuis qu’elle avait rejoint la contre-révolution, putride et lourde. Crétins, la chair flotte, c’est bien connu, mais en rejoignant l’armée blanche ils l’avaient alourdi de leurs pêchés. Alors oui, évidemment, ils avaient coulés sans peine.

Il avait alors parlé d’un simple Camouflet de Chan Chimu, car l’assaut donné avait été moins efficace que prévu, et d’un intérêt tactique très maigre. Son pilote ne s’était pas assez approché, la torpille était partie trop tard. Un navire coulé, pas un grand. L’Ironie, toujours elle, avait sauvée le coup. Mais oui, le but n’avait jamais été de détruire toute la flotte. On en aurait besoin, après la révolution, n’est-ce pas ? En coulant une frégate plutôt qu’un croiseur, on montrait simplement que c’était possible. Une menace goût chair grillée, os liquéfiés. Une menace saveur métal arraché. Maintenant l’armée blanche savait que sa suprématie navale ne lui servirait pas. Et de ce trait de génie il avait changé l’échec en fierté révolutionnaire qui résonnait encore à ce jour. Finalement la flotte blanche c’était entièrement sabordé vers la fin de la guerre. Il n’en restait pas un bateau. Le crime avait tellement énervé qu’on en avait perdu toute contenance. Dialectique matérialiste ? Mon cul. Quand la colère est compliquée ça devient autre-chose. La contraction quasi frénétique d’un peuple humilié, cherchant à se rattraper à un quelconque malheur pour retrouver un peu de contenance. Les marins blancs avaient été alignés, méthodiquement, et purgés. Non. Pas une purge, mais bien une ablation. Habituellement la vengeance a quelque-chose frisant l’érotique. C’est une vérité générale de la violence, d’autant plus quand elle est romantisée par une idéologie ou un contexte claire. Mais on avait pas voulu offrir ce plaisir à qui que ce soit, surtout pas aux ennemis du peuple. C’est-à-dire que les marins blancs, avec leur sabordage, avaient fait débander jusqu’aux radicaux les plus héroïques. Alors on passa la main aux technocrates de la révolte. Ces avant-gardes de penseurs, capables de garder la tête froide en ça, précisément, que leur sang lui-même est froid. C’est une race de lézards, les technocrates. Comme les députés ils passent des journées entières à l’ombre, pour éviter que leur sang ne bouillît et ne coule par leurs yeux, leurs narines, leur bouche, en une écume brûlante. Quand le temps le permettait, ils rampaient douloureusement au soleil et laissait les rayons cancérigènes changer leurs écailles en peau, le temps d’une apparition publique. Le fait est que ces choses-là ne sont pas tout à fait humaines, et ne connaissent pas conséquent ni colère, ni pulsion ni – logiquement – sexualité. Chez eux, thanatos ne rencontre jamais éros. Ils sont d’un insipide… Mais parfois, utiles. Parfois, oui, puisqu’on les laissa s’occuper des marins blancs. Ils s’en occupèrent bien. On devait les découper, les exclure à la fois du corps national et du monde. Il s’agissait d’une opération chirurgicale demandant l’intervention de tels lézards. On ne voulait pas un massacre donc vraiment, de toute l’assemblée il n’y avait bien qu’eux pour gérer l’ensemble sans que cela ne vire au spectacle. Ils firent ça bien. Contre un mur. Pan. Suivants. Contre un mur. Oh vrai, il y avait bien eut la capture, mais sur ses derniers jours, la révolution avait le chic pour obtenir de ses ennemis qu’ils résistent à la tentation de mourir. On avait de nombreux moyens de les appréhender, et la même lâcheté qui avait alors poussé les marins à rejoindre l’armée blanche, à saborder leurs navires ensuite, les poussait maintenant à accepter la capitulation sans condition, une bataille après l’autre. Les groupes de guérilla, organisés, coordonnés, livrèrent les prisonniers – des centaines d’hommes, d’officiers, des masses et des masses de viande rebelle, impropre à la consommation. On fit un État des lieux et les lézards temporisèrent pour laisser aux prêtes-juges le temps nécessaire à leur tâche. Oui il y eut des pelotons, mais peu. C’était réservé à ceux qu’on avait trouvé assez abominables pour mériter l’élimination d’une part, mais pas assez notables pour avoir droit au moindre cérémoniel d’humiliation. Les bourreaux stupides, commissaires politiques royalistes insipides, sous-officiers en charge des geôles. Ainsi de suite. Une grande partie des marins étaient aptes à la reconversion politique et durent traités en égarés du Kah, des gens privés de nombreux droits et devoir, mais qui pourraient vivre, au moins. Le temps et les amnisties successives leur permirent un retour à la normalité, et les plus inadaptés finirent par quitter le pays, ou disparaître dans la jungle. Restait le cas des impardonnables. Décideurs, officiers généraux et intermédiaires, du ministre de la marine aux commandants de navire s’étant rendu coupables d’obéir aux ordres de la junte, tous furent finalement jugés. Trente ans de prisons. Quinze. Dix pour toi, qui n’est qu’un minable. Puis les pyramides furent rouvertes, et on graissa la Roue du sang de quelques-uns de ses ennemis.

D’Alcyon soupira. Baissa le régime du moteur de la vedette et la plaça dos au soleil, face aux côtes où il apercevait les quais accueillant de la petite marina d’où il était parti.

Quelle époque glorieuse, où l’on croyait la Révolution à la hauteur des attentes qu’elle suscitait. Fermement décadentiste, il avait bien trouvé le temps de se complaire, largement, dans les échecs et les déceptions du Nouveau Cycle. Le comité de salut public estimable et ses erreurs, l’incapacité du Grand Kah à recomposer un corps marin, les truculences du Liberalintern, plus récemment l’humiliation presque masochiste de l’armée de l’air.

Mais ce n’était plus drôle, maintenant. On ne pouvait occuper qu’un nombre donné d’années à organiser des sports mécaniques. On ne pouvait écrire des poèmes forts qu’un certain temps. On ne pouvait s’épancher en longs romans qu’un certain temps. Les femmes elles même, pourtant inchangées et toujours parfaites dans leur multitude, ne plaisaient qu’un temps. La vérité, s’il ne se l’exprimait pas en ses termes, c’est qu’il prenait de l’âge. Enfin ce n’était pas ce qu’il en pensait, naturellement. Il y avait toujours chez lui cette distance séparant l’homme de sa raison, aussi large que l’abîme séparant le Dieu de l’homme. Dans sa conception des choses, sa cosmogonie propre, il existait une corrélation réelle, presque magique, entre les écrits d’un homme et sa capacité d’action. Il considérait sincèrement que quiconque écrivait sincèrement s’épuisait, et qu’on ne pouvait s’épuiser à écrire sincèrement sur des choses n’ayant pas lieu. Il y avait toujours une part de vérité. Sa frustration à lui venait donc du fait que ce qui avait été vrai, la Révolution, tendait à ne plus l’être. Rétrospectivement, par un effort surréaliste du monde, un camouflet de la réalité à l’auteur, la Révolution que tout le monde avait senti si tangible, si forte, n’avait pas eu lieu en des termes satisfaisants, et par effet mystique, effaçait son existence passé. Ce qu’on avait ressenti au présent n’avait pas eu lieu et disparaissait pour de bon. Ses textes, écrits sincèrement, ces élégiaques à la Révolution et à l’Histoire, allaient devenir faux. Il allait devenir un faussaire.

Il n’y survivrait pas. Pas que sa gloire en souffrirait.
Pas qu’on s’en rendrait compte. Mais D’Alcyon, l’être, disparaîtrait aussi sûr que ses textes deviendraient faux.

Agacé, il remit les gaz et fonça à bonne vitesse vers les quais, sillonnant entre les vagues et se passant les nerfs par l’intermédiaire de sa machine. Un instant plus tard, il était à quai, où l’attendaient trois hommes dont on aurait pu jurer qu’ils étaient en uniforme, si tant es que leurs tuniques correspondaient à la tenue d’une quelconque force armée, policière ou politique. Pour un observateur quelconque, il était difficile de déterminer à quoi ils appartenaient. À l’armée D’Alcyon, en fait. Mais le monde ne savait pas encore que celle-là existait.

C’était comment ?

L’homme au centre des trois indiquait la vedette du menton. À en juger par la question il devait être là depuis un moment, à observer le ballet lointain du poète sur son esquif. Ce dernier ne répondit pas immédiatement. C’était devenu naturel, chez lui. Tout devait prendre des aspects théâtraux, immenses, et sublimes.

Andrean Gabriel d’Alcyon était homme de spectacle.

Face à lui se trouvait plutôt un homme d’action. Alguanaro Vespasi. Petite frappe plusieurs fois repris de justice, casse-coup notoire, pilote d’avion – un des chevaliers. Il était une créature difficile à cernier au premier instant. Un air granitique. Front dégarni donc crâne rasé, lèvres pulpeuses et yeux enfoncés dans un visage bronze, une musculature de guerrier. C’était ce qu’il inspirait. La statue précoloniale d’un quelconque guerre mythique. C’était peut-être pour cet aspect que d’Alcyon en avait fait le chef de son groupe de partisan. Mais même avant de rejoindre les rangs de la légion que l’homme mettait en place, même avant de se soumettre à la volonté de cet esprit fou qui ne rêvait que révolution et morbidité, il était déjà ce qu’on pouvait appeler une figure reconnue. Pas partout, évidemment. Il jouissait de cette toute petite notoriété que certains hommes avaient dans leur milieu. Pas un artiste mais d’une culture étonnante, il avait traîné dans les rangs des futuristes, introduit là-bas par sa femme, une jeune accélérationniste, à l’origine de quelques sculptures sur le thème du mouvement et de la machine qui lui avaient valu l’intérêt des futuristes. Cet intérêt s’était mué en passion quand ceux-là avaient appris que son conjoint était pilote ; Il avait fait quelques courses pour eux, et de l’acrobatie aérienne ; L’air puissant et taiseux de Vespasi en faisait l’œuvre d’art idéale, incarnation dénuée de personnalité apparente de l’homme nouveau, qui se livrait tout entier à la machine et la laissait s’exprimer à sa place. Ainsi, il arpentait les meetings, les rassemblements, les évènements sociaux et politique de ce groupe artistique, et sa femme avait reçu l’honneur d’être considérée comme prenant part au mouvement, en ses qualités d’amatrice. Quand les artistes s’étaient rangés au service d’Andrean Gabriel d’Alcyon – pour ceux qui n’avaient pas préféré rejoindre la citoyenne Maiko – il avait suivi. Il faisait, tout simplement, partie du mobilier. Et le mobilier était toujours ce que d’Alcyon remarquait en premier en entant quelque-part. Habituellement il avait des choses à redire. C’était un homme aux goûts prononcés, et de nature extrêmement critique. Mais il n’avait rien vu à redire sur Vespasi. Il l’avait découvert comme l’homme de goût découvre, par hasard, un incroyable meuble de maître au milieu d’une brocante villageoise. Depuis il le gardait jalousement, en faisant le chef de section d’une escouade de deux cents volontaires, première de son genre.

Enfin, le poète répondit à son homme de main.

Belle mer. Il fait un peu froid. Rentrons, la machine est fatiguée.

Et ils se mirent en route. Les quais étaient séparés de la ville par une série de marches de pierre à l’aspect chaud, pastel, courant le long d’une végétation d’aspect méditerranéen. Du temps de l’empire l’endroit appartenait à un important complexe balnéaire. L’Union n’avait rien contre le tourisme. Avant la révolution, beaucoup de ses régions jouissaient d’un important tourisme étranger, et en dehors de cet aspect économique, le tourisme intérieur était une réalité indéniable et importante, d’un point de vue culturel et unitaire. Cette structure, cependant, n’avait pas échappé au recyclage dans les règles du fait que la station en elle-même était non-seulement la propriété privée d’un noble particulièrement détesté par la population locale, un quelconque duc appointé là en qualité de gouverneur et qui n’avait en fin de compte, et sans que cela ne surprenne qui que ce soit, fait qu’institué un système de pillage des richesses locales, mais avait en plus servie de quartier général aux forces contre-révolutionnaires (dans la région) lors de la chute des blancs. Les lieux n’avaient plus grand-chose de touristique, maintenant. Une partie des bâtiments avaient été réaménagés en musée de la répression politique, une autre avait été rasée pour laisser place à des habitations, et les quais, avantageusement cachés à derrières des petites collines, avaient été conservés sans qu’on sache trop quoi en faire. Il n’y avait bien que les puissants excentriques à la d’Alcyon pour posséder leurs propres navires. Quand-bien même le dit navire était avant tout un appareil de guerre qu’il n’avait jamais rendue. En ses qualités de milicien engagé de la protection civile, rien ne l’empêchait de garder cette arme de guerre. De toute façon il ne serait jamais venu à l’idée de quiconque de retirer à l’homme du Camouflet le joyau de son fait d’arme. Pas plus qu’on ne retirerait à un escrimeur triomphant son fleuret.

