01/06/2013
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Contes, mythes et légendes du vieux Pharois

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Ces récits sont extraits du Chapitre IV des Épopées, dans la partie dédiée à la culture pharoise. Le Chapitre IV des Epopées date de 1812 et est la version la plus aboutie du recueil de contes traditionnels de la péninsule, recueillis par l’Ambassade des Mythes et Légendes Albiennes.

Ces contes sont rendus dans leur forme la plus commune, les variations existantes et évolutions dans le temps figurent sous forme de note à la fin.

On distinguera dans ces pages trois types de récits :

  • la fable, souvent accompagnée d'une morale explicite et à visée pédagogique. Ses auteurs sont généralement connus et la forme évolue peu avec le temps. Elle s'adresse à des lettrés et des membres de la haute société pour leur enseigner les valeurs morales de leur époque ou des conseils sur la manière de bien se comporter. Les fables sont souvent les textes les plus tardifs.
  • le conte populaire, qui répond à des questionnements de la vie de tous les jours et met en scène des gens issus du peuple confrontés généralement à des évènements magiques. De tradition orale, ils évoluent avec le temps et selon les endroits où ils sont racontés, d'où la coexistence de plusieurs versions contemporaines.
  • le mythe, qui met plutôt en scène des dieux ou des créatures fantastiques dans des contextes anciens et passés. De tradition orale également, il vise plutôt à expliquer certains états de faits du monde actuel et donnent du sens à l'ordre des choses. Les mythes traditionnels pharois ont fait l'objet de plusieurs revitalisation notamment sous l'impulsion de l'Eglise Abyssale qui s'en sert comme textes liturgiques, ce qui implique par ailleurs qu'ils aient été réécrits à plusieurs reprises. Combattus et concurrencés par la religion chrétienne importés par la royauté albienne, le caractère politique des mythes pharois ne fait aucun doute en raison de leur réactivation révolutionnaire et nationaliste au XIXème siècle.
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Le conte des trois sirènes
(origine supposée : IV - Vème siècles)

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Un vieil homme s’embarque un jour pour aller au large pêcher le colin. Sa maison est petite et sa barque également, sa canne à pêche est usée comme son dos et ses bottes sont presque trouées comme le fond de sa cale. Pourtant il tend courageusement sa voile et vogue jusqu’à ne plus apercevoir la terre. Là, il jette son fil et attend que le poisson mordre. Une journée passe, puis deux, puis trois, et le pêcheur désespère de pouvoir nourrir sa famille qui l’attend sur la terre.

En colère, il se penche par-dessus le bord de sa barque pour insulter la mer qui ne lui donne aucun poisson mais, au moment de lever le poing, le vieil homme aperçoit quelque chose briller tout au fond de l’eau. Malgré la peur, la faim est plus forte alors il ôte son manteau, son chapeau et ses bottes trouées et plonge dans l’océan du nord.

Il nage, il nage vers le fond. Dix mètres, vingt mètres, cent mètres. Au bout de mille mètres, le pêcheur commence à manquer d’air mais ce qui brille est encore trop loin pour l’atteindre. Il réalise alors qu’il n’aura pas assez d’oxygène pour remonter à la surface et commence à désespérer lorsqu’une sirène sort des vagues et s’approche de lui.

- Pêcheur, lui dit-elle, répond à mon énigme et je te donnerai un baiser.

Au Pharois, tout le monde sait que les baisers des sirènes permettent de respirer sous l’eau, alors le pêcheur accepte. La sirène pose son énigme :

« J’apparais dans la tempête et je disparais quand le temps est doux, je dors sur le sable et naît de l’océan, ma vie est aussi brève qu’un souffle. »

Le pêcheur comprend alors qu’il s’agit de l’écume mais lorsqu’il essaye de donner sa réponse à la sirène, sa voix s’enfuie dans une grande bulle qui remonte vers la surface et le pêcheur ne peut pas la rattraper. Ingénieux, il décide alors de mimer une vague avec sa main et ouvre ses doigts pour représenter l’écume. La sirène comprend et lui donne un baiser.

