12/05/2013
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[EXTRAIT d'ETUDE] Rapport d'enquête : migration, accueil et intégration, retour sur le nouveau pacte de fraternité

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Ce document fut produit à la commande du ministère pharois de la Planification afin de dresser un premier bilan du Pacte de Fraternité ayant conduit à l’accueil de plus de deux millions de réfugiés sur les territoires du Pharois Syndikaali, Albigärk et la République Sociale du Prodnov.
Il se propose un retour d’expérience et se destine à servir de guide et de base de réflexion pour l’intégration potentielle future de nouvelles populations dans ces régions.

Observatoire des migrations
Migration, accueil et intégration, retour sur le nouveau pacte de fraternité

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L'accueil de deux millions de réfugiés met à l'épreuve la capacité de planification des économies pharoise et prodnovienne


Introduction :

Le 1er janvier 2009, les douanes navales du Pharois Syndikaali, appuyées des ministres pharois et prodnovien de la Planification, rendaient publique leur décision d’accueillir sur leurs sols plus de deux millions de réfugiés et immigrants, Kah-Tanais, Damans, Vasques et à grande majorité Tahokais, ces deux derniers groupes fuyant respectivement les persécutions et discriminations dans leurs pays d’origine.

Comment les pays du nord de l’Eurysie ont-ils organisé l’accueil de ces populations, comment ces-dernières ont-elles commencé à s’intégrer au sein de ces territoires et cultures étrangères, quelles furent les raisons qui poussèrent plusieurs gouvernement à s’organiser ensemble pour accueillir un tel afflux de main d’œuvre ?

Et surtout, quels enseignements en tirer ? Quels échecs et quelles réussites ? Retour sur l’un des plus vaste déplacement de population du XXIème siècle et la manière dont celui-ci a été organisé par les pays d’accueil.


1. Recontextualisation :

L’accueil de quelques deux millions cinq êtres humains, a fortiori dans un territoire initialement peu peuplé (Note : Albigärk – Pharois Syndikaali – République Sociale du Prodnov – Porto Mundo cumulaient à eux quatre environ vingt-et-un millions d’habitants avant la migration), est un processus risqué requérant pour être mené à bien de bénéficier non seulement d’un contexte politique et économique favorable, mais également de s’appuyer sur la préparation pensée en amont des conditions d’accueil effective des populations concernées.

Une responsabilité attribuée au ministère pharois de la planification, en concertation avec son homologue prodnovien et les autorités albiennes et mundistes. Ces dernières appartenant à la sphère de libre circulation albienne, les questions démographiques sont traitées de manière collective.

Dans cette première partie nous énumérerons pour chacune de ces quatre entités politiques les causes et raisons ayant poussé à passer un appel à l’immigration, ainsi que les arguments les ayant justifiées auprès des populations autochtones.


a. Pharois Syndikaali

Les raisons de la volonté pharoise d’accueillir sur son sol un nombre conséquent de migrants tiennent en deux points : économique et culturel.

Commençons par la question économique. Depuis 2004 et l’ouverture du Syndikaali au reste du monde, le pays a connu une croissance soutenue et ininterrompue ayant conduit à un enrichissement rapide d’une part conséquente de la population. Le système de circulation de la monnaie pharoise favorisant les investissements plutôt que l’épargne, la prospérité économique du pays s’est très concrètement réalisée dans un grand nombre de travaux de modernisation de l’environnement urbain, une montée en gamme – et donc en productivité – des outils et des conditions de travail, l’accès à la propriété privée et la réalisation d’ambitieux projets d’aménagement du territoire, notamment grâce à la création de nouveaux espaces industriels et d’investissements dans la recherche et développement.
Ce petit miracle économique, s’il a en moyenne permis de doubler le niveau économique de la population pharoise en cinq ans (note : cette statistique ne rend pas compte des fortes inégalités et du fait que la richesse soit principalement réinvestie dans l’appareil de production), a également eu un effet pernicieux dont le gouvernement n’a pas tardé à mesurer l'importance du danger : la pénurie de main d’œuvre.

Avec la montée du niveau de vie général, l’attractivité des emplois sous-qualifiés ou pénibles baisse. L’organisation du territoire en libres marchés locaux a permis d’augmenter significativement la rémunération des travailleurs de ces secteurs, mais elle n’a pas été suffisante pour compenser effectivement l’augmentation toujours croissante de la demande de main d’œuvre dans certains secteurs.

Note économique : le système autogestionnaire des quartiers, villes et régions laisse à ces petites échelles la responsabilité de subvenir elles-mêmes à certains de leurs besoins, tel que l’entretien du mobilier urbain, des routes et des canalisations, du réseau énergétique, etc. De fait, l’enrichissement des collectivités et sous-divisions locales a également augmenté le budget susceptible d’être alloué à ce type de travaux et donc a permis l’augmentation des prix. Dans un contexte de très faible chômage, la concurrence joue assez peu et valorise les salaires des travailleurs de ces secteurs.

Le problème du Syndikaali est tout simplement structurel : ayant favorisé une politique d’émigration de sa population pendant plusieurs siècles, il se trouve aujourd’hui en manque de bras pour faire tourner une économie qui, malgré ses succès, demeure dépendante de certains basses besognes pour continuer de tourner.
Malgré des salaires attractifs, pourquoi se faire éboueur lorsque tant d’emplois se créent dans des secteurs bien plus rentables et avec des conditions de travail plus agréables ?

La perception de plus en plus concrète de ce blocage structurel a sans doute permis au gouvernement Pharois de faire accepter assez simplement une forte immigration à sa population. Une immigration d’autant plus supportable qu’elle se concentre dans les grands centres urbains et industriels de la côte nord et des ports-libres, ce qui préserve les Pharois les plus traditionnalistes installés dans des zones moins peuplées et de toute façon moins modernes dont moins touchées par la pénurie de main d’œuvre.

La concentration de l’immigration dans la région du Détroit, historiquement cosmopolite car volontairement ouverte au reste du monde et située au carrefour de deux continents et de plusieurs pays albiens, lui a également permis de passer d’avantage inaperçue, les ports-libres ayant l’habitude de la présence de quartiers ethniques.

La seconde raison justifiant de lancer un appel à l’immigration est à chercher dans la culture pharoise, historiquement tournée vers l’émigration. Nous ne reviendrons pas en détail sur les raisons climatiques et économique qui ont poussé les habitants de cette région du monde à la fuir, mais une grande part de l’imaginaire des Pharois s’est structuré autour du départ, de l’exploration d’autres territoires et de la recherche d’opportunités loin de chez eux. On retrouve un grand nombre d’œuvres littéraires notamment pour en témoigner, mais cet état d’esprit se voit également dans les mœurs et les traditions pharoises.
Reste que sans doute pour la première fois, les Pharois ont un solde démographique supérieur à 1%. On estime en effet celui-ci autour des 5% de croissance démographique par an, du jamais vu dans cette région du monde.

Avoir recours à l’immigration est donc en partie perçu par les Pharois comme une forme de revanche et une démonstration de leurs succès, adressée au reste du monde. En d’autres termes et au risque de surprendre quand on sait les crispations que ce thème peut entraîner dans d’autres pays du monde : les Pharois sont fiers d’accueillir. Cela est vu comme particulièrement prestigieux et résonne très fort dans la culture nationale, habituée à se dénigrer et à reconnaître les limites du pays. Pour la première fois, celui-ci attire et peut se permettre d’être l’hôte d’autres populations. Parce qu'ils ont de tous temps été migrants, les Pharois sont plus susceptibles d'éprouver de l'empathie vis-à-vis de ceux qui choisissent à leur tour la voie du départ.

A cela s’ajoute également une certaine forme d’aversion pour les frontières et pour l’autoritarisme de manière générale, qui pousse les Pharois à faire preuve d’une certaine bienveillance vis-à-vis des réfugiés des dictatures ou pays oppresseurs, tels que les Vasques et Tahokais.
Il faut dire par ailleurs que ces populations accueillies, bien que beaucoup plus nombreuses, bénéficient d’un précédent. En effet, le Syndikaali a déjà accueilli plusieurs dizaines de milliers de Francisquiens, des anciens esclaves Elpides, des Prodnoviens fuyant la guerre et a intégré un grand nombre de Listoniens au sein de son corps social. Le phénomène d’immigration est donc connu et moins susceptible de susciter la peur et le rejet face à l’étranger.

Au-delà de ces situations de détresse, ce n’est pas la première fois que le Syndikaali appelle à l’immigration. On se souvient par exemple que celui-ci avait négocié avec les ports-libres plus de cinq-cents milles visas de travail en échange de concessions militaires. L’afflux de travailleurs étrangers est donc bel et bien un phénomène auquel les autorités pharoises ont eu plusieurs fois l’occasion de se confronter et de se préparer.

Ces deux aspects, économique et culturel, permettent de mieux comprendre les raisons ayant poussé le gouvernement Pharois à avoir recours à l’immigration.


b. Porto Mundo

Le cas de Porto Mundo est plus simple à comprendre puisqu’il relève quasiment d’une pure logique comptable. Au moment de l’intégration de Porto Mundo au Pharois Syndikaali sous le statut de port-libre, la ville a connu une forte émigration pour des raisons politiques et économiques.

Politiques d’abord : la gestion de la politique intérieure de la ville par le maire et ex-Gouverneur impérial Edmundo Estrella, qualifiée d’autoritaire par nombre de ses concitoyens, a contribué à faire fuir certains des éléments les plus progressistes et libéraux de la société mundiste. Ces derniers se sont en majorité dirigés vers un autre port-libre : la Caprice Coast, ex-colonie listonienne et ancien territoire albien rattaché au Syndikaali en même temps qu'Albigärk. La proximité géographique et la présence d’une grande communauté lusophone d’avantage acquise aux idées libertaires a encouragé une émigration politique pour fuir les formes larvées de répression d’Edmundo Estrella, ce-dernier n’hésitant pas à abuser de son autorité de maire pour compliquer la vie des ses administrés n’ayant pas ses faveurs, ou simplement pour favoriser ses proches.

Économique ensuite : si l’intégration de Porto Mundo au Syndikaali lui a permis d’éviter la ruine, l’adaptation du tissu économique et des infrastructures de la ville ne s’est pas faite en un jour. Alors que cette-dernière était encore en pleine reconfiguration politique, la proximité de la prospère Caprice Coast ou, face à la baie d’Albi, de la Commune d’Albigärk, ont naturellement encouragé à l’émigration d’une partie conséquente de la population, estimée autour de cinq-cents milles individus, soit presque un quart des habitants.

Amputé d’une grande partie de son capital humain, Porto Mundo a opéré plusieurs choix stratégiques pour attirer les financements, notamment pharois, afin de retrouver une forme d’équilibre économique. Demeurait un manque de population laissant des quartiers entiers à l’abandon et des services dysfonctionnels faute de main d’œuvre, allant jusqu’à pousser le maire à s’exprimer à ce sujet dans plusieurs interviews.

C’est finalement le recours à l’immigration, principalement tahokaise, qui relance certains secteurs économiques vidés de leur main d’œuvre. Une installation d’autant plus naturel que la plupart des infrastructures urbaines nécessaires à l’installation de nouveaux citoyens se trouvait déjà sur place et ne nécessitait donc qu’assez peu de travaux supplémentaires.

Par ailleurs, la croissance économique rapide de Porto Mundo dont le PIB a été multiplié par six depuis que la région a rejoint le Syndikaali, permet d’amortir une arrivée de main d’œuvre en situation de pauvreté. La reconfiguration rapide de l’économie mundiste pour venir irriguer les gourmandes infrastructures militaires pharoises et l’entrée dans le premier marché mondialisé ont obligé à une rapide et brutale adaptation du tissu économique locale, jusqu’alors centré quasi exclusivement sur le commerce. De sa décolonisation à janvier 2009, Porto Mundo se repensée et transformée d'une société à mi-chemin entre économie industrielle et économie de service. Un changement radical pour ce territoire dont la richesse était jusque-là à plus de 80% le fruit du secteur tertiaire.
Problème : l'absence de classe ouvrière, historiquement située à Listonia et du savoir faire professionnel qui l'accompagne empêche la bonne reconfiguration du tissu économique mundiste. Les colonies, dont la vocation était avant tout l’exploitation des matières premières ou des routes commerciales dans le nord de l'Eurysie, n'ont ni la population ni l'expérience nécessaire pour se réindustrialiser rapidement. Des travailleurs qualifiés et cadres du secteur tertiaire peuvent en effet difficilement reprendre le chemin de l’usine du jour au lendemain, quand bien même les salaires y seraient élevés. Il faut dire que le Syndikaali, dont les Mundistes sont désormais citoyens à part entière, offre des opportunités professionnelles infiniment plus attrayantes que la chaîne de production. Il fallait donc que Porto Mundo se reconstitue une classe laborieuse prête à fournir ses usines d’armement en ouvriers, et quoi de mieux pour cela qu’une population pauvre, globalement peu diplômée, et religieusement fascinée par la mécanique et l'industrie ?

