10/03/2013
20:07:42
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[Grand Kah Maronhi] Pour l'âme du Paltoterra [Terminé]

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On avait décrit Cuetlachquiauhco de nombreuses façons au cours de l’histoire Kah-tanaise. La cité, ancienne, avait joui autant que souffert de son isolement relatif, coincée entre monts et jungles, éloignée des territoires plus peuplés de l’union, puis peu à peu agrandit lorsque les premières lignes de train ouvrirent la région à l’immigration. La cité avait alors gonflé, ou plutôt crût comme une plante, occupant tout l’espace qui lui était ouvert. Peuplée d’un peu plus de cent mille âmes, c’était désormais une tâche urbaine pleinement enclavée, étendant méticuleusement ses quartiers imbriqués, à l’architecture ancestrale, dans les gorges et vallons qui l’entouraient. Les rues étroites et les maisons de bois entouraient quelques zones plus modernes, où des tours étaient apparues au profit de l’important commerce frontalier et des investissements divers. Les routes de montagnes furent progressivement remplacées par des tunnels, les rails élargis, la cité, qui était une enclave de civilisation au creux des jungles, devint une cité modèle, capitale de tout un réseau de commune dont le fonctionnement même témoignait d’une intense réflexion dans la planification.

Parce que l’ensemble était surprenant, dans le sens le plus positif que l’on pouvait adosser au mot, il avait donné naissance à un paradoxe. Cuetlachquiauhco était à la fois un pôle économique régionale, et un lieu de calme intense. De plus, de récente fouilles archéologiques avaient déterrées des curiosités historiques encore mal comprises, parmi lesquelles une structure pouvant prétendre au titre de plus ancienne construction humaine déblayée à ce jour, genre de petit amphithéâtre couvert et orné de sculptures dont la particularité était qu'il précédait, et de quelques millénaires, la date à laquelle on avait théorisé que le genre humain avait commencé à développer des poteries. Ces découvertes avaient ouvert la voie à l'arrivée de nombreux universitaires kah-tanais et étrangers ; accentuant encore un peu l’éclat de la ville.

Aujourd’hui, on l’avait paré de drapeaux, d’étendards, de guirlandes et d’oriflammes visant à célébrer la visite d’une cheffe d’État étrangère. Un itinéraire avait été tracé pour relier la gare centrale du sud de la ville à l’ancien hôtel de ville qui, bien que moins moderne que l’élégant immeuble blanc qu’on avait construit pour accueillir les administrations intercommunales, restait par de nombreux aspects plus adapté aux visites de courtoisie de l’ordre de celle qui allait avoir lieu. De plus, on suspectait les maronhis d’être quelques-peu conservateurs, ce qui n’était pas pour plaire à tout le monde.

C’était plus ou moins le sujet qui animait la discussion au sein de la délégation kah-tanaise. Celle-là était composée, comme à l’accoutumée en ces circonstances, de deux membres de la Convention générale. Dans le cas présent, la citoyenne Actée Iccauhtli, chargée de la diplomatie continentale, et un membre du comité de volonté publique. En théorie c'était à Kisa Ixchet , dite madame des pavés, de l’accompagner. Cependant l'insurrectionniste professionnelle avait été appelée en urgence au nord du pays, pour gérer la préparation de Reavin à la guerre qui risquait d'éclater contre le Vinheimur. Sa remplaçante initiale, Rai Sukaretto, s'était purement et simplement désistée. Acceptant d'accompagner la délégation mais prévenant qu'elle disparaîtrait en cours de route. Ce qu'elle fit, avant l'arrivée à la gare sud de la cité. Personne ne lui tint rigueur de cette nouvelle excentricité. Elle était à l'image des milieux culturels qu'elle devait représenter. Ce fut donc Arko Acheampong, dit le Chiffre, économiste de renom, qui se retrouva à patienter, bras croisés, sur le quai d’une gare. Derrière lui se trouvait deux rangs de gardes, et à sa gauche, la citoyenne Iccauhtli.

Elle semblait de bonne humeur.