Le pêcheur sent un grand air marin lui emplir les poumons et il continue sa descente vers le trésor qui brille dans le noir. Mille mètre plus bas, il commence à nouveau à manquer d’air et se dit qu’il n’aura pas le temps de remonter. Heureusement, une deuxième sirène s’approche de lui.

- Pêcheur, lui dit-elle également, répond à mon énigme et je te donnerai un baiser.

Conscient qu’il s’agit de sa seule chance de survivre, le pêcheur accepte et la sirène pose son énigme :

« Chacun l’est pour un autre, tu le cherches dans la mer, mais la mer le trouveras chez toi. »

Le pêcheur réfléchit puis répond : « à manger ! » mais à nouveau sa réponse s’envole vers la surface sous la forme d’une grosse bulle d’air. Alors le pêcheur mime une fourchette et un geste de mastication et la sirène lui donne un long baiser car c’est la bonne réponse. Un grand air marin lui emplit de nouveau les poumons et il reprend sa descente.

Mille mètre plus bas, encore une fois le pêcheur se sent manquer d’air et alors qu’il désespère, une troisième sirène se présente à lui.

- Pêcheur, lui dit-elle pour la troisième fois, répond à mon énigme et je te donnerai un baiser.

Le pêcheur accepte, trop heureux d’échapper à la noyade, et la sirène pose son énigme :

« Je suis invisible mais on peut me sentir, j’ai plus de force qu’un géant, je suis plus long qu’un serpent de mer et plus froid qu’un iceberg. »

Le pêcheur réfléchit. Il réfléchit longtemps puis trouve la réponse : « un courant marin » mais pour la troisième fois sa réponse s’envole vers la surface sous la forme d’une grosse bulle d’air. Alors le pêcheur fait onduler ses bras pour représenter le courant et la sirène lui donne un baiser. Un grand air marin lui emplit une dernière fois les poumons et il reprend sa descente.

Mille mètre plus bas, le pêcheur atteint le fond de l’océan mais il se rend alors compte que ce qu’il voyait briller tout au fond de l’eau n’était ni de l’or, ni des richesses, mais le reflet du soleil sur des coquillages. Déçu, le pêcheur remonte à la surface et retourne dans sa barque. Prêt à désespérer et rentrer chez lui mourir de faim avec sa famille, c’est alors que les trois grosses bulles d’air qui contenaient ses réponses atteignent elles aussi la surface et éclatent. Le pêcheur entend dire « écume » « nourriture » et « courant » et alors de tous les coins de l’océan arrivent les colins, attirés par leurs mots favoris.
Le pêcheur en pêche juste ce qu’il faut pour nourrir sa famille et laisse les autres en paix, conscient que grâce à ses mots magiques, il ne mourra plus jamais de faim.


Notes a écrit :
Le conte des trois sirènes est un conte populaire dont plusieurs occurrences ont été répertoriées tout le long de la côte nord et dans les îles gelées. Il possède quelques variantes, le pêcheur n’est pas toujours vieux et la forme des énigmes changent. Ce ne sont pas toujours des sirènes également, dans une version ce sont des baleines qui posent les questions et soufflent de grandes bulles d'air pour permettre au pêcheur de respirer dedans. Avant le XVème siècle les réponses et le contenu des énigmes ne sont pas explicitées dans le conte, sans doute parce que révéler les trois mots magiques pour attirer le colin implique qu’il soit possible de se rendre compte que le conte est faux. Jusque là le pêcheur disait des compliments aux sirènes ce qui attirait les poissons, charmés par ses mots doux.
Les énigmes ont été rajoutées vers le XVème siècle où la sensibilité laisse progressivement sa place à plus de rationalité. On estime que ce changement est symptomatiques d’une forme d’exigence logique des populations quant à leurs mythes. Les monstres et créatures marines deviennent-elles aussi douées de raison et mettent l’intelligence des hommes à l’épreuve alors qu’elles se contentaient jusque-là d’exiger d’eux de la dévotion et des flatteries.