Arrivés en haut des marches, on voyait un peu mieux la ville. Une route bien entretenue traversait les collines en sillonnant sur ses pentes les moins raides, et s’enfonçait ensuite entre les tours hyper-modernes de la cité. Le ciel, qui s’était couvert, avait des aspects orageux. Heon-Kuang connaîtrait bientôt un orage, qui la purgerait peut-être des puanteurs de la journée. La ville, trop peuplée pour répondre aux standards écologiques de l’Union, finirait un jour ou l’autre rasée par une foule autodestructrice, si convertie aux doctrines révolutionnaires qu’elle comprendrait la nécessité de son suicide ; En attendant les hautes tours d’acier, couvertes de jardins, les temples et les quartiers traditionnels, séparés par des bras de fleuve, et les grands ports militaires, vides, inutiles, agglutinés autour d’une île qu’on avait changé en forteresse imprenable et ridicule à l’époque des missiles, formaient le panorama superbe d’une ville unique en son genre, qui avait inspiré tant et tant d’auteurs et se présentait fièrement au monde comme l’avant-garde rutilante d’un certain utopisme urbain, où gratte-ciel et mégastructure n’était pas synonyme de capitalisme, où la misère n’existait virtuellement pas, où l’urbanisme n’était pas l’affaire de sociétés privées, rognant systématiquement sur les coûts et cherchant l’économie avant la qualité du service, mais bien de conseils d’habitants directement concernés par les effets de leurs décisions.

L’ensemble, de loin, fleurait bon la révolution accomplie.

Et tout cela, bien entendu, n’était qu’une illusion à laquelle on se laissait prendre par faiblesse. C’était en tout cas ce que d’Alcyon expliquait à Vespasi et aux autres. Les quatre hommes se trouvaient dans l’habitacle d’une voiture électrique, descendant les flancs de colline sans l’ombre d’un ronronnement de moteur. À cette heure tardive, les ombres projetées par le soleil donnaient au paysage des airs de fin de règne, où le moindre arbuste était suivi d’une longue traînée noire. Tandis que la voiture, pilotée par je plus jeune, un certain Huetec Ot-Sactxt, rejoignait la circulation de la ville, se glissant entre le couloir réservé aux trams et celui destiné aux vélos, le poète explicitait sa pensée. Le Grand Kah avait trop réussi trop vite. Ou peut-être que son crime était d’avoir raté aux endroits clefs. Sa révolution, si unique en ça qu’elle était la première des Révolutions au sens noble, méritant une majuscule et toutes les fanfares d’usage, n’était pas complète et ne le serait pas tant qu’elle insisterait pour oublier que l’Homme, pour être une créature intelligente, sociale, capable de rationalité et existant dans un monde physique, n’en restait pas moins le serviteur de forces mystiques lui échappant. Comme celle, pas encore cernée, de sa propre psychologie. Les pères de la psychologie étaient plus proches de toucher du doigt la réalité révolutionnaire que ne l’étaient les matérialistes d’il y a deux siècles. Et ce n’est pas faute d’essayer, concernant le Grand Kah. On comptait de nombreux mouvement mélangeant habilement politique et psychologie, mysticisme indigène et politique présente. L’Être Suprême lui-même, ce concept si obscur et incompréhensible aux étrangers, mais si clair et omniprésent pour les kah-tanais, représentait une tentative tout à fait honorable de subordonner les révolutionnaires à leur psyché. Mais ça restait, à chaque fois, un échec. Car on se refusait à la réalité, qui était qu’il y avait un besoin puissant, profond, inexorable de romantisme.

La voiture s’engagea sur l’Avenue des Quinze Préceptes, qui remontait le long du Tha Chamui jusqu’au parc historique d’Ishimura où se trouvaient les ruines du vieux palais impérial. Il datait d’avant le Grand Kah, d’une antiquité lointaine dont on acceptait de respecter les souverains en ça qu’ils existaient dans un univers révolu, entièrement déconnecté des nobles modernes, qui tuaient et oppressaient en dehors des livres d’Histoire. L’avenue continuait en ligne droite sur de longs kilomètres, Tra Song, Vinh Lat, Maraya, puis se divisait en une multitude de rues se déversant dans les différents quartiers de la « corne », comme on appelait la zone portuaire de la métropole, administrativement désignée en tant que Commune Est.

D’Alcyon, imperturbable, continuait son exposé.

C’est une chose que les souverains d’alors avaient mieux compris que nous. Que nous tous, les rois modernes sont encore pire que la Révolution car sans exterminer un ordre ancien, ils ont tout de même oublié ce qui leur donnait leur glamour.

Il employait le terme au sens premier, mythique, du terme. Une charge magique, transfigurant une chose en une autre. Pour lui, et il l’expliqua en des détails très complet à ses associés, il y avait un temps lointain où l’homme était peu nombreux sur la face du monde. Sa compréhension des choses était faible et le monde était encore perçu comme cette immense terre, finie et cruelle, sans que l’on sache précisément s’il existait seulement une vie en dehors de la cité. C’était une époque mythique. Pas uniquement parce que la plupart des grands récits à l’origine de toute culture, recycl&s tant et tant de fois, briques élémentaires de toutes les cultures humaines, y avaient été conçus. L’Ancien Testament des catholiques, par exemple, composé de tant et tant de textes, morales, contes, chants issus de cette époque qu’on pouvait presque qualifier d’antédiluvienne, dans l’hypothèse où le déluge serait cette fameuse perte ; Eh bien à cette époque, les rois vivaient dans cette même peur terrible du monde. Ils n’étaient d’ailleurs pas beaucoup plus riches que le peuple. Leurs droits infinis ne s’accompagnaient pas de barrières physiques, ou d’une vie beaucoup plus confortable. Le monde rampait dans la pauvreté et la sous-population changeait les capitales importantes en petits villages de province. On accédait au palais comme on accéderait à une mairie.

Bref. Ces gens vivaient – pour des raisons strictement dépendantes du contexte socio-historique – dans un univers franchement romantique. C’était ce romantisme qui avait permis à cette époque, plus que son antériorité, de générer les bases élémentaires de toute culture ; Parce que la culture est, par essence, une chose vivante et chaude qui rejette la raison pour l’impression, et qui ne croit en rien d’autre que ce qu’elle perçoit. Un animal stupide et indomptable qui a besoin de se nourrir de sentiments réels et éprouvés. Le romantisme, c’est l’art d’alimenter la machine humaine d’une passion agissant sur lui comme l’adrénaline sur un guerrier ou un sportif. Lui faisant ignorer la douleur, parfois sa propre mort, le faisant progresser. Le rendant addict. Le romantisme est à la fois le poison d’une société qui se veut propre et bien ordonnée, et l’antidote au poison de la normalisation des choses. C’était comme Shinra le disait. L’auteur, romancier, poète, essayiste, philosophe, était des rares que l’égo d’Alcyon lui permettait de citer directement et sans ironie. Mort depuis des décennies, il avait été le maître à pensée de tant et tant de gens, écrivant longuement de magnifiques théories sur la culture dominante, et la propension de cette dernière assimiler tout ce qui lui était extérieure. Ce que d’Alcyon appelait romantisme, lui l’avait appelé l’Obscène. Il croyait à l’Obscène. Le trop gros pour être accepté. Il ne faut pas faire peur au petit bourgeois, choquer le capitaliste et le noble. Non. Il faut les dégoûter. Leur faire mal, psychologiquement. Les faire vomir d’horreur, de stupeur, d’horreur. La première impulsion est de générer une culture qui leur est étrangère et qu’ils rejetteront. Mais la société dominante, suivant des mécanismes bien compris, assimilera toujours ce qui est autre. A l’époque il parlait d’avant-garde surréaliste, maintenant on pourrait par exemple appliquer ça aux mouvements punks. D’abord contestataires, maintenant marketés par le monde capitaliste et vendus dans des hypermarchés. Le Punk n’a pas su se rendre assez inatteignable, il a été cautérisé, rendu inoffensif. Maintenant il est assimilé à l’ensemble de la culture dominante. Il la sert à son tour.

Là où, cependant, Shinra était incomplet, c’est que s’il avait raison d’appeler à la mort et au sexuel absolu, s’il avait raison de croire à l’importance du tabou et que, comme il le disait, la première impulsion (faire ce que rejettent les dominants), n’était pas suffisant, croyant plutôt en la nécessité d’aller jusqu’à faire ce qu’on rejette soi, il n’avait pas prévu que des mouvements ne se faisant pas assimiler par la culture dominante finiraient pas disparaître faute de soutien. Être inaccessible était insuffisant.

Ce pourquoi d’Alcyon prônait une approche quasi-opposée. Plutôt que de créer une culture romantique (ou obscène), il voulait que soit d’abord conçue une culture de masse. Une culture répandue en des légions de révolutionnaires. Et insuffler à ceux-là le romantisme. Quoi qu’il en soit, l’important, plus que la méthode, c’était le résultat : obtenir un Grand Kah inclassable, qui abandonnerait son matérialisme au profit de l’émotion, du puissant ressenti, de la rêverie exquise exigeant non pas par posture morale, éthique ou idéologique, mais par passion quasi-amoureuse ou destructrice, que Révolution soit faite. Voilà le but. Une légion de soixante-dix millions de poètes, qui scanderaient les cris arythmiques de leur liberté personnelle, incarnée en autant de passions individuelles, canalisées dans la matrice d’une révolution. La roue du Kah, enfin, retrouverait sa magie.

Et quant à la méthode, ce n’était qu’une affaire de temps, et elle se révélerait au monde comme le clou d’un spectacle de Magie. Bien entendu le monde avait les yeux rivés ailleurs. Tout le monde se moquait des élucubrations de l’artiste génial, dont on se doutait qu’il allait s’adonner à une nouvelle folie, sans bien savoir laquelle et sans avoir le temps ou l’énergie de fixer les évènements de trop près. Et c’était parfait ainsi : ce que demandait d’Alcyon c’était justement de l’intimité. Lui voulait montrer au monde le champ des possibles. La méthode important pour les acteurs, et ceux-là avaient les yeux bien ouverts, il le savait.

La voiture s’arrêta sur la pointe est de la commune. Des hôtels, des jolies places, de vieilles maisons en vieille pierre. C’était un quartier occidental, à une époque. L’indépendance ne s’étant pas faite sur des critères régionalistes mais communalistes, les bâtiments de la concession étrangère avaient pour la plupart survécus aux évènements. Raser représentait moins d’intérêt que mutualiser. Face à la plus grande place de la ville se trouvait le promontoire, l’un des parcs naturels de la commune. Une immense île boisée où l’on se rendait, quand le temps était clément, en balade. Il s’y trouvait un petit temple shinto et de jolis paysages naturels.

