Prodnov International Business Journal | 22/03/2012
Nouvelle Stratégie Economique : Pyotr Berezin veut faire la chasse à l’épargne et annonce une réforme monétaire« Quel est le problème de toutes les économies ? » nous demande Pyotr Berezin, le ministre de l’Economie, en introduction de la conférence de presse. « Le problème de toutes les économies, c’est la stagnation de la richesse entre les mains d’une petit minorité bourgeoise : la concentration des capitaux et l’épargne massive empêchent l’argent de circuler, ralentissent la croissance et privent le travailleur honnête des fruits de son labeur ! »
Au cœur de la nouvelle stratégie économique du ministère, censée permettre au Prodnov de concurrencer les économies libérales, plusieurs documents rendus publics insistent sur la nécessité d’accélérer la circulation monétaire. Lutter contre l’épargne, d’accord, mais pourquoi ? Afin de comprendre ce grand plan de restructuration des règles économiques du pays, prenons quelques instants nécessaires de pédagogie afin d’expliquer ce qui a motivé cette décision.
L’économie d’un pays peut schématiquement être comparée à une tuyauterie complexe où, en place de liquide, circule de la monnaie. Cette monnaie, lorsqu’elle est employée par les acteurs économiques (particuliers, Etat, entreprises) vient créer une demande qui stimule la production et donc la croissance. Plus la monnaie circule rapidement dans l’économie (plus il y a de consommation) plus la production est forte et donc le PIB augmente et la richesse de toute la population. Une plus lente circulation de la monnaie c’est moins de consommation, donc un niveau de vie plus bas, une moindre création d’emploi et donc du chômage, une sous-exploitation des ressources du pays, bref, le ralentissement de toute l’économie.
Pour comprendre, prenons l’exemple d’un fonctionnaire qui touche son salaire. Il le dépensera en biens de consommation, son argent va donc dans la poche de commerçants et d’entreprises qui dépenseront également cet argent en salaires, en investissements et donc en consommation. Par les impôts, l’Etat récupère une partie de cet argent qui part lui aussi en investissements et, à la fin, en salaire pour le fonctionnaire. La boucle est bouclée. Ce qui fait le dynamisme de l’économie c’est à quelle vitesse la masse monétaire circule vite. Autrement dit, si le fonctionnaire a de nombreuses opportunités de consommation et d’investissement, l’argent ira de poche en poche, créant à chaque échange une nouvelle demande et finançant une nouvelle offre. C’est cette circulation de l’argent qui crée le tissu économique du pays et oriente la production.
Toutefois, cette circulation fait face à plusieurs freins. L’absence de société de consommation et donc de lieux de dépense des salaires peut produire une crise de l’offre : l’argent ne trouve pas de débouchés, cela peut arriver lorsque le pays limite volontairement la création d’emplois (en planifiant et orientant l’économie par le haut) ou lorsque la production du pays est tournée vers des biens non consommables (exemplairement le secteur industriel militaire ou du luxe inaccessible). En général la crise de l’offre peut se résoudre soit en augmentant l’accès à la consommation sur le marché extérieur, ce qui a toutefois le désavantage de faire sortir des capitaux du pays, soit en diminuant le pouvoir d’achat, par exemple grâce aux impôts.
L’autre frein à la circulation de la monnaie, plus familier à nos lecteurs, est l’épargne. Il arrive que le consommateur choisisse tout simplement de garder son argent en prévision d’un coup dur dans l’avenir ou d’un achat important plus tard. Cela a le même effet qu’une crise de l’offre puisque faire le choix de ne pas dépenser son salaire revient, macro économiquement, aux mêmes effets que de ne pas pouvoir le dépenser.
Longtemps, l’épargne a ainsi représenté un danger pour les économies du monde entier. En prévision de dépenses futures ou de coup dur, les personnes qui s’enrichissaient tendaient à vouloir garder leur argent de côté, parfois pendant plusieurs années. Cela représentait des sommes folles et d’autant moins de monnaie à circuler dans l’économie pour stimuler la consommation et donc la production. Faute de liquidités disponibles la concentration des capitaux entre quelques mains asphyxiait les secteurs nécessitant des investissements.
