13/03/2013
20:32:00
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[RP] Schimbător

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Dans les montagnes secrètes de Transblêmie, au cœur des vallées brumeuses, le mystérieux se dissimule au-delà de l’orée des bois, dit-on. Celui qui, lorsque tombe le jour, après avoir rentré ses bêtes, regagne l’intérieur du mur d’enceinte n’a plus rien à craindre. Sur la palissade, le veilleur du soir remplit à ras-bord le générateur à essence et dans un vrombissement sourd se rallument les lanternes électriques placées en hauteur au-dessus des créneaux. Visibles depuis les ciels, les villages des vallées uns à uns s’illuminent comme une petite constellation, dessinant dans l’obscurité une ceinture de bastions villageois.

L’humanité est ainsi préservée des ténèbres, pour une nuit de plus.

Pourtant, si les lampes tiennent à distances les sorcières, socialistes, lycanthropes et autres créatures des bois clandestins, toutes les menaces ne sont pas rebutées. Certaines, même, jouant de leur proximité avec les êtres humains, se dissimulent en pleine lumière, au sein des assemblées, dans le creux des foyers.
Le changelin, l’inquiétude qui naît. Dans la Transblêmie profonde, on les appelle Schimbător "les échangés". Un regard intrigant, quelques paroles bizarres, un comportement hors norme, tout ce qui diffère parfois peut-être rien, et peut être le symptôme. Symptôme de quelque chose.
Le nourrisson, hier si calme, soudain ne cesse plus de pleurer. Ce fils qui rayonnait de joie se tient maintenant coi au dîner. Et celle-là qui était travailleuse rechigne désormais à la tâche. Hasard ou signes ? Rien, ou quelque chose ? L’inquiétude naît et grandit, le symptôme qui disparaît indique-t-il la fin d’une mauvaise passe ou simplement que la chose qui remplace mon enfant, s’adapte, elle a remarqué mes soupçons ?

Dans les grandes villes, au sommet des tours des châteaux escarpés, les inquisiteurs blêmiens travaillent à endiguer l’hérésie. Le mal fait l’objet d’une croisade soutenue et les chasseurs de loups, descendant des montagnes, sont un motif de crainte comme de soulagement.
Les procès se déroulent brièvement, l’expertise des agents du Grand Duc ne fait aucun doute, quelques tests simples innocentent le fils, rendu secoué mais intègre « juste l’adolescence ». Les mêmes expériences condamnent la fille. Dans un silence grave, la garde-loup emporte la créature dont on a enchaîné la mâchoire pour l’empêcher d’hurler des malédictions. Le village purgé de son démon est abandonné sans cérémonie, amputé d’un enfant.

Un mystère demeure toutefois auquel on n’a guère de réponse : où vont les fils et les filles échangés ? Si certains nourrissons, sans doute, on dû servir de chaire fraiche pour de monstrueux rituels, d'autres disparaissent plus vieux et alors, où vont-ils ? Y a-t-il dans les montagnes de Transblêmie des régions où même les chasseurs de loups n’osent s’aventurer ?
Parfois, un père s’en va, fusil au poing, délivrer des bois son enfant remplacé. Toujours revient-il bredouille, lorsqu’il revient.
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La diligence suivait depuis plusieurs heures un chemin invisible aux yeux. Elle sillonnait dans la forêt à une vitesse inquiétante, qui faisait passer les arbres devant les fenêtre si vite qu’on avait du mal à les distinguer. La nuit tombante et l’obscurité du sous-bois n’arrangeant pas l’affaire, Lucian avait abandonné depuis longtemps l’idée de se repérer dans les montagnes.
Et puis il avait sommeil. Un sommeil surnaturel, parce qu’il n’arrivait pas vraiment à s’endormir malgré la lassitude, même s’il lui semblait ponctuellement émerger de quelque chose, la bouche pâteuse et la lumière dehors déclinait par à-coup. On avait dû lui donner quelque chose de bizarre à boire, ou le piquer avec une aiguille. Il n’arrivait pas à parler et n’en avait pas l’envie. Le cahot de la diligence avait quelque chose d’apaisant, réveillait en lui un souvenir enfoui, primitif, prénatal, qu’il ne s’expliquait pas.