D’Alcyon et sa suite, cependant, ne partaient pas en balade. Déjà parce que la nuit était tombée, ensuite parce qu’ils s’arrêtaient plutôt dans l’hôtel d’une ancienne compagnie magermelkoise, où les futuristes avaient organisé un quartier opérationnel du plus bel effet. Des hommes et femmes en uniforme bleu montaient la garde à tous les étages, et accueillirent leur maître avec déférence et cris joyeux. Ils incarnaient un mélange bizarre de discipline et de désordre. Jamais coordonnés, prompt aux effusions diverses, mas obéissant et respectueux jusqu’à la moelle. C’était certes une constante dans les mouvements armés kah-tanais, qui suivaient après tout une logique anti-hiérarchie assez précise, mais ici la notion se voulait moins anarchiste que romantique. Encore ce mot. Ces hommes et femmes n’étaient pas des soldats, ou des miliciens, ou des brutes. Ces hommes et femmes étaient des légionnaires. Des guerriers. Des sauvages habiles, rassemblés en une tribu combattante. Leur maître les salua en ces termes, et grimpa au second étage où se trouvait la salle de commandement. Depuis ce promontoire, les intentions du poète étaient claires. Un enfant aurait pu saisir l’idée : elle était épinglée au mur sous la forme d’affiches, étendue sur la grande table en la matière d’une carte de la région. Des pions et des post-it indiquait des ébauches de plan, de réflexion. Trois cibles, listoniennes, et des centaines d’hommes prêts à en découdre. On devinait les contours d’un plan ambitieux, certainement pas à la portée d’un homme seul, même accompagné d’une milice ou d’un parti politique organisé. C’était sans doute pour ça qu’il défendait bec et ongle cette « brave fille » et sa clique d’enragés de la vie. Maiko. La faille dans laquelle les frustrés de l’Union avaient déversés leur ultra-nationalisme mal dissimulé. La fillette de l’espoir, la fille du siècle. L’enfant qui donnerait au Grand Kah cette bouffée de romantisme dont il avait besoin. Mais ce ne serait qu’un premier souffle, insuffisant à activer les poumons de la vielle machine, deux gros muscles qui avaient oublié comment remplir leur usage. Ce premier souffle serait à peine suffisant. Tout juste bon à donner un avant-goût, à faire comprendre à la masse comme il était bon, cet avenir que promettaient les ambitieux. Et à obtenir, par la même, le soutien à ce projet fou. Tout était clair, écrit dans les grandes lignes d’une conception sans faille, comme en ont toujours l’air les grands plans bien rédigés.

Il avait profité pour se faire de l’expertise des militaires ralliés au poète, et de la plume de ce dernier. Un texte unique en son genre, mélangeant allégrement considérations techniques et vindicte politique. Le tout avait quelque-chose d’enivrant dans ce qu’il promettait, mais ce n’était qu’un effet de manche : la base était très simple.

Infiltrer des hommes dans les provinces mourantes du vieil Empire Listonien, à l’aide des missions humanitaires qui avaient déjà, virtuellement, placé ces territoires sous tutelle.

S’octroyer l’appuie du peuple en se basant sur les passions politiques locales et les besoins élémentaires auxquels répondent dors-et-déjà les missions humanitaires.

Saisir le pouvoir par de complexes manœuvres d’intimidation.

De là, proclamer l’instauration d’une régence internationale des quatre cités holocaustes, et attendre une annexion formelle et populaire des territoires sauvés à l’Union.

Un projet irrédentiste, romantique, nationaliste. Un projet puissant, qui mettrait les députés, ces branleurs du Parlement Général, devant leurs responsabilités. Un projet d’irréaliste, de fou, d’aventurier d’il y a deux siècles. Un projet immensément dangereux.

L’homme, cessant de fixer ses plans, lança un regard à ses apôtres. Les hommes de mains l’observèrent en retour.

Je crois, entama enfin le poète, qu’il va être temps de nous y mettre.
7023
logos des services secrets alguarenos et du Clan saadin kodedan.

19 octobre 2007 - CONFIDENTIEL - Assaut sur les sentiers.


Une des nombreuses routes en provenance du Kodeda et qui connaîtra une présence marquée de brigands mandrarikans.
Au Kodeda, l'expression en route pour la fortune prend tout son sens, eu égard aux brigandages du fret routier entrepris par de jeunes enfants brigands.

Moboshe ne distinguait plus le sol où il posait les pieds, tant son regard se concentrait fixement et sans faiblir, sur le petit sentier routier que chaque passage de véhicules étouffait sous une poussière rougeâtre et ocre soulevée durant de longues minutes. Dans une main pendante se trouvait un revolver au coup par coup, vestige archaïque des anciennes dotations de l’armée mandrarikane sur lesquelles ses comparses et lui avaient pu mettre la main. Oui, dans son échappée le jeune Moboshe n’était pas seul et deux autres hommes l’accompagnaient en fermant la voie qu’il venait d’emprunter, au sein d’un fossé longeant la “voie routière”.

Argaïl : Tu le vois? Je suis sûr qu’on l’a manqué, il fallait partir plus tôt.

Moboshe : Je le vois? Je vois quoi Argaïl, on est dans un fossé, face à un talus derrière lequel se trouve un sentier routier que je n’aperçois pas à plus de 50 mètres. Voilà ce que je vois gamin.

Dans de nombreux cas, l’appelation gamin aurait pu revêtir un aspect péjoratif, mais il était pourtant on ne peut plus factuel, eu égard à l’âge du commando qui se présentait à nous.
Argaïl, que les autres membres du groupe avaient armé d’une machette, était un jeune garçon de douze ans, déscolarisé et né à Ragarangwe (MANDRARIKA) dans les zones tenues par les seigneurs de guerre. Pour l’épauler dans son premier brigandage, il y avait Moboshe, manifestement le leader de la bande, guère plus âgé que les deux autres du haut de ses dix-sept ans. Le jeune homme avait insisté pour prendre le revolver car il avait vu dans un film de guerre eurysien que tous les officiers en avaient un. Egalement originaire de Mandrarika, dans un bidonville proche de Wakigembe, dans la région du Basango le jeune adulte ou vieil enfant avait lui aussi été mis dans un avion pour le Kodeda, par des gens peu scrupuleux, afin qu’il concourt à l’obtention d’une vie meilleure. Mais le prix demandé par le passeur, était de l’ordre de 7 000 mandrains (soit 7 pts de développement) ce qui représente en Mandrarika facilement un an de salaire si vous occupez une fonction intermédiaire… Autrement dit pour ces jeunes, cela représentait une fortune. Et c’est bien pour cela que le rêve initial, qui était de quitter la Mandrarika pour joindre une terre de prospérité et d’abondance se transformait rapidement en cauchemar, incapables qu’ils étaient de rembourser les passeurs. C’est dans ce contexte-ci que Moboshe et Argaïl avaient débuté les larcins, rejoints dans leur malheurs par Gaacir, un troisième comparse au dos mutilé par les coups des passeurs, qui lui reprochaient jusqu’ici un manque d’investissement flagrant. gé de treize ans, le jeune homme était lui aussi un énième mandrarikan arrivé il y a plusieurs mois au Kodeda, après avoir quitté un des nombreux bidonvilles de la région du Basango (MANDRARIKA).

Les muscles raidis par le stress, les trois jeunes hommes continuaient de longer la route sur laquelle ils avaient jeté leur dévolu. Reliant le Kodeda aux provinces kah-tanaises d’Afarée, en passant par des territoires autonomes relativement désinstitutionnalisés, l’endroit avait vocation à voir défiler quelques camions de transport dédiés au fret terrestre des biens commerciaux échangés entre les régions d’Afarée occidentale, depuis que les autorités régionales avaient fait du développement des voies routières, un enjeu commercial majeur dans la province. Des conserves, du grain, mais surtout le comble du luxe, l’électroménager, des produits à forte valeur ajoutée en Mandrarika, considérant les limites de la recherche civile et dans certains cas, l'inaccessibilité même au réseau électrique de certaines communautés. Être rattaché aux circuits d’eau potable et au réseau électrique devient alors un luxe, un luxe qui rend ces appareils électroménagers hors de prix selon les secteurs géographiques où ils sont vendus.
Nos trois comparses, qui guettaient le passage d’un camion transporteur, usaient sans vergogne ce qui leur restait de vertu pour prier et faire exaucer leur souhait quant à la nature du chargement.

Soudain, alors même que l’horizon ne laissait apparaître le flux de véhicules en approche, un bruit caractéristique retint l’attention de Moboshe qui accourut sur la route pour se mettre au raz du sol, faisant différents signes et jurons à ses deux collègues pour qu’ils se taisent et fassent un silence total, immédiatement.

Moboshe : ”Arrêtez ce que vous faites ! Ma main a coupé, on a nos 4 essieux, on a nos 4 essieux les amis…”

Gaacir : ça tombe bien que tu dises ça car si on termine la semaine bredouille c’est probablement ce qui nous attend auprès de Charko.

Charko ou bien de son vrai nom, Cristobal Ravatomanga, était une référence pour ces gamins mandrarikans, lancés dans “le métier de vaurien” et soumis aux brigandages quotidiens, généralement exécutés aux abords des frontières du Kodeda et dans les régions autonomes frontalières. Des activités essentielles pour ces gamins, en vue de rembourser des dettes presque insolvables, après qu’ils aient bénéficié d’une exfiltration de la Mandrarika à crédit, se devant maintenant de la rembourser. La simple évocation de Charko, diminutif associé au terme de charcutier, suffisait généralement à glacer d’effroi les hors-la-loi qui faisaient dans le pillage et la rapine, que ces derniers fassent partie des jeunes ou des moins jeunes. Nos trois apprentis brigands prirent donc très au sérieux les rares opportunités qui leur seront faites aujourd’hui, de saisir une marchandise à la hauteur des ambitions voulues défendues par leur gang et susceptible d’amorcer le remboursement de leurs dettes.

Le stress prenant le pas sur la raison, le jeune Moboshe fredonna un air, pour prodiguer du courage à ses complices même si Argaïl le soupçonnait de surtout chercher à s’en prodiguer à lui-même.

"Nous hurlerons et nous rugirons,
avant de déferler droit devant,
face à nous les innombrables bataillons,
de notre ennemi qui ne se sait pas mort-vivant
Entonne ce chant à pleins poumons,
Et couvre donc le bruit des canons,
Dans le cas où après la bataille,
nous profiterions d’une gloire sans ses ripailles !”

Le groupe des trois adolescents se dispersa sitôt le dernier couplet achevé et ils prirent alors leurs positions de part et d'autre de la chaussée. Moboshe traversa le fossé pour apercevoir, les véhicules qui s'engageaient sur le sentier en contrebas. Il put établir un contact visuel avec la cible de leur futur larcin et indiqua le véhicule qui le précédait pour repère à ses comparses de l’autre côté de la chaussée.

Moboshe : ça suit une Grina rouge.

Sur ces mots Algaïr baissa la tête sous les fourrages pour ne pas trahir la présence du commando tandis que chacun d’eux continuerait de s’impatienter quelques minutes durant encore. Gaacir quant à lui, extirpa une herse dépliante d’un sac à dos rouge d’écolier, grimpant à grandes enjambées le talus longeant la route. Le moment venu, après le passage de cette fameuse Grisna rouge, il effectuera d’un geste ample et circulaire de son bras droit, le lancer de la herse destinée à immobiliser le camion. Alors, Moboshe et Algaïr convergeront sur l’habitacle du véhicule pour en extirper le conducteur et le tenir en respect pendant que l’un d’eux examine la marchandise embarquée à bord.

Le contact entamé avec la cible démarra sous les mêmes perspectives que celles envisagées sur le papier, avec le lancer de la herse dépliante juste après le passage de la Grina rouge. Gaacir profita du nuage de poussière soulevé par le précédent véhicule pour dissimuler la herse au sol et ainsi surprendre le camion qui s’était engagé peu de temps derrière la Grina rouge. Un son caractéristique lorsque le camion roula sur la herse lui fit comprendre que les pneus avaient bel et bien été crevés.
2107
Le 08 octobre 2007 - Kodeda

Les milieux économiques de Kodeda définitivement séduits par le Grand Kah.

Résultat d'une opération d'influence économique à 50%.

https://www.zupimages.net/up/22/24/zpmt.jpg

Le nerf de la guerre a pris une teinte rouge foncée alors que le Grand Kah assure sa main-mise économique sur la région en abreuvant les milieux d'affaires de liquidités et de promesses de profits. Spécialisé dans la finance internationale, les communalistes kah-tanais savent y faire pour retourner les contradictions d'un système économique contre lui-même et c'est avec la bonne mine des financiers propres sur eux qu'une part significative du tissu industriel et entrepreneurial de Kodeda est progressivement tombé entre les mains de ses sociétés écrans.

