11/03/2013
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[EXTRAIT d'ETUDE] Actes de colloque : Genre et politique, le pourquoi de la fascination althaljir ?

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Sans doute en raison de l'exotisme qu'inspire l'Althalj, le nombre de travaux en anthropologie portant sur la nation ouest-afaréenne augmenta énormément à partir de l'année 2007. De plus en plus nombreux, les actes des colloques ayant pour thème la philosophie et la culture althaljir firent l'objet d'un travail de compilation et de synthèse, donc le présent document est un extrait. En partenariat avec les universités althaljirs, connues pour être parmi les plus développées du monde, ces travaux firent l'objet d'une diffusion au sein de ses cercles scientifique et politiques.

Ce document, particulièrement long, se décompose en plusieurs parties.


Actes du colloque : Genre et politique, le pourquoi de la fascination althaljir ?
Premier acte : la Sublime Althalj

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« Et me voyant soudain plongé dans ce monde tout plein de sens, je ne su plus qui j’étais ni où j’étais. »
- poème pharois


Introduction

Ce travail se veut la synthèse des actes du colloque « Genre et politique, le pourquoi de la fascination althaljir ? » s’étant tenu à la Seikkailunhaluinen humanistinen yliopisto ; Albigärk 7 – Université d’anthropologie aventurière en automne 2008. Il se proposait de répondre à une question ayant beaucoup agité les sphères intellectuelles de gauche et de droite ces dernières années : quel fut l’apport scientifique et philosophique d'une société matriarcale religieuse et une nation libertaire viriliste pour le développement des idées féministes et progressistes à travers le monde ?

Alors que dans les nations libérales du monde, les thèses féministes ont le vent en poupe ces-dernières années, deux nations pourtant à l’avant-garde des questions de genre semblent avoir pris des chemins alternatifs par rapport au reste du monde sur ces sujets. Dans ce travail, nous laisserons volontairement de côté le cas des communes anarchistes, des Etats autoritaires-égalitaires communistes et de l’inclassable Grand Kah en cela que chacune nous semble dans une certaine mesure proposer une variante du projet matérialiste marxiste. Sans entrer dans les détails, l’idée que le genre soit un rapport de pouvoir trouvant un sens historique particulier au sein du mode de production capitaliste n’est pas nouvelle et fonde la base de la plupart des courants féministes modernes – exception faite des théories essentialistes et queers qui semblent se développer doucement, mais dont nous ne traiterons pas non plus aujourd’hui. Une matrice matérialiste qui a contribué à formaliser les enjeux de l’inégalité homme-femme aujourd’hui repris à différents niveaux de radicalité par un grand nombre de démocraties modernes.

Pourtant, deux pays sortent du lot : l’Althalj et le Pharois Syndikaali en cela que leur approche des questions de genre ne peut être affiliée à l’héritage marxiste et matérialiste. En effet, leur conception des rapports homme-femme paraît d’avantage liée à des enjeux historiques anthropologiques datant d’avant l’avènement des idées égalitaires socialistes et marxistes au XVIIIème siècle.

Voyons, pour chacun de ces deux sociétés, les particularités culturelles leur permettant de justifier une approche alternative des questions de genre dans le débat politique et scientifique international.


Partie 1 : la société matriarcale althaljir, une société patriarcale inversée ?

Un regard un peu hâtif sur la société althaljir aurait trop vite fait de considérer celle-ci comme une société traditionnelle, dont les hasards de l’histoire auraient conduit à un pur et simple inversement des rôles genrés, hommes devenant femmes, femmes devenant hommes. Par certains aspects, ce diagnostique est en effet convainquant, à commencer par l’observation du dysmorphisme physique que l’on peut constater chez les althaljirs : femmes tendanciellement fortes, hommes tendanciellement faibles. Une affaire de distinction par la nutrition, principalement, qui, si elle ne gomme pas complétement les différents effets des hormones sur le corps, participe toutefois à les atténuer. On peut également prendre en compte les effets d’une sélection sexuelle ayant pu, à certaines périodes de l’histoire du pays, opérer une sélection des individus mal préférés plus petits et chétifs pour des raisons esthétiques.
Plus frappant est la répartition genrée des activités professionnelles, les femmes étant beaucoup plus sollicitées dans les professions à forte pénibilité physique, tandis qu’aux hommes échoient les tâches relevant du « care », de l’entretien du foyer et d’élever les enfants. Ainsi, les hommes au foyer ne sont pas rares en Althaljir ce qui semble un reproduction fidèle des schémas de domination patriarcaux observés dans la plupart des sociétés du monde.

La comparaison trouve cependant ses limites lorsqu’on se penche sur le concept de sororité althaljir, une idée philosophico-cosmologique, traduite dans les institutions d’Etat où elle est le nom d’une des instances décisionnelles de premier ordre. Nous tenons toutefois à noter que la sororité n’est certainement pas une entité homogène et qu’elle reproduit les mêmes dissensions politiques qu’une assemblée démocratique classique. Une différence distingue toutefois la sororité althaljir d’un simple groupe d’élu chargés de prendre des décisions : contrairement aux modes de démocraties modernes où le débat est conçu comme un outil de gestion du dissensus, la sororité cherche d’avantage à se rapprocher d’une délibération, en mettant de côté ou en dissimulant les dynamiques strictement confrontationnelle et autres question d’égo. Une observation particulièrement frappante au regard de certains travaux en analyse du discours mettant en avant l’importance de la hauteur de vue dans les débats politiques de l’Althalj, ces derniers se reposant énormément sur une conception holistique de la société et du monde, bien plus que sur un conflit d’intérêt entre groupes sociaux.

