16/05/2013
21:20:24
Index du forum Continents Nazum Tahoku

Paysages

Voir fiche pays Voir sur la carte
224
L'agitation des rues. Le grondement des usines. Le brouillard calme des rizières. Le clapotis de l'eau des forêts. L'énervement mécanique des camions et la furie des trains surbondés.

Des pensées. Des vues. Ou parfois simplement le silence.

Akibayo sous la pollution
1978
Akibayo. Quartier Industriel de Tanyao.

Le quartier ruiné de Tanyao.

Un pas. Un autre. Un pas. Un autre. Ses pieds nus laissent une trace distincte dans la boue des trottoirs troués attendant depuis des années un nouveau macadam. Seules les mauvaises herbes semblent se satisfairent de cette situation, et à vrai dire elle aussi. La terre fait moins mal que les cailloux.
Hop. Elle esquive adroitement une poutre de béton gisant sur le sol. Par terre, des déchets de toutes sortes : ampoules cassées, bouts de bois, papier déchiré et bouteilles en plastique. Les bouts de métal et les pièces de tissus étaient partis depuis bien longtemps, ramassés par les habitants. Les premiers étaient revendus, les deuxièmes rapiécés en chiffons : ici rien ne se perd.

Elle aimait bien contempler le sol. Si détaillé, si divers, si rempli de surprises. On pourrait quasiment s'y distraire : on trouvait quelque forme amusante, détaillait un morceau étrange, sautait entre les flaques. Ça la rassurait, elle n'aimait pas le monde au-dessus de celui-ci de toute manière. Ses murs aveugles, ses fondations béantes, ses tuyaux fumants. Les boîtes de béton l'encerclaient et beuglaient de temps à autre des ordres au rythme des cliquetis des machines à tisser. Sinon, le silence assourdissant. Çà et là, une voiture écrasée par le cadavre d'un de ces antiques colosses cimentés. Elle n'aimait pas ce monde, elle préferait le sien, rempli d'histoires et de gentilles personnes. Dehors, on ne parlait que de travail et de peine. On a faim, on n'a plus rien à brûler, comment allait-on alimenter le poêle ? Dès le matin, et cela jusqu'au soir. Les grandes personnes avaient l'air toujours peinées, et elle se demandait pourquoi ils avaient bien voulu en devenir. Peut-être n'avaient-elles pas eu le choix.

Elle aussi devait travailler. Mais là, elle peut enfin partir voir maman. Il est déjà tard, et elle a du mal à voir. Le brouillard pesant ne se lève pas souvent ici tant les usines à charbon sont proches. Elle faillit tomber. À sa gauche désormais, une façade arrachée, on voit encore comme dans une maison de poupées les petits appartements des travailleuses. Elle imaginait qu'elle jouait avec pour se rassurer, cet immeuble lui faisait toujours peur.

Elle entra dans celui d'à côté. En face d'elle, un grand escalier. Courage, plus que quelques étages. Peut-être sa mère serait bientôt revenue ?
2189
Akibayo. Quartier résidentiel du Sud-Kataki.

Les barres d'immeubles du Sud-Kataki.

Vides d'âme mais remplis de corps. Droits, despotiques, mutiques, ils s'érigaient sans faiblir sur le sol malmené du Sud-Kataki. Ce nom en faisait trembler plus d'un, du moins pour ceux qui n'étaient pas habitués à sa violence. Pressés et entassés dans d'étroits cagibis mal ventilés, des milliers d'êtres vivants grouillaient sur le bitume le jour et dans les tours de béton la nuit. La colonie toute entière bourdonnait et raclait, et les travailleurs portant les prises de la récolte avait du mal à se faire un chemin vers le nid. La ruche comptait de plus en plus de membres mais malgré la pousse de nouvelles excroissances verticales, elle ne réussissait qu'à peine à absorber le trop plein, tout comme elle ne pouvait réussir à résorber les amas de déchets et de senteurs qui encombraient ses artères. Il ne se passait pas une année sans que de nouveaux bâtiments sortent de terre. Quant aux bâtiments mal construits, ils restaient en l'état. Il était bien moins coûteux d'en reconstruire d'autres. Les ressources étaient en général très mal réparties entre les membres de la communauté, aussi des conflits éclataient régulièrement, conflits dont ne ressortaient des fois qu'un seul des belligérants. Et la vie reprenait, et cela était pareil sur des kilomètres. Depuis les toits, on pouvait entrapercevoir le reste de la ville : les quartiers industriels de l'est et du sud et du reste d'autres quartiers résidentiels. Le reste était bien trop loin ou trop pollué.