Une réussite économique permise par la crise que traverse ce territoire et par la culture mercantiliste et protectionniste de l'Empire rendant les investisseurs étrangers frileux à l'idée de faire des affaires dans la région...


Compte-rendu d'opération a écrit :
Opération économique : OPA hostile sur l'économie de la région. Le but est de capter tout les investissement locaux, ainsi que l’intérêt des milieux affairistes et bourgeois, et de racheter un maximum d'infrastructures, de biens, d'entreprises etc via le consortium Saphir et ses sociétés écran.

  • 56 - 100 - Réussite majeure : L'OPA est un succès total. Les milieux affairistes et économiques investissement ou vendent massivement au Consortium, lui assurant une future position de domination totale de tout les secteurs économiques ne dépendant pas explicitement de la métropole coloniale ou de l’État.

  • 11 - 55 - Réussite mineure : Sans pour autant permettre à Saphir de s'ériger en pièce maîtresse absolue de l'économie du Kodeda, la campagne massive d'achat et investissement lui attire les faveurs des milieux économiques locaux et continue de l'implanter plus profondément dans la région.

  • 6 - 11 - Echec mineur : L'achat de nombreuses infrastructures et entreprise ne suffit ni à mobiliser les classes économiques, ni à faire main basse sur l'économie régionale.

  • 0 - 5 - Echec majeur : Les milieux économiques et affairistes réagissent très négativement à l'OPA hostile, peut-être guidés par un soudain esprit de classe ou une conscience aiguë de patriotisme, ils s’organisent en front économique bien décidé à faire la guerre à Saphir, bloquant notamment l'achat massif des entreprises locales.

Résultat de l'opération (arbitrée par UPL)
1952
Le 8 octobre 2007 - Kodeda

Derrière toi, la guerre est là.

Résultat d'une opération d'influence clandestine à 50%.

https://www.zupimages.net/up/22/24/3qco.jpg

L'expérience kah-tanaise des milieux hostiles et l'aide logistique de quelques passeurs pharois permet aux troupes communalistes de pénétrer secrètement dans le Kodeda en passant par les montagnes. Prouesse complexe et pari réussi pour le Grand Kah qui parvient à infiltrer du matériel militaire lourd sur le territoire listonien dont les forces militaires se concentrent majoritairement au niveau des grands centres urbains et des côtes. La difficulté pour l'Empire à tenir la région adossée à l'efficacité de l'état-major communaliste habitué aux guérillas a permis ce tour de force.

Les troupes se sont ensuite immédiatement dispersées dans la nature, jouant de l'hostilité du terrain comme d'une couverture. Il faudra désormais compter avec des militaires étrangers au Kodeda.


Compte-rendu d'opération a écrit :
Opération clandestine : Infiltration de troupes.

  • 56 - 100 - Réussite majeure : Un important contingent "force de sécurité" est infiltré dans le Kodeda, s'installant dans les parties montagneuses de la province et y établissant un réseau de tunnel. Ce contingent, lourdement armé, est en mesure d'intervenir rapidement pour défendre le chantier de la Route ou lancer une guérilla importante contre les autorités listonienne. Il n'est pas détecté et a l'initiative.

  • 11 - 55 - Réussite mineure : Un contingent de forces de sécurité est discrètement infiltré par le Grand Kah dans le but de protéger le Kodeda. Plus modeste que prévu, il s'installe à l'écart des secteurs habités, dans une position de garde permettant d'intervenir rapidement sur la route en cas de besoin. Sans plus.

  • 6 - 11 - Echec mineur : La situation ne se prête pas à l'envoie de troupes. Après de nombreuses tentatives, celles-là battent finalement en retraite pour retourner sur le territoire kah-tanais.

  • 0 - 5 - Echec majeur : La situation ne se prête pas à l'envoie de troupes et, pire que tout, les importants mouvements d'hommes et d'équipement ne sont pas passé inaperçu. Désormais toute la province est au courant que des contingents armés se sont payés le luxe du visite près des frontières nords du Kodeda.

Résultat de l'opération (arbitrée par UPL)
4592
C'est un jour de marché ordinaire, toutefois le vieux port d'ordinaire empli de petites embarcations voit son paysage légèrement modifié. D'immenses navires obstruent la vue de l'autre côté de la baie sur le Sud de la ville de Shati Alqahwa, projetant une ombre assez impressionnante sur le bois sec et grinçant des petits pêcheurs.

A l'entrée du port de Shati Alqahwa, une situation incongrue semble d'ors et déjà entamer un sentiment de frustration.
Tirant sur les filets, un des hommes de l'équipage s'assure que tout est bien calé dans l'embarcation longiligne multicolore. Le capitaine fait quelques gestes alliés à la parole pour que les deux étourdis à l'avant s'assurent que les autres embarcations ne leur rentrent pas dedans.

Le second a un ton mécontent et un bras qui gesticule vers le haut, abaissant naturellement une manche large de son habit de pêcheur traditionnel, il précise qu'il en touchera quelques mots à leurs mères s'ils ne se bougent pas le postérieur.



Malik ! MALIK ! Dis aux Bidins qu'ils n'ont pas intérêt à lorgner sur notre pêche. Je veux qu'aucun poisson ne déborde et soit "malencontreusement" transvasé sur leur barque moisie. MALIK ! Sors la perche au nom d'Allah !


Une clope au bec, le capitaine coupa le moteur qui arrêta aussitôt de vrombir, pour faire des clapotis réguliers tout en dégageant des fumées de gasoil nauséabondes.
Un immense embouteillage s'accumule à l'entrée du port, quatre navires de guerre sont postés en plein milieu du passage. Les embarcations diverses sont obligées d'affaler leurs voiles ou de couper les moteurs. Les premiers navires de pêcheurs n'osent pas longer les corvettes et entrer dans le port tandis que les suivantes insistent pour que les premières prennent l'initiative, sans pour autant essayer de passer ; mieux vaut qu'autrui récolte les fruits de la colère métropolitaine.

Et voilà, ce qui devait arriver arriva, le voisin commence la discussion sur les zones de pêche et la conférence à venir en Eurysie et les Ben Ghadib haussent le ton. Un des membres de la famille secoue un poisson, qui se cabre à droite et à gauche mollement en vociférant sur l'Empire, en direction du malheureux imbécile ayant commencé la conversation.
L'équipage est chahuté, les embarcations se rentrent dedans gentiment, mais certaines disposent de plus d'inertie que d'autres et engendrent une vague de chocs, bateau sur bateau et la moitié des équipages est déséquilibrée.
La scène est cocasse vue de loin.

Un poisson vole et touche la tête d'un pêcheur qui surpris tombe à l'eau en ouvrant les bras pour un éclaboussement bien exagéré, faisant hurler à la tragédie le compère qui glisse le poisson dans son filet avant de donner une perche à son coéquipier qui patauge maladroitement et boit un peu la tasse : le hoquet salé, les yeux qui piquent et encore un peu d'écailles sur le front, voilà pour avoir essayé de faire la conversation.

Sur la jetée qui protège le porte et forme l'entrée, un groupe de femmes court, voiles au vent et les bras soulevant les tissus trainant par terre. Petites enjambées, les visages pourpres, elles accourent et elles ne sont pas contentes du tout.

Un des fils Ben Ghadib s'apprête à jeter un autre poisson et s'arrête net ; ses yeux s'écarquillent lorsqu'il aperçoit sa mère se dandiner vers la môle et il baisse le poisson pour le remettre immédiatement dans le filet et s'assoir sagement sur un rebord du bateau, poli et malmené par des années de navigation, comme si de rien n'était. Très rapidement, la pagaille s'atténue et presque aussitôt quand le groupe de femmes arrive à la hauteur des pêcheurs sur la berge, ayant dû crapahuter sur de gros rochers.
Ca crie en arabe et ça beugle fort.



SAMIR ! SAMIR ! VIENS ICI ! VIENS ICI J'TE DJIS ! VIENS ICI ! JE VAIS T'ENVOYER DU POISSON DANS LA FIGURE, TU VAS VOIR ! JETER LA NOURRITURE AUX MUSTAHZI, C'EST COMME SI ON T'AVAIT EDUQUE A LISTONIA !! SAMIR ! FAIS PAS COMME SI TU NE M'AVAIS PAS VU OU ENTENDU ! PLONGE ET VIENS LA QUE JE TE METTE UNE ROUSTRE !


Les hommes ne rigolent pas... leurs femmes les regardent avec la même intensité que la mère Ben Ghadib... Celle-ci même qui menait le cortège de manifestations hebdomadaires à l'accoutumée face au désarroi insufflé par la métropole. Il n'était pas nécessaire de faire des tracas supplémentaires alors que la mère Ben Ghadib devait déjà tenir au maximum les femmes du Shibh Jazirat Alriyh au calme pendant que les négociations étaient en cours à la villa du gouverneur. Il fallait faire confiance autant que possible au bon Paolo O Prefeito et aux bienfaitrices étrangères.

Après quelques minutes de menaces et remontrances, les hommes se renfrognèrent et attendirent tant bien que mal que la situation se débloque.
Les corvettes étaient dans le passage. La trentaine d'embarcations apportait leur pêche et par cette chaleur, malgré le fait de tremper le filet bien lourd de temps en temps dans la mer, tout allait se gâter.

Les Jazirati attendaient au marché toutefois, bien conscients que les étalages étaient à moitié vide.





Il ne fallut pas longtemps pour que l'attention et l'impatience soit redirigée vers les corvettes et la situation désobligeante. Les premières invectives et un ou deux poings levés vers les militaires se glissèrent tandis que les premières frustrations se faisaient aussi ressentir au niveau du port et du marché bordant la rade.

Non loin, les navires Pharois regardaient sûrement avec intérêt les situations évoluer.
6737
logos des services secrets alguarenos et du Clan saadin kodedan.
Suite et fin de ce RP

19 octobre 2007 - CONFIDENTIEL - Brigandages et violences armées, le lot de la délinquance juvénile mandrarikane.


Portraits des brigands mandrarikans opérant sur les routes commerciales au nord du Kodeda.
Gaacir et Moboshe (de gauche à droite) ont effectué "une pêche miraculeuse" après la saisie réussie d'un chargement de téléviseurs, qui finirait sur les marchés noirs et autres filières des receleurs.


Les deux pneus avants crevés, le camion vint s'immobiliser contre le talus qui longeait la route, son conducteur ne pouvant plus négocier le virage qui s’annonçait. Le trio de malfaiteurs juvéniles encercla alors le véhicule, Moboshe appréhenda celui-ci par l’arrière, son regard croisant celui du chauffeur via le rétrovieur latérale gauche.

Moboshe : ”Montre tes mains, hors de l’habitacle sac à viande, où les hyènes ne jeûneront pas ce soir… “ L'expression ``Fait ça ou les hyènes ne jeûneront pas ce soir ``était une expression typique de la Mandrarika où dans les territoires des seigneuries de la guerre, on usait avec largesses de ces animaux, domestiqués, pour châtier un ennemi.

Argaïl brandissait de son côté la machette qu’on lui avait confiée, répétant avec hystérie les sommations faites par Moboshe.

Argaïl : “Oui descend tout de suite chien, ou je te mange le coeur moi.”

L’écho que produisait Argaïl, eu égard aux premières sommations de Moboshe, fit rire aux éclats le troisième complice, Gaacir, qui tenait en joue le conducteur d’un fusil d’assaut archaïque, où un morceau de scotch servait à fixer plus solidement l’unique cartouche en possession par le jeune homme. L’usure du scotch attestait que le fusil n’avait pas beaucoup servi jusqu’ici, expliquant peut-être le certain emballement et les pics de tensions affichés par le commando mandrarikan. Le conducteur, relativement incrédule, leva instinctivement les mains en l’air pour les mettre en évidence en dehors de l’habitacle, à travers la vitre. Une manœuvre d’apaisement et de coopération nécessaire pour éviter un tir malheureux alors que les brigands lui vociféraient continuellement dessus.

