14/05/2013
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3 - Contes et légendes

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Un jour, l’Envie passa dans un village. Il vit un bel Enclos familial recouvert de peintures vives et colorées. Les femmes qui pilaient le manioc étaient joliment apprêtées, joliment ornées, leur beauté semblait éclipser le soleil. Tout autour d’elles, des enfants vigoureux jouaient et courraient avec les chiens bien nourris. Dans les enclos, des vaches grasses, des chèvres agiles, des moutons très laineux. Il était l’esprit de l’Envie et un tel tableau ne le laissait pas indifférent. Il voulait tout cela. Ces bêtes, ces femmes, leurs enfants, la maison décorée, tout devait être à lui. Non, tout allait être à lui.

Il se dirigea alors vers le chef de famille qui mâchait du khat à l’ombre d’un acacia, pour se protéger de la chaleur et surveiller le travail des femmes.

- Chef de famille, je veux ton enclos, tes femmes et tes bêtes, donne-les-moi.

Le chef de l’enclos avait bien reconnu l’Envie. Ses paroles étaient douces comme le miel et ses actes aussi acérés que les dents des hyènes. Il n’apportait que le malheur. Il fallait donc s’en débarrasser mais il n’était pas facile de faire fuir l’Envie. Voyant qu’il hésitait, l’Envie proposa :

- Si tout le monde est d’accord pour me suivre, plutôt que moi, tu pars. Si un seul n’est pas d’accord, tu gardes tout.

Sans attendre de réponse, l’Envie se dirigea vers les femmes.

- Femmes, si vous me suivez plutôt que le chef de famille, je vous amènerai la fortune.

Les femmes, à qui le chef n’avait jamais fait attention et ne leur avait jamais rien promis, eurent envie d’une vie meilleure et acceptèrent.

L’Envie rassembla les enfants autour de lui.

- Garçons et fillettes, si vous me suivez plutôt que votre père, je ferai de vous des vedettes, vous serez connus dans le monde entier.

Les enfants eurent envie de la gloire promise et acceptèrent.

L’Envie alla voir les vaches, les moutons et les chèvres.

- Vaches, moutons et chèvres, si vous me suivez plutôt que votre maître, je vous apporterai la victoire et la défaite de vos ennemis.

Les moutons et les chèvres qui craignaient les lycaons, les hyènes et les lions eurent envie de protection et de tranquillité. Elles acceptèrent. Les vaches en revanche, avaient leurs cornes pour se défendre. La vache la plus sage s’avança et dit :

- Je n’ai que faire de leur défaite, moi, je veux du foin et des pâquerettes.

L’envie renchérit :

- Avec moi, tu auras la gloire, tu deviendras une vedette !
- Ben non, moi, j’attends la traite.
- Je te donnerai une vie palpitante, des aventures, des épopées et des batailles !
- Ben non, moi, j’veux d’la paille.
- Je t’aiderai à obtenir ton rêve : avoir une grande fortune, des perles et des trésors !
- Ben non, moi, je rêve que je dors.

La vache le regarda en mâchant. Elle attendait tranquillement que l’Envie renchérisse. Mais ce dernier comprit que la vache appréciait sa vie chaque jour comme elle venait. Alors, dépitée, elle s’enfuit en disparaissant dans un nuage de souffre. L’enclos retourna à son activité habituelle et la vache eut double ration de foin ce soir-là et c’est depuis ce temps qu’au Majanda, la vache a la réputation d’être un animal sage.
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La religion Majandienne est synchrétique. Il ne pose aucun problème aux Majandiens d'intégrer des concepts d'autres religions à la leur même les religions du livre. C'est ainsi que la religion Majandienne a résisté au tsunami chrétien puis musulman en les mélangeant à leurs croyances initiales. Ainsi, certains majandiens utilisent des rosaires (qui sont utilisés dans ces deux religions) pour réciter leurs prières quand bien même cet objet ne faisait pas initialement partie de la culture majandienne.


Il était une fois un royaume d’Afrique dont le peuple était malheureux. Pourtant, ils avaient tout pour vivre gaiement : les eaux de la côte abondaient en poissons, la terre était fertile, il y régnait toujours une température agréable. Mais ce peuple était dirigé par une méchante reine. Elle était acariâtre et n’hésitait pas à condamner à mort ses sujets, parfois sans aucune raison, juste pour le plaisir de faire du mal et de répandre la terreur parmi la population.

Toutefois, elle prenait toujours la précaution de dire qu’il s’agissait là d’un châtiment voulu par un dieu. Au lieu d’ordonner tout simplement « tuez-le ! », elle disait « son comportement a déplu à l’esprit du feu, brûlez-le ! » Puisqu’elle invoquait les dieux, personne ne pouvait la remettre en cause ouvertement, mais personne n’était dupe. Puis, un jour, vinrent des missionnaires. Étaient-ils chrétiens ou musulmans ? L’histoire ne le dit pas et cela importe peu. Le principal est de retenir que la population suivit ce culte rapidement. Pour conserver le pouvoir, la vilaine reine se convertit aussi. Pour elle, c’était plus pratique. Elle n’avait plus à chercher quel dieu elle devait invoquer pour ordonner une exécution : il n’y en avait plus qu’un.