La circulation rapide de la monnaie grâce à la mise en place de la société de consommation est la stratégie la plus généralement adoptée dans les économies modernes : elle assure (sur le papier) le bien-être de la population, limite l’emprise de l’Etat sur la production, favorise l’initiative privée et la constitution de fleurons nationaux en garantissant une productivité soutenue du pays et un faible niveau de chômage. Dans les faits, la consommation peut ralentir malgré tout selon les fluctuations des marchés, mais cette stratégie tend malgré tout à faire ses preuves. Pour la mettre en place, plusieurs facteurs sont toutefois nécessaires, à commencer par une bonne confiance dans l’avenir et un appareil productif capable d’assurer une offre conséquente pour permettre à la population de dépenser son salaire. Faute de l’un ou de l’autre, l’argent était voué à être dépensé dans des biens d’importation ou épargné en prévision de futures opportunités. Opportunités que l’industrie ne peut offrir par manque d’investissements ce qui entraîne l’économie nationale dans un cercle vicieux.
Le problème principal des économies émergentes comme celle du Prodnov est précisément qu’elles ne disposent pas toujours de la stabilité économique nécessaire à la confiance des investisseurs, ni de l’appareil de production capable de mettre en place une société de consommation. Le choix d’exporter des matières premières ou de la production à bas coût en échange de l’importation de biens et services depuis les pays développés est souvent une solution mais qui place le pays dans une position de soumission économique vis-à-vis de ses partenaires commerciaux, faute de pouvoir assurer lui-même son niveau de vie. Cette perte sèche de capitaux vers les pays étrangers contribue à empêcher la création d’entreprise et les investissements à l’intérieur du pays, il faut donc mettre fin à l’engrenage. Pour permettre cette transition vers une économie moderne, le Prodnov doit donc stimuler sa production intérieur de biens et services tout en s’assurant que la monnaie circule suffisamment vite pour que les investissements soient rentabilisés.
Dès lors, on comprend mieux l’obsession de Pyotr Berezin pour l’épargne. L’économie partiellement planifiée du Prodnov est tout à fait capable d’investir dans son économie mais encore faut-il que la demande suive derrière pour créer un marché intérieur.
Quelles solutions pour répondre à ce défi ?
L’essor des économies capitalistes financiarisées et du système bancaire a assez intelligemment permis d’employer les réserves de monnaie (l’épargne) comme des sources d’investissements pour les entreprises. En confiant leur argent aux banques, les épargnants autorisent ces-dernières à utiliser leurs sous pour investir par ailleurs dans l’économie en échange d’un léger pourcentage appelé taux d’intérêt. En théorie tout le monde y gagne : l’épargne devient une dépense comme une autre, investie dans les entreprises, l’épargnant s’enrichie tout comme les banques et l’économie n’est pas ralentie par la stagnation de la richesse. C’est ce qu’on appelle l’économie secondaire, celle de la bourse et de tous les systèmes mis en place pour favoriser la circulation de la monnaie grâce au marché des actions. Ce système, bien que n’étant pas exempt de défaut – notamment ses tendances à l’emballement, à la spéculation qui conduit aux bulles financières ou aux mauvais investissements – a malgré tout fait ses preuves dans les économies modernes et permis un accroissement de la richesse nationale tout à fait enviable.
Pyotr Berezin a cependant confirmé et réaffirmé ne pas vouloir financiariser et libéraliser plus que nécessaire son économie, dans son objectif de reconstruire une économie nationale viable et au maximum indépendante des capitaux étrangers. Dès lors quelle solution pour le Prodnov ? L’une des techniques couramment utilisée dans les économies planifiées est la nationalisation des banques. Autrement dit, conserver un système relativement similaire à celui des économies financiarisées en remplaçant les banques privées par une ou plusieurs banques d’Etat, assurant exactement les mêmes services, mais avec un meilleur contrôle du fléchage de la monnaie et donc du développement économique. Cette stratégie présente toutefois le défaut bien connu de faciliter la corruption et, faute de laisser faire la concurrence entre les banques, de faire des choix d’investissements moins guidés par la rationalité économique que par des considérations idéologiques ou tout simplement erronées. Par ailleurs, la raison comptable a pour elle d’être relativement simple et flexible à mettre en place : un projet sera jugé viable s’il remplit certains critères économiques prévus à l’avance, un retour sur investissement suffisamment haut, un apport conséquent, une estimation de l’état du marché, etc. A l’inverse, laisser une banque nationale décider de la pertinence d’un investissement par une commission, fut elle composée d’experts, suppose d’appliquer des critères plus imprévisibles et fluctuants selon la stratégie gouvernementale du moment ou dépendants de la subjectivité individuelle. En somme, cela n’est pas rassurant pour les investisseurs, le processus est plus lent, plus laborieux, plus arbitraire, ce qui désincite d’autant les investissements et ralenti la circulation monétaire.