Dans la tradition orale pharoise, il est courant de laisser les enfants réfléchir eux-mêmes aux énigmes avant d’en révéler la réponse. Les grands qui connaissent déjà l’histoire sont alors symboliquement placés du côté des adultes qui sont dans la confidence, ce qui ne les empêche pas d’apprécier le conte malgré tout.
Également, on sait qu’il était courant, lors des premières sorties de pêche, de proposer aux enfants de réciter les mots magiques pour attirer le poisson. Si la pêche était fructueuse, on valorisait l’enfant qui avait réussi à donner à manger à sa famille, si au contraire le poisson ne mordait pas, c’était une occasion pour enseigner à l’enfant que la magie et les contes ne permettent pas toujours de subvenir à ses besoins et qu’il ne faut pas trop conter sur le surnaturel pour s’en sortir.

Dans tous les cas, cette histoire est chargée de morale. Rétrospectivement, plusieurs chercheurs ont vu dans le conte des trois sirènes une ode au voyage plutôt qu’à la destination. Le pêcheur découvre que sa motivation pour plonger était factice, mais il est tout de même récompensé pour avoir tenté sa chance. Il est d’ailleurs assez symptomatiques que la récompense n’arrive qu’une fois remonté sur la barque, rappelant sans doute l’importance de ne pas oublier son foyer car c’est là que se trouve la véritable richesse. D’ailleurs le pêcheur ne remonte pas avec de l’or mais avec un enseignement : les mots magiques. Son gain est donc immatériel, il s’agit d’une forme de sagesse, de connaissance qui lui servira tout le reste de sa vie, là où la richesse n’est souvent qu’une illusion éphémère.

Le chiffre trois est, pour beaucoup de civilisations, un chiffre magique. Il n'est donc pas surprenant de le retrouver dans ce conte. Il faut toutefois faire remarquer que certaines versions de l'histoire mentionnent quatre voire cinq sirènes. Dans l'une d'elle, chaque réponse aux énigmes des sirènes donne un mot qui, mis bout à bout, forment une phrase secrète qu'il faut murmurer à la surface de l'eau pour attirer le poisson.
Le caractère magique des protagonistes de l'histoire témoigne assez bien de l'angoisse que peuvent ressentir les pêcheurs Pharois à l'idée de rentrer sans avoir rien pêché. Les durées (trois jours) et les distances (plus de trois mille mètres) sont assez irréalistes mais participent du caractère onirique du conte, en plus d'indiquer que les pêcheurs à l'époque pouvaient parfois partir très longtemps et parcourir de grandes distances avant de trouver le poisson. On peut donc y voir une forme de conseil et d'invitation à ne pas abandonner malgré des tentatives infructueuses. Un pêcheur rentrant bredouille est souvent une catastrophe pour sa famille qui, à terre, s'organise et prépare le travail en prévision de son retour.

Enfin, le schéma narratif du marin tombé (ici plongeant) à la mer et secouru de la noyade par l'intervention de forces magiques est un grand classique des contes pharois. La mortalité en mer a toujours été particulièrement élevée dans cette région du monde et l'idée qu'il existe un monde sous-marin avec ses propres règles permet non seulement de rassurer ceux qui embarquent, y compris par gros temps, mais aussi d'apporter du réconfort à ceux qu'ils laissent derrière eux.
La nature vivrière de l'activité de pêche pour les Pharois a fortement influencé l'imaginaire et les croyances collectives pour encourager les membres de la société à aller en mer et ce même si celle-ci peut s'avérer effrayante. Bien souvent il s'agissait de la survie entière du foyer qui reposait sur le fait d'affronter l'océan pour ramener de quoi se nourrir.
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Le conte du silence
(origine supposée : VI - VIIème siècle)

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Il était une fois, une petite fille qui vivait dans une maison au bord de la mer avec ses parents. Sa mère et son père l’aimaient tendrement mais ils étaient de pauvres gens sans grands moyens et chaque jour les parents trimaient dur pour offrir à leur seule enfant une vie qui soit douce et amusante. Heureusement la jeune fille était fort débrouillarde ce qui lui permettait autant d’aider son père et sa mère au labeur que de trouver lieu d’amusement pour elle-même et par elle-même, malgré l’isolement et la pauvreté.
Un jour qu’elle pêchait sur la plage, elle attrapa avec sa canne un poisson si petit qu’il n’était pas plus gros que la graine d’un poids. Comme il n’y avait même pas assez à manger sur ce poisson pour nourrir un nourrisson, elle décida de le relâcher dans la mer.

