15/05/2013
06:18:12
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Rencontre en Priscyllia

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- C'est joli !

- Oh oui très joli, mais il faut être sensible au charme du grand nord.

- Écoutez tout de même vous parlez à un natif du Pharois…

- Vrai que pour vous autres, tout a plus de charme que votre pays d’origine.

- … ma chère, je trouverais votre remarque déplacée si elle n’était pas si vraie.

Et les deux se mirent à rire de bon cœur tandis que se réduisait la distance entre la délégation priscylliene et celle du Liberalintern. Il y avait là tout un tas de membres de l'organisation, venus des quatre coins du monde, bigarrés comme il faut, mais pour la plupart emmitouflés dans de grosses fourrures pour se tenir chaud, rares étant ceux à être habitués aux températures polaires.
Battant tantôt l’air, tantôt le tarmac de sa canne à pommeau, le Professeur Olli Severi marchait en tête, le bout des moustaches frissonnante. On aurait dit le mélange entre une sorte d’écureuil nerveux et de grand morse, imposant du poids de l’âge et du soucis du protocole qui le faisait paraître autant curieux que guindé. Un gosse qui se refreine, en quelque sorte, ou en tout cas souhaitait-il donner cette impression-là.

On ne savait jamais très bien ce que pensait le Professeur Olli Severi, il faisait partie de cette race de gens qui ont beaucoup navigué et vu de nombreuses choses, et pour lesquelles il tirait une inconditionnelle affection paternaliste autant qu’un profond cynisme mêlé de désespoir, trop conscient de la brutalité du monde pour l’apprécier naïvement.

Cela ne l’empêcha pas d’écarter les bras, la canne s’élevant dans les airs comme s’il s’apprêtait à offrir une accolade aux Priscylliens, puis de les rabaisser pour finalement ne tendre qu’une sobre main gantée.

- C’est un plaisir de vous rencontrer enfin. Une rencontre qui n’a que trop tardé, la faute nous incombe, occupés que nous étions à régler ici et là des crises à n’en plus finir…

Il soupira. « Je ne cherche pas d’excuse, sachez néanmoins que ce n’est pas faire honneur à notre organisation que d’avoir si longtemps laissé un si illustre représentant de l’anarchie sur le pas de la porte. »

Puis il se tourna vers le reste de la délégation du Liberalintern, désignant tour à tour les représentants du Grand Kah, du Banairas, des Eglises Australes Unies, du Kayistev et même une pirate de Kotios, la Commune ayant tenu à envoyer une ambassadrice.
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Idriss Koliman, l'homme à qui le professeur Severi venait de serrer la main se tenait au centre d'un petit groupe d'hommes et de femmes emmitouflés dans de lourds manteaux chauds. Koliman était un petit homme maigre, au visage creusé et ridés, avec de petits yeux perçants, qui semblaient sonder l'âme de quiconque croisait son regard.

Messieurs,Mesdames dit-il en regardant chacun-e des représentant-es du Liberalintern, C'est un honneur immense de vous rencontrer, et une fierté incommensurable que notre pays soit si proche, après tant d'année, de rejoindre votre organisation. Je vous présente, tout autour de moi, quelques porte-paroles de l'Assemblée Générale. Ils n'ont pas tous eu le courage de braver le froid pour vous accueillir ici, mais tous vous attende à quelques kilomètres de l'aéroport, dans l'hémicycle de la Station d'Accueil Diplomatique, où se dérouleront nos discussions. Un convoi nous attend pour nous y emmener, mais ne vous inquiétez pas, le trajet sera court. Imaginez bien qu'il y fera plus chaud !

Sur cette dernière phrase, le Rapporteur Général esquissa un sourire franc aux ambassadeur-ices de l'internationale libertaire.
Derrière le groupe de porte-parole, une dizaine de petites voitures noires attendaient, presque indiscernables dans le brouillard qui semblait être fixé au-dessus de l'aéroport depuis déjà plusieurs heures.
Les chauffeurs, des soldats non-armés des FRAPs, tenait les portes ouvertes, invitant le petit monde à embarquer vers la Station d'Accueil Diplomatique, où les pourparlers pourraient débuter.
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Le professeur hocha doucement la tête, manifestement amusé.

