24/02/2015
18:08:57
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[RP] Incendie au 7 rue Huomenta

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Au Syndikaali, le pluriel avait du sens. Lorsque sous l’acronyme de la C.A.R.P.E. se lisait la Coordination deS AgenceS du Renseignement Pharois Extérieur, il fallait le lire littéralement. Des agences, on en avait plusieurs, et des QG tout autant, avec chacun leurs directions, leurs mœurs, leurs stratégies, leurs opinions politiques et sans doute aussi leurs modèles de chiottes, au moins on était certain de ne pas se faire noyauter par là.

Comme souvent avec l’architecture pharoise, ces bâtiments étaient d’allure modeste, insignifiante parfois même, un simple appartement où se croisaient les grands jours une demi-douzaine d’agents, parfois il s’agissait d’un immeuble de bureau, loué provisoirement, jusqu’à ce que l’équipe de la sécurité décide de déménager ailleurs. Pour les besoins volumineux, hangars de stockage, centres d’entraînement ou data center, les îles du nord recouvraient tous vos secrets sous d’épaisses couches de neige.

Ce matin-là, une petite voiture s’était arrêté devant le 7 rue Huomenta, qu’on pouvait traduire en Nouveau Pharois par « 7 rue du matin », un nom tout en symbole. Là se trouvait une petite maison, entourée d’un jardin clos qu’on devinait aux branches qui montaient au-dessus de la barrière de fer forgé. Cette maison avait appartenu au Capitaine Lempi, dont la femme, la Capitaine Loviisa, avait consacré toute son existence aux services secrets du Syndikaali, au point d’en oublier d’avoir des enfants. Le vieux capitaine, rendu veuf par une mission dans l’océan du nord, avait passé ses dernières années dans cette grande maison vide où il laissait traîner le bout de ses doigts sur les commodes en soupirant régulièrement. A sa mort, il avait légué le bâtiment à la C.A.R.P.E., ce qui s’était traduit dans le testament par la simple mention « aux employeurs ». Le notaire – on était très soucieux du respect de la propriété privée au Pharois – avait envoyé une petite note manuscrite au ministère de la Terre, des villes et des propriétés, qui avait transmis à qui de droit.

De fil en aiguille, la note avait trouvé son chemin dans les méandres d’une administration épurée où l’on fonctionnait au copinage, faute d’effectifs, et le jour de la lecture du document, un monsieur que l’entourage du veuf n’avait jamais vu s’était invité au dernier rang de la famille, dans le bureau du notaire, pour recevoir la maison.

Il s’était présenté comme représentant d’une coopérative de gestion du patrimoine de Pharot, à qui, fort généreusement, le Capitaine Lempi avait décidé de léguer sa maison dont la valeur historique n’était plus à prouver.
Cela fit grogner un peu les héritiers, mais les choses avaient été réglées dans le respect de la loi, car feu le veuf avait eu la bonne idée d’inscrire, sous sa mention « aux employeurs », « assurez vous que cela soit fait dans les formes » ce que son exécuteur testamentaire avait fait avec beaucoup de sérieux.

Ainsi la maison était-elle arrivée entre les nageoires de la C.A.R.P.E. Puis pendant dix ans, on n’en avait rien fait. Autant parce que les bâtiments ne manquaient pas que parce qu’on voulait brouiller les pistes, y eut-il pistes à brouiller. La coopérative de gestion du patrimoine – qui existait vraiment – géra la façade et l’intégrité des parquets, et si les jardins souffrirent un peu de l’absence du Capitaine Lempi à l’entretien, la barrière de fer forgé dissimulait honnêtement le carnage.

Puis, courant des années 2004, le Syndikaali eut cette idée étrange de s’ouvrir au reste du monde et soudain la C.A.R.P.E. fut un peu débordée. Le conflit avec les Latins Francisquiens occupa pas mal de gens, on recruta des vétérans, capitaines à la retraite ou militaires en quête de changements dans leur quotidien, et il fallu loger tout ce petit monde.