«  Arko, tu sais qu’il faut voir plus grand. » Elle employait un ton patient. « Ces gens ne sont certes pas nos amis, mais nous devons nous assurer qu’ils ne deviennent pas nos ennemis. Et puis si ce n’est pour la Gran Man, leur régime semble des plus fréquentables.
Si ce n’est pour elle, oui. » Le Chiffre fit claquer sa langue contre son palais, las. « Elle que tu as invitée. Je t'ai connue plus intraitable sur les questions de régime.
Les communes ont approuvé mon initiative. Ainsi que le comité.
Donc personne n'est coupable. Cette excuse, franchement…
Pourquoi parler de coupables ? Non. La vérité c'est que nous avons besoin d'alliés dans la région, et que la Gran Man peut être utilisée contre le capitaliste. Le reste se verra en temps et en heure. Nous devons simplement garder ça en tête : à terme, dans l'Histoire, leur régime s'effondrera. Rien ne nous oblige à précipiter les choses.
Je sais. Nous avons d'autres priorités. Je dis simplement que ça me heurte. »

Au loin, on devinait l’approche d’un train. Actée se raidit un peu, cherchant à se faire plus droite encore qu'elle ne l'était. À côté d'elle, le citoyen Arko passa rapidement en revue les quelques fiches qu'il avait apportés, puis les fit disparaître dans une poche intérieure de son manteau. Le temps était clément, et à l'exception d'un vent fort venu de l'Ouest, les conditions étaient optimales pour une cérémonie publique : il faisait beau, quelques nuages tout au plus, et le fond de l'air était frais.

Lorsque le train arriva à quai, les deux rangs de gardes se placèrent pour former un rang d’honneur, partant des portes du wagon spéciale et finissant là où se trouvait la délégation. Trouvant les poignées de mains fondamentalement vulgaires, la citoyenne Iccauhtli ne gratifia Awara Kouyouri que d’un salut traditionnel, plaçant une main au niveau de son cœur et s’inclinant très légèrement en avant. Arko Acheampong l’imite, quoi que de façon un peu moins rigide.

« Bienvenue au Grand Kah. »

Il se redressa en même temps qu’Actée qui se décala, pour laisser aux maronhis tout le loisir de l’accompagner, et la délégation se dirigea vers la sortie de la guerre, où attendaient des berlines claires. Il y eut quelques échanges de mondanités. Comment va votre grossesse ? Tout va bien aux pays ? Avez-vous fait bon voyage ? Après tout la ville était équidistante des capitales des deux pays. Puis Actée pris un ton plus sérieux.

« J’ai fait revoir l’ordre du jour pour placer les cérémonies diplomatiques – revue de la garde, prestation de l’hymne national du pays visiteur – en préambule des discussions. Cela satisfera les journalistes internationaux et leur donnera de quoi gamberger pendant que nous discuterons entre adultes. »

À ses côtés le citoyen Arko Acheampong renchérit d’un air volontairement badin.

« Vous savez, votre visite envoie un message très fort, à l’heure où une guerre pilotée par l’Alguarena manque d’éclater à nos frontières nord. » Il eut un petit rire sans joie. « Nous avons vraiment beaucoup de choses à nous dire. »
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Arrivée à quai, la délégation maronhienne, avec à sa tête la citoyenne Kouyouri, traversa avec une étonnante synchronisation les deux lignes de gardes qui formaient le rang d’honneur ; et cela, dans un silence de plomb comme l'avait été le reste du voyage. Répondant au salut de leurs hôtes, Awara et sa suite inclinèrent leurs dos le plus bas possible.

« C'est un immense honneur », déclama la Gran Man d'une voix limpide et forte.

Celle-ci, placée à l'avant du cortège, se redressa d'une traite, suivie par tous les membres de la délégation dans un ordre tel que la scène rappelait une chute de dominos inversée. Awara affichait alors un sourire des plus bienveillant et suivie, toujours en compagnie de la colonne, les représentants kah-tanais jusqu'aux berlines. Elle répondait ainsi aux interrogations d'Actée avec une indulgence formelle.

« Vraiment, vous n'étiez nullement obligée de vous donner autant de mal », répondit-elle par pure politesse à Actée. Elle accompagnait ses mots d'un sourire généreux à destination de la jeune femme avant de tourner la tête vers Arko qui semblait vouloir en venir au plus vite aux discussions sérieuses.