Avec les années, la jeune fille grandissait et devenait chaque jour plus belle et plus vigoureuse. Ses parents commencèrent alors à s’inquiéter de ce que cette beauté n’éclipse aux yeux des hommes ses talents de pêcheuse et de marin et qu’ils ne la confinent au foyer où à des tâches de potiche.
Un soir la mère dit à sa fille : « viens ma fille, viens t’asseoir sur mes genoux. » et la fille vint s’asseoir sur les genoux de sa mère, mais en grimpant dessus elle vit cette dernière grimacer de douleur. « Tu vois comme tu es devenue grande et forte ? Je ne peux même plus te porter, dis la mère. Écoute bien ma fille. Si tu rencontres un homme qui souhaite t’emmener avec lui, pose lui d’abord trois questions : comment trouves-tu mes cheveux ? »
Le père qui se trouvait à côté, jeta une bûche dans l’âtre.
« S’il te répond qu’ils seraient parfait pour tisser des filets, alors poses une deuxième question : comment trouves tu mes mains ? »
Le père jeta une deuxième bûche.
« S’il te répond qu’elles ont l’air habile à écailler le poisson, alors poses une troisième question : comment trouves-tu le son de ma voix ? »
Le père jeta une troisième bûche.

La jeune fille attendit la dernière réponse mais sa mère avait cessé de parler. « Quelle est la troisième réponse, ma mère ? » demanda-t-elle ? Mais la mère secoua la tête. « Il n’y a pas de troisième réponse, c’est à toi de la découvrir. »

Le lendemain matin, la jeune fille s’en alla ramasser du bois flotté. Sur la plage, un capitaine très bien de sa personne venait d’accoster avec ses hommes. La jeune fille, qui n’avait que peu vu d’étrangers, s’approcha par curiosité. En voyant sa beauté, le capitaine tomba immédiatement amoureux et l’interpella : « Jeune nymphe, mes hommes et moi sommes bien fatigués, nous aideras-tu à retrouver des forces à bord de notre navire ? »

Mais se souvenant des paroles de sa mère, la jeune fille hésita. « Comment trouves-tu mes cheveux, capitaine ? »
« Ils sont beaux comme des fils d’or et soyeux comme un tissu fortunéen. » répondit le capitaine.

Peu convaincue, la jeune fille posa sa deuxième question : « Comment trouves-tu mes mains, capitaine ? »
« Elles sont belles comme des oiseaux à peine nés, mais elles virevoltent comme des mésanges de landes. »

Méfiante, la jeune fille posa sa troisième question : « Comment trouves-tu le son de ma voix, capitaine ? »
« Il m’évoque la plus douce des mélodies du sud, et prodigue à mon cœur plus de réconfort que le miel. »

La jeune fille s’enfuit alors pour retourner chez ses parents. Mais elle ignorait que le capitaine, qui était en fait un cruel homme, l’avait suivi et fomentait sa vengeance. Il attendit la nuit et se faufila jusqu’à la maison à laquelle il mit le feu. Réveillés par la fumée, les parents et la jeune fille coururent vers la porte mais le capitaine et ses hommes l’avaient bloquée avec des rames. Sa mère dit alors à la jeune fille : « Sors par la cheminée, nous sommes trop vieux et trop grands pour nous y glisser, mais toi tu le pourras. »