En favorisant l’implantation de quelques cinq-cents milles Tahokais à Porto Mundo, Estrella garantit la paix civile et s'épargne une crise politique et ociale puisqu’il évite à sa population de se déclasser en confiant le sale boulot aux étrangers.


c. Albigärk

La question de l’accueil de populations immigrées par la Commune d’Albigärk est, bien que très documentée, sans doute la plus complexe et multifactorielle des quatre.

Dans un premier temps, il faut rappeler qu’à l’image des ports-libres, Albigärk est une ville largement cosmopolite, peut-être même d’avantage que ces-derniers. Ancienne capitale du Royaume d’Albi elle a vu coexister les nombreuses identités culturelles et ethniques de la péninsule pendant plusieurs siècles de domination de la part de la Couronne. Durant la deuxième moitié du XXème siècle, c’est la forte immigration de peuplement impulsée par l'Empire Listonien qui a forcé le mélange des populations locales à ces nouveaux arrivants. Enfin, au XXIème siècle, la reconstruction des universités et l’accueil de larges populations étudiantes dans le cadre d’accords de recherche internationaux a achevé de contribuer à la mixité sociale historique de la Commune, du moins au sein de ses cercles universitaires.

Si cette dernière ne s’est pas faite sans heurts, il demeure que le nationalisme albien a peu de sens à Albigärk où il n’existe pas vraiment d’ethnie majoritaire bien définie et dont la tradition politique anarchiste a peu favorisé le développement d’une conscience nationaliste. L'héritage de la Royauté demeure, mais il a été en grande partie étouffé par un autre récit national : celui de la révolution de 1820 qui a consacré la Commune comme un carrefour de culture et une matrice pour les valeurs universalistes.
Les frictions entre communautés albiennes et listoniennes sont toujours un sujet, mais elles sont d’avantage perçues comme émanant d’un contexte historique spécifique que d’un problème lié à l’immigration en elle-même, celle des listoniens étant trop spécifique pour être comparée à d'autres. Il est toutefois important de noter que le souvenir des tentatives de colonisation de peuplement impulsées par l’Empire a pu faire naître une certaine forme de suspicion de la part de certains couches de la population, y compris d'origine listonienne, vis-à-vis de l’installation massive de nouveaux arrivants.

Ce qui sauve la Commune d’Albigärk de ses démons est certainement son fonctionnement politique organisé autour d’Assemblée Générales qui fonctionne comme un garde-fou. Ces assemblées citoyennes, dominées par les étudiants, sont moins des organes de décision que des espaces d’appréciation de l’opinion publique quant à telle ou telle mesure politique et dont les différents acteurs de la société tiendront compte au moment d'agir.

Pour le dire plus simplement, Albigärk n’a jamais réellement eu à s’assumer comme un pays souverain dont la voix pèserait à l’internationale et devrait donc rendre des comptes de ses initiatives. En tant que capitale du Royaume d’Albi, elle n’était qu’une sous-partie d’un territoire plus vaste. Puis, ayant conquis son autonomie lors de la guerre civile, elle se greffe au voisin Pharois qui assure son approvisionnement énergétique, en nourriture et en matières premières. Presque exclusivement composée d'études et d'enquêtes sorties de ses universités, la production économique réelle de la Commune ne vaut pas grand-chose en dehors du cadre d’une entité politique plus large ce qui n’en fait, dans les faits, pas un véritable pays souverain économiquement. Le Syndikaali, qui s’appuie encore à cette époque sur les élites albiennes, tolère les extravagances de la Commune qui expérimente alors beaucoup sur le plan social.
Lors de la conquête par l’Empire Listonien, Albigärk passe sous contrôle d’un gouvernement colonial et perd donc sa souveraineté politique.
Ayant finalement repris son indépendance en 2006, la Commune revient à un modèle proche de celui en vigueur pré-colonisation, dans une forme de mélange entre autonomie politique et symbiose économique avec le Pharois Syndikaali.

En d’autres termes, la Commune d’Albigärk n’a jamais ressenti le besoin de se doter d’un véritable gouvernement et sa grande porosité avec le territoire pharois en fait plus une sous-entité politique régionale qu’une nation souveraine, ce qu’elle prétend pourtant être en théorie.

Considérant cela, l’accueil de populations étrangères est une décision prise avant tout pour s'aligner sur la politique d’accueil de son voisin. Faute de frontières étanches, Albigärk se contente de demander des financements pour l’accueil des réfugiés, et d’organiser leur installation en fonction de la planification pharoise.

D’un point de vue idéologique enfin, les facultés d’art et de sciences humaines se prononcent majoritairement en faveur de l’abolition des frontières et de la libre circulation des peuples. L’arrivée d’étudiants et d’enseignements étrangers étant globalement perçu comme une chose positive et enrichissante.


d. Prodnov

Le cas de la République Sociale du Prodnov est quelque peu similaire à celui de Porto Mundo et, dans une certaine mesure, du Syndikaali, mais demande malgré tout quelques précisions en raison du contexte politique très différent.

Lors de la crise du Prodnov, les deux oblasts de Galkovine et de Peprolov se trouvent du jour au lendemain coupés du reste du pays, soit des deux tiers de sa population active. Une perte sèche de travailleurs, de ressources et une destruction presque complète de l’administration qui requiert une réorganisation rapide de la société et de l’économie, alors perfusés aux capitaux pharois.
Le ballet électoral et la reconfiguration politique du pays à trois reprises avec l'élection de coalitions gouvernementales distinctes aboutit à l'arrivée au pouvoir de partis politiques ayant une conception particulièrement verticale et hiérarchisée de la société. Cette vision du bon fonctionnement d'un pays, basée sur la fermeté de l'exécutif, favorise l’émergence d’une nouvelle élite économique et politique, choisie en raison de sa proximité idéologique avec le nouveau gouvernement.

De manière générale, la séparation brutale de la République Sociale du Prodnov avec Staïglad la capitale dans un pays autrefois particulièrement centralisé laisse vacants un grand nombre de postes de cadres et d’emplois à hautes responsabilités et fortes rémunérations. L’avènement d’une société socialiste en voie de modernisation et la porosité des frontières avec la République Libre du Prodnov, couplée à une forte croissance économique entraîne une hausse du niveau de vie de la population et favorise des opportunités de carrière inédites.
L’ascenseur social est très rapide en raison de la doctrine communiste tournée vers l’éducation des classes populaires et le besoin de former en peu de temps de nouveaux cadres capables de faire tourner le pays.

Dans un cas similaire à celui du Syndikaali, le Prodnov se retrouve alors en manque de travailleurs manuels, faute, pour sa part, de pouvoir s’appuyer sur une industrie mécanisée à forte valeur ajoutée. Il faut pourtant des bras pour travailler aux champs et faire tourner les usines de la jeune République qui se rêve auto-suffisante sur le plan agricole d’ici quelques années. Le ministère de la planification passe alors plusieurs appels pour recruter de la main d’œuvre, en proposant des régimes spéciaux avantageux pour les fonctionnaires.

Par ailleurs, la nature a minima illibérale du régime de la République Sociale du Prodnov et la tradition historique de soumission au chef en vigueur dans la région favorise les prises de décisions unilatérales et sans réelle concertation de la société civile. A noter également qu'avec la double victoire du Parti Républicain Communiste du Prodnov aux élections et la réunification de Galkovine et de Peprolov, largement saluée par l'armée autant que la société civile, le gouvernement actuel bénéficie d'un certain état de grâce auprès de la population.

Pour ce qui est de la justification de la politique d’accueil du Prodnov, le gouvernement Malyshev a invoqué la tradition internationaliste et les intérêts partagés des classes populaires à travers le monde. Une récit qui s’inscrit parfaitement dans le projet politique et culturel défendu par la République Sociale et correspond assez bien au narratif élaboré par le régime prodnovien avant même que ne commence la crise. Si dans les faits l’immigration demeurait assez peu intense au Prodnov, en raison notamment de la faible attractivité économique et politique du pays, la croissance de la République Sociale justifie désormais d’accueillir chez soi des prolétaires étrangers. Il n’est à ce propos pas exclu que le gouvernement prodnovien soit sincère dans sa volonté de bâtir des ponts entre les différents peuples, le recours aux universités albiennes pour former les nouvelles élites politiques du pays ayant précisément été justifié par le souhait d’ouvrir la société prodnovienne à l’internationale. Un impératif politique aussi bien pour désenclaver le Prodnov, société historiquement centrée sur elle-même et tournées exclusivement vers les autres républiques communistes slaves, que pour acquérir des savoirs étrangers et procéder au rattrapage économique et scientifique promis par le gouvernement.


Conclusion recontextualisation

On voit dans chacun des cas décrits plus haut que la motivation pour avoir recours à l’immigration est principalement économique, mais s’appuie également sur des éléments culturels ou politiques mobilisés par les autorités pour présenter et justifier l’accueil des réfugiés à leurs électeurs.
Si à Porto Mundo, au Prodnov et au Pharois Syndikaali le recours à des travailleurs étrangers s’est révélé impérieux pour maintenir à flot des économies amputées ou risquant une crise de production, ce sont d’abord des éléments historiques et liés à la structure sociale des territoires qui sont convoqués.

Seul le cas de Porto Mundo se démarque de ce point de vue, l’immigration ayant été imposée par le haut, mais c’est également le territoire qui se destinait le plus naturellement à l’accueil, puisque souffrant d’une désertion de ses usines et quartiers résidentiels qui menaçait de faire trébucher le tissu économique locale ou d'entrainer un déclassement de la population.
Cette première partie appelée "Fléchage, autogestion et ghettos" concerne uniquement la population immigrée tahokaise qui fit l'objet d'une politique spécifique en raison de sa taille, mais également de ses spécificités culturelles et religieuses, à rebours de la société pharoise.


Fléchage, autogestion et ghettos
Recette de la plus ambitieuse politique migratoire du XXIème siècle
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Contextualisation, rappel historique :

Déjà en 2005, médias, experts et économistes commençaient à alerter sur les conséquences de la transformation rapide de l’économie pharoise et de son enrichissement. Depuis son ouverture au monde en 2004, le Syndikaali a progressé chaque année d’environ deux-cents milliards de PIB, de manière assez stable dans le temps.
Un quasi-exploit pour cette économie qui, dix ans plus tôt, était encore considérée comme archaïque au regard des standards de l'Eurysie. Le Pharois a su tirer le meilleur de ses quelques avantages : sa position géographique qui lui assure le contrôle du passage de la route du nord, et un modèle économique « alternatif », rendu particulièrement lucratif par la mondialisation.

Ce que plusieurs économistes ont qualifié de « miracle économique pharois » ne doit pas empêcher de regarder en dessous des chiffres pour comprendre comment la société s’est adaptée à ce brutal enrichissement. Le tissu économique et social pharois a cet avantage d’être organisé de manière autogestionnaire, émancipé des structures de la bureaucratie d'Etat, ce qui lui offre une bonne capacité de réaction aux fluctuations du marché, tout en lui permettant de s'appuyer sur des solidarités organiques en cas de crise (famille, collectifs de quartiers, syndicats, associations, etc.). La société pharoise s'est plusieurs fois révélée capable de se reconfigurer en peu de temps, et d'encaisser les conséquences des aléas macroéconomiques. Une forme d'organisation sociale qui s'était jusque-là révélée peu adaptée à la production de grande échelle, mais très résiliente, expliquant à la fois le faible développement pharois mais aussi sa capacité à ne pas s'effondrer.