« Nous espérons tout de même qu'il restera plus fort à vos yeux qu'à ceux du gouvernement alguareno », rétorqua Awara Kouyouri sur un ton harmonieusement modulé.
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Actée avait répondu à la remarque et au sourire par un petit acquiescement entendu. Elle recevait la politesse et décidait consciemment de ne pas épiloguer à ce sujet. Elle était d’un naturel distingué qui n’aurait pas permis de se confondre en insistances.

Le citoyen Arko, lui, pencha légèrement la tête sur le côté, comme si la remarque lui semblait vaguement surprenante.

« Mais bien-sûr, puisque ce message nous le prononçons aussi. »

Pour lui la remarque n’avait pas beaucoup de sens. L’Union n’était-elle pas à l’origine de cette rencontre ? Oui, la Maronhie et sa dictatrice l’avaient approuvé – et c’était tant mieux. Mais de là à traiter cette rencontre bilatérale comme un genre d’avertissement... Ou bien elle souhaitait dire que le Grand Kah devait comprendre ce que représenter sa présence ici. Il lui semblait présomptueux de considérer que le Grand Kah n’en avait pas conscience. Comme ils sortaient de la gare et approchaient maintenant des voitures devant les amener jusqu’à l’hôtel de ville, Le Chiffre décida de botter en touche à l’aide d’une banalité consensuelle.

« Il est nécessaire que nous pratiquions une diplomatie constructive, entre voisins.
Votre présence a déjà fait beaucoup de bruit à Axis Mundis. Je ne crois pas que le peuple kah-tanais ignore ce que cela représente. »

Actée était intervenue d’un ton aimable, avant d’ouvrir la portière pour laisser entrer ses deux compagnons à l’arrière du véhicule. Des membres de la protection civile l’imitaient à l’arrière, plaçant les membres du cortège dans les différentes voitures du convoi. Enfin, ce dernier se mit en route.

Les voitures étaient toutes électriques, progressant silencieusement dans les larges avenues parées d’étendards de la ville. Le cortège suivait une ligne tracée d’avance au long de laquelle se pressait une petite foule de curieux ou d’authentiques partisans, regardant les véhicules noirs et leur petite escorte de motard avec intérêt et quelques salutations. Les journalistes, surtout, s’en donnaient à cœur joie. Il devait sans doute, aussi, se trouver quelques expatriés, ayant passé la frontière à un moment ou un autre de leur existence, venus saluer la cheffe de leur ancien pays. Ceux qui avaient fui le dit pays avaient fait savoir à la commune supérieure qu’ils n’étaient pas satisfaits des honneurs faits à la dictatrice, mais se gardaient bien de faire quoi que ce soit qui aurait pu jouer en la défaveur de la Confédération, trop conscients, sans doute, de la situation dans laquelle se trouvait l’Union, à savoir celle d’un pays qui avait besoin d’alliés. La rhétorique de la Citadelle Assiégée avait encore de beaux jours devant elle.

Dans la voiture, l’électronique embarqué témoignait d’un haut degrés de sophistication qui avait depuis longtemps abandonné le simple utilitarisme au profit d’une volonté de confort inhabituellement bien réalisée pour une nation à économie planifiée. Arko avait ainsi branché un assistant personnel à une prise présente à côté de son fauteuil, lisant les dernières remarques des chargés du protocole tout en lançant des regards distraits à la foule. Actée, pour sa part, semblait apprécier le moment. Elle semblait moins intéressée par le Gran Man en tant que dirigeante qu’en tant que personne. Ou en tout cas, s’adonnait sans déplaisir à la conversation qui devait se faire. Naviguant gracieusement entre les commentaires historiques sur l’architecture de la ville et les remarques autrement plus dirigées sur le Maronhi, son important potentiel économique, l’impérialisme capitaliste, le marché que représentait le Grand Kah pour certains produits d’importation.