Moboshe se rapprocha de l’avant du camion, son revolver au poing, effectuant de nouvelles sommations pour que le conducteur sorte de l‘habitacle et abandonne son véhicule. Devant la relative joie hystérique de ceux qui lui faisaient face, le conducteur du chargement affichait une coopération totale, l’obligeant à faire face à la caisse du camion, les mains posées en évidence sur celle-ci. Son regard fuyait celui de ses bourreaux du jour, les pensant manifestement sous l’effet de drogues tant l’idée de tuer l’homme dans d’atroces souffrances semblait les indifférer. Pourtant, malgré leurs relatives aptitudes pour la barbarie et un total détachement vis-à-vis de leur cible, l’assassinat des conducteurs de fret n’était pas systématique et cela pour des raisons évidentes, c’est que le meurtre systématisé des chauffeur-routiers rendrait d’autant plus compliquée la coopération des responsables de chargement lors des brigandages futurs. Et cela, le gang de Moboshe devait nécessairement en tenir compte car, quand bien même il n’en pâtissait pas directement, une autre bande affiliée à Charko pourrait essuyer les plâtres d’un tel forfait. “La barbarie n’enlève le courage de l’ennemi que si celui-ci a une porte de sortie viable” expliquait-il sans cesse aux gamins qu’il recrutait.

Le conducteur appréhendé et menotté au pare-choc de son camion, le jeune Algaïr partit inspecter la cargaison, alors que Gaacir tenir en respect le prisonnier. Moboshe força la porte de la caisse arrière, avant de faire la courte échelle à Algaïr, pour qu’il puisse accéder à l’intérieur du camion. Le garçonnet afficha un large sourire une fois à l’intérieur et commença à escalader un gros carton pour se permettre une perspective quant au volume de la cargaison totale. Puis Algaïr reprit en main sa machette qui pendait jusqu’ici à sa ceinture et fendit l’ouverture du carton pour examiner avec une curiosité outrancière, le contenu de la marchandise.

Algaïr : Oh Moboshe, arrête tout, ce sont des téléviseurs.

Moboshe : Non, dis moi pas que c’est ça.

Le garçonnet fixa plus longuement Moboshe pour seule réponse, affirmant très lentement d’un mouvement de tête.

Moboshe : Super, fantastique, on est riche…

Le jeune Algaïr grimpa alors sur un carton, entamant une danse sur celui-ci.

Moboshe : Fais pas ça grand fou, tu vas les casser.

Algaïr : C’est la danse de la victoire rabat-joie, il ne peut plus rien m’arriver.

Quelques dizaines de secondes s’écoulèrent avant qu’Algaïr reprit son calme et son sérieux. Moboshe attrapa alors le sac d’écolier qui leur servait de sac d’équipements aux opérations, pas moins que cela. Il en extirpa un talkie walkie dont il étira l’antenne pour démarrer une communication.

Moboshe : Pongo, Pongo ici Zika 8. Je répète, Pongo, Pongo ici Zika 8.

Pongo : Qu’est-ce que tu veux Zika 8?

Moboshe : On a mis la main sur une chèvre laineuse.

Pongo : Une chèvre laineuse noire ou crème.

Moboshe : Une chèvre laineuse crème.

Pongo : Ah, le chevrier va être content de vous les enfants, bon boulot…

Moboshe : Merci, tu dis au chevrier qu’on l’attend?

Pongo : Zika 8, je voudrais pas être désobligeant dans un moment comme celui-ci mais… Tu m’as pris pour sa putain de secrétaire?

Moboshe : Non, je voulais…

Pongo : Ce que tu veux on s’en moque, moi je vais te dire ce dont ne veut pas le chevrier. Le chevrier ne veut pas se taper 50 kilomètres de route à chaque fois que Zika trouve une chèvre, fut-elle laineuse et crème. Vous êtes bien aux coordonnées convenues pré opération.

Moboshe : Oui c’est ça, je suis…

Pongo : Ta gueule Zika. Si je connais ta position, j'ai pas besoin que tu me la dises. On t’envoie la bétaillère aux coordonnées convenues, restez sur place pour sécuriser la chèvre et annoncer sa présence au passage de la chevrière.

Moboshe perdit son sourire l’espace d’une fraction de seconde, avant que son regard ne recroise celui de ses comparses qui lui firent de grands signes des mains, le pouce en l’air. Il leur répondit, avec le même enthousiasme.

Moboshe : On attend les collecteurs, Charko ne viendra pas mais il nous félicite.

Gaacir et Algaïr se réjouissaient de l’accueil fait à leur réussite. Il faut dire que les garçonnets ne percevaient pas les pots-de-vins du clan Saadin, c’était uniquement les supérieurs et Charko lui-même, de ce fait l’unique moyen pour eux de rembourser leurs dettes était la maigre commission qu’ils touchaient sur les biens capturés après qu’ils soient revendus à un receleur…
Moins d’un quart d’heure plus tard, un camion arborant un petit fanion rouge sur le toit de l’habitacle fit son apparition sur les routes environnantes. Algaïr et Gaacir, galvanisaient par la précédente réussite, voulurent l’attaquer de front mais Moboshe leur indiqua qu’ils n’en feraient rien, s’agissant du camion de transport dédiées au rapatriement des téléviseurs au sein des quartiers-généraux de la contrebande.

La transaction effectuée, le trio de gangsters partit récupérer leurs vélos cachés des feuillages derrière les talus, avant de changer de position.

Moboshe : “On part en secteur D” dit le garçon à un collecteur qui prit l’information au vol, lui confirmant sa prise en compte d’un simple hochement de tête.

Le camion des collecteurs continua de transvider le chargement de téléviseurs dans sa caisse tandis que l’un des deux hommes affrétés sur cette mission, indiquait à Pongo le repositionnement du trio infernal… Au loin sur les sentiers lunaires du nord du Kodeda, trois cyclistes pédalèrent avec une âme d'enfant retrouvé, l'un d'eux écartant les deux bras pour s'imprégner du rare vent venu lui fouetter le visage.
1841
Message secret
Information secrète réservée aux personnes autorisées
852
Le 20 octobre 2007 - Kodeda

Résultat d'une opération d'influence économique à 30%.

Zone portuaire kodedane


Compte-rendu d'opération a écrit :
Opération économique : Positionnement dans le capital des groupes aéroportuaires kodedans.

  • 56-100 - Réussite majeure : Le Prince Mutarrif ibn Saadin remporte un appel d’offre pour se faire le principal promoteur des travaux de réaménagement des espaces portuaires, afin de concurrencer les routes terrestres au nord du pays.
  • 11 à 55 - Réussite mineure : le Prince Mutarrif ibn Saadin ne remporte pas l’appel d’offre.
  • 6 à 10 - Echec mineur : Le Prince Mutarrif ibn Saadin ne parvient pas à remporter l’appel d’offres mais peut rembourser l’argent investi par ses sponsors.
  • 1 à 5 - Echec majeur : Le Prince Mutarrif ibn Saadin ne remporte pas l’appel d’offres et perd, qui plus est, une certaine somme de l’argent de ses sponsors et partenaires de projet, ce qui le fâche avec une partie d’entre eux.

Résultat de l'opération (arbitrée par Chancelier-animateur)
2186
Message secret
Information secrète réservée aux personnes autorisées
6253
Le jour le plus long


Jamais les habitants de Shati Alqahwa n'avaient vu d'aussi grands navires de guerre dans un lapse de temps aussi court.
L'arrivée du destroyer Päivää les avait tous surclassés, de par sa taille, mais aussi car il avait été le premier mastodonte à rejoindre la Península de Sotavento, ou Shibh Jazirat Alriyh en arabe ou Alth.
Ce qui frappait le plus, c'était le fait que ce gigantesque navire avait été bâti avec qu'un seul objectif : celui de se battre, d'infliger et / ou subir un drame que toute personne saine d'esprit cherchait à éviter.
Le métal trempé et grignoté par le sel, malgré les innombrables couches de peinture, l'odeur du carburant lourd qui brûle, les embruns guerriers, il y avait une majesté dans la création de ces furies des océans, de ce Jotünn Pharois qui représentait toutefois l'ordre, une coordination industrielle et technologique remarquable et une poigne de fer dans un univers unique qui se voulait proche de l'utopie libertaire, anarchique, au sens propre du terme.

Mais ce n'est pas le destroyer Päivää qui attira l'attention en ce jour.
C'est le bâtiment de projection et de commandement du Général Cortès, un porte-hélicoptère de près de 30 mètres de hauteur pour presque 200 mètres de long. Ce rempart Listonien se déplaçait, presque avec une nonchalance dévastatrice au sein du port, pourfendant avec certitude toute raison sécuritaire pour accoster avec lenteur et résignation. Escorté par quatre navires de type corvette, ce navire de guerre était un autre prodige des industries aéronavales Pharoises... Oui l'histoire était longue, la conclusion courte : dans la course à l'armement face à lui même, l'Empire Listonien s'était pourvu de cet immense navire en échange d'un contrat ayant fait couler beaucoup d'encre. Et pourtant l'Empire avait peut être bien fait au final d'allouer un bail de ses parcelles portuaires au Pharois Syndikaali, car à travers cette décision étonnante se profilait une ambition de rapprocher les intérêts de la seconde puissance mondiale des intérêts Listoniens, mais aussi de projeter son influence militaire si d'avenir cela devenait une nécessité.

Et voilà que l'Empire était en péril et que l'Afarée devait être un exemple des capacités Listoniennes face à l'adversité créée par une politique déséquilibrée économiquement, socialement et diplomatiquement, mais avant toutes choses, sa propre politique... nationaliste.

Le Général Cortès avait fait un pari osé en fonçant dans le port comme si Shati Alqahwa saurait courber l'échine, de par sa loyauté et sa faiblesse militaire.
Seules les idiotes pouvaient penser que le Général Cortès était dupe de la situation et n'avait réfléchi à la manière dont il fallait agir dés les premières lueurs du soleil, dés que les premiers curieux se faufileraient dans les ruelles ombragées afin de braver la chaleur accablante du soleil et regarder un évènement exceptionnel naviguer sous leurs yeux ébahis.


Et ils étaient nombreux à regarder dans un premier temps cette arrivée ordonnée et calculée dans le port de Shati Alqahwa, puis ils furent tout aussi nombreux et curieux lorsque certains policiers ordonnèrent le débarquement des militaires métropolitains. Les jeunes avaient cessé de monter les étalages des marchés ou l'ouverture des boutiques et avec naïveté se ruèrent pour voir et peut être interpeler des militaires Eurysiens, peut être juste voir les armes et les uniformes et même toucher la carlingue de cet immense rempart, pourtant à quelques distances de la jetée.
Les policiers formèrent un cordon de sécurité et commencèrent à hausser le ton lorsque les jeunes trop agglutiner poussèrent par effet de masse. Un des policiers dans un uniforme impeccable, sans la moindre marque de transpiration, même sous cette chaleur, ordonna à certains jeunes de se reculer, les appelant par leurs prénoms respectifs.
Shati Alqahwa n'était pas une grande ville, mine de rien, et spécialement dans la vieille ville et les quartiers portuaires, les voisins se côtoyaient, se connaissaient, quelques soient les métiers.

Est-il vrai que l'Histoire écrira et désignera cette initiative policière comme un signe de la loyauté à l'Empire Listonien ? Seuls les policiers et leurs familles pourraient alors la réécrire, en expliquant que le devoir de la police n'est pas militaire ou de loyauté impériale, mais bien envers la population et sa sécurité. Aucun déni ou irritation ne tourna vers ces braves qui, devant le danger imminent, firent en sorte que les premiers instants de la journée ne vacillent en bain de sang.

Et puis ils débarquèrent ; plusieurs centaines d'entre eux.
On aurait dit une invasion, on aurait dit qu'ils n'étaient pas chez eux bien que le message véhiculait que c'était toujours le cas.

La curiosité de la foule contenue laissa peu à peu un goût amer dans la bouche. La curiosité fut supplantée par une prise de conscience transitoire de la gravité de la situation.
Les tonnes d'équipements et ravitaillements déposés dans des espaces tout autour des jetées interloquèrent quelque peu.
Le goût amer d'une déception laissa place à celui de l'irritation ou de l'excitation ?