Toutefois, cette forte mobilité sociale a également un autre revers de médaille : les secteurs et métiers que la conjoncture économique rend moins attractifs sont directement mis en concurrence avec le reste de la société et souffrent rapidement de désertion. Le manque de main d'oeuvre est alors censé faire augmenter les salaires, ce qui est une bonne méthode pour revaloriser ces secteurs en souffrance, selon les économistes libéraux, mais qui atteint ses limites lorsque la société se trouve face à une pénurie de main d’œuvre. Or, le territoire pharois étant historiquement faiblement peuplé, malgré l’intégration de deux millions et demi d’Albiens arrivés avec Albigärk et la Caprice Coast, la crise structurelle se profile à l’horizon.

Des prévisions inquiétantes qui ont conduit les autorités pharoises à réfléchir à un plan d’action ambitieux pour éviter un déséquilibre économique pouvant potentiellement conduire à l’effondrement.

La mise en place d’une grande planification a été impulsée par l’arrivée au pouvoir de trois ministres communistes aux postes de ministres de la Défense territoriale, des Propriétés publiques et du Bien commun et de la Planification. Le Syndikaali, bien que faiblement centralisé, a hérité d’une tradition de grands projets étatiques de la Révolution de 1820, inspirée en partie des idées socialistes et marxistes de l’époque.
Aucun projet néanmoins n’avait une ambition comparable à celui d’accueillir deux millions de nouveaux citoyens, d’origines et de cultures étrangères, et de les intégrer en peu de temps à l’économie du Syndikaali. Un bouleversement qui s’explique autant par la place qu’a pris le pays à l’international, et les ambitions qui vont avec, mais aussi par le budget de l’Etat qui a largement gonflé ces dernières années, démultipliant les possibilités.

Reste toujours une contrainte majeure : la main d’œuvre qui risque de manquer pour réaliser concrètement les plans de l’Etat.

Comment alors le Syndikaali a-t-il organisé l’arrivée massives d’étrangers sur son sol ?

Comme nous l’avons expliqué précédemment, le projet trouve son origine en 2006 avec l’arrivée au pouvoir du Parti Communiste Pharois et la réhabilitation d’une approche d’avantage macro-économique de l’action de l’Etat. Celui-ci sera officialisé deux ans plus tard, en août 2008, et mis en place neuf mois plus tard en mars 2009, lorsque les douanes pharoises délivreront les premiers visas. Plus de deux années de préparation donc, appuyée sur un marché du BTP en plein essor depuis 2004 – le Syndikaali n’a jamais véritablement cessé ses travaux d’aménagement et de modernisation depuis l’entrée des premiers flux financiers internationaux – et une conception politique à échelle locale, donnant la part belle à l’autogestion.


I. Fléchage


a. La planification pharoise au revers de sa tradition libertaire

C’est sans aucun doute l’aspect le moins bien maîtrisé par le gouvernement pharois, dont la tradition anarchiste n’a pas vraiment permis le développement d’une expertise bureaucratique pour la gestion des masses, d’autant que la taille de la population pharoise se prête peu à l’encadrement de tels volumes. Au point que nous savons aujourd’hui que le ministère Prodnovien de la Planification a, dans l’année suivant la proclamation du nouveau pacte de Fraternité, activement aidé et conseillé les ministres Pharois pour partager avec eux le savoir-faire hérité de l’extrême centralisation étatique du Prodnov. La République Sociale ayant accueilli un part conséquente des cadres communistes fuyant les purges de Staïglad, ces-derniers se sont trouvés en partie désœuvrés et ont pu être embauchés par l’administration pharoise au titre de conseillers.

Le Fléchage, donc, commença par une estimation des besoins régionaux. Un exercice plutôt aisé grâce aux traditions autogestionnaires et la décentralisation de l’Etat qui offre aux administrations régionales une vision fine et proche du terrain. Une situation qui a permis d’éviter des procédures lourdes et les biais issus des divers filtres bureaucratiques entre l’Etat et la population locale. Grâce à leur proximité avec le tissu économique, l’habitude de traiter des problématiques à échelle humaine et de prendre en compte les problématiques particulières au territoire, les collectivités locales ont pu dresser assez aisément un tableau plutôt clair de leurs besoins.

La difficulté fut ensuite de traiter ces informations qui, pour très complètes qu’elles étaient, ressemblaient d’avantage à un jeu de construction chaotique qu’à un puzzle où chaque pièces s’emboîtent les unes dans les autres. Choix fut ainsi fait d’avoir à nouveau recours aux habitudes autogestionnaires des collectivités locales qui purent se préparer à un afflux de travailleurs, pour partie étrangers. L’enjeu fut alors de préparer d’une part les conditions d’installation – bâtiments salubres, réseaux de transport de proximité, accès aux services de distribution de l'énergie, du gaz, de l'eau, etc. – mais aussi de créer à l’avance une offre de formation adaptée aux futurs besoins. Les consignes du gouvernement étaient assez claires à ce sujet : « un logement, à manger et du boulot », le reste se ferait progressivement.

C’est à la fois l’avantage et la faiblesse du modèle politique et social pharois : d’un côté il assume de laisser les gens se prendre en charge, quitte à leur demander de serrer les dents lorsque les conditions de vie sont médiocres, de l’autre la grande flexibilité du tissu économique reconfigure assez efficacement l’organisation de la production et de la circulation des richesses selon l’offre.
Pour le dire autrement : le gouvernement Pharois a, contrairement à son homologue Prodnovien, fait le pari que l’arrivée massive de travailleurs dans un pays en demande forcerait une reconfiguration régional rapide, grâce au dynamisme de l’économie et aux nombreux entrepreneurs que compte le Syndikaali. La seule condition pour que tout cela ne tourne pas au fiasco était alors de fournir les nouveaux arrivants à minima en logements, en produits de première nécessité et en travail. Dès que les premiers salaires commenceraient à tomber, le marché – noir ou blanc – reprendrait la main pour flécher l’offre vers la demande.

C’est un pari risqué cependant, puisqu’il est conditionné à la réussite de deux facteurs : d’une part l’intégration rapide des travailleurs immigrés au tissu économique pharois, d’autre part que ces-derniers acceptent provisoirement des conditions de vies rudes, le temps pour l’économie de se reconfigurer et se stabiliser.

En cela, l’accueil de travailleurs Tahokais a été une décision audacieuse, mais compréhensible, à condition de faire preuve d’un certain cynisme.

Aparté : Eglise mécanique, sectes tahokaises

Qui sont les Tahokais ? Issus de l’Empire Suprême du Tahoku dans l’est du Nazum, la distance le séparant du Pharois Syndikaali est d’environ six-milles kilomètres à vol d’oiseau, le double en circulant par la mer. A la fois proche et lointain, donc, mais d’autant plus éloigné que cette région du monde où se côtoient dictatures et empires déclinants, demeure assez peu accessible au reste du monde en raison des difficultés d’accès et de son découplage des principales routes commerciales contemporaines.
Les Pharois avaient déjà eu des contacts avec le Tahoku, notamment en raison de l’implantation du Syndikaali dans les colonies de Listonia, dont l’une est voisine de l’Empire Suprême. Des relations superficielles cependant, et laissées à l’initiative des pirates et marchands du Syndikaali, intéressés par les – maigres – richesses de ce petit pays considéré comme arriéré aux regards des standards eurysiens.

Les Tahokais venus au Syndikaali ne sont cependant pas n’importe lesquels. Il s’agit des partisans de l’Eglise mécanique, une secte locale entièrement dévouée au culte des machines et de la technologie. Structurée et hiérarchisée autour d’un clergé puissant, elle suit les ordres de son Saint Siège qui a d’ailleurs appelé à l’exode.
Se plaçant dans le sillage des prêtres-mécaniciens, des communautés complètes ont pris le chemin du voyage, désertant parfois des villages entiers.

Les Mécanistes vénèrent les machines qu’ils considèrent comme semblables aux hommes, du moins dans leur essence. Une adoration qui s’applique à toutes les formes de technologie, pourvue que celle-ci soit tangible, de la plus banale à la plus sophistiquée.


b. Limites et avantages du choix d'avoir recours à l'immigration.

A première vue, les sociétés Tahokaise et Pharoises semblent radicalement éloignées. Bien qu’elles partagent toutes deux une certaine appétence pour la spiritualité, les Pharois ont mis un point d’honneur à s’affranchir des dogmes et des structures cléricales. La société libertaire pharoise met en valeur l’initiative privée, l’esprit d’indépendance et l’insubordination. A l’opposée donc des structures organiques et fortement coercitives de la société tahokaise, héritière de l’autoritarisme et d’une religion particulièrement normative.
Ce n’est pas tout, les Pharois sont habitués à la technologie et pour certains d’entre eux considèrent que celle-ci est d’avantage un frein à l’émancipation. Bien loin du respect religieux que lui vouent les Tahokais, donc, qui en ont paradoxalement été d’avantage privés.

Cette différence cristallise d'ailleurs l'un des principaux enjeux d'adaptation pour les migrants : comment, en sortant d'un dénuement radical, intégrer efficacement une société hautement technologique. Le risque d'un choc culturel est grand, et des difficultés d'adaptations liées à des réflexes non acquis pour les Tahokais. Pour certains d'entre eux, l'accès à l'eau courante est déjà un progrès, autant dire que l'usage des téléphones portables ou l'idée de faire des démarches via internet est de nature à poser rapidement problème. Accidents domestiques, mauvais usages de l'énergie (laisser ouvert le gaz), sans parler des angoisses existentielle ou dû au dépaysement, de nombreux obstacles se dressent en théorie sur le chemin des nouveaux venus.

Tout n’oppose pas cependant Tahokais et Pharois. L’organisation du territoire en petites communautés familiales se rapproche du tissu social traditionnel nazuméen et les phalanstères ouvriers du Syndikaali font écho aux églises mécanistes et leurs prêtres-mécaniciens.

Reste le problème de la langue, de la culture administrative et politique, des mœurs et de l’adaptation au climat nord-eurysien, qui sont les principaux enjeux auquel le gouvernement pharois a tenté de répondre en priorité. Nous développerons d’avantage cet aspect dans la partie « autogestion ».

Car pour le reste, les Tahokais se révèlent une population particulièrement intéressante pour le Syndikaali. Rappelons que la crise à laquelle celui-ci fait face est celle d'un manque cruel de main d’œuvre à moyen termes. Confronté à l’enrichissement rapide de la société pharoise, le tissu économique monte rapidement en gamme mais peine de fait à trouver des candidats pour les métiers les plus ingrats. Or l’industrie lourde et plus globalement le secteur primaire exigent toujours plus de bras pour tenir la cadence de la croissance économique.

C’est un problème que connaissent toutes les économies développée : à mesure que la rentabilité des secteurs de pointe augmente, que l’industrie se spécialise, que le tertiaire prend une part toujours plus grande dans le PIB du pays, la multiplication des métiers à hauts revenus et faible pénibilité crée un appel d’air pour les emplois moins bien considérés. Qui souhaite encore être éboueur, ouvrier agricole ou manutentionnaire lorsque des postes s’ouvrent chaque jour dans la finance, la banque, l’industrie à haute valeur ajoutée, et que cette dernière propose même des formations rémunérées ? Si se coller les fesses dans un fauteuil de bureau n’est pas le rêve de tout le monde, cela reste tout de même plus attirants que d’égorger des vaches à la chaîne dans un abattoir. Et puis le tissu économique pharois valorise les activités physiques…

Le secteur de la pêche et des activités halieutiques semble le seul épargné par la désertion générale des métiers pénibles, car historiquement valorisé dans la culture pharoise.

Pourtant, tous ces travailleurs du quotidien sont des emplois nécessaires pour permettre à l’économie de ne pas s’asphyxier. Ils sont l’oxygène, déconsidérés par les muscles, mais sans qui il est impossible de travailler ou de se développer.
Comment alors trouver en masse des travailleurs prêts à s’engager dans des métiers peu valorisants ou pénibles ?