Le cortège s’arrêta devant l’hôtel de ville, qui trônait en solitaire au centre d’une place conséquente, encadrée de beaux immeubles classiques. En temps normal des enfants jouaient dans les fontaines et les terrasses s’étendaient aux pieds des bâtiments. On avait considéré que les maronhiens auraient perçus l’absence caractéristique de cérémonialisme des gens de l’Union comme insultant, et avait obtenu des communes locales qu’elles ferment les établissements de restauration et permettent la mise en place d’un petit quelque-chose capable de titiller la fibre formaliste des visiteurs. La délégation progressa donc du bout de la place jusqu’à l’hôtel de ville, remontant un tapis rouge et or au rythme d’un Faisons de notre mieux parfaitement exécuté par la fanfare pan-universitaire de la ville. Là, un chargé du protocole vient placer les deux citoyens du Comité de Volonté Publique et le Gran Man en bas des marches de l’hôtel de ville, et le reste de la délégation derrière eux. Des membres de la Garde, qui jusque-là se tenaient en retrait, vinrent se placer devant les escaliers pour une brève revue, puis l’on considéra le cérémoniel expédié – et bien expédié – et l’on put passer aux choses sérieuses.

Désormais tout le monde se trouvait installé de part et d’autres d’une grande table basse, au centre d’un salon au style épuré et simple. L’espace dédiée aux discussions se trouvait séparé du reste de la salle par un jardin de sable intérieur. On avait servi du thé et invité qui le souhaitait à se débarrasser de son manteau, de sa veste de costumes ou de son uniforme sur des patères installés le long de la porte. Une grande baie vitrée, en bout de pièce, donnait sur une rue vide de l’autre côté de laquelle on discernait les limites d’un temple shinto.

«  Bien. » 

Le Chiffre avait posé son assistant personnel sur la table, et ouvert une mallette que lui avait apporté un aide. Il en fit émerger plusieurs dossiers de carton qu’il disposa devant lui, et planta son regard dans celui du Gran Man, sans impolitesse mais d’un air indiquant qu’on allait entrer dans le vif du sujet.

« Cette rencontre doit nous permettre de défricher un certain nombre de sujets stratégiques concernant les relations entre l’Union et la République. Celle-là s’est récemment rouverte au monde et de ce que nous avons pu comprendre, cherche activement à établir des rapports diplomatiques solides d’une part, et à trouver des partenaires économiques en mesure de soutenir la spécialisation de son industrie et à entrer dans une logique d’importation de sa production agricole de l’autre.

– Préparer ce genre de rencontre est toujours un peu compliqué en ça qu'il y a toujours une différence entre ce que dit un État sur ce qu'il veut, et ce qu'il désire réellement mettre en œuvre pour l'obtenir. Concernant le Grand Kah, il souhaite avant tout la paix et la prospérité. Les circonstances actuelles l'obligent à une réflexion principalement orientée sur le plan de la sécurité. Ainsi il convient d'accepter pour le moment que la plupart de nos efforts visent, en fin de compte, au renforcement de notre sécurité. Sécurité intérieure, sécurité territoriale, sécurité économique. L'Union veut des marchés accessibles et sûres. Des partenaires fiables et, si vous me permettez, la perspective d'une entente durable. Les traités signés avec l'Alguerana il y a de ça cinq ans, qui devaient servir à pacifier le Paltoterra et à protéger les routes commerciales, se sont avérés parfaitement inefficaces en la matière. »

Arko acquiesça tranquillement.

« Nous avons réfléchi à plusieurs pistes pour obtenir une situation des plus satisfaisantes entre nos deux nations. Sur trois pans, notamment. Diplomatique avec l'ouverture d'ambassades bilatérales et peut-être le jumelage de plusieurs villes, économique avec la mise en place d'accords visant à faciliter l'importation et l'exportation de produits selon le surplus disponible à la vente et les besoins de nos industries et consommateurs respectifs, et culturel avec l'organisation de programmes d'échange et de coopération universitaire et scientifiques. »

Il marqua un temps.