En larme, la jeune fille embrassa ses parents et essaya de se glisser dans le conduit de la cheminée mais elle était un peu petite alors elle avisa les trois bûches de son père et les empila pour se faire une échelle.
Elle remonta jusqu’au toit et profita que le capitaine et ses hommes regardaient ailleurs, s’enfuit jusqu’à la mer où elle plongea toute couverte de suie. Dans l’eau, l’incendie ne pouvait rien contre elle. Elle attendit toute la nuit en regardant les flamme de sa maison monter vers le ciel puis, au matin, rentra chez elle une fois le capitaine et son équipage partis. Dans la maison, tout avait brûlé, sauf trois bûches, les trois bûches de son père qui demeurait dans l’âtre. Elle les prit et, comme il n’y avait plus rien pour elle ici, s’en servit comme d’un radeau et s’en alla dans l’océan.

Elle navigua longtemps puis commença à avoir faim. Alors elle se servit de ses cheveux et les tressa pour faire un filet avec lequel elle attrapa des poissons qu’elle écailla avec ses mains. Trois ans passèrent quand la jeune fille croisa la route d’un navire marchand. Le capitaine, qui était un beau jeune homme, l’aperçu et se pencha par-dessus le bastingage pour la saluer.

Échaudée, la jeune fille lui rendit son salut et voulu lui demander comment il trouvait ses cheveux, mais elle avait si peu parlé, toute seule au milieu de l’océan, que seul un mince filet de voix sortit de sa bouche et fut emporté par le vent.

« Je n’entends rien ! » cria le capitaine.

Alors la jeune fille voulu lui demander comment il trouvait ses mains mais à nouveau, seul un faible murmure passa ses lèvres et fut emporté par le vent.

« Je n’entends rien ! » cria le capitaine pour la seconde fois.

Alors la jeune fille voulu lui demander comment il trouvait le son de sa voix mais avant qu’elle ait pu poser sa question, le capitaine avait sauté à l’eau et en quelques brasses il fut à ses côtés.

« Parle à mon oreille, je n’entends pas le son de ta voix, le bruit du vent et de la mer couvre tes paroles. »

Alors la jeune fille su que c’était la bonne réponse. Elle le suivi sur son navire et ses cheveux qui étaient toujours aussi beau, permirent de raccommoder les filets, et ses mains qui étaient toujours aussi habiles pour écailler le poisson aidèrent au travail, et sa voix qui était toujours aussi douce ne s’éleva jamais plus haut que le son du vent et de la mer, et elle la préserva pour murmure des choses à l’oreille de son amant. Quant au capitaine qui avait brûlé sa maison et tué ses parents, il péri au cour d'un abordage et fut empalé sur un mat de cocagne.


Notes a écrit :
Le conte du silence occupe une place assez particulière dans les récits pharois, à la fois assez prototypique sur de nombreux plans et en même temps très original sur d’autres. On le retrouve sur la côte nord sous des formes diverses, ce qui explique que reste des éléments en apparence inutiles à l’histoire comme le poisson si petit qu’il est libéré et qui est sans doute le fruit d’un mélange avec un autre conte.

Tout d’abord, il faut noter qu’il s’agit d’un des rares conte à posséder une double lecture puisque s’il s’adresse évidemment aux enfants, il est également à destination des parents dans une forme un peu proto-pédagogique. En effet les parents vieillissant veillent sur leur fille et s’inquiètent pour elle mais savent qu’elle doit également avoir des activités amusantes pour grandir correctement. Également, la beauté de leur fille n’est pas vue comme une fin en soi mais au contraire comme un danger. Bien que ces contes se soient transformés au fil des siècles, on y trouve tout de même de manière assez précoce certains traits de la culture pharoise dont entre autres l’importance pour les filles d’être indépendantes et compétentes en travaux manuels. La beauté se fane vite au contact de la mer et du labeur et il ne faut donc pas compter dessus trop longtemps sous peine de se retrouver sans rien. L’imagination et la créativité sont également valorisées.