Le Syndikaali semble avoir trouvé la solution : le recours à l’immigration.


c. Fascination mécaniste : le spirituel au profit du pénible

A cet égard, le peuple Tahokais fut sans conteste une véritable aubaine pour les Pharois. Il possédait en effet plusieurs caractéristiques particulièrement stratégiques :

  • Un faible niveau général de qualification.
Si certains préfèrent parier sur une émigration hautement qualifiée, le Pharois lui manque surtout de petites mains. Sa population est de manière générale assez éduquée et à même de se former et d’occuper des postes à haute valeur ajoutée. Au contraire, elle manque surtout de travailleurs manuels, des gens dépositaires d’un savoir pratique et spécialisé. Le fait d’accueillir des gens peu diplômés permet à ce-titre de les orienter vers des formations utiles pour le Syndikaali, sans craindre que ceux-ci ne se plaignent de dissonance entre leurs emploi et leurs qualifications de base, ce qui arrive parfois avec les jeunes diplômés surqualifiés.

  • Une fascination pour la mécanique.
Les Pharois ont besoin de bras pour leur industrie lourde, l’une des plus productive et performante du monde. Des gens prêts à travailler en usine, dans des conditions éprouvantes, au contact des machines bruyantes et parfois dangereuses. Un destin qui fait peu rêver, sauf pour les Tahokais pour qui toute pièce mécanique est objet de vénération. A ce titre, les boyaux des usines de métallurgie sont de véritables temples et les conditions de travail, même éprouvantes, une mise à l’épreuve de leur foi.
Un autre secteur en pleine expansion est celui de l’électronique et notamment des puces informatiques, semi-conducteurs et alliages. Des emplois assurément pénibles, demandant des compétence en soudure, mais qui permettent de travailler au cœur de la machinerie informatique, directement dans ses rouages.

  • Une société hiérarchisée et autogérée.
Nous reviendrons d’avantage sur cet aspect mais retenons que l’organisation sociale tahokaise implique une soumission au prêtre, aux ancêtres et aux traditions. Cela a l’avantage de faire des Tahokais une masse aisée à organiser, avec des interlocuteurs clairement identifiés. Dans les premiers temps de l’exode, les institutions du Syndikaali n’ont eu besoin que d’engager un dialogue avec les responsables religieux pour toucher, par ricochet, le reste de la population. Également, les cours de langue et toutes les formations visant à favoriser l’intégration culturelle se sont d’abord concentré sur les prêtres à qui responsabilité était donnée de diffuser ensuite la parole des autorités pharoises, modulée par eux de manière à convenir aux valeurs et exigences morales des Tahokais. Là où d’autres nations se seraient lancées dans la quête ingérable de former linguistiquement deux millions de personnes, le Syndikaali peut se permettre dans un premier temps de limiter son action à en éduquer une poignée.

  • La fuite des persécutions.
Aussi cynique que cela puisse sembler, le statut de réfugié a fortement conditionné l’accueil des Tahokais au Syndikaali. Ces-derniers n’ont en effet pas réellement la possibilité de revenir en arrière. Qui plus est, le niveau de vie moyen du Pharois est – sans exagération – plus de cent fois plus haut que dans l’Empire Suprême. Cette nouvelle donne produit un effet d’aubaine et de dépendance pour les nouveaux venus qui se sentent reconnaissant, mais sont également d’avantages disposés à jouer le jeu des locaux, que ce soit pour avoir la chance d’intégrer une société infiniment plus douce et prospère, que par peur de l’expulsion qui les renverrait au dénuement le plus complet.

  • Le niveau technologique pharois.
On a parlé des conditions de travail, mais il convient aussi d’évoquer celles de la vie du quotidien. Le Syndikaali est l’une des sociétés les plus technologique du monde, en témoigne sa productivité par habitant sans équivalents sur la planète. Celle-ci n’est pas dû qu’aux activités bancaires et financières mais repose également sur la connexion des Pharois entre eux, conséquence logique de l’éclatement géographique du territoire, et l’informatisation et la mécanisation de nombreuses tâches, nécessaire en raison de la faible population.
Résultat, ce qui, pour un Pharois, seraient de mauvaises conditions de vie, est un véritable paradis technologique pour les Tahokais : sonnettes électriques, ascenseurs, micro-onde, grille-pain, téléviseur, réseau internet et téléphonique. Des petits riens très banals pour la plupart des gens, mais qui sont en mesure d’être considérés comme des objets de culte pour les adeptes de l’Eglise mécanique. De fait, s’en voir offrir aussi simplement peut être une source de gratitude pour les nouveaux arrivants.


Conclusion

Ces cinq facteurs additionnés, bien qu’ils puissent en apparence être des freins à la bonne intégration des Tahokais au Syndikaali, ont paradoxalement été des avantages certains pour les institutions pharoises chargées de les orienter.
Le fléchage était ainsi d’autant plus simple que les nouveaux venus suivent les prédications de leurs clercs, ont l’habitude de se soumettre à l’autorité, mais se sont surtout vu offrir des conditions de vie et de travail adaptées à leurs espérances.

L’enjeu de la pacification et de l’orientation des populations a pu en être grandement facilité, concluant cette première partie sous le nom de « fléchage ».
Fléchage, autogestion et ghettos
Recette de la plus ambitieuse politique migratoire du XXIème siècle
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II. Autogestion

Introduction

Nous avons vu dans la première partie les cinq avantages que représentait la culture et la religion tahokaise par rapport aux besoins du Pharois Syndikaali. Ces caractéristiques très particulières ont pu être mises à profit par l’administration et les douanes pharoises pour orienter les populations vers les territoires ayant exprimé un besoin en travailleur et s’étant préparés à les recevoir, par la construction de nouveaux logements, de réseaux d’approvisionnement et de transport (nous y reviendrons dans la dernière partie).

Dans cette deuxième partie, nous reviendrons sur les difficultés auxquelles le Syndikaali a et est toujours confronté, et la manière qu’il a eu d’y répondre, par une seule et même stratégie : parier sur les solidarités mécaniques et le recours à la tradition autogestionnaire et communautaire.

Notion importantes

  • Solidarité mécanique : à ne pas confondre avec l'Eglise mécanique. Les solidarités mécaniques désignent les solidarités des sociétés traditionnelles, où le poids du groupe est primordial et prime sur le destin individuel. L'entraide est naturelle, en raison de la proximité entre les membres du groupe et de leurs valeurs communes. Elle n'est pas le fruit d'un contrat ou d'une transaction.
  • Secteur tertiaire / des services : tout ce qui ne concerne ni l'agriculture (secteur primaire) ni l'industrie (secteur secondaire). Il s'agit de tout ce qui permet à la chaîne de production économique de fonctionner : service de santé, entretien des routes, éducation, sécurité, téléphonie, énergie, etc.
  • Communautarisme : l'existence de groupes à l'intérieur de la société bien qu'ils n'en partagent pas forcément les valeurs, l'histoire, la culture ou la langue.


a. La tradition autogestionnaire pharoise

Qu’entend-on par « tradition autogestionnaire pharoise » ? Historiquement, le territoire pharois a longtemps été très isolé. Isolé du reste de l’Eurysie d’une part, dont les grands centres commerciaux et culturels se trouvaient d’avantage autour de la Manche Blanche et de la Leucytalée, isolé également sur son propre territoire. Peu praticable, composé de marécages et de forêts, les Pharois se sont historiquement installés sur les côtes et ont fait des routes maritimes les principales voies de circulation pour relier leurs différentes communautés.

Généralement, ces-dernières s’organisaient en regroupement familiaux élargis, constituant des petits hameaux héritiers d’un ancêtre commun, ou en phalanstère ouvriers, des collectifs de travailleurs entourant un ou des maîtres artisans dont ils perpétuaient le savoir-faire. L’obligation d’utiliser les navires pour passer d’un espace à un autre a favorisé leur isolement pendant des siècles et habitué les communautés pharoises à l’autogestion politique et économique, recréant des petites sociétés vivrières à échelle locales.

Le commerce a heureusement toujours permis un minimum de division du travail et contribué à spécialiser les territoires afin de tirer les plus grands bénéfices de ce qu'ils y produisaient, mais la dangerosité des mers du nord fut un facteur déterminant dans la structuration des voies commerciales pendant le Moyen-Âge, avec pour conséquence de privilégier soit le transport de marchandises chères – car à même d’être rentabilisées malgré les risques d’attaque de pirates – soit du secteur tertiaire, des services, qui ne faisaient pas des cibles stratégiques pour les capitaines de l’océan du nord.

En conséquence de quoi, les marchandises peu chères, c’est-à-dire la nourriture, le bois, les matières premières de manière générale étaient peu vendues en terre pharoise, laissant les communautés pourvoir seules à leurs besoins avec les moyens du bord. L’absence de centralisation de service dans de grands bourgs, comme sur le reste du continent, a également poussé les Pharois à s’entourer de leurs propres médecins, charpentiers, accoucheurs et prêtres, propres à chaque communauté.

Entre débrouille avec les moyens du bord et organisation communautaire bien rôdée, l’autogestion pharoise trouve ses racines très loin dans l’histoire et produit encore des effets concrets de nos jours. D’une part, beaucoup des communautés fondées sur le modèle hérité du Moyen-Âge existent encore : bien que de grandes villes soient apparues au cours du deuxième millénaire de notre ère, sous l’impulsion du féodalisme albien, les petits regroupements familiaux et ouvriers restèrent la norme pendant plusieurs siècles, jusqu’à ce que l’exode rural et la révolution industrielle ne les rende démographiquement minoritaires.

Outre l’existence des communautés pharoises, de plus en plus marginales autant en nombre d’habitants que de production de richesse, il faut le dire, c’est la culture, l’imaginaire du Syndikaali qui a été fortement impacté par l’idéal autogestionnaire. En effet, la plupart des arguments anti-Etat que l’on peut encore couramment entendre dans le débat public au Syndikaali mettent en avant la capacité des Pharois – et des êtres humains de manière générale – à se passer de normes ou de règles imposées par le haut. C’est un narratif qui séduit aussi bien à gauche qu’à droite, les uns y voyant un projet d’émancipation des travailleurs, libérés de l'exploitation capitaliste et de la démocratie bourgeoise, les autres y trouvant un éloge de la rationalité et le triomphe des intérêts individuels contre la tyrannie de la majorité.

De fait, les lois pharoises s’appliquent à tendre vers ce modèle de société, vu par une majorité de la population comme un idéal. Le tissu économique et politique s’y est donc adapté en conséquence, favorisant une économie et une bureaucratie de proximité, la démocratie locale et syndicale, ainsi qu’une sous-division du territoire – y compris dans ces grands centres urbains – en localités plus petites. Ainsi les mégalopoles pharoises, qui compte plusieurs millions d’habitants, se découpent en quartiers, eux-mêmes découpés en pâtés de maison, chacun ayant son propre comité de gestion et de surveillance dont les modalités s’appliquent différemment selon l’endroit, mais dont le principe fondamental reste le même : une part conséquente de l’organisation de la société pharoise se joue à échelle humaine. Communauté anarchiste ou assemblée de co-propriétaires, syndicats du crime ou associations de résidents vigilants, l’idéal autogestionnaire prend autant de formes qu’il existe de groupes d’intérêts au Syndikaali, qui cohabitent moins comme une nation que comme un réseau.

Pour conclure, et en dernière analyse, la société pharoise était prête, aussi bien dans son imaginaire culturel que dans son fonctionnement politique et économique, à accueillir des communautés étrangères, à condition que celles-ci jouent le jeu de l’autogestion.


b. Les acquis de l’expérience listonienne

Nous ferons ici une parenthèse pour évoquer le cas de l’expérience listonienne, qui – on s’en rend compte désormais avec le recul – servit de coup d’essai pour l’accueil des populations tahokaises et vasques en territoire pharois.

A deux reprises, en 2005 et en 2007, le Syndikaali dû absorber une forte population listonienne, bien qu’en partie albienne. La Caprice Coast, Albigärk et Porto-Mundo (Port-Listonia) sont trois territoires de culture et de tradition albienne, mais qui furent l’objet d’une politique de peuplement par l’Empire Listonien durant ses cinquante années d’occupation coloniale, suite à la conquête de 1949. L’importation de citoyens directement issus de la métropole joua un rôle déterminant dans la reconfiguration des équilibres politiques locaux, par la ségrégation sociale en séparant les populations de culture albienne et celles de culture listonienne. Si, pour des raisons pragmatiques d’approvisionnement en ressource et en énergie, ces territoires ne furent jamais complétement isolés du reste de la péninsule, il est indéniable qu’une forme de métissage culturel et ethnique eut lieu sous l’impulsion des politiques listonienne pour intégrer la population locale à son Empire.