La banquette, qu’il occupait seul, était garnie de coussins épais et remplis de plume, d’une sorte plutôt luxueuse qu’on ne trouvait pas dans la maison de sa mère, chez lui les édredons étaient fourrés à la paille. La banquette était haute et profonde, même pour la taille d’un adulte, et Lucian pouvait presque s’y allonger comme dans un lit, ses deux jambes pendaient devant lui dans le vide sans toucher le plancher de la diligence, même en étirant au maximum la pointe des pieds. Sa tête, penchée sur le côté, reposait sur un gros coussin de velours rouge et deux autres, plus grands encore, lui calaient le dos et soutenaient ses bras.
Si la diligence avait viré de bord soudain, Lucian se serait seulement enfoncé dans un écrin de confort, sans subir aucun dommages ni désagréments.

Sur la banquette face à lui, une femme lisait un livre écorné.

C’était elle qui l’avait enlevé, bien qu’il n’en ait pas de souvenirs très précis. Tout était flou de toute façon et Lucian dû faire preuve d’un élan d’effort pour se souvenir de son propre prénom. Lucian, le fils de Tatiana Sandu, l’accoucheuse d'Adânc. Puis il se relâcha encore, et dû s’endormir un peu, quand il rouvrit les yeux on ne voyait plus rien à travers les fenêtres du véhicule. Juste des formes indiscernables passer à grande vitesse, des tâches d'obscurité qui pouvaient aussi bien être le fruit de son imagination.

La diligence, pourtant continuait de filer et à en croire l’inclinaison de la banquette, grimpait maintenant sans doute vers le sommet d’une colline. Il ne fallait pas grimper les collines, c’étaient des royaumes interdits aux hommes, tout le monde le savait bien. Puis Lucian réalisa que la femme en face de lui avait levé les yeux de son livre et le fixait. Il ne ressentit aucune peur.

- « Dors. » dit-elle. « Il nous reste encore beaucoup de route à faire. »

Et docilement, cette fois il obéit.

Un soubresaut bref suivi d’un espèce d’élan en avant réveillèrent Lucian. Il faisait toujours très nuit, dehors, les fenêtres étaient d’un noir d’encre. La femme sur la banquette face à lui les fixait pourtant, sans rien dire. Lucian se tordit un peu le cou, la fatigue semblait l’avoir un peu quitté à présent, il se sentait plus alerte. De l’autre côté du carreau, un rayon de lumière passa brièvement avant de s’évanouir, puis de revenir, plus intense, accompagné de bruits de pas dans du gravier. La poignée de la porte tourna, révélant un vieil homme couvert d’une cape de cuir et qui tenait une lanterne. Sans qu’il ne se l’explique, Lucian su que c’était le cocher.

- « Nous sommes arrivés madame. » et sans lui répondre, la femme fit glisser ses mains le long de sa robe pour en dissiper les plis puis se leva, son livre à la main, avant de sortir dehors. Alors qu’elle frôlait la lanterne du cocher, Lucian lui trouva le visage bizarrement crayeux, comme un dessin sur une feuille de papier, puis elle disparut dans le noir.

- « Et toi aussi, descends ! » dis l’homme d’un ton moins aimable et Lucian voulu répondre qu’il n’était pas certain d’en être capable mais se laissa quand même glisser de la banquette, ses pieds touchèrent le plancher de la diligence et ses jambes à leur suite, l’instant d’après il était debout, tout juste un peu chancelant.

Le cocher lui saisit l’épaule et le mit dehors sans ménagement.

La lanterne n’éclairait pas plus loin que trois mètres parce qu’ils devaient se trouver dans un endroit dégagé, sa lumière ne trouvait rien où rebondir et se diluait juste dans l’épaisse obscurité de la nuit. Lucian , qui fixait ses pieds, toujours étonné de tenir sur ses jambes, constata que le sol était bien un parterre de graviers blancs. Ces derniers captaient bizarrement tous les fragments de lumière invisible aux yeux des hommes de sorte que dans le noir total qui les entourait, Lucian voyait serpenter loin devant lui une vague traîné pâle qui dessinait un chemin.

- « Avance, je dois rentrer la diligence. » dis l’homme et le garçon lui jeta un regard ahuris : « Avancer où ? »

Le cocher désigna le chemin pâle. « Par-là. » et sans élaborer, posa le pied sur une marche de bois pour se hisser devant l’habitacle. Au-dessus de lui, une sorte d’étrange et fin piquet s’élevait haut de deux mètres environ et se terminait d’un crochet où le cocher fixa sa lanterne. Ainsi surélevée, elle révélait à l’arrière le sommet de la diligence, et devant la croupe d’un cheval noir, si parfaitement silencieux qu’avec la couleur de sa robe on ne le distinguait en rien de la nuit.
L’homme tira sur un levier qui devait servir de frein parce que les roues de la diligence se mirent doucement à reculer et il envoya un coup de lanière sur le jarret de l’animal pour le faire avancer.