Dans la pratique les économies planifiées se trouvent systématiquement confrontées au problème de leur bureaucratisation. En tentant de rationaliser l’économie sous le contrôle de l’Etat, elles échouent à être aussi efficaces que leurs concurrentes libérales mais également à proposer des règles stables et justes, nécessaires pour inspirer la confiance et favoriser les investissements. Pour donner un exemple, si un particulier souhaite construire une maison, il lui sera d’avantage possible de se projeter et d’anticiper un éventuel crédit et une stratégie économique individuelle dans une économie libérale où les plafonds d’endettement sont relativement stables et où aucune banque ne refusera un prêt pourvu qu’il remplisse certaines conditions, que dans une économie planificatrice où l’autorisation peut non seulement prendre du temps à tomber, dépendre des personnes présentes dans la commission, se voir imposer des critères non-anticipables ou être refusé pour des raisons de stratégie macro-économique qui échappe au particulier. Le calcul est encore plus cruel pour les investisseurs extérieurs qui préfèrent des règles économiques uniformes que de devoir se soumettre à l’arbitraire des gouvernements nationaux.
Conscient de ces enjeux cruciaux pour l’économie du Prodnov, Pyotr Berezin cherche à anticiper sur la fin de la période de croissance du pays – du principalement au rattrapage et aux investissements dans les infrastructures – pour favoriser la transition du pays vers une économie moderne tournée en partie vers les services, sans pour autant sacrifier aux fondamentaux idéologiques du socialisme. Un projet particulièrement périlleux faute de véritables modèles internationaux sur lesquels s’inspirer et d’une tendance à la perte de vitesse des économies communistes planifiées face à l’hégémonie des modèles d’inspiration libéral et libertaire qui valorisent l’initiative privée.
La stratégie exposée par le ministère de l’Economie et de la planification repose sur une série de mesures expérimentales, qui feront l’objet d’un premier test localisé dans l’oblast de Galkovine – dont l’économie est toujours majoritairement étatique dans les secteurs de l'industrie, des services publics et des transports – puis généralisées à l’ensemble du pays en cas de réussite. L’une des ambitions du ministre Berezin est de réuniformiser économiquement le Prodnov afin de permettre une meilleure synergie entre toutes les régions.
Tout d’abord, le Prodnov va devenir un pays à double monnaie. Une monnaie nationale – le rouble prodnovien (Rp.) – et une monnaie régionale, normalement une par oblast. Celle de Galkovine devrait dans un premier temps être nommé rouble galkovin (Rg.) bien que le ministère de l’Economie ait annoncé envisager d’organiser un concours pour la renommer.
Comment ces deux monnaies fonctionneront-elles ? Le rouble prodnovien est une monnaie nationale classique, présente sur le marché des devises. Elle sert au commerce international , pour le calcul du PIB et la comptabilité du pays. Elle servira également de taux de référence aux monnaies locales, indexées (pour le moment) sur elle.
La monnaie locale, le rouble galkovin, est une monnaie qui ne pourra être utilisée que dans l’oblast de Galkovin et uniquement pour certains commerces agréés par l’Etat. Entièrement dématérialisée dans un premier temps, elle servira à payer une partie du salaire des fonctionnaires et les entreprises et commerces seront incités à payer leurs employés en rouble galkovin.
Quel est l’intérêt de posséder plusieurs monnaies ? Plusieurs points sont cruciaux pour le gouvernement Malyshev :
Tout d’abord, la coexistence de deux monnaies indexées l’une sur l’autre permet d’assurer une stabilité au pays en limitant (théoriquement) l’impact des crises financières. Pour bien comprendre, il faut se représenter les oblasts comme des circuits économiques relativement cohérents à échelle locale. La plupart de ce qui est produit à Galkovine reste à Galkovine puisqu’il s’agit principalement de produits de première nécessité. On n’importe ni poireaux ni dentifrice. Avec la financiarisation de l’économie mondiale, puisque le rouble prodnovien se trouve sur le marché des devises internationales, il pourrait faire l’objet de spéculations et, à termes, se retrouver emporté dans la crise en cas de crash financier majeur. En désindexant rapidement le rouble galkovin du rouble prodnovien, le gouvernement du Prodnov se donne les outils pour limiter les effets de la crise sur l’économie locale du pays. Autrement dit, la monnaie locale fait comme une porte coupe-feu pour arrêter la crise et empêcher la propagation des phénomènes inflationnistes et déflationnistes. Si une part conséquente des consommateurs sur place continuent de toucher une partie de leur salaire et que les producteurs locaux continuent de vendre des produits de première nécessité au même prix, la région pourra « tanker » la crise en évitant la misère à des millions de ses citoyens. C’est particulièrement utile au Prodnov qui exporte finalement assez peu et est pour le moment très dépendant de l’économie pharoise. En cas de crise chez le voisin pharois, comme cela a été le cas en début d’année 2011, celle-ci impactera logiquement toutes les économies qui lui sont interdépendantes. Peu confiant envers la stabilité du Pharois, le Prodnov fait ainsi un premier pas vers l’autonomisation vis-à-vis de son géant voisin. La monnaie locale est un bouclier contre les crises financières et l’inflation.