En 2005 puis en 2007, ces populations réintégrèrent donc à différent degrés la sphère politique du Syndikaali qui dû composer avec l’arrivée de quatre millions de nouveaux habitants. Bien qu’un seul tiers – en raison des retour vers la métropole au moment de la décolonisation – ne soit à proprement parlé d’origine listonienne (au sens ethnique du terme), sur cinquante année trois générations d’albiens avaient reçu une éducation et une culture impériale tranchant assez radicalement avec les mœurs libertaires pharoises. Une situation certes pas tout à fait comparable à l’arrivée massive des Tahokais, notamment en raison du fait que toutes les infrastructures et le tissu économique local était déjà fonctionnel, et que le remplacement politique de la bureaucratie impériale par des élus locaux se fit assez naturellement, mais qui fit office de terrain d’expérimentation pour l’administration du Syndikaali.

Dans chacun des trois cas, la solution fut relativement similaire : liberté et autogestion. C’est un choix aussi bien moral que cynique qui permit de justifier le fait de laisser ces territoires assumer seul leur autonomisation politique. Si le Syndikaali pourvu aux besoins matériel, en énergie et en matière première des initiatives de transition, il n’interféra que très peu dans la transformation politique des ports-libres, et pas du tout dans celle d’Albigärk, se contentant d’imposer son bloc de constitutionalité. Une stratégie aux résultats controversés, au vu du destin de Porto-Mundo (mais ce n’est pas ici le sujet). Le fait est que, « lâchés dans la nature » avec pour mission de se doter d’un gouvernement local et d’une administration, les ports-libres et Albigärk n’eurent d’autres choix que de s’appuyer sur les forces immédiatement à leur disposition : les groupes d’intérêts.

Petits commerçants, marchands internationaux dépendants de la route du nord, banquiers et juristes ne pouvant pas survivre sans une politique fiscale avantageuse, travailleurs libéraux de toutes sortes, les intérêts économiques sont ainsi faits que les gens cherchent avant tout la stabilité pour les préserver. Or la stabilité portait un nom : Pharois Syndikaali. Ainsi, sans avoir seulement besoin de forcer quoi que ce soit, par la magie de la concurrence et du poids économique qu’il exerçait sur la région, le Pharois poussa ses nouveaux territoires à s’harmoniser sur son propre tissu économique et, fort généreusement, proposa même de les accompagner dans cette démarche afin d’aider à leur spécialisation. Albigärk retrouva sans se plaindre son rôle de pôle culturel et scientifique régional, dopé aux investissements pharois, la Caprice Coast devenant un hub artistique et touristique prisé à la frontière entre culture pharoise et listonienne. Quant à Porto-Mundo, il se transforma pour sa part en caserne géante, concrétisant son rôle historique de douanier de la route du nord.

Pour ce qui est de l’intégration sociale, en revanche, les choses sont à la fois plus simples et plus complexes. Il est toujours important de rappeler que le Syndikaali ne croit et ne pratique pas l’assimilation culturelle. Pas question de faire de tous ces listoniens des petits pharois, de la même manière que le Syndikaali ne chercha jamais à convertir les albiens à ses mœurs. La bataille culturelle se mène donc avant tout par l’économie : la structure du tissu économique pharois force, à un moment où un autre, l’organisation de la population en groupe de défense de ses intérêts. Autrement dit, des héritiers de la culture impériale et autoritaire listonienne, s’ils souhaitent la défendre et la voir survivre, devront se constituer en associations et en quartiers communautaires, qui devront s’organiser pour maintenir un niveau de vie correct, et donc faire l’exercice de l’autogestion.

In fine, ceux qui souhaitent vivre dans leur coin ont été libres de le faire, quand ils n’ont tout simplement pas quitté la région pour retourner à Listonia. Les Pharois n’ont forcé personne à s’intégrer, mais les lois du marché et de l’économie sont telles au Syndikaali qu’on ne peut s’y reposer entièrement sur la sous-traitance des tâches du quotidien à d’autres.

Pour donner un exemple plus concret : des pharo-listoniens, revendiquant leur culture impériale, choisissent de s’appuyer sur leurs fortunes pour s’installer à part du centre-ville cosmopolite de la Caprice Coast. Faute d’administration locale, faute de services publics, faute de conseillers municipaux à leur écoute, ces hommes et ces femmes devront à un moment ou un autre se réunir ensemble pour réaliser des appels d’offre afin de relever les ordures, de leur assurer un service postale, un rattachement à l'eau, à l'électricité, ou bien de recruter des enseignants pour l’école privée du quartier. Il faudra pour cela se connecter aux quartiers voisins pour harmoniser les détails et assurer un minimum de cohérence d’une rue à l’autre. Voisins qui ne partagent pas forcément la même vision de ce que serait une bonne politique de quartier. Tout cela, même délégué à des tiers, demande de mettre des fonds en commun, de négocier des contrats, de se répartir les tâches et donc, à termes, de refaire société à échelle locale. Qu’ils le veuillent ou non, ceux qui souhaitent s’affranchir du système pharois ne pourront pas compter sur la puissance publique pour les soutenir dans leur entreprise et devront forcément se réinscrire dans un réseau local, et régional.

L’expérience listonienne, si elle ne fit pas que des heureux du côté de ceux pour qui l’exercice autogestionnaire était étranger, montra au gouvernement du Syndikaali qu’il était possible d’intégrer des populations à son tissu social et économique non par la force mais par la force des choses. L’interdépendance et la négociation constante des groupes d’intérêts et factions sur le territoire pharois étant au cœur de son organisation politique, ceux qui espéraient y faire de la résistance en se constituant comme bande à part se retrouvaient de fait pleinement intégrés. Quant aux irréductibles, il était toujours possible de partir, changer de région, ou de pays, la porte était ouverte et un passeport falsifié s’achetait pour pas grand-chose sur le marché noir.


c. Le déjà-là autogestionnaire tahokais

Revenons maintenant aux Tahokais. Comme on vient de le voir, le Syndikaali en raison de son histoire et de ses expérience passées constitue un terreau fertile pour la mise en place d’une politique autogestionnaire. Mais qu’est-ce que cela signifie dans le cas de l’immigration tahokaise ? Tout simplement qu’à l’instar des citoyens de culture listonienne, le Syndikaali fit le choix de laisser la responsabilité de la mise en forme de leur intégration aux seuls tahokais, se contentant de reproduire artificiellement les conditions de celle-ci en leur en donnant les conditions matérielles. Pour reprendre les mots du ministre de la Planification « un logement, à manger et du boulot ».

Cette stratégie n’aurait toutefois pas pu se réaliser sans un « déjà-là autogestionnaire » c’est-à-dire qu’il existait des spécificités dans l’immigration tahokaise permettant que cela réussisse. Quelles sont ces spécificités ?

Contrairement à l’immigration vasque et en vérité à la plupart des phénomènes migratoires du XXIème siècle, l’immigration tahokaise ne s’est pas faite en vagues. De manière générale, l’immigration se passe en plusieurs temps : d’abord l’arrivée des hommes, travailleurs, qui partent comme une avant-garde pour poser les bases d’une stabilité économique et « tâter le terrain », pour le dire vite. Ceux qui réussissent restent, ceux qui échouent ont tendance à repartir ou tenter leur chance ailleurs.
Arrive ensuite une deuxième vague, plus de travailleurs qui investissent les lieux identifiés comme rentables et appliquent des stratégies fonctionnelles d'intégration qu’ont découvert leurs prédécesseurs.
Puis, après quelques temps, arrive la troisième vague, celle-ci composée des familles plus ou moins étendues, qui en raison de leur âge (trop jeune, trop vieux) ou de leur sexe (difficulté d'accès à certains emplois pour les femmes) auront plus de mal à trouver du travail mais pourront profiter de la manne financière dégagée par les premières et deuxièmes vagues pour se donner le temps de s’intégrer.

L’avantage de ce phénomène migratoire « par vague », pour le pays hôte, est qu’il le fournit rapidement en travailleurs adultes, qui s’intégreront directement à l’économie et ne resteront pas dans les secteurs sinistrés. Une manière organique d’intégrer des forces vives à un territoire en peu de temps, et de ne pas endosser à court terme le fardeau économique que représentent des citoyens inactifs (enfants, retraités) ce qui offre un boost économique provisoire. Cyniquement, il suffit d'ailleurs de décourager l'installation des proches pour tirer le maximum de rentabilité des migrants, sans avoir à assumer le reste de la famille restée au pays.
Un aspect plus problématique, en revanche, peut apparaître selon la taille de la population en migration. Pour faire simple, dans une économie fonctionnelle, plus la population active est grande plus une part conséquente de celle-ci doit être consacrée au secteur tertiaire, celui des services. Autrement dit si vous accueillez chez vous dix-mille travailleurs dans votre usine de clous, il faudra également prévoir un ratio de médecins, de commerçants, de bureaucrates, de policiers, etc. pour leur permettre de survivre.

Dans le cas de l’immigration tahokaise, le « déjà-là » autogestionnaire a permis de partiellement pallier ce risque.

En effet, ce ne sont pas uniquement des hommes adultes qui ont migré, comme c’est le cas dans les deux premières étapes de l’immigration « par vague » mais bien des communautés entières, déjà fonctionnelles (dans une certaine mesure), disposant non seulement de travailleurs spécialisés – médecins, prêtres, garde d’enfants, etc. – mais aussi d’une organisation sociale rôdée. Ainsi les Tahokais ne constituent pas des centaines d’étrangers les uns aux autres, livrés à eux-mêmes dans un territoire hostile, mais des communautés dont les membres avaient déjà des liens préalables et pouvaient s’appuyer sur des solidarités mécaniques : liens familiaux étendus, entraide entre membres d’un même groupe, fraternité religieuse, bonne connaissance du voisinage, alliances lignagères anciennes, etc. etc.

Plus concrètement, quand le Syndikaali flèche un groupe de Tahokais vers un quartier résidentiel, il n’a besoin de fournir celui-ci en travailleur du tertiaire qu’assez marginalement, car les Tahokais sont déjà globalement en mesure de subvenir à leurs besoins en service. Ils savent comment garder les petits quand les parents travaillent, ils savent à qui s’adresser pour les démarches administratives – les prêtres, ils savent qui est leur médecin, à qui s’adresser pour aider à monter les meubles en cas de déménagement, qui réceptionne le courrier, etc. Même si ce tissu social communautaire doit bien évidemment s’adapter à l’organisation globale pharoise, à petite échelle il se construit sur des acquis importés du Tahoku. De quoi permettre de rendre vivable le quotidien des migrants, au moins les quelques mois nécessaires à leur installation. Ce qui aurait été un cauchemar logistique et bureaucratique dans un pays centralisateur se règle à peu près convenablement en « laissant faire ».

Il faut dire que le gouvernement pharois n’a pas beaucoup de scrupules à laisser sa population s’organiser seule. Et pour cause, celle-ci ne le sanctionne pas dans les urnes lorsqu'il le fait, au contraire. Pour les Tahokais, il faut se rappeler de la partie précédente sur le fléchage : des conditions de vie chaotiques et qui seraient considérées comme médiocres pour un pays d’Eurysie s’avèrent luxueuses et religieusement satisfaisantes pour les adeptes de la secte mécaniste. D’autant plus que pour les migrants à la culture traditionnelle et conservatrice, le fait d’être laissés aux mains de leurs prêtres, et libres de s’organiser à leur convenance, sans avoir l’administration pharoise dans les pattes, est quelque chose de plutôt positif. En cas de problèmes, ceux-ci remontent jusqu’au clergé mécaniste qui sert alors d’interlocuteur avec les responsables pharois locaux.