- Oh comme je les comprends ! plaisanta aimablement le Pr Olli Severi. « Mes moustaches gèlent littéralement sous mon nez, mais à climat froid, cœur chaud ne dit-on pas ? Nous vous suivons jusqu’à la Station. »

Reprenant la marche, il emboîta le pas du délégué de la République Autonome de Priscyllia sa canne se balançant en rythme au bout de son bras.
Sans doute parce que peu de gens se disputaient ces territoires, l’espace sibérien et plus généralement le grand nord était particulièrement propice à l’établissement des utopies libertaires et anarchistes. Cela se vérifiait pour le Pharois, le Kayistev et le Boltorkhoy, au moins. Bien que ses connaissances restent lacunaire, le Professeur Severi avait étudié l’histoire et la géographie de Priscyllia en détail, pour préparer la rencontre et la probable adhésion de la République au Liberalintern. Cette nouvelle passion pour les cartes et le territoire faisait naître chez lui des théories qu’il souhaitait vérifier en pratique, notamment celle de l’incidence du climat sur la politique.
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Le convoi démarra, la délégation du Liberalintern à son bord. Les voitures traversèrent le paysage priscyllien, d'immenses pinèdes sauvages et enneigés, ponctués de champs et d'usine. Lorsqu'ils arrivèrent au niveau d'Aërola, les immeubles typiques de la région, bas, géométrique et identique se succédèrent, jusqu'à l'avenue des cortèges, où les huit véhicules passèrent devant l'ambassade des Pays-Plats. Au bout de cette avenue, la Station d'Accueil Diplomatique, un immense bâtiment blanc avec une entrée en verrière immense, donnant sur une esplanade devant laquelle le convoi s'arrêta.
Sur l'esplanade se pressait de nombreux porte-paroles des collectivités de Priscyllia, qui avait reçu rendez-vous à la Sation afin de rencontrer les représentant-es de l'internationale libertaire.

Idriss Koliman, s'extirpant de sa voiture annonça d'une voix forte aux invités .

- Chers ambassadeurs et ambassadrices du Libertalintern, vous voici à la Station d'Accueil Diplomatique d'Aërola, dans laquelle vous rencontrerez la seule personne capable en Priscyllia de prendre une décision par elle même : l'Assemblée Générale ! Veuillez suivre mes camarades et entrer dans l'hémicycle, il vous y sera servi quelques rafraichissements pendant que les discussions commencerons.
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Victoire Ustinov avait des traits secs. Forte d’une grande taille et coiffée d’un chignon, elle évoquait un peu ces professeurs du siècle passé, dégageant cette impression de raideur, d’autorité. La culture kah-tanaise n’aidant pas, elle passait sans doute pour la plus froide des représentantes de l’Internationale. C’était ironiquement celle qui souffrait le plus de la température ambiante. Emmitouflée sous d’épaisses couches de vêtements d’hivers, elle endurait stoïquement le climat de la région. Les autres délégués du Grand Kah n’en menaient pas plus large.

C'était l’un de ces hasards regrettables. A l'exception du Banairah, tous les pays qui avaient rejoint l'Union passé sa fondation souffraient d’un climat franchement inhospitalier. Ce qui dans l’esprit d’une kah-tanaise voulait dire froid. Très froid. Trop froid, en fait. Les EAU, le Pharois, le Kayistev, le Boltorkhoy, maintenant Priscyllia… L'Internationale régnait sur la neige et la taïga.

Peut-être que la liberté fleurissait plus aisément sous ces latitudes. Pour qui était habitué aux jungles et moussons du nord Kah-tanais, cela restait une hérésie climatique.

Elle faisait tout de même de son mieux pour tenir son rôle, et passa le trajet à faire la conversation, s’intéressant sincèrement à la situation alimentaire et régionale du Priscyllia, à la bonne installation des ambassadeurs kah-tanais — on espérait naturellement que ceux-là n’avaient pas commis d’impaires depuis leur arrivée.