Réunies entre sœurs, les Qari délibèrent au nom du bien de la société. C’est une première différence notable entre les sociétés patriarcales et l’Althalj : sans doute à cause du fait que son modèle politique se démarque radicalement de celui de ses voisins, le pays a développé bien plus tôt que les autres une « conscience de sexe » qui manque aux autres cultures phalocentrées. Il existe bien entendu, dans les cultures patriarcales, un solidarité masculine – dont le pendant féminin confine en général plutôt au folklore – incarnée dans les « boys club » sous toutes les formes, parfois formellement – lieux interdits aux femmes – parfois plus pernicieusement – dévaluation des caractéristiques associées à la fémininité pour limiter leur ascension – ou, pour les nations véritablement antimodernes, des régimes de lois différentes, mais l’Althalj a conceptualisé et formalisé sa sororité bien plus tôt et plus vite que d’autres. En effet, alors que nos nations modernes se penchent depuis très peu de temps sur les études de genre de manière véritablement scientifique, la question de l’organisation genrée de la société, en tant que réaction au patriarcat, est beaucoup plus ancien en Althalj.

La féminité althaljir est ainsi devenue très vite une féminité de combat, ou du moins de résistance. Un diagnostique dialectique qui l’inscrit moins dans la confrontation de son modèle par rapport à celui de ses voisins, mais dans l’affirmation de ses caractéristiques genrées en tant qu’objet valorisé. Pour le dire autrement, parce qu’elle n’a pas pu se développer dans un contexte historique où ses traits culturels étaient valorisés ou confirmés par les sociétés voisines, l’Althalj a développé très tôt une conscience de sa différence et du rejet qu’elle pouvait susciter auprès des autorités traditionalistes étrangères – notamment religieuses. Cela a eu un effet extrêmement important pour la conception de la féminité althaljir : celle-ci se construit dans la non-naturalité du genre, mais dans un contexte idéaliste. On comprend alors que l’Althalj ne puisse se définir de manière caricaturale comme une « société patriarcale inversée » ou qu’elle ne puisse être affiliée à l’héritage féministe moderne matérialiste.

Sur ce sujet, l’anthropologue féministe Tuuli Ainsi a longtemps développé le cas althaljir dans ses travaux, après une recherche de terrain de plus de trois ans pour la Seikkailunhaluinen humanistinen yliopisto. Elle dit ceci :

« L’apparition de la modernité, en tant que rupture progressive avec l’idéalisme, est un phénomène historique multi-dimensionnel survenu dans la plupart des nations eurysiennes aux alentours du XVIème siècle. L’individu s’y constitue de plus en plus comme un être souverain, émancipé de l’idée de dieu et de nature. La société réelle, matérielle est une force d’opposition à ces deux concepts : par la technique et le développement de la mécanisation, la civilisation et la culture permettent de s’affranchir de l’Eglise d’une part, et de la bestialité d’autre part. C’est un héritage qui, bien que nuancé à plusieurs reprises au cour de l’histoire, est toujours très présent dans la plupart des sociétés modernes contemporaines. Cela se traduit – encore une fois décliné de manières différentes – dans la prédominance de l’individu sur le collectif, la négation des forces idéelles supérieures (divinité, nature humaine, ordre cosmique) au profit de la souveraineté de l’individu sur son propre destin.

Le courant matérialiste, survenu en même temps que le courant moderne, mais qui trouvera ses lettres de noblesses dans le marxisme et le socialisme réel, apparaîtra rapidement aux modernes comme un dépassement nécessaire. Les concepts de libre-arbitre, de destin individuel et même de raison supérieure, capable de s’affranchir de ses biais cognitifs et culturels, sont remis en question au profit de l’étude des déterminations structurelles et idéologiques.

C’est dans cette double tradition individualiste-libérale et structuraliste-déterministe que se développe le mouvement féministe. L’identité sexuelle et genrée féminine, dont l’oppression ne fait alors aucun doute, fait l’objet d’une critique violente de la part des féministes en tant qu’elle assigne à résidence les femmes, bloquées dans des rôles stéréotypés et rigides qu’elles doivent performer au risque sans cela d’être violentées. Que les femmes doivent se découvrir elles-mêmes, dans une perspective individualiste, ou briser les structures d’oppressions qui les contraignent, dans les deux cas il y a une ambition émancipatrice qui se construit dans un contexte où la spiritualité et la naturalité sont perçues comme des concepts archaïques et contraignants. »

Pour l’anthropologue, le fait que le développement d’une « conscience de sexe » n’ait pas suivi les mêmes étapes historiques va profondément jouer sur les différences de conception de la féminité althaljir, qui n’est donc pas pensée comme un outil d’émancipation anticlérical et antinaturel.

Il est alors temps de parler de la question religieuse. On pourrait s’étonner, avec un regard eurysien, de la cohabitation entre religion musulmane et société matriarcale. C’est toutefois ne pas comprendre l’équilibre que ces deux concepts ont réussi à trouver, en se nourrissant mutuellement. Tout d’abord, si l’Islam peut paraître quelque rétrograde sur les questions féministes – y comprit dans sa conception libérale et formelle, nombreux sont les pays où l’Islam, comme religion d’Etat, refuse d’accorder l’égalité des droits entre les deux sexes – il s’agit d’un biais en cela que cette religion, refusant l’égalité, réaffirme en fait la différence.