Il est évident que la culture « autogestionnaire » des Tahokais ne suffira pas à elle-seule à permettre leur intégration. Néanmoins elle est suffisante pour faciliter les premiers temps de celle-ci, précisément le temps nécessaire – du moins c’est ce qu’espère le gouvernement – pour permettre à l’économie régionale de se reconfigurer autour de ces nouvelles communautés. L’afflux de travailleurs permettra de donner une accélération à l’industrie et à certains secteurs d’activité où la main d’œuvre venait à manquer, les salaires versés permettront en retour de créer de la demande tahokaise, des besoins de consommation, d’autres services, etc. que le tissu économique locale fournira en s’élargissant, créant plus de travail et donc plus d’emplois, de salaires perçus, et ainsi de suite.

La question du tertiaire, c'est à dire des services reposant sur de la main d'oeuvre humaine reste de toute façon le seul enjeu crucial pour le Pharois dont (on ne le rappellera jamais assez) le manque de travailleur est susceptible de provoquer des crises structurelles. Pour le reste, ressources alimentaires, médicaments, énergie, il suffit d'importer ce qui viendrait à manquer. Le budget excédentaire du Syndikaali depuis 2004 et l'ultraproductivité de sa population lui permettent largement de s'offrir ce genre de luxe. Les pays producteurs de pétrole ne manquent pas et le Syndikaali a passé plusieurs contrats avec le Canta et le Banairah, en plus d'être appuyé lui-même sur plusieurs gisements gaziers dans l'océan du nord. Côté pharmaceutique, les laboratoires carnavalais et lofotenois sont à même de subvenir aux risques d'une éventuelle pénurie. Quant à la nourriture, les accords récemment signés avec la République Autonome de Pryscillia mettent provisoirement les Pharois à l'abri de la faim.

En d'autres termes, seule un manque de médecins, postiers, policiers, etc. pouvait faire mal tourner l'installation tahokaise. Ce risque étant partiellement pallié par le communautarisme des nazuméens et les solidarités mécaniques susceptibles d'être mises en place, doublées d'une forme de désintérêt idéologique des Pharois pour la précarité de leurs nouveaux compatriotes, les principales inconnues de la politiques d'accueil du Syndikaali ont ainsi pu être écartées.


Conclusion

Fort d'une culture et d'une histoire lui conférant un tissu économique et social flexible, capable d'intégrer des groupes exogènes, appuyé sur l'expérience de l'intégration listonienne, le Pharois Syndikaali a pu organiser en amont l'arrivée des Tahokais sans faire surchauffer son administration ni suffoquer son tissu de services. L'inexistence des principales normes bureaucratiques connues des autres nations et sa permissivité vis-à-vis de toutes les déclinaisons de communautarisme ont permis au pays de fournir des efforts raisonnables mais ciblés sur les besoins vitaux des migrants pour maximiser l'efficacité de son accueil.
Grâce au fait que les communautés tahokaises aient migré collectivement, la plupart des écueils attendus par rapport à l'adaptation du secteur tertiaire ont pu être amoindris, laissant du temps au Pharois pour mettre en place sa politique d'installation. Bien que les conditions de vie ne soient pas encore optimales et que l'intégration des Tahokais au tissu économique doivent toujours faire ses preuves, les principaux risques liés aux premiers mois d'arrivée sur le territoire ont pu être maîtrisés.

Dans l’idéal, l’arrivée des Tahokais ne devrait donc être que bénéfique au Pharois Syndikaali et les conditions de leur accueil, si elles permettent d’éviter une catastrophe de type effondrement du tissu économique, seront pour cela un critère déterminant. On comprend alors plus aisément le choix des douanes d’avoir validé l’entrée d’une telle population, pourtant profondément étrangères aux mœurs pharoises, mais dont les spécificités culturelles et démographiques ont permis d’intégrer rapidement et sans heurts majeurs les territoires prévus à cet effet.

Reste que la question culturelle n’est pas anodine, elle fera l’objet de notre troisième partie appelée « ghettos ».
Fléchage, autogestion et ghettos
Recette de la plus ambitieuse politique migratoire du XXIème siècle
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III. Ghettos

Introduction

Nous entrons à présent dans la troisième et dernière étape de cette analyse, peut-être la plus sombre au demeurant. On a vu dans les deux précédentes parties comment le Pharois Syndikaali avait pu utiliser les spécificités de la migration tahokaise pour faciliter l'intégration de cette dernière à moindre frais au sein du tissu économique et social du pays, sans pour autant surcharger son secteur des services. La principale crainte de l'administration était alors de voir celui-ci mis à mal par un afflux soudain et massif de migrants n’ayant, pour une part conséquente d’entre eux, pas les codes d’une société moderne et d’un mode de vie occidental.
Toutefois, il est important de noter que ces caractéristiques, seules, ne peuvent expliquer la « réussite » de l'accueil des populations tahokaises au Pharois Syndikaali. Le terme « réussite » est ici volontairement placé entre guillemets car c’est ainsi qu’a été qualifié par les douanes la politique d'immigration mise en œuvre. Néanmoins, en se penchant sur les critères de l'administration pharoise, on réalise que ces-derniers sont avant tout économiques. Il n'est fait qu'assez marginalement mention du bien-être des individus, de leurs opportunités d'émancipation et d'intégration au sein de la société pharoise. Par réussite, il faut donc juste comprendre que l’économie du Syndikaali ne s’est pas effondrée alors pourtant qu’un afflux de population conséquent faisait craindre de déstabiliser en profondeur l’équilibre de son tissu économique. Ce bouleversement national était anticipé par l'Etat dont il était par ailleurs l'un de ses objectifs assumés : palier à l’avance à un manque de main d’œuvre structurel, en transformant à moyen terme l’organisation du travail dans le pays. Seulement, ce remède drastique qu’a été le recours à l’immigration tahokaise faisait prendre le risque d’achever le malade. On peut dire à présent que le malade a survécu, l'administration pharoise estimant officiellement que la situation ne pourra désormais « que s’améliorer ».

Une question demeure : à quel prix ?

Nous autres Albiens ne sommes pas dupes, les Pharois, derrière leur amour affiché de la liberté et de l’émancipation, ne sont pas pour autant des enfants de cœur. Fallait-il attendre beaucoup de miséricorde de la part d’un peuple pour qui la piraterie est érigée en modèle de vertu, et qui a le crime chevillé au corps ? Car nos deux précédentes parties ont laissé une zone d’ombre : certes la population tahokaise possède des caractéristiques assez spécifiques ayant aidé à son intégration et certes le Syndikaali se trouvait dans une situation favorable à l’accueil de ces populations, mais tout cela ne se cristallise pas sans un élément fondamental : la capacité d'un Etat à contrôler les masses. Or, le Pharois libertaire, malgré l’aide des administrateurs Prodnoviens, n’a ni la culture ni l’expérience pour organiser d’aussi larges populations.
Il a donc eu recourt à une méthode ayant fait ses preuves à plusieurs reprises dans l’histoire – pour le meilleur et pour le pire : l’usage massif et assumé de ghettos ethniques. Ce sera l’objet de notre troisième et dernière partie.


Concentrer pour mieux régner

Dans la précédent partie, on avait évoqué l’instrumentalisation faite de la religion et de la place du clergé mécanique dans le contrôle des populations tahokaises. Les religieux y font en effet office de relais de l’administration pharoise, traduisant et interprétant ses directives en des messages culturellement acceptables pour les Tahokais. Cette stratégie d’instrumentalisation cynique de la foi mécanique afin d’orienter, de canaliser et, disons-le, de contrôler les masses tahokaises est un pilier central de la méthode pharoise qui, malgré ses beaux discours, n’était pas exactement prête à lâcher dans la nature deux millions d’individus n’ayant ni les codes, ni l’éducation pour s’intégrer en peu de temps à une société individualiste et ultra-technologique.

Or l’instrumentalisation du clergé ne pouvait fonctionner qu’à une seule condition : que les populations tahokaises restent géographiquement concentrées dans des lieux précis, fédérés autour de l’Eglise mécanique. Soyons clairs tout de suite : il ne s’agit pas ici d’une stratégie dictée par la nécessité, en raison du manque de compatibilité des cultures pharoises et tahokaises, mais bien d’une stratégie prémédité, assumée, et ce même avant de savoir que ces seraient les Tahokais qui, en masse, répondraient à l’appel à l’immigration du gouvernement. En effet, on retrouve dès la publication du document présentant le Nouveau pacte de Fraternité cette condition à l’installation :

  • Restriction d'installation d'une durée de cinq ans, par déclaration sur l'honneur. Afin de répondre aux besoins très inégaux selon les régions, certaines d'entre-elles seront provisoirement interdites à l'installation, pour une durée fixe dans le temps. Cette restriction se basera sur l'engagement sur l'honneur et n'est pas restrictive, des incitations financières peuvent toutefois être mises en place pour décourager l'installation hors des régions prioritaires.

On le voit ici, les apparences sont préservés. Rien n’empêche en théorie les Tahokais de circuler dans le pays. La réalité en revanche est plus ambiguë : venus sans fortunes, les migrants n’ont eu d’autres choix que d’être dispatchés au bon vouloir de l’administration pharoise, dans des lieux d’ores et déjà prévus à cet effet. Autrement dit, lorsqu’on vous offre un appartement, il est difficile de faire la fine bouche et de réclamer vouloir s’installer ailleurs.

De fait, parce que les habitations avaient été prévues et conçues sous formes de quartiers ethniques, souvent placés en périphérie des grandes agglomérations ou à proximité des zones industrielles requérant un accroissement de leur vivier de travailleur, les Tahokais se sont retrouvés géographiquement installés à l’écart des Pharois.
Notons ici l’exception faite de Porto Mundo, qui s’est contenté de réutiliser des logements laissés vacants par l’émigration d’une partie de sa population un an auparavant, et qui ont donc été réinvestis dans des proportions comparables par les Tahokais.

Si nous parlons ici de ghettos ethniques, c’est qu’ils en cochent toutes les cases : pensés pour fonctionner comme des cellules urbaines fonctionnelles et autonomes, dépendantes de l’extérieur pour les flux de marchandises mais ne nécessitant pas de s’éloigner outre-mesure du quartier pour la grande majorité des besoins quotidiens. Seuls les métiers que les Tahokais ne pouvaient pas exercer par manque de qualification ont été laissés à la responsabilité de la main invisible du marché – qui compte tenue des masses en question s’est fait un plaisir de proposer ses services sur-mesure – pour le reste, commerces, services, transports ont été laissés à la gestion des Tahokais eux-mêmes. Exception faite, notons-le, du secteur de la santé qui est public au Pharois Syndikaali, les cliniques de proximité ont donc été renforcées en personnel.

En d’autres termes, le ghettos tahokais fonctionne comme un petit village traditionnel. L’église y est au centre et sert aux fonctions administratives, les emplois ne demandant pas une grande qualification sont pourvus par les Tahokais eux-mêmes, ceux qui ne peuvent pas l’être se sont rapidement vu proposer des services par les compagnies privées pharoises et de même pour ce qui est de l’approvisionnement en matière premières, laissé lui-aussi à la charge des compagnies privées. Plusieurs appels d’offre ayant été réalisés en amont pour pourvoir aux besoins des migrants avant leur arrivée, et préparer le terrain.

Ces ghettos ethniques, où la culture et la religion tahokaise est libre de s’exercer sans jugement ni contrainte, ont été placés à proximités des zones industrielles en manque de main d’œuvre, réduisant de fait les besoins de circuler hors de ces deux espaces : lieu de résidence, lieu de travail. Ce parcage est permis grâce au manque de culture politique des Tahokais, ainsi qu’une faible capacité à mettre en perspective leurs conditions de vies avec celles des Pharois. Venus de villages principalement ruraux, les disciples de l’Eglise mécanique sont pour la plupart des croyants – ce qui a motivé leur exode – habitués au modes de vie communautaires. Ce regroupement à l’écart n’est donc pas trop choquant pour eux, voire même salué. Cyniquement, il est tout autant profitable aux Pharois qui bénéficient d’une main d’œuvre peu chère et qu’ils n’ont à fréquenter que marginalement, et au clergé mécanique qui se vit confirmé dans ses fonctions et son autorité, l’administration du Syndikaali leur donnant les moyens de renforcer leur contrôle sur les populations placées sous leurs responsabilités.