Fin 2004, c’était en octobre, un jeune couple qui avait fait fortune grâce à la réouverture du commerce s’offrit cette petite maison discrète au charme certain, pour y emménager. L’agent Kalmari et l’agent Vinkki avaient de nombreux amis et recevaient des visites régulières, notamment de l’oncle du mari, l’agent Merisiili et de la meilleure amie de madame, l’agent Äyriäiset. On installa un data center à la cave et des fleurs aux fenêtres et la maison devint un lieu de travail pour l’agence n°43 de la C.A.R.P.E., petite et familiale, étant donné les couvertures de chacun, chargée du contre-espionnage et des questions de surveillance civile.

Ce matin-là, donc, une petite voiture s’était arrêté devant le 7 rue Huomenta. Un petit monsieur que les pigeons qualifieraient de dégarni s’en tira et, après avoir acheté un ticket de stationnement au parcmètre de quartier, s’en alla guilleret sonner à la porte de la maison. Discrètement, l’œil de la caméra situé au-dessus de l’interphone s’ouvrit et, ayant reconnu l’agent Simpukka, déverrouilla la barrière de fer forgée sur un « Docteur Jalo ! Comme c’est gentil d’être passé ! Entrez, entrez, nous sommes au salon. »

Au salon, ils y étaient. Beaucoup plus que d’habitude, et du gratin. L’agent Hiekka, l’agent Aalto, l’agent Veitsi et même cette vieille branche d’agent Juoksuhiekka qui se déplaçait moins depuis qu’il avait perdu une jambe, officiellement à cause d’un filin de son navire mal attaché qui lui avait entaillé la cuisse si profond qu’on avait dû couper en pleine mer. Apparemment ce n’était pas la bonne version de l’histoire, mais comme il n’abordait pas la question, on évitait de lui en poser.

- Simpukka, bienvenue, on n’attendait plus que vous.

Quelques mines graves se hochèrent de haut en bas comme salut, et si quelques-unes tentèrent un sourire, on sentait malgré tout une certaine tension régner dans la pièce.

- Il paraît que c’est grave, demanda l’agent Simpukka.

- Assez, asseyez-vous, je vous sers quelque chose ?

- Rien de trop fort, merci.

L’agent Vinkki s’en alla sortir un verre de plus, et pendant ce temps, l’agent Hiekka s’éclaircit la gorge. On tourna la tête vers elle. Le message qui les avait réuni tous ici était de nature à alarmer un soldat chevronné par le beaucoup de chose qu’il passait en peu de mots. « Besoin vous voir. Urgence. N’en parlez à personne. Pas même n+. »

Sans doute que la C.A.R.P.E. n’était pas la plus pyramidale des agences de renseignement du monde, mais qu’on vous demande explicitement de dissimuler une sortie à vos supérieurs n’était pas une requête courante. On comptait malgré tout sur le fait que des supérieurs, il n’y en avait pas tant que ça, si on excluait toutefois ces messieurs de l’administration du ministère bien entendu, mais enfin l’Etat avait si peu de pouvoir au Pharois que ne pas prévenir les politiques était comme une évidence.

La politique du fait accompli frappait encore.

- Je vous remercie d’être venus…

- Au vif.

- Je ne vous ferai pas l’affront de vous rappeler que l’indépendance des agences est au cœur du secret politique Pharois, ni qu’il est attendu que chacun d’entre nous respecte la discrétion du travail des collègues, cependant…

Hiekka marqua une pause qu’on aurait pu interpréter comme dramatique, si l’agent était en général peu coutumière de la mise en scène.

- … cependant plusieurs informations ici en ma possession semble révéler que la C.A.R.P.E. est devenue incontrôlable.