Le marh est un exemple parfait de cette réinterprétation unique des textes sacrés. Dans la société traditionnelle et religieuse althaljir, la famille joue un rôle prépondérant en tant qu’entité bicéphale où la femme, en raison de sa capacité à porter la vie, est motrice du couple. Le couple est alors appréhendé comme une relation non pas d’égaux, par d’harmonieux. Il se distingue toutefois de la réinterprétation bourgeoise qui en a été faite en Eurysie, au XVIIème, XVIIIème et XIXème siècle avec l’avènement de la famille nucléaire comme parangon de civilisation. En Althaljir, la question n’est pas, comme ce fut le cas en Eurysie, de remplir une fonction de distinction économique et de reproduction des inégalités – les familles nucléaires bourgeoises séparaient les rôles sexuels pour libérer du temps à l’homme et pousser la femme à se concentrer sur l’éducation des enfants – mais centrée autour du concept d’harmonie au sein de la cellule familiale, ce qui se répercute également sur l’harmonie du pays, et de sa sphère géographique. En cela elle se rapprocher quelque peu des cosmologies nazuméennes qui voyaient dans les règles de la société l’expression d’une tendance naturelle – ou divine – des individus à aller vers une recherche d’équilibre. Equilibre que la modernité serait susceptible de bouleverser.

De cette manière, la répartition genrée des rôles en Althalj doit être perçue dans sa dimension spirituelle, ce qui l’inscrit de fait dans le traditionalisme pré-moderne. Avec toutefois comme différence de taille que cette conception de l’harmonie se place en contradiction structurelle avec les cosmologies et interprétations religieuses voisines. Il y a donc rencontre entre deux systèmes en apparence opposés : une justification idéaliste de la supériorité féminine, mais qui n’est en rien partagée et donc légitimée par les autres nations exerçant pourtant le même culte.

Cela produit l’incapacité de l’idéalisme Althaljir à se référer à une autorité légitime naturelle ou divine, et c’est une influence majeure qu’on retrouve encore aujourd’hui dans la société.


Partie 2 : Idées non-naturelles : berceau d’une proto-dialectique humaniste afaréenne ?

Nous voici donc dans une société traditionnaliste, affirmant la supériorité de sa cosmologie, mais ne pouvant la légitimer en la naturalisant ou grâce à la parole de Dieu, sauf à se placer en porte-à-faux de toutes les autres nations pratiquant la religion islamique et – plus nombreuses encore – le patriarcat. L’Althalj, seule contre tous ? De fait, oui, ce qui a conduit à la nécessité politique et historique de construire un discours alternatif de légitimation de sa cosmologie matriarcale. C’est l’étude de ce processus long de plusieurs siècles qui a fait pencher la chercheuse pour le qualificatif de « proto-dialectique humaniste ». Une découverte exceptionnelle, si cette analyse devait se confirmer, ouvrant certainement un nouveau champ d’études althaljirs.

La féminité althaljir se construit donc dans une position de résistance, donc dialectique. C’est la première chose à relever. Cette position de résistance la pousse à qualifier l’ennemi, mais également à se construire elle-même une identité de combattante, d’où certainement l’exacerbation de certaines qualités martiales, telles que la force physique ou la force de caractère, chez les femmes Althaljirs. Mais cette construction dialectique a également conduit à l’apparition de thèses proto-féministes essentialistes avant l’heure. L’idée, par exemple, que les femmes seraient fondamentalement moins portées sur l’affrontement direct, conceptualisé d’une manière quasi psychanalytique comme une ambition phallique de pénétration, mais qu’au contraire elles se montreraient plus habiles à réfléchir des stratégies d’enveloppement de l’ennemi, le laisser pénétrer pour mieux prendre le dessus. Les travaux sur la Circlusion althaljir montrent bien le lien cosmologique que fait l’Althlaj entre sa stratégie géopolitique et sa conception de l’intimité, au cœur du foyer. A des échelles différentes, les valeurs féminines sont au cœur de la culture de l’Althalj, déclinées en fonction des circonstances.

On comprend alors plus aisément certains choix politiques, y compris contemporains, faits par l’Althalj. L’accueil de savants venus du monde entier, notamment, pourrait être analysée comme la matérialisation d’un impensé culturel, faisant reposer le positionnement géopolitique de la nation moins sur sa force de projection en territoire ennemi que sur sa capacité à absorber les forces de l’adversaire. On comprend également la volonté plusieurs fois réaffirmée de ne pas séparer les émotions et la raison. L’alliance féminine du cœur et du cerveau, de l’empathie et du pragmatisme, se pose ainsi en contradiction radicale avec l’avènement de la conception humaniste moderne où la raison doit prévoir sur l’animalité et l’instinct.

La construction dialectique, toutefois, est à double-tranchant. Elle explique certes le nationalisme althaljir, mais prise seule, elle ne permet pas de comprendre l’ensemble du processus de culturation qui a fait la société althaljir contemporaine. A la notion de dialectique, il faut ajouter celle d’humanisme. A ce stade, précisons toutefois que les valeurs humanistes doivent être comprises d’une manière métaphorique, non comme un élément essentialisant de la culture de l’Althalj. En effet, contrairement à la révolution moderne, l’humanisme althaljir n’est pas fondamental dans sa vision du monde, il n’en est en réalité que le produit dérivé. Une sorte d’externalité idéologique, produite par les conditions de la pensée philosophique de l’Althalj au cours des siècles.

Le fait est que, bien que résolument antimoderne, le matriarcat en partage certaines valeurs, il nous faut donc comprendre pourquoi.