« Sur ce dernier point, le Comité de Volonté Publique compte mener une politique volontariste de production d’énergie verte, notamment hydrolien et hydroélectrique. Cela réduira certes le surplus énergétique disponible à l’exportation, dans un premier temps, mais ce point sera largement compensé par la baisse drastique du coût payé par l’Union en importation de matières fossiles. Notre production pétrolière propre étant insuffisante pour soutenir nos besoins actuels, notamment en raison de notre choix conscient de ne pas exploiter certaines de nos ressources. Une économie doit être résiliente, ce qui signifie souvent qu’elle doit être aussi autarcique que possible dans un certain nombre de secteurs clefs. Cette politique d’indépendance énergétique pourrait être menée en accord avec votre gouvernement : la question des fleuves a déjà été évoquée, je crois, plus généralement, que la faible densité de population de la République signifie qu’une grande partie de son territoire pourrait accueillir des infrastructures dédiées à ce genre de production. Pour dire les choses sans détour : nous souhaitons investir en Maronhi. »
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Awara Kouyouri semblait amusée par le ping-pong qui se jouait entre ses hôtes. Elle souriait généreusement à ces derniers et ne manquait pas, durant le trajet, de bavasser avec Actée comme elle l'aurait fait avec une vieille connaissance perdue de vue. Tout au long du périple, elle jetait des regards intéressés à la vie qui s'esquissait dans cette ville sans jamais se dessiner véritablement, et cela, sans se douter qu'une mise en scène spéciale avait été mise en place. Depuis toujours, la jeune femme était folle de la vie. Une mère de famille étendant un drap depuis son balcon, un vieil homme solitaire nourrissant les oiseaux, un enfant audacieux trébuchant sur le trottoir, une jeune femme se restaurant seule dans un bouiboui quelconque ; comme partout où elle allait, elle cherchait du coin de l'œil, de quoi s'emplir la tête et le cœur. À Cuetlachquiauhco, le tableau lui semblait manquer d'authenticité. À y réfléchir, elle songeait à tout ce qu'elle aurait pu voir en devenant invisible, en devenant une inconnue dans la foule et en faisant corps avec elle.

"Souvenirs d'errance gravés dans ma mémoire, comme un accroc sur l'abat-jour blanc d'une lampe."

Un peu plus tard, en s'installant autour de la grande table basse, Awara fixait l'architecture du temple shinto avec attention, architecture qui avait été à l'origine des sanctuaires animistes maronhiens, religion d'État elle-même façonnée sous la Première République et regroupant sous son aile les différents cultes voués aux forces de la Nature, aux ancêtres et aux dieux. Elle prenait quelques gorgées de thé, puis reposa sa coupe à deux mains en croisant le regard du Chiffre.

« ...Concernant la Maronhi, elle souhaite avant tout conserver sa dignité, dans la prospérité ou dans l'indigence ; et maintenir la paix, dans les plus grand respect du droit à l’autodétermination, de la non-ingérence dans les affaires intérieures, du respect de l’intégrité territoriale, et de l’indépendance politique de nos nations respectives. Jusque là, bien que les relations entre nos pays soient restées rares et discrètes, elles ont toujours été des plus courtoises. Un voisin comme le Kah est un bon voisin. Nous comptons bien que cela se poursuive sur cette lancée. Pour cela, la Maronhi est prête à se faire partenaire économique de l'Union. Nous ne sommes pas une nation de marchands nés, c'est vrai, ce qui implique notre importance à la parole donnée.

L'ouverture d'ambassades semble aller de soi. Quant à un jumelage, le plus évident me semblerait d'abord être entre Cuetlachquiauhco et Iwako. La construction d'un pont pourrait notamment permettre de faciliter le désenclavement de la région, de faciliter la communication, de favoriser la régularisation des voyageurs et d'acheminer plus aisément des ressources. Un projet d'allongement de nos chemins de fer jusqu'à Iwako est actuellement en cours d'étude. Cela pourrait aussi aller dans le sens de futurs accords commerciaux. En ce qui concerne la coopération scientifique et universitaire, cela aussi est envisageable.