Enfin les chants et les premières marches et patrouilles des militaires, gravissant les ruelles de Shati Alqahwa, bouleversa les coeurs et serra les gorges d'émotion loyaliste ? ou de colère ?
Une fois de plus, ce sont les femmes, ces mères qui interrompirent cette montée en puissance émotive collective agglutinée aux quais.
Distribuant des fessées et des coups de pieds aux postérieurs de leurs enfants, il ne fallut qu'une quinzaine de minutes pour que les quais se libèrent, les jeunes refluent les épaules voûtés ou la mine moqueuse vis à vis d'un pair humilié.

La foule s'étiola, le port se vida de civils et les policiers, épuisés et harassés par la chaleur et la pression, s'assirent à même les pavés sur le sol.
Vidés de toute énergie, nul n'avait vraiment compris qu'ils étaient des héros de ces premiers instants critiques où la naïveté et la fougue peuvent rapidement ou graduellement basculer en un enfer et drame générationnel. Un policier porta ses mains à son visage et pleura. Il n'y avait eu aucune violence, néanmoins le poids des responsabilités n'avait jamais été aussi lourd sur les épaules qu'en ce jour.





Les hélicoptères sillonnaient le ciel, le bruit était assourdissant. Les vibrations étaient telles que le coeur semblait presque prêt à sortir de la cage thoracique. La vue des armements confirma la nécessité de se cloîtrer d'autant plus que le soleil atteignait un zénith.
Au loin, les pêcheurs s'attroupaient à l'entrée du port sans pour autant vouloir oser passer les corvettes postées stratégiquement pour en fermer ou contrôler l'accès.
Des femmes accouraient par là bas.

Chaque instant était vécu comme s'il durait une éternité. Il y avait dans ce spectacle de navires accostés, patrouilles disciplinées, fières et hélicoptères bourdonnant quelque chose de surnaturel.
L'Afarée connaissait la guerre ou les conflits de manière générale, toutefois autrefois dans une bulle sécuritaire, ce "film" était aujourd'hui bien réel et elles étaient nombreuses à déjà vouloir que cela cesse.


Pourvu que tout cela cesse.
Le désarroi étire le temps et toutes et tous subirent cette élasticité du temps comme un choc.


Le jour le plus long
6918

Un air de Jazz résonne le long du chantier. C’est presque deux-cent dix kilomètres de route qui chantent et swing sur le même rythme. Six-cent, si on passe la frontière pour s’intéresser au projet dans son ensemble. La musique a envahi les lieux en même temps que les radios, bon marché, de qualité Kah-tanaise, captant sans difficultés les airs modernes des communes du nord, relayés ici-bas par quelques émetteurs installés, eux aussi, le long de la route. C’était le plan depuis le début, dans les lignes des différents contrats un peu lire « liaison intégrale », et en petites lignes, après un astérisque fort à propos, "eau, gaz, électricité, radio, ainsi de suite". Personne n’avait rien trouvé à y redire. D’une part parce que les juristes et les fonctionnaires étaient tous des vendus, de l’autre parce que la musique était vraiment, vraiment bonne.

Breakout, Gears, Giving Time, He is Trouble, Death in a Lizard Skin, les noms de groupes affluaient. Les mots importaient peu, le rythme était une langue universelle, et certains avaient vite pris le pas. Les CDs avaient envahi les étales des marchands, les sonos des bars, des caves, des soirées clandestines, tolérées par l’administration militaire qui méprisaient trop les fêtards pour voir dans leurs comportements subversifs un genre de crime. Surtout quand beaucoup de ceux-là étaient blancs, et lusophones. Et puis il y avait aussi toute cette génération d’hommes et femmes qui, non content de comprendre la langue, la parlaient. On avait rassemblé des basses, quelques batteurs, des voix rauques, un ou deux piano, et des échantillons locaux de musique se rependaient, à leur tour, sur les marchés, puis les ondes, et jusqu’aux stations de radio si lointaines qui avaient amené le rythme en premier lieu. L’échange se faisait musical, et on s’amusait de voir les nouveautés d’ici diffusées là-bas, et inversement. Une espèce de fierté locale, celle de pouvoir produire quelque-chose d’assez bon pour être expédié dans cet ailleurs fantasmé, toujours mêlé du plaisir de communiquer avec l’autre, dont on ne parle pas la langue, mais dont on partage les goûts. Au moins en partie.

Pas indifférente à l’amélioration que représentait ce changement – qui l’eût cru, on avait soudainement droit à de la musique, à de la couleur, à un semblant d’expression, dans ce territoire qui n’avait jamais été vu, au mieux, que comme un marché à prendre – l’Ingénieure, Aglaya Lilitch, se complaisait sur la mezzanine d’une villa coloniale, observant les invités du PIK profiter de la piste et discuter comme s’ils avaient déjà gagné la guerre. Bien entendu ils n’ignoraient pas que la guerre n’était pas même déclarée. Ils n’avaient rien gagné. C’était une lutte sans mercie. Ils avaient les mains sur la gorge de leur adversaire, qui avait les mains sur la leur, et tout le monde serrait en se demandant si leur nuque craquerait avant qu’ils ne manquent d’air.
Mais bon. Ce n’était pas une raison de faire la gueule. En plus les pharois trouvaient ça intriguant, le swing. Ce truc typiquement Kah-tanais, à base de rythmes indigènes, de chants d’anciens esclaves. Musique décoloniale par excellence, qu’on avait un jour qualifié de « nègre » dans l’espoir de la décrédibiliser, sans comprendre que c’était ça, exactement ça qui faisait son charme. Il existe des horizons que l’on a pas encore explorés. Pointer du doigt ces horizons et les moquer, car ils sont ceux des peuples opprimés les sublime plus qu’autre-chose.

Bref.

Les locaux étaient contents, le PIK était content, les pharois étaient… Interloqués, mais appâtés par la possibilité de futurs marchés. Donc, dans une mesure non-négligeable, contents. C’est simple à satisfaire, un Pharois. Un peu comme un gros chien.

Il y a des gens un peu plus difficiles à satisfaire. Comme l’Ingénieure, justement. Qui fait mine d’être satisfaite sans l’être pour autant. Ou Zula, qui approche à grands pas, la mine un peu renfrognée. Elle n’a jamais vraiment l’air heureuse. Beaucoup de Kah-tanaise sont comme ça. Difficile de dire si elle l’est, à vrai dire probablement pas. Tout laisse penser que Zula est une autochtone, entièrement dédiée à l’indépendance, voilà tout. Quand-même, elle a cette espèce de manière d’être, comme si le mauvais temps s’était incarné en femme.

– La musique est pas mal.
– Je n’y suis pour rien c’est... L’ingénieure fit mine de chercher un nom, bien consciente que ni elle ni Zula n’en avaient quoi que ce soit à faire. Le nom me reviendra. Vous vous amusez?

Elle écarta doucement les bras et vint s’installer à côté d’elle, accoudée à la balustrade de la mezzanine. Son regard s’arrêta sur les danseurs, puis se plissa doucement.

– Comme vous pouvez le voir...
– Et Saphir ?

Elle haussa les sourcils puis, plus doucement, les épaules. Aglaya acquiesça. Des problèmes. Toujours des problèmes. Les corporations ne sont jamais satisfaites. Ce devait être dans leurs statuts, ou quelque-chose du genre.

– Je vois.
– Nous sommes extrêmement satisfaits. Un regard en coin. Nous le serions plus si le grand banditisme financé par certains caciques, dont nous connaissons les noms et que nous sommes en mesure de traîner devant la justice à tout instant, cessait.
– Je suppose que leur expliquer que ça dépend de l’administration militaire ne suffit pas, n’est-ce pas ?

La corporate secoua la tête et se redressa, croisant les bras et s’adossant à la balustrade avant de renverser sa tête en arrière. Dans un rare élan de vulnérabilité, elle poussa un long, long soupir.

– Pas de réponse de la part du gouvernement ? Toujours pas ? Misère.

Elle se passa une main sur le visage et grommela. L’ingénieure, qui observait encore la piste de danse, ne répondit pas immédiatement.

– … Vous seriez rassurés si nous les relancions ?
– Il faut que ce gouverneur comprenne que s’il ne fait pas disparaître les terroristes...

Aglaya leva une main pour l’interrompre, se redressant à son tour pour lui faire face.

– Oui ? Vous les ferez disparaître vous ? C’est bien ça ? S’ils ne font pas ce que vous voulez vous prendrez les affaires en main et vous occuperez personnellement des terroristes ? Sauf que c’est absolument contraire à nos intérêts, et que vous le savez. Nous, nous jouons le jeu de la légalité, contrairement à eux.
– Et à quoi bon si la justice ne fait rien ?
– Exact. Ce pourquoi nous allons les relancer.
– Ce sera insuffisant.

L’ingénieure fixa Zula. En fait elle ne trouvait pas grand-chose à redire. Elle aussi était à peu près sûre que ça ne servirait à rien, et que d’une manière ou d’une autre, il faudrait finir par initier des actions violentes. Les alliés internationaux de l’Indépendance n’avaient pas donné de consigne ou de signe clairs que l’aide allait venir, le gouvernement militaire sensé préserver la stabilité dans la colonie fermait manifestement les yeux sur les crimes des pontifes locaux, et la population n’allait pas indéfiniment se contenter de swing. À un moment où un autre, elle voudrait son indépendance, et la saisirait corps et bien. Pour le moment, cependant, il était possible de temporiser. Plus exactement, il était possible de faire jouer les importants leviers économiques de la région pour exprimer au gouvernement militaire que s’il n’agissait pas, il perdait corps et bien la région. Une tâche listonienne sur la carte, mais parfaitement inutile. Il y avait des choses que l’armée pouvait faire, la finance et le commerce n’en faisaient pas partie.

L’ingénieure acquiesça pour elle-même, et mis une tapie amicale dans l’épaule de la corporatiste, qui haussa un sourcil.

– Je sais quoi faire. Vous venez danser ?
– Non, merci. Et vous devriez vraiment vous activer, concernant les listoniens.
– Tant pis pour vous. Moi je vais danser. Vous n’avez qu’à rester là et me regarder faire.

Zula haussa un peu les épaules, puis emboîta le pas à l’espionne kah-tanaise. Ici elle n’était pas maîtresse du temps, elle devait faire avec les facéties et inefficacités des autres. C’était ainsi. Problématique, mais pas intolérable.

Pour cette fois, donc, elle danserait.
17433
https://nomadjunkies.com/wp-content/uploads/2014/05/1.jpg

Le Grand Ouest, qui n’était grand, peut-être, qu’à l’échelle du Kodeda, était une de ces régions fertiles gagnée de longue lutte sur la nature, et qui conservait de ses jeunes années la cruauté du marécage qu’on avait chassé. Des générations de paysans, d’abord libres puis serfs, esclaves et enfin employés, s’étaient échinés à y modeler la terre. Asséchant les tourbes, luttant contre cette eau stagnante, omniprésente, creusant de grands canaux, déportant les humeurs de la province vers la mer, où à l’ombre des montagnes d’où descendaient de frêles ruisseaux et à la fraicheur desquelles on avait monté un petit village, qui avec le temps était devenu respectable, lieu d’habitat des agriculteurs de l’Ouest, et de leurs petits patrons.

Là-bas, la loi martiale sonnait comme un problème de citadin. C’était vrai, en soi : l’armée contrôlait la capitale. Elle n’avait besoin que de ça : on pouvait y tenir un siège, les armes et les institutions s’y trouvaient. Kodeda, en tant que concept, n’existait vraiment qu’entre ses vieux murs de briques et ceux, plus récents, de béton. Alors à la campagne on observait cette agitation citadine avec un semblant de curiosité, mais sans trop s’y faire. Là, la vie était dure, et on avait déjà trop à faire pour lever le nez, inspirer et parler politique. Il y avait pourtant un intérêt évident à parler politique. Les vieillards s’en souvenaient mieux que tout le monde.