L’humanisme, qu’il soit idéaliste (de droite) ou matérialiste (de gauche) se caractérise toujours pas la conceptualisation de caractéristiques propres à l’humanité entière, présentes universellement dans tous les êtres humains. L’humanisme présuppose qu’au-delà des distinctions culturelles et sociales, qu’il s’agisse du genre, de la classe sociale, du pays de naissance, de la couleur de peau, etc. etc. tous les êtres humains peuvent revendiquer la même dignité et ne doivent donc pas souffrir de discriminations ou de hiérarchie. En apparence, il s’agit donc d’une philosophie opposée au matriarcat althaljir qui, encore aujourd’hui, réserve formellement dans la loi certains droits aux femmes et pas aux hommes. Pour autant, l’Althalj s’est à plusieurs reprises illustrée à l’internationale pour combattre des formes de racisme venu de l’Alguarena, ou des actions militaires allant à l’encontre du respect de la dignité des populations locales, comme au Kodeda ou au Shibh Jazirat Alriyh.

Pour comprendre cet attachement paradoxal à une forme d’égalité de traitement entre les individus, il faut envisager le produit de la dialectique matriarcale de l’Althalj non pas équivalent au concept moderne d’humanisme – centré sur l’individu – mais dans une approche humaniste plus spirituelle et cosmologique. Encore une fois, l’Althalj se distingue par une question de minutage : précurseur sur certaines conceptions du monde, celles-ci ne se sont pas développée de manière contemporaine à l’individualisme et à la désacralisation du monde. Ainsi, l’humanisme althaljir naît de la transposition à l’humanité tout entière de la bienveillance maternelle, partagée par toutes les femmes. Les femmes étant génitrices universelles, elles donnent naissance à des hommes ET à des femmes, le processus de conception de la vie devient alors le cœur de l’égalité entre les êtres humains.

Néanmoins, et c’est un point fondamental, cette vision maternelle ne s’est jamais accompagnée d’une sanctuarisation du ventre des femmes. L’explication est que si l’Althalj conçoit la société – et le monde – dans une approche cosmologique de l’harmonie, elle n’en a pas une vision organique. La nation n’est pas une entité supérieure qu’il s’agirait de renforcer en procréant pour la fournir en guerriers. Contrairement aux nationalismes modernes, le ventre des femmes n’est donc pas un enjeu existentiel, du moins il ne l’est pas plus que d’autres préoccupations matérielles, l’accès la nourriture par exemple. C’est ce qui permet ici de parler d’humanisme : la non-hiérarchisation des échelles. Contrairement aux sociétés modernes ou aux sociétés traditionnelles religieuses, l’humain demeure au centre des préoccupations de l’Althalj, avant la défense de la patrie, ou même celle de Dieu. La femme prend les armes pour préserver l’harmonie de son couple, de sa société, du monde, pas pour servir une cause qui lui serait extérieure et la broierait.

En Althalj, le Léviathan n’existe pas.


Conclusion :

L’Althalj se pose donc en protectrice, sa philosophie est inspirée des conceptions païennes préislamiques et de l’influence coranique prépondérante dans son histoire moderne. La valorisation des valeurs féministes althaljirs se construisent dans une double dimension : offensive dans l’affirmation du féminin en tant que puissance alternative à un modèle patriarcal omniprésent dans le reste du monde et venant en troubler l’harmonie, et bienveillante en raison d’une conception humaniste et maternelle des relations entre les êtres humains, envisagée sous le prisme d’une interdépendance inégalitaire. Ces premières explications permettraient de mieux appréhender les positions prises par l’Althalj à l’internationale, et ferons l’objet d’un développement plus approfondi dans les prochaines sections.

Mais d’abord, passons à la comparaison de notre second sujet : le Pharois Syndikaali.

Actes du colloque : Genre et politique, le pourquoi de la fascination althaljir ?
Deuxième acte : le Pharois, nation libertaire, mais pas progressiste

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« Penser le monde est souvent comme allumer une lampe-torche dans une pièce noire : on voit ce que l’on braque, mais tout le reste s’obscurcit. »
- Ransu Rasanen, président de l'Université Générale d'Albigärk


Introduction :

Quasiment de l’autre côté du monde se trouve le Pharois Syndikaali, petite nation perdue aux confins de l’océan du nord. Longtemps restée une province marginalisée du Royaume d’Albi, elle prend son essor au début du XXIème siècle pour se hisser en quelques années en seconde position des économies du monde, grâce à l’exploitation des routes commerciales du nord et la mise en place d’un modèle économique alternatif dont elle détient le monopole.

Pour de nombreux historiens, c’est l’isolement politique du Syndikaali et l’austérité de son climat qui en ont fait une terre propice aux expérimentations et ce dès le Moyen-Âge. La société pharoise, tournée vers l’océan, installée sur une terre quasiment stérile, pauvre et faible démographiquement, n’a jamais eu aucun intérêt à être conquise durablement. Un constat qui fit des Pharois moins une menace pour leurs voisins qu’une épine dans leur pied.

En réaction à quoi, la culture pharoise s’est développée, à la manière de l’Althalj, au prisme d’une prise de conscience rapide de sa marginalité et de l’hostilité qu’on lui vouait. Pêcheurs, mais surtout pirates, les Pharois se sont très tôt dépeints comme des marginaux du monde et en ont fait leur force. La valorisation de la différence est ainsi omniprésente dans la politique contemporaine du Syndikaali, mais on en trouve également de nombreuses traces historiques tout au long du dernier millénaire.

Les marges, lieux permissifs, contribuèrent à affranchir le territoire pharois des règles morales en vigueur sur le reste du continent, importée par le christianisme. En résulte une certaine résistance de la culture pharoise aux influences coercitives et prescriptives, et la tentation de se construire en opposition. Ainsi, alors que le reste de l’Eurysie théorisait une conception de la féminité de plus en plus rigoriste, les Pharois en prirent le contre-pieds, faisant d’eux l’une des premières société égalitaire de l’histoire, dès le XIVème siècle.