"Investir" n'est sans doute pas le mot approprié ; nous ferions mieux de parler de collaboration... Comme vous le dites si bien, une économie doit être résiliente ; mais plus que cela, la Maronhi a depuis longtemps fait le choix politique de limiter son industrie. "Elle est du grand bois et partira avec lui." C'est pourquoi je tiens à être honnête avec vous, le développement de ces infrastructures ne pourrait se faire qu'en étudiant intelligemment des zones d'implantation où les dégâts sur l'écosystème seraient des plus limités, et prendre ainsi, plus de temps que vous ne voudriez. Évidemment, puisque le sujet concerne les habitants des fleuves, je m'en remettrai humblement à la décision des Man. »
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La remarque d’apparence paradoxale qui fut formulée sur la propension des marchands à mentir, ou au moins revenir sur leurs paroles, fit sourire Actée. Rien dans sa personnalité publique ne laissait apparaître un avis particulièrement tranché sur les nations marchandes et les vendeurs internationaux. En fait, si on se basait sur ses rapports plus que cordiaux avec certains Pharois, elle ne devait pas trouver l’acte de vendre et d’acheter particulièrement dégradant. Tout de même, elle lança un regard au Chiffre. Lui n’avait pas relevé, se concentrant sur l’information importante : on lui disait que la Maronhi n’avait qu’une parole. Pour le moment c’était suffisant.

Ses aides notaient tout ce qui se disait, lui-même ne prenait aucune note, mais semblait enregistrer chaque mot. Il acquiesça à nouveau.

« Cuetlachquiauhco et Iwako semblent prédestinées pour servir de portes entre nos deux nations, oui. La nature de nos économies se prête au fait d’élargir de façon prudente et progressive les voies d’accès pour les personnes et les ressources. »

Il attrapa l’un des dossiers en carton et le fit glisser vers sa gauche, comme pour indiquer que le sujet était, selon lui, clos. Actée pris le relais.

« L’implantation de centrales sur votre sol ne saurait se faire à un autre rythme que celui vous convenant. Notre volonté n’est pas d’imposer des décisions nocives à des populations qui n’auraient pas leur mot à dire – ce serait de toute façon oublier comment fonctionne votre République. Croyez-moi sur parole, nous attendrons le temps qu’il faudra et donneront les gages nécessaires : ce projet se veut mutuellement bénéfique et – je pense qu’il est bon de le préciser – écoresponsable. Nous ne voulons pas non-plus déporter des activités polluantes dans vos espaces sauvages.
Tout à fait. » Le chiffre souriait tranquillement. « Autant ne pas encore nous engager sur ce point, attendons la réponse des premiers concernés. Concernant les sujets moins sensibles, je propose que nous considérions avoir la base d'un accord. Bien que ce dernier devra être travaillé et organisé par nos administrations respectives. Peut-être pourrions nous déjà nous entendre sur une déclaration commune entérinant le reste : jumelage des villes, investissements dans l'échange transfrontalier, mise en place à venir de coopérations universitaires, culturelles. »
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Awara continuait d'écouter ses hôtes, parfois en tournant son regard curieux vers le temple shinto tout en posant le creux d'une main sur le bas de son ventre. Elle reprit la parole :

« Je vous remercie de votre sollicitude et vous ferai parvenir une réponse dès que possible... Sur ces points moins enquiquinants, je suis prête sur le champ à m'entendre avec vous. Enfin, si les closes sont acceptables, je peux d'ores et déjà apposer mon tampon. »
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« Je suppose qu'elles le sont, oui. »

Le Chiffre orienta son regard vers ses aides, et l’un d’entre eux lui fit glisser un document préparé à l’avance, posé sur une planchette de liège et sur lequel on avait rectifié certains éléments à l’encre rouge. Le citoyen parcouru le document du regard, le fit glisser à Actée qui acquiesça après une lecture rapide – se contentant de voir ce qui avait été modifié et en quels termes, puis les deux kah-tanais se saisirent d’un tampon jusque-là conservé dans une mallette verrouillée, et l’apposèrent en bas de la feuille, dans un espace dédié. On fit enfin transiter le traité jusqu’à la Gran Man, lui laissant le temps le parcourir et de réfléchir à son contenu.

Traité d'entente entre la Maronhi et le Grand Kah
Traité d'entente entre la Maronhi et le Grand Kah.