Rien ne changea vraiment, mais maintenant la reine devait faire attention à montrer de la piété. Comme elle évitait autant que possible d’aller dans les lieux de culte — car n’oublions pas, elle ne s’était pas convertie parce qu’elle croyait à cette religion, mais uniquement pour mieux conserver le pouvoir —, elle décida de toujours porter un chapelet avec elle. Elle pouvait ainsi dire qu’elle priait à longueur de journée. Mais à force de faire passer les grains entre ses doigts, elle usa son chapelet. Il lui en fallait donc un autre. Elle fit appeler Kabanga, le patenôtrier.

Kabanga était fabricant de chapelets. Le plus souvent, il créait ses œuvres à partir des os du bétail ou des bois des environs. Il savait faire les grains les plus ronds de la région et les plus réguliers. Les assemblages qu’il faisait sur le fil de laiton étaient les plus solides. Il était si doué que sa renommée atteignait même les pays avoisinants. Un matin, des gardes vinrent le chercher dans son atelier et il fut conduit devant la reine :

— J’ai entendu dire que tu étais le meilleur patenôtrier du royaume, Kabanga.
— Votre Altesse me fait trop d’honneur, répondit-il prudemment.
— Je veux que tu me fasses un chapelet couleur ivoire.
— Ivoire ? Mais Votre Altesse, jamais je n’ai fait cela.
— Ça sera l’occasion d’apprendre. Va et réussis. Si tu me donnes un mauvais chapelet, le Tout Puissant sera offensé et je devrai te mettre à mort pour l’apaiser.

Le patenôtrier s’inclina bien bas et retourna chez lui. Il savait qu’il devait rendre un travail parfait s’il voulait échapper à la méchanceté de la reine. Dès qu’il rentra, il s’empara de sa sagaie et marcha dans la brousse. Pour avoir de l’ivoire, il fallait une défense d’éléphant. Il parcourut la savane pendant plusieurs jours lorsqu’il se trouva face à un jeune mâle. Kabanga s’approcha doucement puis attendit que l’éléphant passe à sa portée. Mais l’animal allait dans l’autre direction. Le patenôtrier décida donc de rassembler son courage et de courir vers lui. Dans un bond prodigieux, il atterrit sur son cou. La bête essaya de s’en débarrasser, mais l’homme tenait bon. Alors, l’éléphant cria :

— Arrête ! Laisse-moi la vie sauve et je te rendrai service un jour.

Surpris d’entendre un animal parler, Kabanga suspendit son geste et dit :

— Je n’ai aucune envie de te tuer, mais si je ne donne pas un chapelet d’ivoire à la reine, elle me mettra à mort.
— Ne t’inquiète pas : je peux te dire comment fabriquer un faux ivoire qui aura l’air plus vrai que le mien.
— Dans ce cas, c’est d’accord, dit Kabanga en descendant de son dos.
— As-tu des noix de coco vidées de leur amande chez toi ? demanda l’éléphant.
— Bien sûr ! Cela me sert de bois de chauffage.
— Utilise-les plutôt pour fabriquer le chapelet de la reine. Elle n’y verra que du feu.
— Je ferai comme tu l’as dit, acquiesça le patenôtrier.
— Nous nous reverrons un jour, au revoir, conclut l’éléphant en s’en allant.

Kabanga revint à son atelier et prit une de ces noix de coco. Un peu hésitant, il se mit à l’ouvrage. Il découvrit que cette matière était facile à travailler et que l’aspect et la texture des perles étaient identiques à celui de l’ivoire. Après une semaine de besogne intense, il termina un superbe chapelet aux perles très régulières. C’était le plus beau qu’il n’ait jamais fait, il aurait même paru moins beau avec de vraies perles d’ivoire. Il alla voir la reine :

— Votre Altesse, voici le chapelet ivoire que vous m’avez demandé.
— Enfin ! J’ai attendu. Ce travail m’a l’air tout juste passable. Je ne te paierai pas. Va-t’en.

Le patenôtrier se dépêcha de partir, tout heureux d’avoir eu la vie sauve. Il savait de toute façon que la reine n’appréciait jamais rien et critiquait tout. Il continua de travailler avec application et, comme tout le monde, priait pour que la reine ne les tourmente pas trop.

Quelques mois passèrent et la reine usa son chapelet. Elle fit appeler Kabanga.

— Te voilà à nouveau. Ta réputation de patenôtrier a encore augmenté depuis la dernière fois.
— Votre Altesse me fait trop d’honneurs, répondit-il prudemment.
— Je veux que tu me fasses un chapelet couleur corail.
— Corail ? Mais Votre Altesse, jamais je n’ai fait cela.
— Ça sera l’occasion d’apprendre. Va et réussis. Si tu me donnes un mauvais chapelet, le Tout Puissant sera offensé et je devrai te mettre à mort pour l’apaiser.