Les kah-tanais se comportaient en bons visiteurs. Un peu atypique et, malheureusement, conformes à certains des clichés en circulation, ils notaient tout ce qu'ils voyaient, commentaient à voix basse et exclamaient occasionnellement leur approbation dans leur langue si étrange. Ils tirèrent quelques conclusions du paysage bien organisé, des usines et des champs, dont l'emplacement dispersé semblait conforme à l'organisation politique du pays, aux logements communautaires, qui arrachèrent des hochements de tête à l'ensemble des représentants. Lorsqu'ils arrivèrent devant la Station d'Accueil Diplomatique, ce fut Victoire qui s'exprima, et en termes clairs.

« C’est une belle civilisation, et je ne suis pas étonnée qu’elle conçoive de beaux monuments. »

Et elle sourit, manifestement ravis par la perspective d’entrer dans un bâtiment. Quoi que le terme "rafraichissement" lui aura fait lancer un bref regard, peut-être alarmé, peut-être simplement las, à Olli Severi. Les kah-tanais buvaient chaud. Et ici plus qu’ailleurs, elle aurait jugé cela appropriée. Peut-être que c'était simplement le terme en vigueur, une erreur de traduction, la transition d'une langue à l'autre jouait parfois des tours qu'elle était bien placée pour connaître. Pour ne rien laisser paraitre, elle se laissa aller à un trait d’esprit.

« Voilà qui change avantageusement des réunions en petit comité. » Et d’un ton pensif « Nous avons bien fait de venir. Priscyllia mérite qu'on se déplace jusqu'à elle. »
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Alors qu'une cinquantaine de personnes s'engouffraient dans l'hémicycle, séparé du hall d'entrée par une lourde porte de chêne, Idriss Koliman s'arrêta brièvement, la délégation du Liberalintern avec lui, dans le-dit hall d'entrée.

La pièce, octogonale, était parcourue de gigantesque fresque relatant les grands moments de la révolution priscylienne, dans un style très contemporain et coloré, qui dénotait avec l'architecture très conventionnelle (mais pas moins imposante) de la Station. Plusieurs escaliers sinueux et modernes partait du hall d'entrée vers les salles et les couloirs supérieurs, où se trouvaient des appartements de fonction et tous le nécessaire pour l'accueil de délégations. C'est par cet escalier que descendait trois personne, vêtu d'un uniforme militaire à l'insigne bleu, portant des plateau sur lesquels étaient disposés des verres semblables à des flûtes de champagne, s'il fallait ignorer la fine anse de cristal qui apparaissait sur chacun d'entre eux.

Les trois serveurs proposèrent le contenu de leur plateau aux convives, pendant que celui qui paraissait le plus âgé présentait leur contenu.

- Camarades, nous avons le plaisir de vous offrir en guise de bienvenue sur notre territoire une spécialité de la collectivité d'Aërola !
C'est de l'Isky-Ary, un champagne infusé à la sève de pin et maturé dans des effluves d'écorce de chêne aëroliens. Le goût est très particulier pour celles et ceux qui n'en aurait pas l'habitude, mais nous ne pouvions passer à côté de l'occasion de vous faire goûter cette boisson des plus typiques du pays.


Idriss Koliman prit un verre dans la foulée, en remerciant du regard les serveurs.

- Je vous présente monsieur Fanfrelat, soldat des FRAPs depuis une vingtaine d'année, et membre du bataillon de protection des personnalités publiques, qui sécurise actuellement la zone. Il se trouve qu'il est aussi le caviste de la Station, et le soldat le plus âgé du pays ! Régalez-vous, nous avons un peu de temps avant que la séance ne commence.
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D’un naturel plutôt réservé, le Professeur Olli Severi laissait trainer son regard sur les décors de la pièce et manqua à plusieurs reprises de se laisser distancer par le groupe qu’il rejoignit à petit trot, sa canne battant contre sa jambe gauche.
Il fut cependant parmi les premiers à récupérer une coupe de champagne dont le contenu fut siffler avec une rapidité surprenante, la vitesse des marins du nord, habitués à boire moins pour le goût que la chaleur et l’ivresse. Le Professeur comptait cependant rester sobre et après avoir bu sa coupe par politesse, il refusa les autres qu’on lui présenta, répondant toujours d’une petite voix que ses responsabilités ne l’autorisaient pas à trop d’excès.