À la suite de la déclaration commune de la Gran Man de la République Nationale-Socialiste de Maronhi et des Représentants élus des Communes, Républiques et Syndicats Unis du Grand Kah, en date du 15 juillet 2008, sur les principes d’entente et de coopération liant les deux territoires, les dispositions suivantes ont été convenues :

Principes généraux :

1. Les objectifs recherchés par les deux parties sont de créer et de maintenir une situation de bon voisinage mutuellement bénéfique et de faciliter la compréhension entre leurs peuples et toute politique pouvant permettre l’amélioration de leur prospérité sans sacrifier leur dignité. Pour se faire.
1.2 Les instances dirigeantes des gouvernements signataires s'assureront du respect du programme fixé ci-après. Ils se réuniront à cet effet quand cela sera nécessaire ou par le biais de représentants en vue d’assurer son suivi et son respect.
1.3 Tout non-respect par l’une des deux parties du programme fixé ci-après entraînera la non-réciprocité légitime du programme pour l’autre partie.
1.4 Le programme fixé ci-après pourra être amendé, modifié ou aboli sur accord des deux parties signataires.
Diplomatie :

2.1 Les signataires reconnaissent leur souveraineté et leur droit à l'indépendance et à la dignité, définie ici comme le droit d'un peuple à disposer de sa culture et de son art de vivre.
2.2 Les signataires ne feront rien qui nuira délibérément à leurs intérêts nationaux mutuels ou à ceux de leurs ressortissants, en dehors du cadre de leur loi, sur leurs territoires respectifs
2.3 Les deux parties s’engagent à dépêcher une délégation diplomatique permanente sur leurs territoires respectifs, à leur offrir l’hospitalité ainsi que les moyens matériels nécessaires au bon fonctionnement de leur mission.
2.4 Les deux parties s’engagent à régulariser selon leurs lois en vigueur les voyageurs issus de l’autre pays signataire.
2.5 Les villes de Cuetlachquiauhco et Iwako sont par la présente jumelée. Ce qui signifie que leurs gouvernements respectifs entretiendront une ligne de communication directe et se rencontreront de façon régulière pour discuter de l’activité économique transfrontalière et de l’organisation d’évènements culturels, sportives, etc.

Économie :

3.1 L’objectif de ce traité est d'ouvrir de façon prudente l’économie des pays signataires à une plus ample coopération, sans menacer leur résilience et leur indépendance.
3.2 Les pays signataires s’engagent à travailler à la création de plateformes logistiques dans les villes de Cuetlachquiauhco et Iwako. Ces plateformes doivent être accessibles et connectées au reste des réseaux logistiques des deux parties par des routes modernes et un réseau de rail, soit compatibles entre elles, soit construites sur le même modèle standardisé d’un côté et de l’autre de la frontière, soit dotées d’un dispositif moderne permettant de faire transiter les trains d’un système de rail à l’autre..
3.3 Les Pays signataires s’engagent aussi à construire un pont routier et ferroviaire permettant de lier les villes de villes de Cuetlachquiauhco et directement connecté aux plateformes logistiques citées dans l’article précédent.
3.4 En attendant, les pays signataires s’engagent à assurer la continuité du bac assurant la liaison d’un côté à l’autre du fleuve Yawara, longeant la frontière Kah-tanao-Maronhienne..
3.5 Le gouvernement de la République Nationale-Socialiste de Maronhi s’engage à consulter ses collectivités locales sur le projet de construction de centrales solaires et éoliennes proposées par le Grand Kah.
3.6 Si le projet est considéré réalisable par les collectivités locales, les deux parties s’engagent à signer un traité quant au fonctionnement des actifs Kah-tanais, à l’allocation et au prix de l’énergie y étant produite et de la formation de personnel local pour leur fonctionnement.

