« Pas de contrôles, pas de risques. » telles avaient été les consignes de l’opération. « Pas de traces, discrets comme l’écume. » avait ajouté un marin avant qu’on lui dise de « fermer sa gueule le poète. »
L’avantage des pirates rouge était leur nombre : quelques centaines d’hommes et de femmes dévoués à une cause, suffisamment nombreux pour avoir du poids, suffisamment peu pour rester discrets. Le Royaume-Soudé n’était pas le plus simple à atteindre : situé à l’embouchure des terres de Fortuna, il était évidement hors de question d’en rapprocher le sous-marin. Terroriser des Clovaniens était une chose mais la marine de la Sérénissime était autrement plus dangereuse et mieux équipée que le sous-marin rouge.
Tant pis, à défaut de matériel de pointe, on avait des amis. Hymveri avait abandonné sa tenue de capitaine et fait le voyage jusqu’à Mella Cità, la seule ville portuaire frialane à ne pas nécessiter de passer par les eaux fortunéennes pour rejoindre la côte. Les talents de contrebandiers des Pharois avaient été utiles, on l’avait débarqué dans une boîte censée contenir des algues, avec deux de ses compagnons, puis expédié dans un hangar de stockage dont un camarade sur place leur avait ouvert la porte de l’extérieur.
Une fois sur place, chacun des trois pirates avait pris un train différent : un pour Odina et les deux autres pour la capitale Pardenona. Sur place, on avait réactivé les réseaux clandestins communistes pour héberger le capitaine trois jours, le temps du rendez-vous et de s’y préparer.
Grâce aux camarades Frialans, louer du matériel de plongé n’avait posé aucun soucis. L’un d’entre eux avait prétexté de préparer un week-end entre copains et loué un lot sur le port. La plongée était prévue samedi, ça laissait toute la journée du vendredi pour profiter du matériel. La rade était pleine de navires de toutes les tailles, on en loua un. Resté caché dans un appartement clot pendant toute la durée des préparatifs qui n’avaient en tout et pour tout mobilisé qu’une demi-douzaine de personnes, le capitaine Hymveri s’était glissé dans le port à la faveur de l’aube et comme n’importe quel groupe d’amis désireux de passer une journée au large, ils avaient largué les amarres vers 8h du matin.
A 11h30, si tout fonctionnait comme prévu, le navire touristique qui longeait le littoral passerait à quelques centaines de mètres d’eux. A ce moment-là, Hymveri en homme grenouille, dissimulé sous la surface, n’aurait qu’à profiter que le bateau ralentisse au large d’une falaise connue pour abriter des colonies de goélands – l’occasion pour le guide de se livrer à un petit topo sur la faune locale – pour se hisser à bord de l’autre côté du navire et se glisser dans la salle des machines.
Celle-ci serait vide pour la raison évidente que la compagnie touristour n’avait pas été choisie par hasard, proche du dépôt de bilan elle avait été obligée de licencier une équipe de permanents et se contentait désormais de deux employés à bord : le guide et le capitaine. Les ingénieurs chargés de la maintenance, eux, restaient à terre pour vérifier chaque matin et chaque soir l’état des navires pour la journée. En cas de problème, le guide était censé pouvoir intervenir au niveau des moteurs, mais franchement, ce bras de mer était tellement emprunté qu’on voyait mal comment un incident grave aurait pu se produire sans qu’immédiatement un dizaine de bateaux ne viennent secourir les gens à bord.
De l’autre côté de la mer, le camarade resté à Odina avait également loué un navire qui récupérerait le capitaine Hymveri une fois la rencontre terminée, de sorte que la mer achève de brouiller toutes les pistes. Les autres marins restaient de toute façon au large, l'un des deux navires prêt à engager une diversion au moindre problème pendant que l'autre prendrait la fuite.
Il était 11h34. Hymveri venait de se hisser sur le pont inférieur du navire, déserté de ses occupants. Tout le monde était trop occupé sur le pont du dessus, à commenter la colonie de goéland. Habitué des tenues de plongées, il se glissa à l’intérieur du navire sans réellement craindre de laisser des traces, le pont inférieur étant de toute façon régulièrement balayé par l’embrun marin et recouvert d’eau de mer.
Il descendit un petit escalier en fer et se dissimula dans le vacarme des moteurs qu’il contourna pour finalement aller s’asseoir sur un petit rebord de mur.
Ouf… bon ça avait été marrant en fin de compte ! Une vraie aventure de pirate à l’ancienne, sauf qu’il n’était pas là pour saboter le navire de l’intérieur. Quoique, rencontrer un prince, ça avait aussi de la gueule en soit.
Hymveri était curieux. Ce gamin couronné qui semblait lui vouer une espèce de fascination, à lui et ses idées, cela avait le don de l’intriguer. Pas suffisamment pour avoir motivé un tel risque cependant, Hymveri vivait par et pour sa cause depuis trop longtemps pour se laisser aller à des projets futiles. N’empêche que monter une expédition secrète pour mener des négociations avec le dirigeant d’une nation étrangère, ça avait son charme. En fait, il retrouvait les sensations connues au moment du détournement du Kauhea, trois ans auparavant, et l’impression que le monde entier n’était en définitive qu’un terrain de jeu dans lequel il évoluait à sa guise.