- C’est tout à fait excellent, commenta-t-il suite à la présentation de l’alcool par leur hôte. « Rien à voir avec l’alcool de pomme-de-terre qu’on boit au Syndikaali » ajouta-t-il à l’adresse de son voisin immédiat.

Il adressa un hochement de tête poli à Fanfrelat à qui il trouva l’occasion d’adresser quelques mots à son passage.

- C’est bonne chose de voir des hommes de guerres investis dans des passions moins violentes. Pour ma part j’ai un grand amour du tricot, en amateur néanmoins, mais cela apaise l’esprit lorsque les responsabilités pèsent, n’est-ce pas ?
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- Il est certain, camarade, que la maturation des mes bouteilles me prend aujourd'hui plus d'énergie que le combat pour la révolution, et qu'on ne peut plus vraiment me désigner comme un véritable "homme de guerre"... Mais mes activités de cavistes sont, comme vous le dites, un apaisement immense face aux nervosités que l'appartenance à un corps armé peut provoquer ! Si je ne prend plus les armes directement, je n'ai pas fini de m'engager pour la défense des peuples de tous les pays ! répondit Fanfrelat avec les formulations complexe et le ton solennel qui le caractérise.

Idriss Koliman jeta un oeil vers la porte de l'hémicycle, et s'adressa aux ambassadeurs :

Sans vouloir vous interrompre, je pense qu'il est temps pour nous d'entrer dans l'hémicycle.
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Poliment, le Professeur Severi hocha la tête aux paroles de son hôte.

- Eh bien je suis bien malheureux de l'apprendre. Sachez que je connais de réputation quelques docteurs en psychologie comportementale qui officient à Albigärk et, le cas échéant, seraient sans doute ravis de se pencher sur votre cas. Les traumas et fébrilités héritées de la guerre sont une plaie béante à l'esprit que la science peine à refermer mais, certains y travaillent néanmoins et des bruits de couloirs qui me sont parvenus, auraient fait des progrès significatifs.

Puis il s'engouffra à la suite de Koliman qui les invitait à pénétrer dans l'hémicycle.
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L'hémicycle circulaire de la station d'accueil était éclairé par un grand lustre en son centre, et quelques appliques sur les murs qui en font le tour. Les deux rangées de sièges en velours rouges, devancées par de minces tablettes de bois servant de support, étaient occupés par les porte-paroles des 9 collectivités priscylliennes. Il restait cependant assez de place pour la délégation et Idriss Koliman dans une troisième rangée, ajoutée pour l'occasion au centre du cercle, ce qui rendait l'esplanade des prises de paroles plus petite, mais largement suffisante.

Idriss Koliman alla s'installer, invitant ses convives à faire de même. Il s'adressa discrètement au professeur Severi, en descendant les quelques marches qui le séparait de sa place :

Je vais prendre la parole quelques instants afin d'introduire la séance, prenez le temps de vous installer ! Vous disposerez ensuite d'autant de temps que vous voulez pour nous poser vos questions, auxquelles nous aurons le plaisir de répondre.

Koliman se releva et rejoignit le centre de la salle :

Camarades, Porte-paroles de toutes les collectivités, chers invités, nous y voici. Priscyllia est aux portes de la grande Internationale, la véritable, cette organisation de pays comme le notre, au fonctionnement libertaire, et aux volontés révolutionnaires !
La délégation du LiberalIntern veut au préalable s'assurer de la bonne volonté de notre pays, chose en laquelle je n'ai aucun doute. Camarades, je laisse la parole aux représentants de l'internationale.
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Accompagné des autres membres de la délégation, le Professeur Severi prit docilement place là où on leur avait désigné des sièges. Se retrouver ainsi face à tant de monde, dans une langue qu'il maîtrisait mais dont certaines subtilités lui échappaient encore, cela avait quelque chose d'assurément impressionnant. Fallait-il pour autant se laisse submerger par les émotions ? Certainement pas.

Du regard, il balaya la salle et en tant que porte-parole de la délégation, se leva lorsqu'on l'invita à prendre la parole.

- Chers camarades, chers amis, je souhaitais commencer ce discours en vous renouvelant tout le plaisir que nous avons à vous rencontrer aujourd'hui et l'honneur qui nous est fait de pouvoir être reçus par vous.