Ici, on comprenait vite pourquoi l'Empereur avait demandé que de grandes artères soient créées malgré la perte de place que cela engendrait : si on voulait la paix sociale, il vallait mieux se préparer à la mutinerie. Ainsi, des routes d'au moins 7m de large permettaient de contrôler les masses et si nécessaire, de réprimer des révoltes. Dans les faits, malgré la pauvreté de ces quartiers, cela ne s'était que très peu souvent passé : ici, les gens avaient toujours quelque-chose à perdre à se rebeller, et de manière générale les luttes de pouvoir tenaient plutôt du sport de noblesse au Tahoku. Le bas peuple se contentait au pire d'être fataliste, au mieux de s'adapter.
Au moins, le Sud-Kataki était décemment récent et approvisionné en électricité. Les routes bien que noires de monde arrivaient à assurer la circulation lente mais régulière entre les usines et les appartements et on trouvait beaucoup de magasins de première nécessité. Si ce quartier était loin d'être favorisé, il était tout de même tenable.
1183
Demura. Rizières de la région sud.

Rizières du sud Demura.

L'immensité. Les montagnes monumentales à l'assaut de l'horizon. Voilà les deux choses frappant le promeneur du Nord lorsqu'il s'aventure dans le paysage demuran. De vastes lignes serpentent entre les collines et monts à la recherche du soleil, portant en leur sein leur précieuse récolte.
Seules sur la crête, quelques maisons de cultivateurs contemplent la vallée. Ici, pas de bruit mis à part celui des travailleurs, ou, la nuit, ceux de la forêt avoisinante. Ici, l'atmosphère oppressante de la capitale ne suit plus le citadin lors de sa promenade : il est libre de vivre. Enfin. Libre de sentir l'air entrer et sortir de ses narines. Libre de le sentir gonfler ses poumons, serein, et de goûter l'apaisante impression de se sentir libéré et empli de sentiments plus vrais et plus positifs. La joie, la joie d'être ici, à profiter d'une terre encore vierge, authentique. L'espoir de connaître une vie simple et heureuse. La force retrouvée au contact de la nature. Le voyageur n'a en aucun cas perdu son temps. De toute manière, le temps ne s'écoule pas vraiment ici. Il glisse sans rien emporter avec lui. On aurait peine à croire que cette terre fut conquise et soumise, un outrage profond à sa nature si bienfaisante. Mais de toute manière, qui d'entre les Akibayais pourrait se permettre de parcourir ainsi le pays ?
Le temps passe à Akibayo, mais ici rien ne changera.
1314
Kaneshiro. Forêt primaire de Shegiro.

Forêt primaire de Shegiro.


Là où l'homme n'a pas apposé son empreinte, là où la ville et les champs n'ont pas tassé la terre et tari les sources, où le vivant s'exprime librement, se trouve la forêt de Shegiro. A vrai dire, il ne s'agit pas de la seule : ici au Tahoku, les forêts sont le domaine des dieux, au même titre que les montagnes qui ne font que tolérer la présence des hommes. Hors de question de porter atteinte à son intégrité, garante de l'équilibre de la région. Là où chaque espèce trouve sa place dans le grand orchestre des âmes, le temps n'a pas de prise : on y rajeunit les aïeuls, on y fait pèlerinage, loin du tumulte de la dure vie des villes. Parfois même on retourne à la nature, habitant un temps donné les grottes et se nourrissant des présents de la nature. C'est un lieu de paix et de prospérité en plein contraste avec le reste du Tahoku, un lieu où la corruption n'a pas planté ses griffes, un lieu semble-t-il éternel. Peut-être est-ce pour cela que les aveugles y retrouvent la vue : alors que le corps meurt depuis sa séparation avec la terre, il y retrouve la santé et la grâce des dieux lorsqu'il s'y trouve de nouveau, mais certainement est-ce la pureté de l'air, l'expertise des médecins bouddhistes ou le vert omniprésent.
On n'y compte plus les contes et légendes qui y ont été écrits, certains plus vrais que d'autre : difficile de démêler le vécu de l'imaginaire, tout n'est qu'impressions là-bas. Se fier à ses sens et oublier la charge sur ses épaules. Perdre jusqu'à ses maladies, se retrouver.
Enfin.
Haut de page