Partie 1 : femmes pharoises, l’impossible enfermement

A la question « quel rapport la société pharosie entretient-elle avec ses femmes » la réponse pourrait bien être « peu importe, elle n’eut pas son mot à dire ». S’il serait fou de nier l’existence d’une « culture pharoise », le concept de « société », en revanche, s’est longtemps avéré plus inopérant. La société pharoise, en tant qu’elle s’organiserait selon un ensemble de règles précises, un corpus de loi et de valeurs, et une structure politique hiérarchique, est en réalité très récente dans l’histoire d’Albi. Jusqu’à la conquête de la pointe de la péninsule par les rois Albiens, les Pharois s’organisaient en communautés agricoles et de pêcheurs isolées, installées sur les côtes autour de tours à feux, et dont les interactions se limitaient au commerce, au pillage et à chercher l’amour. Prototypiquement, la cellule de vie pharoise avant la conquête albienne aux alentours du XIIIème siècle, est celle d’un phalanstère, d’une communauté de travailleurs, un clan, partageant généralement des liens familiaux. Ces groupes armés vivaient de la pêche et de l’artisanat, parfois d’expéditions militaires au large, généralement tournées contre d’autres Pharois ou plus loin dans le Détroit, contre des Albiens.

La diffusion d’œuvres culturelles, de rumeurs et d’actualités se faisaient grâce à des poètes itinérants, se déplaçant en bateau le long des côtes et qui stationnaient quelques jours dans les communautés où elles leurs offraient gîte et couvert en échange de récits et de nouvelles. Ces poètes avaient également une fonction militaire, ils servaient d’espions ou informaient les Pharois d’opportunités stratégiques dans la région. L’autre pilier des proto-culture pharoise de l’époque est la place de la religion abyssale, une sorte de culte païen tourné vers la mer et les créatures qui y vivent. Ces créatures, simili-divinités primordiales, se fichaient bien des hommes et de leurs affaires, n’imposant aucunes règles morales ou conduite à suivre. La culture pharoise fut ainsi très tôt tournée autour de la liberté des mœurs et ce afin de répondre à deux enjeux cruciaux : poser les bases d’une économie vivrière et stabiliser la croissance démographique.

La précarité économique des Pharois fut longtemps un enjeu de civilisation majeur. Confronté à la pauvreté des sols et à l’hostilité de leur environnement, les populations se trouvaient confrontées régulièrement à des départs, mais aussi à des décès en mer, le métier de pêcheur étant encore aujourd’hui l’un des plus dangereux du monde. Devant réagir à ces drames fréquents, les Pharois ne purent se constituer une répartition genrée des rôles de manière stable, une mère se retrouvant privé de mari était forcée d’en endosser ce rôle, et réciproquement. Si féminité et masculinité continuent d’incarner des valeurs distinctes, la porosité de celles-ci s’imposa rapidement à la société pharoise, obligée de composer avec ce qu’elle avait sous la main sans se contraindre à respecter une organisation genrée contraignante.

Organisés en communautés familiales, isolées les unes des autres par la mer, la nécessité pour les Pharois de trouver un partenaire hors de leurs lieux de naissance s’imposa rapidement. Si, dans le premier millénaire de notre ère, le rapt et le vol de femmes était courant, il laissa progressivement sa place à une démarche plus égalitaire de « voyages amoureux ». Sans doute parce que le risque de représailles était trop grand pour les voleurs de femmes, la piraterie étant alors très répandu dans les eaux du nord où aucun groupe ne parvenait réellement à prendre l’avantage, il devint plus courant de simplement partir, à la sortie de l’enfance, voyager en mer pour s’éduquer et revenir accompagné. Pour le jeune pharois, c’est l’occasion d’apprendre l’autonomie, la survie en mer, et de fonder un foyer. Chose amusante, cette pratique était loin d’être réservée aux garçons, puisque les filles devaient également être débrouillardes et capable de naviguer en mer, rien ne s’opposait vraiment à leur interdire le fait de s’en aller chercher, elles aussi, un amoureux au large. L’organisation genrée de la société s’en trouva rapidement bouleversée puisque celui ou celle qui partait revenait également, ce qui implique que ce soient parfois les hommes qui quittent leurs foyers.

Une chose intéressante à noter par ailleurs quant à la place qu’occupa le culte abyssale dans le développement de la culture pharoise, est qu’on estime que ses mythes sont à l’origine de la dichotomie terre/mer très présente aujourd’hui encore au Syndikaali. En effet, bien que les monstres marins n’accordent que peu d’attention aux hommes, ils peuvent toutefois s’ennuyer et chercher à se battre entre eux. Ces créatures gigantesques s’adonneraient alors à des conflits monstrueux dont les répercussions à la surface sont une mer agitée, des ouragans voire des tremblements de terre. Rapidement est donc apparu une variante de la religion abyssale qui préconisait de divertir les monstres pour s’épargner leurs combats. Tout est alors bon à prendre pour épargner l’ennui aux léviathans : du combat naval à la baise farouche, la mer devint progressivement un lieu d’expression et de vitalité, où les Pharois étaient encouragés à s’adonner à leurs passions, sans jugement moral, pourvu qu’elles soient sincères et divertissantes.