Nous avons en effet des "questions" et c'est ainsi que je les qualifierais, ni plus ni moins. N'y voyez nulle suspicion, nulle défiance, simplement un gage que si, et je n'en doute pas, vous nous rejoignez demain, ce sont bien des amis qui vous tendent la main et non je ne sais quelle coquille vide qui se présente à vous, investie de valeurs sans contenu.

Ma première question sera aussi simple que complexe : quelles sont vos ambitions ? Il y a au Liberalintern toutes sortes de gens qui n'aspirent qu'à la paix et je crois que s'il y a bien une chose qui nous distingue des autres démocraties morales, c'est la conviction que même le plus malheureux des hommes est encore maître de lui-même et que mieux vaut être esclave que mort. Le Liberalintern n'a pas vocation a exporter son modèle... ses modèles, devrais-je dire, au-delà de la volonté de ceux vers qui il l'exporte. Tâchons d'être un exemple plutôt qu'une pression.

Ainsi ma question prend tout son sens : vos communes sauront-elles mettre la tolérance et le respect de la pluralité humaine avant toute autre conviction ? La fraternité au-dessus de légalité ? Quelle est votre position sur ces questions que je qualifierais d'impérialisme moral ?
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Un léger brouhaha se fit entendre après l'intervention du professeur Severi. Rien de moins normal lorsqu'on est une cinquantaine à devoir se mettre d'accord sur la réponse à apporter à une question d'une telle importance. Bien heureusement, l'assemblée générale, forgée à l'exercice de l'horizontalité, avait préparé en amont de cette rencontre plusieurs lignes politiques fixes sur lesquels poser les réponses. La discussion ne fut pas longue, et comme si tout était prévu depuis le début, un porte parole se leva et descendit dans le cercle de parole, aux côtés du professeur Severi.

- Je me présente, Fabre Lonis, porte-parole de la collectivité d'Antonov à l'Assemblée Générale de la République Autonome de Priscyllia. Cher professeur, votre question est d'une grande pertinence, puisque nous avons il a quelques temps, eut l'occasion de nous la poser au sein même de cette assemblée lors de grands débats au sujet de nos positions internationales. Il est certain que cette problématique est d'une grande complexité pour nous, pays constitué en grande majorité de réfugiés de la guerre ou de la dictature. Nous sommes, suite à ces débats, en grande partie d'accord avec vous. La liberté ne peut, par définition, s'imposer. La lutte pour celle-ci doit toujours être profondément réfléchie et soutenue par la population, gardant l'équilibre entre la nécessité d'une vie libre, et l'importance d'une vie tout court.
Nous avons prit le parti de ne jamais intervenir à des fins idéologiques ou politiques dans un autre territoire. Cependant, dans le cas où ce territoire serait sous le joug de l'autoritarisme, de la censure, ou de n'importe quelle type de système fondamentalement oppressif et liberticide, et qu'il venait à y avoir un mouvement de révolte dans ce pays, et qu'il serait en notre pouvoir de soutenir ou non ce mouvement, nous y réfléchirions à deux fois. Car s'il est évident que nous ne pouvons pas imposer nos idées à un peuple, même victime d'influence et de censure, nous pensons qu'il est en notre devoir, en tant que pays anarchistes, de venir en aide aux mouvements de révolte libertaire qui pourrait bientôt parsemer le monde. Une révolution solitaire est une révolution qui échoue, et votre organisation ne porte pas, je le crois bien, le nom internationale pour rien.
Pour résumer en quelques mots notre réponses : nous ne souhaitons pas imposer ou exporter nos idées de forces dans de tierces-nations, aussi perdues soient-elle dans la capitaliste ou n'importe quelle autoritarisme. Mais nous n’oublierons jamais l'importance essentielle de la solidarité prolétarienne dans un monde en lutte pour la liberté.
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S'étant rassis dans son fauteuil, le professeur Severi s'appliquait désormais à décongeler sa moustache tout en prenant des notes attentives sur le processus démocratiques qui se mettait en place sous ses yeux. Il y avait toujours quelque chose de fascinant à voir tant de gens s'appliquer collectivement à se mettre d'accord et originaire lui-même du Syndikaali, qui ne connaissait de la démocratie que la démocratie d'équipage, il ne pu s'empêcher de se faire la réflexion que son pays natale avait encore beaucoup à apprendre et à réformer.