Ensuite, l’existence de la monnaie locale offre d’avantage de moyens au Prodnov pour contrôler son taux de change. Sur les marchés financiers, le rouble prodnovien n’a pas la main sur la valeur de sa monnaie et doit jouer le jeu des agences de notation bancaires. En revanche, en désindexant le rouble galkovin du rouble prodnovien, elle se donne les moyens de délier économie nationale et économie locale. Autrement dit, les régions du Prodnov pourront commercer entre-elles comme des petits Etats, ce qui ouvre la voie à des mécanismes de stimulation de la production intérieur en jouant sur les taux de changes. Le Prodnov se crée donc son propre marché intérieur pour bénéficier des effets de la concurrence sans avoir à se soumettre aux règles des marchés internationaux. Une industrie régionale pourra être compétitive même si le pays ne l’est pas, puisqu’elle le sera sur son marché national. Par ailleurs, la structuration du Prodnov en régions spécialisées dans certains secteurs le rend vulnérable aux fluctuations des prix du marché international. Galkovine, très tournée vers l’agriculture, pourrait ainsi se trouver potentiellement ruinée en cas de crise du marché du blé. Or la désindexation de la monnaie locale sur la monnaie nationale permet d’amortir artificiellement les chocs économiques et donc assurer une certaine stabilité régionale, nécessaire pour assurer les investisseurs.
Enfin, et c’est le point le plus polémique : le rouble galkovin n’est pas prévu pour être stockable. Autrement dit, il n’a pour fonction que de servir à la consommation de biens et services du quotidien. En effet, le rouble galkovin a pour ainsi dire une date de péremption : sa valeur diminue de 10% par mois. Il faut imaginer un billet (virtuel pour le moment) marqué d’une date d’impression et dont la valeur baisse automatiquement à chaque 1er du mois. Une manipulation rendue permise par la dématérialisation de l’économie et la popularisation du paiement par carte bancaire. En procédant de cette manière, Pyotr Berezin espère stimuler artificiellement la consommation intérieur du pays, forcer la circulation rapide d’une monnaie qui ne peut être conservée trop longtemps et donc, de facto, diminuer la quantité d’épargne des citoyens.
Pour comprendre ce tour de force, rappelons notre métaphore de la tuyauterie : l’argent circule de mains en mains mais finit in fine entre les mains de l’Etat, soit via les taxes, soit en payant ses impôts. Ainsi les citoyens, invités à se débarrasser rapidement d’une partie de leur salaire, vont stimuler l’apparition d’une société de consommation. Cela limite également les risques de corruption et de blanchiment d’argent, l’Etat ayant une vision totale sur les échanges Rb. -> Rp, et décourage les formes d’évasion fiscale. Enfin, cela permet un développement organique régional, au lieu d’importer des biens et des services de l’extérieur, la forte demande à l’intérieur de l’oblast et la nécessité pour les acteurs d’y résider pour y répondre encourage les investisseurs, certains d’y trouver un marché dynamique.
Le rouble galkovin est donc un levier que se donne Pyotr Berezin pour continuer son pilotage de l’économie nationale, tout en essayant d’éviter les problèmes que rencontrent les économies trop dirigistes et bureaucratisées. En d’autre termes, il s’agit de laisser d’avantage de place à l’initiative privée tout en limitant les pouvoirs de la finance et des entreprises grâce à un outillage bancaire complexe.
Si ce genre de réforme n’est pas sans poser des risques, notamment spéculatif et en matière de transparence de l’économie – ce qui pourrait rebuter des investisseurs – nous ne pourrons tirer des conclusions certaines qu’une fois achevée la période d’expérimentation dont la fin est prévue pour 2015. Sur le papier, la création de monnaies régionales devrait aider à la décentralisation du pays (jusqu’ici ultra focalisé sur Staïglad qui concentrait tous les pouvoirs) et d’avantage de démocratie à échelle locale. Ceci dit, Pyotr Berezin a exclu de laisser la main aux administrations régionales sur ces monnaies, confirmant entre les lignes l’intention du ministère de l’Economie et de la planification de demeurer seul maître à bord.