Lucian observa s’éloigner au petit trot la seule source de lumière dont il disposait. Un instant au passage de la diligence il lui sembla distinguer la forme hérissée d’une grille de fer forgé, mais cela pouvait aussi bien être l’ombre des pins. Puis le véhicule tourna et il se trouva seul dans le noir.

D’un geste réflexe, Lucian croisa les bras et se frictionna les épaules. Il portait son petit manteau de pluie et dessous un épais pull en laine qui le protégeait assez bien du froid, même à la saison d’hiver, mais il était fatigué et la fatigue pénètre les vêtements plus sûrement que l’humidité ou les courants d’air.

Au sol, on distinguait très légèrement le chemin en gravier qui serpentait dans la direction opposée à celle prise par la diligence. Le temps d’un instant, Lucian envisagea de rester là, d’attendre le retour du cocher et de sa lanterne, mais immédiatement la perspective de se tenir immobile dans le noir, au milieu de nulle part l’inquiéta et il se mit en chemin.
A quelques reprises Lucian quitta le chemin de gravier mais il allait lentement et lorsque son pied se posait sur la surface humide de l’herbe qui entourait le chemin, il s’en détournait et se replaçait dans la bonne direction. A part le gravier qui crissait sous ses semelles, il n’y avait pas un bruit, et rien de visible non plus, pas de lune ou d’étoiles, le ciel devait être nuageux cette nuit, ou alors il avançait à l’intérieur d’une très vaste pièce où, d’une manière ou d’une autre, on avait réussi à faire pousser du gazon.

L’idée était bizarre, il accéléra le pas un peu.

Dans le noir, la notion du temps se perd et les crampes qui lui tiraient déjà les muscles des jambes ne lui permettaient pas de mesurer le chemin parcouru. A un moment, Lucian entendit du vent souffler dans un branchage quelque part à sa gauche et juste parce que c’était le seul bruit qu’il avait entendu depuis le cahot de la diligence et ses pas dans le gravier, il fut tenté d’aller dans cette direction. Mais on s’éloignait du chemin et Lucian n’était pas sûr d’être capable de le retrouver à l’aveugle. Il resta sur le chemin et poursuivit sa marche.

La fatigue commençait à le gagner, à présent, et Lucian se mit à craindre de s’endormir debout et de somnoler en marchant, de quitter la piste presque invisible et se réveiller encore en sursaut, cette fois au milieu de l’obscurité totale. Pour ne pas prendre de risques, il entreprit de se donner des claques sur les joues. Le son de la première raisonna loin dans le noir, et il ne recommença pas. Le bruit du gravier devait le rendre audible à plusieurs dizaines de mètres à la ronde, pensa-t-il, mais comme c’était ce qu’on lui avait demandé de faire, de marcher dessus, Lucian pensait qu’il ne pouvait pas lui arriver de problèmes à cause de ça. Tous les autres bruits, en revanche, sonnaient dangereux.

Peut-être avait-il fini par s’endormir vraiment, au bout du compte, dans le noir on ne sait pas si on a les yeux ouverts ou fermés. Toujours est-il qu’en ouvrant les paupières, il distingua soudain une lueur, comme celle de la lanterne du cocher, et il couru vers elle. C’était bien une lanterne, encore, tenue par une femme qui ressemblait à celle de la diligence, quoiqu’un peu différente. Celle-ci souriait.

- « Viens, entre. » dit-elle d’une voix douce, et Lucian s’aperçut qu’elle se tenait devant les premières marches d’un perron de pierre. La lanterne, opaque sur trois de ses quatre faces, n’éclairait que lui mais quand il eut atteint la femme, celle-ci se tourna vers les marches, révélant un escalier qui grimpait jusqu’à une large porte en bois épais.


Lucian vint se placer aux côtés de la femme et la suivit quand elle se mit à gravier les marches, poussa la porte. Dedans, il faisait aussi noir que dehors et sinon que le gravier avait laissé place à un sol de bois qui craquait, la lumière de la lanterne ne semblait toujours pas trouver où rebondir, comme s’ils étaient entrés dans une pièce sans murs.

La fatigue enveloppait Lucian tout entier, à présent, si bien qu’il se serait presque cru revenu dans la diligence, avachi dans les coussins de plumes tant ses muscles lui paraissaient engourdis.

- « Courage. » dis la femme, « Il reste encore une étape. » et elle déposa sa main au creux de ses omoplates, l’encourageant à avancer.