Conséquences des stratégies de l’offre et de la demande

En économie, la stratégie de la demande consiste à augmenter le pouvoir d’achat des ménages afin de les faire consommer d’avantage, ce qui est censé produire, grâce aux lois du marché, une dynamisation de l’offre et donc plus d’embauches, d’emplois, de production, dans un cercle vertueux. La stratégie de l’offre consiste à l’inverse à produire d’avantage, ce qui nécessite là-aussi des embauches, produisant une hausse mécanique du pouvoir d’achat et donc de la demande en proportion de l’offre. Le résultat attendu de ces deux stratégies est assez similaire et repose sur des mécaniques comparables, si la question d’adopter l’une ou l’autre fait encore aujourd’hui l’objet de controverses, c’est que les présupposés de chaque stratégie reposent sur des théories concurrentes. Au final, cela n’a pas grande importance.

Les Pharois ont, pour leur part, expérimenté une forme de stratégie hybride. La demande n’a jamais vraiment été un problème au Syndikaali ces dernières années, le modèle pharois basé sur l’ultra-dominance des coopératives et les faibles possibilités d’épargne fait circuler la monnaie à grande vitesse et pousse donc à la consommation. C’est l’offre qui depuis quelques temps peine à suivre : plus assez de travailleurs y compris dans des secteurs rentables, les importations ne suffisent pas à écouler la richesse et un certain nombre d’emplois sont délaissés car jugés peu concurrentiels sur le marché du travail. C’est ce constat qui a motivé le gouvernement pharois à avoir recours à l’immigration, comme on l’a expliqué en introduction et dans la partie une.

Cependant, c’est bien une stratégie de la demande qui s’est mise en place avant même l’installation des Tahokais sur le territoire pharois. Le Syndikaali a en effet annoncé à l’avance l’ouverture prochaine d’un marché de deux millions de consommateurs, en grande partie démunis voire – c’est là qu’on retrouve le cynisme pirate – crédules vis-à-vis de la valeur réelle des biens de consommations qui leur étaient désormais accessibles. Certes les Tahokais, qui ont majoritairement été orientés vers les secteurs primaires et secondaires, n’occupent pas les emplois les mieux rémunérés, d’autant plus que leurs manques de codes, le faible taux de syndiqués dans leurs rangs et leur fascination pour l’industrie a permis de les sous-payer, au regard des standards du Syndikaali, mais il n’en reste pas moins qu’en terme de masse, ils représentent des débouchés économiques et un marché complétement vierge.

On l’expliquait dans la précédente partie, l’extrême flexibilité du marché intérieur pharois n’a donc pas eu grand mal à se reconfigurer, en prévision de l’arrivée de ces nouveaux consommateurs, pour leur proposer rapidement un grand nombre de biens de consommations et de services qui, dans le reste du pays, commençaient à ne plus vraiment trouver preneur. Passés le grand boom économique des années 2005-2006, les Pharois qui le désiraient se sont rapidement trouvés équipés de tout l’électro-ménager, assurances, navires, services à la personne et divertissements qu’ils pouvaient désirer. On ne rachète pas une machine à laver tous les deux ans. Certaines coopératives florissantes ces dernières années avaient donc vue leur chiffre d’affaire commencer à baisser progressivement, à mesure que la demande en biens de consommations se tournait vers des biens plus luxueux ou spécifiques. Et ce sans oublier l’aversion viscérale d’une partie non négligeable de la population pharoise hostile aux avatars de la modernité et que la société de consommation ne parvenait que difficilement à toucher.

Ces deux millions de Tahokais, avides de posséder des objets mécanisés et arrivés dépourvus de tout biens, sont donc une clientèle extrêmement précieuse pour un certain nombre de secteurs qui s’acheminaient doucement vers le déclin. L’avantage du timing de cette immigration est ici que ces coopératives, qui commençaient à s’essouffler, n’avaient pas encore toutes eu le temps de disparaître. Le savoir-faire était donc bien là, n’attendant que de trouver de nouveaux marchés à conquérir, qu’ils soient étrangers ou, dans le cas de l’immigration tahokaise, intérieur.

Dans cette configuration, la concentration des Tahokais dans des ghettos a été un facteur extrêmement facilitateur pour l’offre pharoise qui a pu cibler dès leur arrivée ces populations à l’aide de campagne de publicité et de démarchage, renouant même avec le bon vieux porte-à-porte. La nécessité de ne pas passer à côté de ce nouveau marché a également entraîné des conséquences assez stratégiques pour le Pharois : l’apprentissage des langues. Pour pouvoir capter les consommateurs tahokais et être plus attrayant que la concurrence, un certain nombre de Pharois se sont mis à apprendre des rudiments de langue tahokaise, nécessaire au démarchage. On s’est également très tôt penché sur les codes culturels de ce peuple, à des fins marchandes.

Autrement dit, l’appel d’offre des Tahokais a poussé un certain nombre de Pharois à s’intéresser à ces nouveaux-venus, là où d’autres peuples auraient pu préférer les laisser en marge. Ne nous y trompons pas : dans leur grande majorité les Pharois sont restés éloignés des Tahokais et la façon dont ces-derniers ont été installés dans des ghettos témoigne d’une volonté assumée de la part de l’administration de ne pas mélanger ces peuples aux cultures et traditions très éloignées. Mais il est également notable que les mécanismes de l’offre et de la demande aient réussi, certes avec cynisme, à mettre en contact des populations qui sans cela n’auraient peut-être pas eu grand-chose à se dire, au nom d’une valeur cardinale chez les Pharois : celle du profit.


L’isolement assumé par le gouvernement

Pour un certain nombre de Pharois – et c’est encore le cas à l’heure où je rédige ces lignes – l’isolement assumé des Tahokais a été perçu comme une preuve d’une forme de racisme d’État, voire carrément pointé du doigt comme une forme de néo-esclavagisme ou de néo-colonialisme moderne, des populations humaines étant volontairement maintenues dans un état d’ignorance des codes juridiques et politiques nécessaires pour se constituer en groupe d’intérêts, ce qui les rends donc vulnérables aux offensives de l’État ou aux agressions des entreprises privés. Il s’agirait de se constituer une masse de travailleurs corvéables, isolés du reste du pays ce qui favoriserait un manque d’empathie ou d’intérêt à leur égard de la part de la population et les tiendrait éloignés des organisations syndicales et d’une trop grande politisation.

De fait, à l’heure où j’écris ces mots, aucune formation politique tahokaise n’a encore vu le jour au Pharois Syndikaali, à l’inverse un parti pro-Listonien s’était constitué quelques semaines seulement après le rattachement d’Albigärk et de la Caprice Coast au Syndikaali. A voir si cet situation perdure dans le temps, mais il n’est pas évident que ni l’administration pharoise, ni le clergé mécanique aient intérêt à voir les Tahokais intégrer le jeu démocratique, ce qui signifierait pour la première une déstabilisation profonde de l’équilibre des forces politiques et des réactions assurément violentes de la part des partis traditionnels pharois, et pour le clergé, une perte de contrôle progressive sur les Tahokais qui auraient accès à de nouvelles structures pour se former. A l’heure actuelle, l’Eglise mécanique conserve le monopole de l’autorité sur ses fidèles, mais la confrontation de ces-dernières à des concepts nationalistes, libéraux ou socialistes pourrait effriter le poids du religieux sur les consciences.

Évidement, le gouvernement pharois n’a jamais assumé publiquement de vouloir maintenir le plus longtemps possible les Tahokais dans l’ignorance de leurs droits et de leurs forces. Plusieurs arguments ont été avancés par l’administration du Syndikaali dont il appartient au lecteur de juger la pertinence :

  • Argument culturel : les Tahokais n’ont aucune expérience des standards de vie moderne et du haut niveau de technologie du Syndikaali, il serait donc dangereux pour eux de les abandonner sans repères dans un milieu aussi éloigné de leurs habitudes, où ils seraient susceptibles de se mettre en danger ou de mettre en danger les autres.
  • Argument de la souveraineté autogestionnaire : les Tahokais ne partagent pas nos réflexes politiques, chercher à les leurs imposer serait l’expression d’une forme de réflexe colonial et civilisateur. Laisser les Tahokais s’organiser entre eux est le meilleur moyen de leur permettre de développer une organisation politique qui leur convienne et sur laquelle il ne nous appartient pas de porter de jugement moral.
  • Argument de l’exception religieuse : à l’heure actuel le Pharois Syndikaali n’est pas adapté en termes d’infrastructures pour permettre aux Tahokais d’exercer pleinement leur religion. Or le droit à cet exercice est constitutionnalisé, il faut donc offrir à ces populations des lieux de culte et leur garantir la présence de clercs, le seul moyen pour cela est de regrouper ces population.
  • Argument de l’émancipation économique : l’intégration et l’émancipation des Tahokais passe par l’obtention d’un salaire et l’accession à l’autonomie financière afin de les rendre indépendants de l’Etat. Pour se faire, des emplois leurs sont proposés, ces emplois doivent être accessibles et satisfaisants et nécessitent donc de loger à proximité. Dispatcher ces populations pour des raisons idéologiques irait à l’encontre de leurs intérêts et de leur confort.
  • Argument du communautarisme : le Syndikaali n’a pas vocation à imposer son modèle politique, social et culturel, chacun est libre de vivre au quotidien selon son bon vouloir, dans le respect des autres. Les Tahokais privilégient un mode de vie communautaire, nous devons donc leur offrir les moyens de cela. Ce n’est pas à l’Etat de décider à la place des populations la manière dont elles souhaitent s’intégrer à la communauté nationale.
  • Argument par la liberté : en définitive, rien n’oblige les Tahokais à rester là où un emploi et un logement leur a été offert. Ceux qui désirent tenter leur chance ailleurs sont libres de le faire.

Si certains arguments peuvent convaincre, ils n’expliquent pas à eux-seuls la tolérance des Pharois vis-à-vis de la ghettoïsation des populations tahokaises. Premièrement, à l’heure actuelle on assiste malgré tout à des initiatives politiques, plutôt ancrées à gauche, visant à former les Tahokais à leurs droits, à les pousser à se syndiquer et pour certaines associations à fournir des lieux de chute, souvent provisoires, pour les Tahokais souhaitant fuir leur communautés, notamment pour des raisons de maltraitance. De l’avis des militants cependant, la barrière de la langue demeure encore un frein et ce malgré les formations proposées, du Tahokais vers le Pharois comme du Pharois vers le Tahokais, le bilinguisme est encore loin d’être la norme.

Cette barrière linguistique, couplée à la barrière culturelle – la religion et le mode de vie tahokais sont indiscutablement très éloignés des mœurs pharoises – expliquent sans aucun doute en partie la relative inertie des forces progressistes vis-à-vis de cet état de fait. Nul doute qu’il faudra encore attendre quelques années pour voir émerger un véritable embryon de politisation du côté de ces populations qui pour le moment semblent tendanciellement se satisfaire de leur nouvelle vie. Certes le climat pharois n’est pas des plus agréable pour un peuple habitué au climat continental nazuméen, mais l’omniprésence de la technologie et le fait de ne plus subir la répression du gouvernement impérial du Tahoku semble en soi suffire à leur bonheur. A voir ce qu’il en sera avec le temps, et pour les prochaines générations, c’est un autre débat.

Une deuxième explication, qu'on peut déplorer, est l'avantage concret qu'ont les Pharois à pouvoir s'appuyer sur une population prête à assurer un certain nombre de tâches devenues avec le temps de moins en moins attractives pour les autochtones. En remplissant les usines de Tahokais, on libère de la main d’œuvre qui aspirait à mieux sans craindre de voir l'économie s'effondrer et sans avoir excessivement recourt aux importations. Certes la ghettoïsation des Tahokais est de nature à heurter la bonne conscience d'un certain nombre de bonnes âmes progressistes, mais ce malaise morale est-il assez fort pour contrecarrer les avantages matériels qu'elle procure ? Seuls les Pharois les plus engagés y trouveront à redire et malgré tout ce qu'on peut penser sur notre pays, la grande majorité de la population reste farouchement individualiste et intéressée par le profit, il n'est pas dans la culture du Syndikaali de s'apitoyer sur son prochain, sauf si celui-ci est un héros.