Selon ces critères relativement simples, la femme n’est pas différente de l’homme et tous deux peuvent également contribuer à la célébration du culte des abysses. Au regard de la structure économique et religieuse de la proto-société pharoise, on comprend mieux que celle-ci n’ait jamais trouvé de véritable sens à mettre en place une division genrée du travail et ce d’autant plus que cela s’avérait matériellement impossible. Tournée vers l’exil, la culture pharoise a toujours encouragé le départ de ses membres, en toute autonomie, vers des terres plus vertes. A certaines époques, le nombre de départ pouvait s’élever à presque la moitié des membres d’une fratrie qui choisissaient de quitter la région pour tenter leur chance ailleurs. Dans un tel contexte, n’autoriser que les hommes à partir aurait rapidement entraîné un déséquilibre structurel et les Pharois n’étant pas polygames, les femmes se virent rapidement octroyer la permission d’elles aussi quitter le foyer. La pratique s’imposa progressivement jusqu’à ce qu’il ne soit plus possible de revenir en arrière. Chez les Pharois, hommes et femmes sont également autorisés à faire sécession lorsqu’une situation ne leur convient pas.

La guerre des sexes n’eut pas lieu.


Partie 2 : société libertaire = société égalitaire ?

Ce contexte culturel posé, il convient à présent de revenir à la société contemporaine. Bien plus urbanisée, organisée autour d’un Etat central quoique fédéral, les populations pharoises appartiennent désormais au Syndikaali, un régime politique dit « libertaire », attaché aux droits fondamentaux et au respect des individus dans leur différences. Si l’influence des idées marxistes est indéniable au Pharois, il faut toutefois reconnaître à ce-dernier que l’émancipation féminine date, dans ce territoire, de bien avant l’arrivée des premières pensées socialistes. De fait, bien qu’influencé par le matérialisme et les concepts d’oppression systémique, la culture pharoise ne s’en est qu’assez marginalement inspirés, plus préoccupée qu’elle était à survivre en tant que nation pirate qu’à faire voter réellement des lois pour l’égalité.

De fait, c’est la grande spécificité du Syndikaali par rapport à la plupart des autres nations progressistes, celui-ci n’a pas inscrit l’égalité dans la loi et ne s’en préoccupe politiquement qu’assez peu. Pourtant, et c’est un paradoxe apparent, on trouvera peu de pays où l’égalité homme-femme se réalise à la hauteur du Pharois. Si le pays est loin d’être un havre féministe – nous y reviendrons – il n’en demeure pas moins que les enquêtes en réception montrent que les cas de discrimination sont assez faibles dans la société pharoise. Est-ce à dire que celles-ci n’ont pas lieu ? Un simple coup d’œil jeté à la composition du gouvernement semble prouver que non : avec deux femmes pour sept hommes, la parité est très loin d’être atteinte. Toutefois, on ne pourrait dans un même temps nier que les capitaines femmes sont nombreuses, qu’on retrouve des femmes au sommet de la hiérarchie militaire et que les inégalités salariales sont tout à fait marginales.

Si le Syndikaali n’a jamais ressenti le besoin de formaliser dans ses textes de loi l’égalité homme-femme, c’est que la place qu’occupe l’Etat dans la structure de la société est marginale. Le pouvoir central n’intervient qu’assez peu dans la vie quotidienne et plusieurs institutions et règles constitutionnelles limitent son action. Ainsi, il semble impensable pour un Pharois que le gouvernement puisse imposer, depuis le haut, des quotas par exemple. Il n’y a tout simplement pas assez de fonctionnaires pour cela. Si l’on prend l’exemple de ‘légalité salariale, le problème s’est ainsi réglé par d’autres biais que l’intervention du gouvernement. En effet, le tissu économique du Syndikaali est à majeure partie composée de coopératives, où la part des salaires dans les bénéfices finaux est décidée démocratiquement par les travailleurs, et sont répartis selon les postes occupés par chacun. Ainsi, une justification aussi arbitraire que le sexisme est difficile à tenir pour justifier de moins payer les femmes. Également, ces-dernières peuvent non seulement compter sur le poids des syndicats pour les défendre, mais elles apportent aussi une part du financement initial de l’entreprise sur leurs fonds propres. Se mettre à dos une partie du personnel revient mécaniquement à s’amputer d’une part de la coopérative qui risquerait d’aller voir ailleurs.

Enfin, les femmes savent se battre au Syndikaali. Sans dire que le dysmorphisme ne joue pas tendanciellement en faveur des hommes, la culture de la violence au Pharois a formé des générations de petites filles capables de riposter physiquement en cas d’agression. Elles manient les armes et les écoles de formation maritime insistent sur la nécessité d’entretenir une bonne condition physique pour prendre la mer. Si cette situation pourrait progressivement évoluer à mesure que le pays s’enrichit et se transforme, la population pharoise actuelle a, dans son immense majorité, été élevée au contact de l’océan. Un article de nos confrères du Papillon revenait d’ailleurs sur le rapport des Pharois au sport et au corps. Ainsi, si l’Etat n’est pas là pour protéger les Pharoises, celles-ci disposent malgré tout d’une galaxie d’outils pour faire avancer leurs intérêts, de sorte que dans les faits, les inégalités sont assez faibles et ce malgré des stéréotypes bien ancrés associant des valeurs positives à la virilité. Au Syndikaali, les Pharoises sont des hommes comme les autres, en quelque sorte.