Lucian n’avait plus de volonté propre, depuis qu’il s’était réveillé dans la diligence, et il la suivi de nouveau, avançant dans la pièce dont on ne distinguait pas les murs, le bruit du gravier remplacé par le son du bois qui craquait discrètement sous ses semelles.
A un moment, il sembla au jeune homme qu’il avançait dans un couloir, parce que la lumière s’était bizarrement resserrée devant eux, mais à dire vrai il avait cessé de penser maintenant, son esprit s’engourdissait un peu plus à chaque pas.

La femme poussa une porte, puis une autre. Ils entèrent dans une pièce dont, à nouveau, le garçon ne distinguait pas les murs et la femme s’arrêta.

- « Avance. » souffla-t-elle, et Lucian comprit qu’elle ne l’accompagnerait pas plus loin.

Dans une sorte de réflexe de l’expérience, il fut tenté de réclamer la lampe, mais aucun son ne parvint à franchir ses lèvres et à la place, comme elle le lui avait demandé, il avança. Et avança encore.
Et devant lui une faible variation d’obscurité lui fit prendre conscience qu’il avait atteint le bout de la pièce, le mur du fond. Face à ce-dernier, un homme lui faisait face. Un très grand homme, qui ne tenait pas debout sans se courber à cause de la hauteur sous plafond et il sembla un instant à Lucian que ses jambes étaient des troncs d’arbres et son buste penché au-dessus de lui une moulure bizarre du plafond, mais au bout de ce buste il y avait un visage, pâle comme une lune, figé plusieurs mètres au-dessus de sa tête, et qui le fixait.
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Le réveil lui laissa dans la bouche le goût amer des endormissements arrosés, et l’impression persistante que quelque chose n’allait pas. Les yeux encore clos, à demi dans ses sens, Lucian laissa promener sa main sur la texture du matelas et des couvertures, ce qui le fit se redresser en sursaut. Le drap n’était ni rêche, et l’édredon ni bourré de paille comme là où il dormait chez lui, mais doux, moelleux et légèrement parfumé d’une odeur de lessive aux fleurs. Ca n’allait pas. Ce n’était pas son lit.

Le sommeil chassé par l’adrénaline, Lucian porta sur la pièce un regard circulaire. Ce fut vite fait, hormis son sommier, une chaise sur laquelle étaient posés ses vêtements et dessous ses chaussures, et une fenêtre aux volets fermés, il n’y avait rien. Rien qu’un mur rond en pierre, évoquant une tour, et le parquet en bois gris. A travers les fentes du volet, du jour s’infiltrait.

Le jeune homme prit quelques secondes pour apprécier ses draps, et leur douceur dérangeante sur sa peau, sorte de confort étranger, qui vous laisse mitigé. Il balaya finalement ses couvertures de la main et s’assit sur le matelas, touchant le sol de ses pieds nus. Hormis ses chaussures et son manteau, il avait couché habillé. Les lattes du parquet craquaient sous ses pas, après s’être assuré que la pièce était bien vide il fit tourner la poignée de la fenêtre.

Les volets étaient encore fermés mais il fut malgré tout frappé par l’air froid de la Transblêmie. Odeur caractéristique de pins et de pluie. Cela le rassura un peu. On n’était sans doute pas si loin de chez lui.

Le loquet des volets sauta et des deux mains Lucian repoussa les pans de bois, révélant l’immensité des bois en contre-bas. Lucian recula dans la pièce, pris de vertige. Même en montant tout en haut du sommet des arbres, jamais il ne s’était trouvé aussi haut. La tour – car c’était bien une tour où il se trouvait, il s’en rendait compte à présent – culminait bien au-dessus des plus hautes cimes. Un nouveau regard par la fenêtre l’en détrompa. En vérité, la tour, et le château qui se trouvait à ses pieds, étaient bâtis à flanc de colline et d’autres arbres se trouvaient plus haut encore, on en apercevait quelques-uns en se tordant le cou.

La tour donnait sur une vallée verte où, loin en contre-bas, quelques fumées laissaient deviner un village. On n’en apercevait pas les toits toutefois, en raison du vallonnement de la colline. Lucian observa un temps ces bois. Quand on avait toujours vécu dans leur ombre, les regarder de haut donnait une sensation étonnante, comme si un peu de leur mythe s’en trouvait réduit et la forêt ramenée à ce qu’elle était véritablement, hérissement de pointes de pins toutes semblables, à perte de vue, et sans imagination. En recouvrant l’étrangeté des clairières et la bizarrerie des troncs tordus, l’infinie des variations du sous-bois se trouvait avalée par cette mer verte où toute identité était réduite aux vagues que formaient l’ondulation gracieuse des collines de la Transblêmie.
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