Il écouta ensuite d'un air particulièrement concentré les explications des député-es Priscyllien-es, hochant la tête de temps en temps à certains mots prononcés par leur porte-parole, Fabre Lonis. Quand ce-dernier eut terminé, le professeur Severi prit son petit carnet et le micro pour répondre à son tour.

Professeur Severi : Monsieur Lonis, et tous les députés ayant participé à cette prise de parole, je vous remercie pour vos mots éclairants. Reconnaitre la complexité d'un problème est sans aucun doute la meilleure preuve de vitalité démocratique et je crois qu'au-delà de notre amour pour la liberté et la fraternité, s'il y a bien une chose qui unit les membres du Liberalintern, c'est leur refus des réponses simples.

Il y a une frontière fine entre l'impérialisme et le soutien aux insurgés, c'est en fait la même frontière qui distingue un acte oppressif d'un acte de révolte : le rapport de force. S'impliquer de tout son poids dans les affaires d'un tiers, l'écraser au nom de nos valeurs est une chose abominable. En revanche, soutenir le faible, lui donner les moyens - les armes, si nécessaires - de son émancipation, de sa survie, voilà qui mérite d'être défendu.

Je me réjouis que nous partagions avec la République Autonome de Priscyllia cette conviction.

Il tousse légèrement avant de reprendre, lisant ses notes.

Professeur Severi : S'il m'est permis de poser une autre question, qu'en est-il du fonctionnement de l'économie dans la République Autonome de Priscyllia ? C'est une interrogation qui ne porte pas fondamentalement sur vos valeurs, mais je ne vous ferai pas l'affront d'expliciter que sous mon propos se cache le fait que tout est politique, et tout est économique. Il n'y a évidemment aucune mauvaise réponse, mais plusieurs pays membres du Liberalintern m'ont chargé de vous interroger à ce propos. Je gage que certains souhaiteraient tout simplement savoir si la République Autonome de Priscyllia est favorable au commerce, et si oui dans quelles modalités.
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A nouveau, réagissant à la nouvelle question du professeur, l'assemblée se mit à converser. Cependant, l'on put noter que ce brouhaha ne traduisait pas la même sensation d'assurance démocratique qu'à la question précédente. En effet, la question du commerce est encore en cours de débat à l'Assemblée, et devoir donner un avis clair et précis sur cette question sans avoir réussi auparavant à s'être mis d'accord semble difficile. Alors que les conversations (et les disputes) se poursuivent depuis plusieurs minutes dans les chuchotements parcourant la salle, une femme, Sara Al'Farih, se leva de son siège et se dirigea, sous certains grognement de mécontentement, vers le milieu de la salle.

- Voyez-vous, mesdames et messieurs les représentants et représentantes du LiberalIntern, aussi étonnant que cela puisse paraitre, nous avions aussi préparé cette question lors de la séance préparatoire d'hier. Seulement, la ligne à laquelle nous sommes parvenus, et que je vais vous exposer, n'est à ce jour qu'un ensemble de compromis démocratique entre les positions des uns, des unes, et des autres. La question du commerce, et de l'ouverture de Priscyllia sur le monde, est actuellement en discussion à travers de nombreux débats que nous avons eu l'occasion d'aborder depuis quelques mois.
Afin de refléter au mieux la ligne votée hier, je vais ici mettre mon opinion de côté, et me concentrer sur les faits.
Nous avons été, jusqu'ici, un pays à côté du monde, tant politiquement qu'économiquement. Revendiquant une indépendance radicale et sans compromis, nous n'étions favorable à aucun traité avec des nations qui ne porteraient pas nos valeurs. Seulement, depuis quelques temps, nous avons dut faire face aux fruits de cette politique additionnés à des changements naturels que nous ne pouvons contrôler. Et la question du commerce, de l'autonomie, ont dut être remise sur la table.
Vous avez sûrement eut vent de nos récentes difficultés alimentaires à cause du gel, par exemple, et de l'aide dont nous avons eu besoin, aimablement donnée par le Grand Kah, pour surmonter cette crise.
L'acceptation de cette aide fut pour nous la première étape d'une ouverture commerciale sur le monde, bien que nous n'ayons rien eu à payer à cette occasion.
Les traités diplomatiques, notamment signés par nécessité avec des nations éloignés idéologiquement de l'anarchisme, ont aussi conduit à des échanges commerciaux et économiques avec des pays frontaliers.
Petit à petit, nous nous ouvrons sur le monde, contre le gré, je tiens à le préciser, d'une partie de l'assemblée.
Mais le phénomène semble se faire par nécessité, sans que nous puissions réellement l'arrêter. Si nous n'avions pas accepté ces échanges, nous serions à l'heure actuel plongé dans une immense crise économique.