Côté Pharois, méfiance cordiale

Les Pharois, on l’avait évoqué dans les précédentes parties, sont un peuple globalement accueillant pour des raisons aussi bien historiques qu’idéologiques. Il n’en demeure pas moins qu’il existe un fossé entre se prononcer théoriquement pour l’accueil massif d’immigrants, et les voir s’installer sous ses fenêtres. On a largement traité le point de vue des Tahokais jusqu’à présent, mais comment les Pharois perçoivent-ils ces deux millions de nouveaux venus ?

Il convient avant d’aller plus loin dans l’analyse de distinguer les trois grands groupes culturels présents au Syndikaali et à Albigärk : Pharois, Albiens et Listoniens, les premiers comptant pour un peu plus de neuf millions, les deuxième pour un peu moins de six millions de personnes et les derniers pour environ quatre millions. A cela s’ajoute les autres ressortissants de la Péninsule albienne (environ quatre millions également) dont la culture est assez proche de celle des Albiens et des Pharois.

a) Pharois

L’accueil des Pharois fut sans aucun doute le plus simple et le plus apaisé. Habitués à vivre au contact des ports-libres qui brassent une population multiculturelle, les Pharois étaient également les plus demandeurs de main d’œuvre. La concentration des Tahokais dans les ports-libres où ils se sont fondus dans la masse et à proximité des zones industrielles comme Helmi et Pharot a facilité l’acceptation des nouveaux venus considérés comme étranges mais utiles. Le tempérament roublard et commerçant des habitants du Syndikaali a eu vite-fait de faire percevoir la présence des Tahokais comme une opportunité économique, d’autant que le faible niveau d’éducation des immigrants n’en a jamais fait des concurrents directs pour les postes de cadre actuellement plébiscités.

En ce qui concerne les capitaines, ces-derniers ont l’expérience de recruter des marins à travers le monde et les ports sont des lieux qui brassent naturellement des populations aux origines assez diverses. Les Pharois, habitués à la vie en mer et à fréquenter, parfois intimement et sur de longues périodes, des étrangers, ne semblent pas avoir été choqués plus que ça par l’arrivée des Tahokais.
Exception notable toutefois de certains mouvements identitaires pharois et albiens comme le parti Cœur d’Albi qui a rapidement dénoncé l’immigrationisme comme un péril pour la culture albienne et a mis en avant le recours à une immigration venue de Saare et du Finnevalta, plutôt qu’étrangère à Péninsule. Également, certaines factions traditionalistes ou radicales-pirates se sont émues de « l’importation de population sans culture maritime » sur le sol Pharois, avec la crainte par ailleurs de voir le poids de la mer diminuer de plus en plus avec l’industrialisation du pays et la culture pirate s’estomper avec le temps. Des craintes assez peu nouvelles en vérité puisque le parti des Flots et l’Alliance Septentrionale dénoncent déjà depuis plusieurs années les conséquences supposées néfastes pour le pays des industries terrestres au détriment de l’exploitation halieutique.


b) Albiens

Moins confrontés aux Tahokais, hormis à Albigärk, les Albiens ont regardé avec une certaine méfiance l’arrivée de ces populations étrangères. Celle-ci s’explique pour deux raisons. La première, c’est la tradition nationaliste et civilisatrice des Albiens qui, par la conquête de la Péninsule, avaient tenté pendant plusieurs siècles d’unir culturellement leur royaume en imposant leurs mœurs et leur religion. Un pari qui a relativement réussi par ailleurs, puisqu’encore aujourd’hui les différentes ethnies d’Albi partagent des racines communes.
Les Albiens sont donc beaucoup plus à cheval sur les questions de bonne intégration des populations étrangères et mettent en avant des standards peu enclins au communautarisme. Si celui-ci est respecté dans les ports-libres, le territoire albien pour sa part souffre peu de voir s’isoler des communautés qui ne feraient pas l’effort de se conformer à la culture du pays d’accueil.
La seconde raison expliquant la méfiance des Albiens est l’importance donnée à la religion dans la culture tahokaise. Les Pharois étant marginalement croyant – d’avantage superstitieux en fait – les Albiens eux accordent beaucoup de place au christianisme qui a été un outil civilisateur lors de la fondation du royaume et servi de justification à envahir les païens des autres ethnies. Même si le nombre de chrétiens pratiquant est assez faible, pour les branches les plus nationalistes et royalistes, la religion demeure une question centrale dans leur idéologie et l’arrivée d’une Eglise mécaniste – jugée franchement arriérée pour des peuples habitués à fréquenter la technologie – est vu comme une atteinte directe à la suprématie de la culture albienne. Pour les plus complotistes, tout cela aurait d’ailleurs été alimenté par les Pharois pour attaquer les mœurs albiennes.

Heureusement, les populations tahokaises ont majoritairement été installées dans le nord du pays, d’avantage industrieux et en manque de main d’œuvre. Les Albiens ont donc observé le phénomène de loin. Si certaines communautés existent à Kanavaportti, elles restent marginales comparées à celles des ports-libres et d’Helmi et de Pharot. De manière générale, les Albiens sont, comme les Pharois, habitués à fréquenter des cultures et des mœurs étrangères. La coexistence d’une multitude de peuples dans la Péninsule albienne a participé au cours des siècles à renforcer cette tolérance de fait, bien qu’ambiguë en raison du contexte qui l’a vu émerger.

A Albigärk, la communauté tahokaise a été accueillie avec d’avantage de curiosité. La Commune étant proportionnellement en grande partie peuplée d’étudiants et brassant des populations venues de nombreux pays, l’arrivée de migrants tahokais n’a pas été perçu comme une menace. Un certain volontarisme caractéristique des milieux étudiants et l’ouverture d’esprit qu’on retrouve à l’université a permis, sinon une unanimité favorable à l’accueil, au moins de marginaliser les voix qui lui étaient les plus hostiles.


c) Listoniens

Pour un certain nombre de raisons, l’accueil des Tahokais par les Listoniens a été le plus froid. Malgré les déclarations pragmatiques d’Edmundo Estrella à Porto Mundo, l’insécurité culturelle parfois mise en avant par certains héritiers de l’Empire s’est trouvée renforcée par l’arrivée de nouvelles populations radicalement étrangères à leurs mœurs.

Les Listoniens de la Caprice Coast, de Porto Mundo et d’Albigärk avaient été, par la force des choses, habitués à fréquenter les populations de la Péninsule albienne dont ils étaient dépendants pour certaines matières premières ou pour le réseau énergétique. L’emplacement des colonies au cœur de la route du nord a sans aucun doute été un élément décisif dans l’habituation des populations venues de Listonie aux mœurs régionales et au commerce avec les étrangers.

Pour autant, à la différence des Tahokais, les Listoniens ont sont une minorité qui se considère légitime à être là où elle est. Les plus nationalistes ont depuis longtemps quitté le Syndikaali pour rentrer à Listonia, ne reste sur place que ceux attachés à la région et/ou décidés à s’intégrer. Or cette intégration ne se fait pas de manière automatique, en particulier compte-tenu du passif entre l’Empire les Pharois. A l’image des Albiens, les Listoniens sont d’anciens envahisseurs, ayant passé des décennies à considérer les Pharois comme arriérés et désormais dépassés par ces-derniers dont la culture et le poids politique s’impose dans le pays, mais également dans la région. Les cultures albiennes et listoniennes n’ont plus le vent en poupe sur la péninsule, ce qui entraîne des comportements complexe, mélange de rejet, de repli mais également de fascination et de désir d’intégration à un pays dont le fonctionnement les laisse, en définitive, libres de vivres comme ils l’entendent. La division fédérale du Syndikaali laisse les mains libres à chacun de se gouverner à sa guise et les populations listoniennes ont donc été invitées à rejoindre le pacte social pharois.

En conséquence de quoi, l’arrivée de populations radicalement étrangères, sans légitimité à l’installation, aux mœurs jugées barbares et considérées comme ne faisant pas l’effort de s’intégrer est assez mal vécu pour des Listoniens qui projettent – pour certains – leurs propres insécurités sur les Tahokais. Peur de devenir une minorité parmi d’autres, une ethnie négligeable au milieu d’autres ethnies tout aussi négligeables. Crainte également que le poids démographique de ces nouveaux venus n’efface en parti celui des Listoniens, diminuant d’autant la considération accordée à leurs exigences et leurs particularités culturelles.

Enfin, et ce n’est pas négligeable, le Tahoku est encore aujourd’hui un empire colonisé par Listonia. Ce sont donc des populations qui hier encore étaient considérées comme barbares qu’on demande aux Listoniens d’accueillir et de considérer comme des égaux. Si les plus radicaux du colonialisme, on l’a dit, on certainement quitté le pays pour servir la grandeur de Listonia en métropole, on n’efface pas du jour au lendemain des siècles de domination coloniale.
Cela est d’ailleurs vrai dans l’autre sens, bien qu’étant eux-mêmes une minorité persécutée en leurs pays, les Tahokais connaissent les Listoniens qui les ont envahis et avec qui ils doivent coexister depuis plusieurs décennies.

A ceci s’ajoute qu’à Porto Mundo, la méthode des ghettos ethniques n’a pas été mise en place, ce qui oblige les populations à cohabiter. Certes en comparaison de la Caprice Coast Porto Mundo est moins marqué par la culture impériale, suite au travail de son maire, ces trois dernières années, pour attirer chez lui des pirates pharois et expulser les Listoniens hostiles à sa politique, il n’empêche que le choc des culture est violent et c’est peu dire que ces deux populations se regardent en chien de faïence.

Ajoutons à cela, comme pour les Albiens, l’importance du catholicisme dans le discours colonial et civilisateur de l’Empire, qui s’oppose frontalement aux églises mécanistes dont la foi est jugée étrange et complétement fétichiste, vu la vénération des machines comme des idoles.

Toutefois et pour conclure cette troisième partie, notons que le fait que les Tahokais soient en grande partie (pour le moment) cantonnés à des fonctions subalternes et des métiers peu prestigieux dans la société, les réflexes coloniaux des Listoniens n’ont pas été trop bouleversés et certaines logiques tendent même à refaire surface avec l’embauche de petit personnel Tahokais pour servir les Listoniens les plus fortunés. Une situation complexe, donc, qui se profile à l’horizon. D’autant plus questionnables que les principes de constitutionnalité pharois empêchent une intervention politique directe pour mettre fin à ces pratiques, chacun « étant libre de vendre sa force de travail comme il l’entend ». Aucune mention de dignité humaine ne permet d’interpréter ces lignes de sorte de leur donner un garde-fou, il faudra donc compter sur la vigilances des associations qu’on sait en difficultés à Porto Mundo.


Conclusion

Les spécificités de la migration tahokaise ne suffisant pas à elles-seules à permettre une intégration réussie au tissu économique et social pharois, un temps d’adaptation (aussi bien pour les hommes que pour le marché) a été jugé nécessaire de sorte à ne pas mettre en péril l’équilibre du pays. Afin de lui offrir ce temps nécessaire, la ghettoïsation des Tahokais a été perçu comme une solution de moindre mal, permise par le faible niveau de conscience politique et juridique de ces populations, et leur encadrement par un clergé puissant. L’installation a été pensé de façon à rendre autonome au maximum les communautés, de sorte que leurs principales interactions avec le reste de la population pharoise se fasse soit par l’intermédiaire de l’administration, soit par le biais du marché où les Tahokais représentent une forte demande en biens de consommations et services.

C’est principalement en comptant sur le libre marché et la flexibilité de son tissu économique que le Syndikaali compte favoriser les rapprochements et le dépassement des barrières linguistiques à défaut de culturelles.

La ghettoïsation des populations tahokaises répondait à un double-objectif : les maintenir dans un état où leur mise au travail, y compris dans des emplois peu attractifs, serait aisée, et préserver la sensibilité du reste des populations présentes au Syndikaali qui n’auraient pas apprécié une déferlante massive de migrants dans leur quotidien.
Cette politique jugée cynique a été dénoncé par divers associations et partis d’opposition, mais défendue par le gouvernement sur le plan aussi bien moral que politique et économique.

Pour l’heure, Pharois et Tahokais forment donc des communautés distinctes géographiquement, les populations migrantes étant regroupées sous formes d’îlots culturels et politiques, pensés pour être provisoires (en théorie) pour permettre au Syndikaali d’absorber cette arrivée massive de nouveaux citoyens.
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