De manière plus générale, la liberté, prise très au sérieux par la société pharoise, offre aux groupes sociaux minoritaires des leviers d’action qui apparaissent moins évidents dans une société plus autoritaire – et nous incluons dedans des démocraties morales classiques. Déjà évoqué précédemment, le « droit de désertion » s’ajoute au « droit de mutinerie », deux idées importantes dans l’imaginaire Pharois. Si une situation déplaît ou est perçue comme injuste, n’importe quel homme doit se sentir légitime à tenter de la transformer, y compris par l’usage de la force, ou du moins de tous les moyens à sa disposition. S’il ne souhaite pas s’engager dans une telle lutte, il doit pouvoir partir. Une philosophie qui se retrouve également dans la stratégie géopolitique du Syndikaali qui ne condamne pas forcément les dictatures et régimes autoritaires mais travail à offrir à leurs citoyens un moyen de s’enfuir, s’ils le désirent. Mettre les régimes politiques en concurrence, et observer où ira la préférence de chacun. Également, le Syndikaali a plusieurs fois apporté son soutien à des mouvement révolutionnaires armés, jugeant qu’il était du droit de chacun de se révolter contre une situation déplaisante.

Ces deux « droits », mutinerie et désertion, ont, pour les minorités et pour les femmes, été des outils puissants d’émancipation tout du long des siècles précédents. Ainsi, on connaît plusieurs exemples historiques de navires « non-mixtes », où des femmes, moins par symbole que par pragmatisme, se sont regroupées en communautés guerrières pour échapper à la tyrannie de leurs capitaines. Une situation parfaitement normale, et s’il pouvait arriver que le spectacle de ces sirènes amuse, elles ont plus d’une fois su effacer les sourires narquois pas la force. La violence mettait tout le monde sur un pied d’égalité. De la même façon, la culture de l’organisation spontanée offrait aux femmes de puissants leviers face aux discriminations qu’elles subissaient, en se constituant collectivement comme des groupes d’action capables de faire pression sur leurs oppresseurs. Désertion et mutinerie, et si dans certains cas, l’affaire se terminait brutalement, ainsi était la société pharoise.

Cette tradition se perpétue encore aujourd’hui et a simplement été affinée. Bien qu’il en survienne encore, les syndicats ont été substituées aux mutineries sanglantes, et la peur des représailles font que les pirates se disciplinent mutuellement. Le marché étant noir, certains équipages se sont construits dans l’objectif exclusif de faire rendre gorge à des capitaines maltraitants, contre rémunération. Sur terre, avec l’avènement d’emplois plus modernes, l’affaire est parfois plus complexe, mais dans une situation où le Syndikaali manque sans cesse de travailleurs et où la croissance ne faiblit pas, la désertion est toujours possible en cas de maltraitances. Au risque de nous répéter, la culture syndicale et autogestionnaire du Pharois offre aux groupes discriminés des outils de lutte puissants et réactifs, ce qui limite les formes d’oppressions directes.


Partie 3 : une société désarmée face aux impensés de la virilité

La comparaison avec l’Althalj devient ici pertinente puisque, comme elle, le fait d’avoir été très tôt confronté aux questions de marginalité de son système politique et de ses mœurs, le Syndikaali n’a pas connu une progression du débat d’idée comparable à celles d’autres pays. En ayant eut de l’avance sur les pensées socialistes et matérialistes, le Syndikaali s’est empêché de penser certains rapports d’oppression idéologiques dissimulés dans les structures sociales. Le fait que le Syndikaali se soit toujours pensé comme libertaire et précurseur sur la question de l’émancipation, couplé à l’ego des capitaines, a conduit à la situation où, lorsque ses voisins commençaient à aborder de manière un peu hésitantes la question des droits des femmes, les Pharois, eut, avait déjà réglé le problème depuis plusieurs siècles, en considérant que la voix de ces-dernières avait le même poids que les autres, à condition qu’elles travaillent comme les autres. Il aurait par exemple été impensable que sur un navire, deux marins fournissant le même travail, soient discriminés en fonction de leurs parties génitales.

De ce fait, le Syndikaali fut rapidement confirmé dans une certaine supériorité de son modèle, ou du moins de son avance, et laissa de côté des questions qu’il estimait avoir réglées depuis longtemps. Or, à mesure que la conscience féministe se développait, les penseurs Pharois lui restaient hermétiques, de même pour la question des idéologies. En s’attachant aux formes sociales – et en cela ils étaient précurseurs – plutôt qu’aux idées, lorsque vint la critique et le dépassement des formes, les Pharois n’actualisèrent pas leur pensée et le débat d’idée s’en trouva saboté, puisque tout le monde voyait dans le féminisme un non-sujet. La construction d'espaces en non-mixité, par exemple, illustre bien ce phénomène. Les navires réservés uniquement aux femmes sont apparus très tôt dans l'histoire pharoise, pour des questions d'affinité, de praticité, ou pour fuir les risques d'agressions sur des bateaux en majorités masculins. De fait, lorsque la question des espaces non-mixes a commencé à se poser dans le débat public de nos voisins, les Pharois ont considéré la question réglée. Or c'était passer à côté d'un intérêt fondamental de ces espaces : libérer la parole. La non-mixité a été une réponse pragmatique a un problème pragmatique, mais n'a pas été perçue comme un outil militant et réflexif.

Pourtant, la question des femmes n’est pas négligeable au Syndikaali qui, fondamentalement, se définit autour d’une geste virile. Sans disgressions psychanalytiques, des figures majeures de l’imaginaire pharois comme le pirate reposent toujours sur l’esprit de conquête, de rapt. Même le fameux « droit à la mutinerie » entend qu’une situation violente appelle à une réponse violente. La piraterie, le marché noir, le crime, la navigation, tout cela sacralise, pour des raisons évidentes, la force physique, une certaine brutalité de mœurs et la fraternité des équipages ne laisse que peu de place à l’expression de sensibilités alternatives. Il y a, chez les Pharois, une conception darwinienne de la vie, où le plus fort l’emporte, et un mépris certain de ses citoyens physiquement diminués ou peu adaptés aux mœurs de la vie quotidienne qui normalisent une certaine violence et un art du conflit.