C’était à l’époque où eux-mêmes travaillaient la terre. Une époque lointaine, séparée de la modernité par de nombreuses souffrances, un chapelet d’échecs et de déceptions, et des corps flétris par l’âge et le soleil. Mais la mémoire, elle, restait vive. Elle marquait les chairs plus vivement encore que les douleurs. C’était l’époque, si lointaine maintenant, des grandes indépendances Afaréenne. Cette vague, déferlante de liberté, qui avait pendant près de cinquante ans agité l’immense continent, démantelé les empires. Comme un ange exterminateur jeté à la nuque des dragons eurysiens, arrachant leurs écailles et leur chair, déchirant leurs trachées, leurs artères, taillant dans leurs eaux une statue à la Victoire. Cet ange, armé du nationalisme, ou du marteau et de la faucille. Il s’était arrêté partout selon son propre emploi du temps. La Listonie, malheureusement, avait été oubliée. Ses colonies s’étaient agitées, mais l’Empire n’avait rien lâché. C’était une bête trop absurde, trop schizophrène pour reculer face à la vacuité de ses efforts. Elle tenait à son empire, et était prête à y sacrifier sa jeunesse, éternellement, pour les conserver. C’était cette créature de la mythologie catholique. Cette fausse idole immense, ce four dans lequel on jetait pêle-mêle les jeunes gens de la tribu et les morts. Les colonies, abreuvées de sang, concédèrent à rester Listoniennes encore un peu.

Mais les vieillards s’en moquaient bien. Ils se souvenaient que le sang avait été versé, et conservaient aussi cette croyance naïve en la justice. Dans le sens des évènements. Ces morts. Ces centaines de morts. Qu’ils soient noirs, qu’ils soient blancs, de Kodeda ou de Listonie, ces hommes et femmes morts lors des évènements diffus qui avaient donné à la région son identité nationale, et à l’Empire le droit de conserver ses restes, quels qu’ils soient, ces gens n’étaient pas morts en rien. Non ? Il fallait bien que cela amène à quelque-chose.

Les jeunes le redécouvrirent un matin. Certains parlèrent aux autres, s’exprimaient en mots secrets, discrets, murmurés doucement. Il y avait du nouveau. La question de l’indépendance ne parlait pas vraiment aux paysans, agriculteurs, ingénieurs agronomes. La terre était trop ardue pour laisser le temps à ces réflexions. C’était en tout cas ce qu’il se disait. Et on le savait. On l’avait toujours su. On l’avait déjà dit à l’époque des socialismes arabes. Des premiers nationalismes de la région : la terre n’est pas si dure. La terre est généreuse, mais on la travaille trop. Les petits patrons, voilà le problème. La terre est un droit acquis par les paysans. C’est la lutte des travailleurs qui l’a rendu servile et grasse, féconde de céréales et de légumes. Les agraires, comme on appelait les propriétaires terriens, jouissaient des efforts des autres. Des vieux propos, presque mot pour mot ce que l’on se racontait sous le manteau, bien des années plus tôt. Les jeunes s’éveillaient à nouveau à la réalité, et, échangeant des regards furtifs, acquiesçant en silence, soupirant de colère, répétaient, de plus en plus, les mêmes mots.

Syndication. Grève. Acquisition des moyens de production.

Les vieux, qui étaient passés par là, se redressaient dans leurs chaises longues et sous les porches des maisons communes. Ils étaient curieux. Curieux de voir si la nouvelle génération irait au bout de ce qu’ils n’avaient qu’esquissés. Un semblant d’espoir.

La bonne nouvelle s’était répandue comme une prophétie. Quelque-chose de religieux, qui catalysait parfaitement les attentes du peuple. C’était apparu dans la bouche de quelques élus, dont on savait qu’ils se rendaient en ville ou dans d’autres villages pour faire du commerce : c’était là-bas, sans doute, qu’ils avaient acquis les connaissances et, plus important encore, la confiance en un tel projet. La confiance n’était pas chose facile à trouver, dans ces régions de vie dure, d’air sec, brûlant, de tempête de sable et politique. Ici on ne s’opposait pas aux petits patrons. On ne pouvait pas. Eux tuaient, sans aucun état d’âme. Ils avaient leurs milices, leurs matraqueurs, et l’armée, bien entendu. Celle-là était à deux pas, aux portes de la capitale. Pourtant son omniprésence indiquait bien qu’elle était occupée, trop occupée pour s’occuper des paysans, agriculteurs. De ceux qui nourrissent le monde. Elle avait des choses à faire. Des choses trop politiques pour se disperser en affaire patronales. Et puis ce n’était pas tout. Il y avait des étrangers, aussi. Ils construisaient une route, des écoles, des canaux. Les villages où ils travaillaient déjà – on disait qu’à terme ils passeraient partout – avaient déjà vu leurs conditions d’existence s’améliorer. Et grandement avec ça. C’étaient ceux dont les terrains, dont les maisons et les champs, n’appartenaient pas tant à des petits patrons locaux, veules et attachés à leur bien, qu’à d’immenses structures, détachées du réel, qui avaient accepté de céder leurs terres pour pas grand-chose. Depuis, on y vivait bien. Tout simplement. Paie correcte – calquée sur des standards étrangers, disait-on – éducation pour les travailleurs et les petits, arrivée soudaine d’eau, de nourriture, même de pièces détachées et de musique. Un véritable renouveau, une renaissance qui avait gorgé ces terres vides et creuses, mourantes, d’une eau de jouvence. La jeunesse était revenue, suivant le tracé des emplois à pourvoir, et avec elle des richesses et des possibilités qu’on ne pensait pas voir un jour au Kodeda. C’était la vie, dans ces vieux villages, des vieilles communes, transformées par l’action d’étrangers en flambeaux d’espoir. C’était cette vie qu’on voulait aussi dans le Grand Ouest, encore éloigné de la Route. Il y avait moyen de l’acquérir.

C’était en tout cas ce que disait Palnasir Eshrabi. Il n’y avait pas de députés au Kodeda, mais quelques hommes politiques. Lui était de ceux-là. De cette gauche listonienne amorphe et censurée de toute part. C’était un homme d’une finesse presque maladive et à la pâleur tuberculeuse. Pensif, éduqué, il avait été homme de foi avant de devenir homme du monde, et en gardait quelques réflexes, une certaine philosophie, et le surnom du Prophète des Paysans. Le nom ne lui plaisait pas outre-mesure, mais à l’occasion, le faisait sourire. D’un sourire de jument, révélant ses gencives et ses dents sans qu’on sache bien s’il était sincère ou grimaçait de dégoût.

L’homme avait passé du temps à Nasabis. C’était un enragé, selon les médias impériaux. Un fouille-merde, un agitateur. Un excité révolutionnaire. On était bien loin du compte. Si Eshrabi était socialiste, il n’était pas révolutionnaire, et certainement pas excité. Seulement voilà, il était précis, et travailleur. Il écrivait des tribunes, donnait des discours où on voulait le recevoir, faisait son travail de liaison avec la gauche métropolitaine, les journalistes internationaux, et tenait des listes – toujours des listes, encore des listes, son médium favori. Liste des crimes de sang du régime ou de ses proches. Listes des actes de corruption (tout groupe confondu) au sein du Kodeda. Liste des travailleurs morts de faim. Liste des... Ainsi de suite. L’énumération presque poétique des horreurs de la colonisation donnait corps à ce qu’il reprochait au système, et rendait tangible pour tous les indécis, tous ceux pour qui ça n’avait pas d’importance, pour qui les choses pouvaient être pires, le fait que non, ça ne pouvait que difficilement être pire.

Il retournait maintenant au Grand Ouest, où il avait grandi, pour y prêcher avec d’autres, les bienfaits du travail collectif. Syndiquez-vous, disait-il. Ignorant les vieilles insultes qu’on lui jetait au visage du côté des petits propriétaires. Ceux-là lui reprochaient une espèce de perversion primordiale : celle d’avoir abandonné ses privilèges et de reprocher aux autres de ne pas faire de même. Car Eshrabi, loin d’être né dans la paille et la misère, était lui-même fils de propriétaire terrien. Il avait observé les dernières famines du second étage d’une grande maison, et vu de ses yeux muets, horrifié, les travailleurs réduits à l’état de créatures, se jetant sur la carcasse d’une bête de somme tuée d’un coup de pierre, arrachant sa chair, se battant pour ses organes, espérant survivre quelques jours de plus en mangeant leurs outils de travail. Même un enfant aurait bien compris que ce n’était pas humain. Non-pas de tuer la bête pour la manger, mais d’imposer à ces gens d’en arriver là. Même l’enfant qu’il était avait compris la nature du problème.

Il avait quitté sa classe, et ne le regrettait pas. Il avait quitté sa classe et n’avait rien de bon ou de généreux à dire sur elle. Sa classe, ne comprenant pas que ce soit possible, aveuglément persuadée de son propre droit, ne se sentant pas exploitante puisqu’elle-même éloignée de la capitale et, par conséquent, prise d’un incroyable complexe d’infériorité petit bourgeois, pensait que son socialisme n’était en fin de compte qu’un stratagème, un moyen d’obtenir le pouvoir, sinon l’expression d’une véritable psychose. Il n’y avait rien à sauver chez la petite bourgeoisie provinciale. Culturellement, elle était perdue. Au moins pouvait-on y trouver des individus, et de plus en plus de ceux-là rejoignaient le PIK. Les autres marchaient pour le Prince. Prévisible, mauvais choix de carrière. Leur temps était terminé. C’était l’époque de la jeunesse, qui allait recouvrir le monde. Le principe, loin d’être une solution, n’était jamais qu’un symptôme. Dans la lutte contre la maladie, ces gens se rangeaient du côté de l’infection. Grand bien leur fasse.

La camionnette fonçait à travers les paysages défoncés du Kodeda. C’était un itinéraire qui n’avait aucun sens si l’on s’en référait à la carte sans prendre en compte la forme particulière du paysage. Il n’y avait aucune route directe de Nasabis pour l’Ouest. Le plus rapide restait encore de prendre un bateau sur la rive au nord de la capitale, généralement un voilier ou un petit zodiac, et de faire sa bonne heure de route, si le temps est clément, jusqu’aux premiers villages de l’Ouest. Les deux territoires étaient fermement séparés par des montagnes rocailleuses que toute l’ingéniosité moderne n’avait pas été capable de dompter. La faute à une absence de volonté politique, et donc de fond. C’est vrai qu’il n’était pas nécessaire de relier correctement le Grand Ouest et Nasabis. D’une part le grain, les légumes, arrivaient tout de même à bon port en suivant la vieille route, celle qui passait au nord des montagnes et redescendait jusqu’à la métropole, de l’autre la capitale était trop heureuse d’être séparée de ces foyers de misère, et les agraires, ces propriétaires terriens réactionnaires, trop heureux d’être loin des yeux et des oreilles de l’administration. Cachant à loisir une partie de leur production, trompant les taxes, se félicitant de cette victoire de leur petitesse sur un Empire qu’eux aussi détestaient, quand-bien même ils vivaient aussi de lui, rouages de son système. Ils n’avaient pas forcément le recul pour le comprendre. Ces gens ne s’intéressaient de toute façon pas aux causes et aux conséquences.

La camionnette, donc, avait dû faire le trajet par la route nord. Et quel trajet ce fut. Extrêmement instructif. Palnasir Eshrabi avait conduit sur les premiers kilomètres, quittant la capitale et fonçant sur la vieille grande route qui remontait en direction des villages miniers et des industries polluantes – depuis abandonnées – du nord. C’était une quatre voie sale, couverte de sable et de trous, entourées de la terre sèche du continent, et des formes oppressantes des rocheuses, de part et d’autres de la route; Pour un peu que l’air soit agité, le sable formait comme une brume opaque qui donnait à l’ensemble un aspect surréaliste. Pour un peu que l’air soit chaud, il devenait brûlant, irrespirable, et les montagnes devenaient comme les contours d’une étuve. Le paysage, hostile et brun, semblé peuple de monstre. Les parois de taule du véhicule seraient bien insuffisants pour les repousser, ceux-là. Car on savait bien qu’ils existaient. Mercenaires, mandrakiens, hommes de main du prince. Mais aussi proche de la capitale, on doutait qu’il se passe quoique ce soit. Et ces sections de la route étaient déjà couvertes d’ouvriers. Les travailleurs du Consortium, de Saphir et d’autres, une fourmilière dont il était difficile de comprendre l’action sans en faire partie, dont on savait seulement qu’elle partirait une fois son œuvre terminée. Et quelle œuvre. Plus on se rendait au nord, plus celle-là devenait évidente. La quatre voie devenait plus usée, l’éloignement de la capitale signifiait aussi l’éloignement des yeux, et donc du cœur. Le manque d’entretien se faisait criant, et les monts se rapprochaient encore un peu. Les préfabriqués qui bordaient le chemin donnaient à l’ensemble un aspect post-apocalyptique. Ce n’étaient pas des ouvriers et des ingénieurs, pas des hommes et femmes venus reconstruire en mieux l’infrastructure d’une région fatiguée. C’était des étrangers. Des aliens. Un peuple de vivant, une nouvelle civilisation s’installant au-dessus des ruines d’une Histoire morte. C’était le peuple de demain observant avec curiosité le peuple d’hier, se demandant sans doute comment ne pas reproduire ses erreurs.