Environnement :

4.1 Les deux parties renouvellent leur engagement en faveur du respect et de la protection de l’environnement et de la santé publique.
4.2 Les deux parties s’engagent à maintenir une coopération ouverte et transparente sur la question de leurs richesses naturelles communes.
4.3 Les deux parties s'engagent ainsi à créer ou une organisation facilitant cette coopération, ou un statut spécial assurant la prise en charge de tout enquêteur ou chercheur souhaitant mener une estimation de la santé et des risques pour l’écosystème et les populations entourant ces richesses communes.
4.4 Sont considérées richesses communes l’eau et l’air, en vertu du fait qu’ils ne sont pas contingentés d’un côté et de l’autre des frontières humaines. La pollution de l’eau et de l’atmosphère le long des provinces frontalières sera ainsi surveillée.
4.5 En vertu de cette coopération, les deux parties s’engagent à conserver un esprit ouvert et attentif à toute réclamation liée à ces questions environnementales.

Culture :

5.1 Conformément aux objectifs affichés par les deux pays signataires, des mesures seront mises en place pour faciliter le transit de la culture et la compréhension mutuelle entre les peuples.
5.2 Des droits douaniers préférentiels seront appliqués sur une liste de produits et d'objets présentant une valeur culturelle. Arts, littérature, film, loisirs.
5.3 Des mesures administratives seront prises pour engager la reconnaissance progressive des diplômes universitaires selon une équivalence jugée cohérente par les instances gérant l’éducation supérieure dans chaque partie.
5.4 Ces mesures administratives s'accompagnent d’une coopération sur la prise en charge d’étudiants issus de l’autre pays signataire : cette prise en charge concerne les questions de logement, de travail et d’inscriptions pédagogiques.
5.5 Des échanges d'étudiants pourront être organisés à la discrétion des organismes chargés des études supérieurs et secondaires dans chaque partie.
5.6 Les deux parties s’engagent à prendre des mesures bilatérales facilitant l’échange de reliques historiques et de tout objet destiné à l’exposition artistique dans le cadre d’échanges entre musées et expositions.
5.7 Les deux parties s’engagent à prendre des mesures facilitant le passage de la frontière et à créer un statut de touristes facilitant toute démarche liée à l’entrée sur le territoire.

Détournant le regard d'un air innocent, la citoyenne Iccauhtli fit mine de remarquer le temple Shinto. Ses somptueux avant-toits aux poutres peintes. Le tout était vieux, sans doute autant que la présence coloniale dans la région ce qui, somme toute, en faisait un jeune temple comparativement à ceux que l'on pouvait trouver au nazum. C'était peut-être trois, quatre siècles ? Un peu plus ? Un peu moins ? Difficile d'être sûr. En tout cas la structure avait survécu à la révolution et à l'histoire mouvementée de ce qui avait été, pendant des années, une ville excentrée derrière monts et forêts, exposée aux pillages et aux intempéries.

Elle ne savait pas précisément qu'elle esprit on y vénérait. Elle aurait aimée pouvoir sortir une quelconque anecdote, évoquer subtilement le sujet d'un air sûr, mais elle n'avait pas eu l'occasion de discrètement se faire informer par l'un de ses aides. Dommage.

Finalement.

« Êtes-vous pratiquante ? » Elle haussa les sourcils en voyant l’air étonné du Chiffre, et sourit. « Pardon, ça sort de nul-part. Je repensais à certains des traités conclus du temps où j’étais au comité. Certains de nos partenaires aimaient prier pour leur bonne fortune ou la bénédiction d’un dieu après la signature. » Elle marqua un temps.

« Je crois que nous en avons terminé ici. Après notre déclaration commune je prierai tout le monde de vous laisser tranquille. Si vous voudrez vous reposer ou faire un peu de tourisme, il y a des lieux intéressants à voir. »

Puis elle se leva, imitée par le chiffre, qui repris l'initiative d'un ton professionnel.

« Je sais que c’est ce que tout le monde dit à chaque fois, mais ces accords ouvrent une grande et belle période de co-prospérité pour nos peuples.
Oui. Et maintenant allons le dire aux journalistes. Ô, joie. »
Awara lisait et relisait les articles encore et encore. À la question de dame Iccauhtli, elle signa le document et releva le regard.

« Je le suis, oui. Et plus espérante que croyante à vrai dire. »
Elle marqua une pause en observant le sanctuaire et inclina la tête.
« Je prierai pour que la fortune soit aussi avec vous, merci. »
Tournant la tête vers le Chiffre, elle sourit quelque peu en entendant prononcer le mot "journalistes".
« Joie... »
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