Au Syndikaali, la société est pensée moins comme un tout protecteur – d’ailleurs l’Etat providence y est quasi inexistant – qu’un compromis entre divers intérêts toujours en guerre. Le contrat social ne conduit pas à la pacification de chacun mais au contraire à l’affirmation de la nécessité de s’affronter, mais également de conserver un cadre où l’affrontement sera possible. La démocratie ne vise pas le consensus mais simplement à cristalliser des rapports de force. Sur terre, où les mœurs sont plus paisibles, chacun doit tout de même se tenir prêt à défendre ses intérêts, ainsi les comités de quartiers règlent les conflits, généralement par la médiation, mais peuvent aussi s’armer en cas de problème. Les partis politiques sont systématiquement militarisés et toutes les institutions ou coopératives agissant dans des secteurs en tensions savent qu’il leur sera peut-être nécessaire de montrer les muscles le cas échéant.

Si un tel portrait se doit d’être nuancé – nous y reviendrons dans le paragraphe suivant – force est de constater que le Syndikaali s’est tout entier et depuis longtemps construit sur des valeurs viriles, concevant le quotidien comme perpétuellement pris dans un jeu de conquête et de défense. Cela ne veut pas dire que les Pharois se tapent dessus en permanence, mais si cela doit arriver, il n’y aura guère de sanction. Les enfants sont éduqués afin d’apprendre à se défendre, par tous les moyens nécessaires. Un petit se montrant timide, peu débrouillard ou douillet recevra peu de soutien de la part des adultes qui considèrent qu’il est nécessaire de s’endurcir. Ainsi, l’égalitarisme du Pharois se concrétise également par un grand nombre de laisser pour comptes et d’inadaptés sociaux. Mais qu’importe ? Ces-derniers, pense-t-on, sont toujours libre de faire sécession si la situation ne leur plait pas, et de tenter ailleurs leur propre destin. Toute critique des valeurs de la société pharoise est donc systématiquement désamorcée par le fait qu’il est toujours possible de bâtir une alternative ailleurs, à condition de se retrousser les manches. Une conception des choses très ignorante, en fin de compte, de certains mécanismes de déterminations sociales qui font que, non, il ne suffit pas toujours de faire un effort pour s’en sortir, surtout face à des situations aussi injustes que le handicap, la vieillesse ou la maladie.

Pour autant, la société pharoise n’est pas uniformément virile et brutale. Elle a aussi su dégager des espaces d’expression de sensibilité et de douceur. Le plus spectaculaire est sans doute la grande place qu’occupe la poésie dans la culture pharoise, et le fait que les enfants soient, dès leur plus jeune âge, encouragés à exprimer leurs sentiments. Simplement, ces sentiments se formalisent dans un cadre culturel précise : celui de l’expression artistique. Ainsi, il est parfaitement acceptable pour un Pharois de pleurer en public, de douleur ou de tristesse, de demander de l’aide et de faire preuve d’empathie, mais toujours dans un contexte s’y prêtant. A l’inverse, les affaires, le business ne souffre d’aucun compromis, d’aucune fragilité. Pas de larmes dans l’adversité, le monde est une jungle et l’homme se doit d’y être un prédateur. Le pirate Pharois peut donc sanglotter devant les émotions que lui procure l’immensité océane, ou pleurer à chaude larme au souvenir de son amante laissée à terre, mais ne devra faire preuve d’aucune pitié pour ses ennemis une fois le combat engagé. Cruauté et douceur s’entremêlent de manière étonnante.

Un autre exemple de la capacité des Pharois à dompter leur empathie est l’usage qui est fait à Albi des sciences sociales et la mobilisation quasi systématiques de concepts d’anthropologie et de sociologie dans les affaires et la diplomatie. Comprendre l’autre pour traiter avec lui, l’accepter comme il est pour trouver des espaces de dialogue et de négociation. On sait que l’usage des SHS est particulièrement fort chez les services secrets, par exemple, ce qui favorise l’implantation locale grâce à une approche scientifique de la culture des autres.


Conclusion :

Bien qu’il se place parmi les pays les plus égalitaires sur les questions de sexisme, le Syndikaali entretient par rapport à ces-dernières une relation atypique et souvent ambiguë. La culture pharoise semble reposer sur un équilibre ambivalent entre valeurs viriles et féminines. Ainsi, alors que la violence est synonyme de liberté, que l’émancipation se réalise dans l’acceptation des rapports de force qui traversent notre société, la féminité, elle, doit être apprivoisée, civilisée dirait-on. Les Pharois, hommes comme femmes, ont ainsi toujours deux facettes en coexistence : à la fois violents et sensibles, froids et empathiques, vulgaires et artistes. La femme Pharoise doit être forte comme un homme pour survivre, de son côté, l’homme Pharois se doit d’apprendre à apprivoiser sa part féminine – ce qui soit dit en passant pourrait être une piste d’explication quant à la grande tolérance des Pharois vis-à-vis de l’homosexualité.

Clairement, cette division du monde en valeurs féminines/masculines est un terreau fertile pour de nombreux clichés évidents, et peut sembler assez archaïque par rapport à une conception matérialiste et moderne de la virilité et de la féminité. Loin de déconstruire le genre, les Pharois le diluent et prennent à toutes les étapes du spectre ce qui leur semble utile… au risque de s’empêcher de se penser eux-mêmes, enfermés dans une conception utilitaire de la culture, et de laisser de côté certains de leurs compatriotes incapables de trouver leur place dans une telle polarisation des valeurs.
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