Et bien, maintenant que je vous ai exposé cette évolution, afin de mettre en lumière les débats qui nous agitent en ce moment, et de justifier cet instant conflictuel que vous avez sans nul doute perçu, je vais vous présenter succinctement ce que nous pourrions définir comme notre modèle économique.

Nous sommes une nation d'artisans et de petits producteurs. La majorité de nos marchés sont pour le moment interne à notre territoire. Les collectivités achètent ce qu'elles ne peuvent produire aux autres collectivités, et la plupart des échanges s'effectuent sans monnaie réelle. Le littoral approvisionne les forêts en poisson, en échange de bois de chauffage, par exemple. Les services, comme l'hôpital de Naminov, sont financé entièrement par l'Assemblée Générale en ce qu'il s'agit de personnel et de matériel. Je ne rentrerais pas dans les détails, mais l'autonomie est ici aussi mise au centre, les subventions étant décidés par les collectifs de soignants de l'hôpital plutôt que par l'Assemblée. Et ce n'est qu'un exemple.
D'un autre côté, nous obtenons quasiment toute notre richesse en monnaie grâce au tourisme naturel dans les forêts.

Je ne détaillerais pas plus ici nos perspectives économiques, puisque comme dit précédemment, nous sommes en pleines discussions à ce sujet. Mais l'ouverture modérée à un commerce mondialisé de biens de qualités comme nous sommes capable d'en produire constitueraient sans nulle doute un revenu conséquent, et nous pourrions assurer notre résilience et notre subsistance en concluant des accords de sûreté alimentaire et sanitaire avec de tierces nations. Ces projets sont sur la table !


Sara quitta l'espace de prise de parole, fière d'avoir éviter une dispute plus longue et ridicule entre les mondialistes et les indépendantistes, mais peu convaincu par son exposition du modèle commercial priscyllien. En même temps, difficile d'en parler. Priscyllia n'est pas une de ces nations construite autour d'échanges commerciaux, et peu d'habitants, mise à part certains porte-parole, sont capable de parler d'économie pendant plus de 5 minutes...
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La docteur Victoire Ustinov n’était pas intervenue jusque-là, se contentant de prendre notes des différentes réponses. L’assemblée lui rappelait beaucoup une version un peu plus bruyante de la convention générale kah-tanaise. Quoi que cela dépendait des moments, et elle n’ignorait pas que l’organe moteur de la confédération pouvait, et n’hésitait pas, se perdre dans de terribles disputes sur les sujets les plus polémiques. Une démocratie vive et directe ressemblait beaucoup à une autre, et cela n’avait rien d’étonnant.

Elle se pencha un peu vers ses collègues du Liberalintern.

« Démocratisme économique. Je pense que nous avons tout ce qu’il nous faut. »

Puis, après avoir activé son propre micro.

« Nous vous remercions pour ces explications, camarade. Il va de soi que le Liberalintern n’a pas vocation à vous demander de presser les choses, la question de l’économie est centrale. » Elle hésita, ayant peut-être peur d’outrepasser son rôle, puis ajouta succinctement. « L’Internationale aurait tout intérêt, si le processus d’ouverture initié sous la contrainte des évènements se poursuivait, à assister votre République à le faire sans se mettre en danger. Je ne peux que supposer des arguments politiques justifiant le pour et le contre dans ce débat. Nous espérons que notre organisation saura vous êtes utile pour trouver des réponses appropriées aux ambitions et besoins des citoyens de Priscyllia. »
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