Palnasir Eshrabi s’arrêta sur le parking d’un bar-hôtel, unique lieu du genre d’un petit village, d’autant plus minable en apparence que la superficie de la mine à ciel ouvert justifiant son installation dépassait de loin la sienne. Un gouffre béant, qui ne cicatriserait jamais. Dans le bar, on eut la confirmation que le peuple de demain ressemblait beaucoup au peuple de hier, puisque quelques travailleurs buvaient au comptoir, et firent la conversation aux passagers de la camionnette. Ils parlèrent de leurs conditions de travail, de la météo, des mandrakiens. De toutes ces choses qui faisaient la vie du Kodeda depuis quelques mois déjà. C’était frappant, de voir des gens détruits par une vie trop dure, s’animer comme s’ils avaient retrouvé un semblant d’espoir. Il était difficile d’estimer si leur vie serait heureuse, mais de là on voyait au moins qu’elle l’était plus que par le passé. Quelques-uns reconnurent aussi Eshrabi, qui était très populaire, et ils parlèrent politique. Mais à voix basse et jetant des regards à la ronde. On était pas encore tout à faire sûr de pouvoir le faire ouvertement. Ceux-là étaient tout de même bien contents de pouvoir se syndiquer, et de voir leurs enfants avoir droit à une éducation. Une vraie. On se quitta enfin. L’un des compagnons du Prophète des Paysans pris la place du conducteur et l’on partit du village selon un sentier de sable si minable qu’il semblait presque inconcevable qu’on y fasse passer le grain et les légumes du Grand Ouest. Et pourtant. Ici aussi on trouvait quelques préfabriqués, ou pylônes métalliques attestant des travaux à venir. Mais il s’agissait de simples avant-postes. Des bases avancées en prévision de la reconquête future sur cette terre hostile. L’ambiance se fit plus lourde, alors même qu’on approchait de la terre fertile, protégée du sable par les montagnes, où la vie et l’air, plus que partout ailleurs, aurait dû être pur et léger.

– On arrive.
– Appelle, demande-leur s’ils sont prêts.


La visite était prévue de longue date, mais de nombreux évènements pouvaient amener à son annulation On le savait bien : la situation n’était tout simplement pas sûre. On craignait les violences. Les propriétaires étaient familiers du terme, quoi que pas personnellement : on avait l’habitude de voir leurs nervis traîner un peu trop près des rassemblements paysans. Et si ce n’étaient pas eux, c’étaient les hommes de main de la police. Les rustres violents, les tabasseurs professionnels, payés par le gouvernement pour que la société soit sage et docile. Manque de chance pour les agraires, ils étaient ici à plusieurs heures de route de la capitale. Ce dont ils se félicitaient tant dans leur stupidité égocentrique deviendrait pour eux l’instrument premier de leur perte. On appela effectivement, et tout était en ordre. On avait bien repéré quelques bastonneurs, mais on leur avait bien fait comprendre qu’ils seraient balancés à la mer au premier incident. Depuis, ils étaient suivis. Les paysans avaient organisé leur propre service d’ordre. Parfaitement officieux, organisé de bas en haut, aux ordres de la masse travailleuse et liée, quoi que de loin, au PIK. Alors comme le terrain était sûr qu’il n’y avait aucun risque ni de descente de police ni de baston généralisée, la camionnette termina son trajet. On se permit enfin de s’émerveiller un peu quand la terre plus sèche que le sable et les gros rochers tombés des massifs laissèrent place à l’herbe verte et aux arbustes courant le long des canaux. Les maisons, de terre et de briques, modestes et anonymes, des paysans apparaissaient derrières les vergers et les lignes de palmiers. Des travailleurs étaient à l’œuvre, protégées par des casquettes protèges-nuque, suant sous le soleil mais conscients qu’ils avaient ici le privilège d’une nature verdoyante, que l’on ne trouvait nul-part ailleurs dans la région, et que leurs ancêtres avaient construits à l’aide de ces canaux et de ces puits. Ils avaient conscience de la chance que représentait ce terrain. Ce pourquoi, aussi, ils voulaient s’en saisir. Ce dont on les spoliait avait une valeur réelle. Économique, historique et sentimentale.

La camionnette s’arrêta à l’ombre d’une grange. Eshrabi et les siens en descendirent, aussitôt entourés de ceux venus les écouter. Une multitude brisée par l’âge ou le travail, ou pas encore mais se destinant à l’être. Des hommes et femmes, des vieux et des jeunes. Tous des prolétaires, assoiffés de ce que l’avenir pouvait leur réserver. Il y avait aussi quelques-uns, propres, qui ne semblaient pas avoir travaillés un jour de leur vie. C’était sans doute faux. Ils tenaient sans doute des positions qualifiées. Comptables, administrateurs, peut-être même fils ou filles de propriétaires. Ils s’en trouvaient là, déjà éduqués aux questions de révolution et de classe, qui venaient, prêts eux aussi à abandonner leurs privilèges.
Eshrabi grimpa sur une scène qu’on lui avait aménagé Des meules couvertes de bâches. Il retrouva l’équilibre précaire de ses premières prêches, faites de la même manière au même endroit,
face à une foule si sensiblement similaire, qu’elle devait bien être la même. Le Grand Ouest retrouvait son fils prodige. L’enfant jamais vraiment parti pris une grande inspiration. Il savait quoi dire et dans quel ordre.

Et il dit les mots. Et la foule acclama. L’avenir était possible.
1289
Le 20 octobre 2007 - Kodeda

Résultat d'une opération d'influence clandestine à 30%.

Zone portuaire kodedane


Compte-rendu d'opération a écrit :
Opération clandestine : Corruption d'un personnage anonyme dans les zones aéroportuaires kodedanes car le Prince Mutarrif ibn Saadin souhaite faciliter les entrées clandestines de biens et de personnes sur le territoire kodedan.

  • 56-100 - Réussite majeure : le Prince Mutarrif ibn Saadin prend connaissance d’un dossier compromettant concernant un haut fonctionnaire chargé de l'administration des zones aéroportuaires kodedanes. Il peut donc le corrompre, le faire chanter sans avoir à verser d’argent, ce qui rend la trace de l’opération beaucoup plus difficilement décelable. Le clan Saadin a un positionnement très favorable dans l’import/export sur les espaces aéroportuaires kodedans.
  • 11 à 55 - Réussite mineure : le Prince Mutarrif ibn Saadin corrompt un haut fonctionnaire chargé de l’administration aéroportuaire au Kodeda. Ses services sont sollicités contre espèces sonnantes et trébuchantes.
  • 6 à 10 - Echec mineur : Impossible pour le contact du clan Saadin, d’identifier un fonctionnaire corruptible ou un quelconque dossier compromettant sur l’un d’eux.
  • 1 à 5 - Echec majeur : Le contact du clan Saadin démarche sans succès un haut fonctionnaire qu’il pensait corruptible. La malversation gravitant autour des capitaineries kodedanes est connue des autorités publiques.

Résultat de l'opération (arbitrée par Chancelier-animateur)
3918


L'exaspération de l'égocentrisme de Listonia accentue les tensions avec l'Althalj


Voilà un an que le Shibh Jazirat Alriyh a décidé son rapprochement avec les Tamurt n Althalj.

Le gouverneur Paolo O Prefeito a sauvé la population de la Péninsule et a pris ses responsabilités ; il est l'homme qui, de par son courage, a bravé la politique de l'abandon et de l'ignorance, d'un égocentrisme Eurysien qui n'a fait que croître ces dernières années pour s'exacerber et enfoncer un pays dans une crise identitaire, d'autorité et sociétale majeure ; un renversement pourtant discerné par les cercles d'économistes et de géopoliticiens du fait d'une mauvaise gestion économique et d'une politique internationale malmenée et emprunte de populisme et de naïveté.


L'Almutasawilin a fait, autant que ce peut, preuve d'une impartialité dans la transmission de l'information, et ce, même si notre culture et notre éducation biaisent notre approche journalistique.
Le standard international de la neutralité et partage de l'information authentique sont des objectifs inatteignables communs. Tout organisme journalistique ou presse souhaitant adhérer à ce courant de pensée tendra vers cet objectif avec une rigueur, une volonté de relayer l'information, les faits avec le sabre de Damoclès de l'émotion ou de l'inexhaustivité.

L'Amultasawilin arbore avec fierté cet objectif, toutefois avec humilité, car notre cercle de journalistes aura, par exception, transgressé ce parcours afin de satisfaire cette envie primaire de faire ce qui est vrai, ce qui est noble, ce qui doit être fait.

Ainsi, nous dénonçons en ce jour la vague de catastrophes qui se profilent au sein de l'Afarée de l'Ouest, au sein de ces territoires auxquels l'Empire Listonien s'accroche et qui pourraient bien être les prémices d'une nouvelle tragédie Afaréenne.
C'est à travers ces évènements que l'Afarée se retrouve seule, à régler ses problèmes, à récupérer les morceaux des pots cassés et à en rafistoler ce qui peut l'être.
Les crises en Afarée sont comme le sable du Sahra' ; il s'infiltre par chaque craquelure, chaque interstice, brûlant et cruel.

Après la crise des courageux et la disparition terrible de notre journaliste Wiwul Ik Fuduliiyn,
Après l'abandon de territoires en Afarée de l'Ouest, pendant plus de neuf mois,
Après une conduite militaire irresponsable sur les abords des rives Afaréennes d'une armada "salvatrice",
Des éléments, vérifiés auprès des différentes agences de presse Althaljirs, notamment le journal Outright et La Volonté du Peuple, viennent étayer une mascarade digne d'une caricature des temps du colonialisme Eurysien en Afarée.

Le Kodeda traverse une crise sans précédent où l'insécurité règne du fait et à cause de mercenaires Mandrakiens et d'un semblant de laisser faire désastreux d'un pouvoir central Listonien qui aujourd'hui donne carte blanche à sa force militaire. Il est très probable que l'Empire Listonien souhaite alors un homme fort afin de redresser la barre et assurer que le Kodeda reste sous le giron impériale à moindre frais, et dans la durée. Or le très influent Prince Mutarrif ibn Saadin s'est d'ors et déjà entouré de toute une panoplie de personnes à des postes stratégiques, prêts à saisir sans concessions. Il n'y a ici aucune volonté de discuter avec les différents partis et courants politiques locaux afin de rétablir une coordination politique ou un cadre décisionnel honnête.

En effet, le Prince Mutarrif ibn Saadin a engagé les mercenaires Mandrakiens afin d'instaurer un climat favorable à sa nomination ou une négociation future afin que son siège soit à la tête du gouvernorat de Kodeda.


Et ensuite ?
Qu'en est-il du Shibh Jazirat Alriyh ?

La Maktaba refuse toujours de se prononcer sur ce sujet alors que les discussions sont en cours avec les forces militaires Listoniennes, une représentation Pharoise et notre qari Malha Ik Kebur.
Voilà de nombreux mois, qu'une réalité a grandit de manière constante : une volonté de se libérer du poids de l'Empire déloyal et cette sphère de bienfaisance et prospérité éclatée.

Les Tamurt n Althalj suivent avec inquiétude et attention la situation en Afarée de l'Ouest.
Il y a fort à parier que le resserrement de la poigne Althaljir ne soit pas ignorée des instances concernées.

L'Almutasawilin reste extrêmement vigilante vis à vis des agissements Listoniens.
Le dédain pour la vie Afaréenne et celle de ses "citoyennes/citoyens" est inadmissible et ces temps où un recentrement autour de l'humanisme est nécessaire.


Le désagrément est une chose que l'impatience double.




Haut de page