Akibayo. Quartier Industriel de Tanyao.
Un pas. Un autre. Un pas. Un autre. Ses pieds nus laissent une trace distincte dans la boue des trottoirs troués attendant depuis des années un nouveau macadam. Seules les mauvaises herbes semblent se satisfairent de cette situation, et à vrai dire elle aussi. La terre fait moins mal que les cailloux.
Hop. Elle esquive adroitement une poutre de béton gisant sur le sol. Par terre, des déchets de toutes sortes : ampoules cassées, bouts de bois, papier déchiré et bouteilles en plastique. Les bouts de métal et les pièces de tissus étaient partis depuis bien longtemps, ramassés par les habitants. Les premiers étaient revendus, les deuxièmes rapiécés en chiffons : ici rien ne se perd.
Elle aimait bien contempler le sol. Si détaillé, si divers, si rempli de surprises. On pourrait quasiment s'y distraire : on trouvait quelque forme amusante, détaillait un morceau étrange, sautait entre les flaques. Ça la rassurait, elle n'aimait pas le monde au-dessus de celui-ci de toute manière. Ses murs aveugles, ses fondations béantes, ses tuyaux fumants. Les boîtes de béton l'encerclaient et beuglaient de temps à autre des ordres au rythme des cliquetis des machines à tisser. Sinon, le silence assourdissant. Çà et là, une voiture écrasée par le cadavre d'un de ces antiques colosses cimentés. Elle n'aimait pas ce monde, elle préferait le sien, rempli d'histoires et de gentilles personnes. Dehors, on ne parlait que de travail et de peine. On a faim, on n'a plus rien à brûler, comment allait-on alimenter le poêle ? Dès le matin, et cela jusqu'au soir. Les grandes personnes avaient l'air toujours peinées, et elle se demandait pourquoi ils avaient bien voulu en devenir. Peut-être n'avaient-elles pas eu le choix.
Elle aussi devait travailler. Mais là, elle peut enfin partir voir maman. Il est déjà tard, et elle a du mal à voir. Le brouillard pesant ne se lève pas souvent ici tant les usines à charbon sont proches. Elle faillit tomber. À sa gauche désormais, une façade arrachée, on voit encore comme dans une maison de poupées les petits appartements des travailleuses. Elle imaginait qu'elle jouait avec pour se rassurer, cet immeuble lui faisait toujours peur.
Elle entra dans celui d'à côté. En face d'elle, un grand escalier. Courage, plus que quelques étages. Peut-être sa mère serait bientôt revenue ?