Alors, comme la première fois, le patenôtrier s’inclina bien bas et partit rapidement. Une fois rentré chez lui, il prit un panier et un couteau puis se dirigea vers la mer. Il arriva bientôt au pied d’une eau bleu turquoise aux reflets scintillants. Il plongea aussitôt. Il nagea quelques minutes pour s’éloigner du bord et trouver un récif. Finalement, il repéra un beau corail rouge. Il commença à taper dessus avec sa lame pour en récupérer des morceaux. Mais à peine eut-il donné quelques coups qu’un serpent de mer surgit :

— Arrête ! Tu es en train de détruire ma maison.

Surpris et effrayé par l’animal, Kabanga expira tout son air et dut remonter à la surface. Alors qu’il prit une profonde inspiration, il vit que le serpent l’avait suivi aussi.

— Pourquoi détruis-tu mon logis ?
— Je n’ai aucune envie de détruire ton logis, mais si je ne fabrique pas un chapelet de corail pour la reine, elle me mettra à mort.
— Je vois. Faisons un marché : épargne ma maison. Le corail, ça met des décennies à pousser, il faut le préserver. En échange, je te rendrai service.
— Et pour mon chapelet de corail ? Comment vais-je faire ?
— Il n’y a pas très loin un artisan Yoruba. Son peuple connaît le secret du verre. Tu devrais aller le voir.

Le patenôtrier sortit donc de l’eau et alla trouver le Yoruba. Ce dernier accepta de lui montrer les secrets du verre en échange d’un des chapelets qu’il fabriquerait avec cette nouvelle technique. Kabanga était bon élève. Il apprit vite comment faire des perles de verre plus vraies que du corail. Il avait eu l’idée de créer une nouvelle teinture pour le verre et même de rajouter un parfum ! Il fondit donc deux chapelets à l’atelier du Yoruba : l’un pour son enseignant et le second pour la reine. Ce chapelet était encore plus beau que celui de couleur ivoire. Il retourna ensuite au palais pour donner à la reine sa commande.

— Votre Altesse, voici le chapelet corail que vous m’avez demandé.
— Enfin ! J’ai attendu. Ce travail m’a l’air tout aussi mal fait que l’autre. Je ne te paierai pas. Va-t’en.

Le patenôtrier s’en alla donc. Mais dès le lendemain, des gardes vinrent le chercher. Il fut jeté sans ménagement devant la reine.

— J’ai fait tomber ce chapelet et il s’est brisé en mille morceaux ! Tu m’as trompée, ce n’est pas du corail.
— Mais, ô ma reine, vous m’aviez demandé un chapelet couleur corail, pas un chapelet de corail, se défendit Kabanga.
— Non seulement tu oses me contredire, mais tes actes ont offensé notre Créateur ! Enfermez-le ! Tu seras conduit au bûcher demain au coucher du soleil.

Et le patenôtrier fut enfermé dans la prison et passa une journée terrible. Le lendemain soir, il fut escorté sur la plage à côté du palais. On y installait là l’énorme bûcher haut de plusieurs mètres, pour éviter tout risque d’incendie. Le pauvre Kabanga tremblait de tous ses membres lorsqu’on l’attachait au poteau. La reine s’empara de la torche et la lança elle-même dans le bois. Le feu commença à prendre. Mais, après quelques minutes, le sol se mit à trembler. La cour regarda autour d’elle et aperçut soudain un éléphant qui se ruait vers la plage. C’était l’éléphant que Kabanga avait épargné ! Sans tenir compte du feu, il détruisit le bûcher et les troncs volèrent dans toutes les directions. Le poteau où était attaché le patenôtrier fut projeté dans la mer. L’eau éteignit les flammes qui brûlaient le bois, mais menaçait maintenant de noyer l’artisan.

— Retiens ta respiration un peu encore.

C’était le serpent de mer. Il s’approcha de la corde et commença à la ronger. Quelques instants après, le patenôtrier était libre. Il remonta vite vers la surface et vit tout le monde en train de danser de joie. Quelques gardes étaient non loin pour l’aider à sortir.

— Vive notre héros ! Vive Kabanga !cria l’assemblée en le voyant.
— Mais qu’est-ce qu’il se passe ?
— La reine est morte !

L’éléphant avait détruit le bûcher avec tant de force qu’un tronc avait atterri sur la reine, la tuant sur le coup. De grandes fêtes furent organisées pendant sept jours. Le fils de la reine, un garçon bon et intelligent, monta donc à son tour sur le trône. Il essaya de gérer le royaume au mieux et rendit les habitants très heureux. En remerciement, Kabanga devint le patenôtrier officiel du roi et n’eut jamais à regretter d’avoir épargné l’éléphant et le serpent de mer.

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Les patenôtriers fabriquent des rosaires ou des… patenôtres. Si les matières riches comme l’émail ou la nacre sont utilisés, les patenôtriers savent aussi imiter les perles, le jais, le corail et l’ambre. Le montage des grains se fait sur un fil de laiton avec une pince arrondie. De nombreuses femmes des campagnes complétaient leurs revenus en montant les chapelets. De nos jours, la fabrication des perles est faite par des machines, mais le montage utilise encore les techniques d’autrefois.
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