Le partenaire de la jeune fille, pour être digne d’elle, doit reconnaître en elle non pas de simples caractéristiques esthétiques comme la beauté et la douceur, mais doit la considérer comme une potentielle partenaire de travail, capable de l’aider sur son bateau et qu’elle ne soit pas un poids pour lui et ses affaires. Les parents encouragent donc leur fille à chercher un homme qui verra en elle quelqu’un avec des talents et des compétences à faire valoir, d’où les cheveux qui deviennent des filets et les mains qui écaillent le poisson.

Il est d’ailleurs intéressant de noter que l’homme que choisit la jeune fille est un marchand. C’est un ajout légèrement tardif, que l’on estime se situer autour du IX et Xème siècle. Avant l’homme était aussi un capitaine mais sans que son métier ne soi précisé, ou bien un pêcheur. L’apparition de la figure du marchand, qui semble un peu entrer en contradiction avec l’usage que celui-ci pourrait faire de filet et de poisson, s’explique par l’attrait que commence à représenter le commerce pour les Pharois à cette époque et est sans doute une modification des parents pour encourager leurs enfants à privilégier le commerce plutôt que la pêche, même si le reste du conte lui n’a pas évolué.

Le cas de la voix, lui, a fait couler beaucoup d’encre chez les chercheurs albiens. Certains y ont vu une façon d’équilibrer les deux autres talents de la jeune fille. Cette-dernière a des compétences manuelles et pratiques, mais elles ne doivent pas éclipser la plus importante de toutes : la voix, c’est-à-dire avoir bon cœur. La voix est le reflet de l’âme et qu’elle soit ainsi camouflé par l’océan est sans doute le signe d’une personnalité humble et sage face à la grandeur de la nature et ses dangers.
Une autre interprétation, plus controversée, est que la voix qui murmure des mots dans l’intimité serait une manière détournée de parler de sexualité aux enfants. Ce qui pourrait expliquer d’ailleurs que la jeune fille n’en parle pas « plus haut que le vent », à une époque où les mœurs sont encore prudes sur ces sujets. Être bonne travailleuse et bonne amante sont les deux atouts sur lesquelles les jeunes filles peuvent compter pour se trouver un parti. Cela expliquerait enfin que les parents de la jeune fille lui expliquent qu’elle doit découvrir la réponse à cette question toute seule, le passage à l’âge adulte ou dans le lit pour la première fois est une expérience propre à chacun.
On a également beaucoup écrit sur le fait que l’absence de réponse pour la question de la voix pouvait indiquer la part de subjectivité dans le fait de tomber amoureux et que si tout homme doit espérer avoir une femme travailleuse et débrouillarde, il demeure une part de séduction plus mystérieuse, que personne ne peut prévoir. La voix représente alors tout ce qui ne s’enseigne pas.

La fuite du foyer dévoré par le feu et l’utilisation des bûches pour faire un bateau serait une métaphore du fait que les Pharois ont, depuis très longtemps, dû quitter leur maison et prendre la mer pour trouver l’amour. Un principe anthropologique simple pour éviter la consanguinité étant de s’en aller chercher un ou une partenaire loin de chez soi. Le feu est alors une force impérieuse et naturelle à laquelle on échappe en fuyant dans la mer, là où il ne peut nous atteindre.
Dans l’imaginaire Pharois, l’océan est souvent un échappatoire pour les affres de la vie quotidienne. Ici la famille est aimante, mais on voit que face à des catastrophes, la mer représente une sécurité. Néanmoins, la jeune fille doit malgré tout revenir d’abord chez elle reprendre des bûches avant de partir. On ne s’en va pas à l’aventure sur un coup de tête, en particulier dans l’océan du nord connu pour ses dangers. Cela demande de la réparation et rappelle le caractère profondément symbiotique entre la terre et la mer, les ressources de la terre sont nécessaires pour prendre la mer.

Détails sur le tissu fortunéen, il s’agit d’un ajout tardif datant probablement du XIVème siècle. Le tissu était avant du tissu albien mais l’arrivée de comptoirs commerciaux venus du sud de l'Eurysie a participé à donner une aura exotique et luxueuse aux produits qui y étaient vendus.
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