On échangea quelques regards curieux. L’indépendance des services secrets vis-à-vis du pouvoir central était tacitement un pilier de la stabilité gouvernementale pharoise, qui écartait les aventuriers gênants des plus hautes fonctions du pouvoir, et soufflait aux dirigeants les informations nécessaires à une stratégique appréciation de la situation politique et géopolitique. La coordination des agences était à ce titre nécessaire pour éviter les remontées contradictoires, et épargner aux politiciens de sombrer dans la folie face à la vertigineuse complexité du monde moderne, et leur relative impuissance à y changer quoi que ce soit.
Tout gouvernant Pharois avait un jour entrevu la possibilité de fédérer derrière lui les milliers de capitaines, aventuriers et mercenaires, de se tenir à la tête du plus ambitieux réseau mafieux du monde et ainsi, devenir le point de concentration des pouvoirs politique, économique et souterrain.

La C.A.R.P.E. jouait le rôle de garde-fou. « Capitaine, je suis navré de vous le dire, mais vous aventurer sur cette voie conduira à votre exécution sous huitaine. Nous ne pouvons garantir votre sécurité si vous vous engagez dans un tel projet. »

Certains déprimaient un peu, puis s’en remettaient. Il y avait malgré tout du boulot. Les plus malins, quant à eux, savaient poser les bonnes questions. « Et dans ce cas-là, Capitaine Ilmarinen, quel est notre marge de manœuvre ? » - « Il y a certains espaces où l’on a encore besoin de politiciens, Capitaine Mainio. »

Voilà qui était dit.

- Hiekka, il faut développer.

- J’y viens. C’était sans doute à prévoir mais nos agences semblent se claniser au service des différentes factions. Plusieurs rapports montrent que l’augmentation continue des richesses du Syndikaali excite les partis et syndicats, chacun veut sa part…

- Pardon mais nous savons cela, nous avons tiré la sonnette d’alarme il y a déjà plusieurs années.

- Force est de constater que cela n’a pas changé grand-chose. En fait, la montée en puissance des forces internes au Syndikaali est de plus en plus préoccupante et j’ai ceci.

Elle tenait depuis le début de leur rencontre une mallette à documents qu’utilisaient les services secrets, du genre qui vous casse une petite ampoule d’acide à l’intérieur si vous essayez de la forcer. L’agent Hiekka tapa rapidement le code du verrou, dévoilant une liasse de feuillets.

- C’est un contre-rapport de l’agence 121, confidentiel. De ce que ces documents nous indiquent, certaines agences auraient commencé à mettre sur pied un vaste réseau de surveillance interne au Pharois.

- C’est impossible, la collecte des données est étroitement surveillée. Et le Pharois trop multicéphale. Vous savez comme moi à quel point c'est une tannée pour faire la moindre enquête d'opinion !

- Les lois ont été subverties.

- Sans que cela se sache ? On n’envoie pas des inspecteurs dans tous les coins du pays sans que personne ne soit au courant.

- Certains chercheurs d’Albigärk pourraient être compromis. Et certaines organisations également, sans toujours être bien au courant de ce à quoi elles participaient de ce que j’ai compris. Des projets publics ont été mis à contribution et certains programmes ont été détournés de leurs fonctions principales.

On échangea des regards.

- Quelle ampleur pour tout ça ?

- Une vingtaine d’agences auraient retourné leurs vestes, de ce que j’estime au vu de ces données. On à la une mise sur écoute de grande ampleur.

- Je ne crois pas une seule seconde que tout ça puisse passer inaperçu !

L’agent Juoksuhiekka gronda depuis sa chaise.

- Allons, ne soyez pas naïf. Nous n’avons aucune visibilité sur notre propre travail, l’aliénation et la cécité étaient censés être les deux piliers de la stabilité anarchiste du Syndikaali. Est-ce si surprenant que l’ordre nous rattrape ? Il suffit qu’une seule agence décide d’agir non plus comme un rouage de la chaîne mais comme un moteur et l’affaire devient incontrôlable ! Nous avons pêché par naïveté, si Hiekka a vu juste. Nous manquons de contre-pouvoirs.

- Mais nous sommes les contre-pouvoirs !

- Précisément.

Il y eut un silence gêné. Le Pharois se retrouvait une fois de plus face à ses démons, la radicalité de son système s’avérait reposer un peu trop sur l’intégrité de ceux placés pour le faire tenir, et dans un pays sans moral, qui avait plus de triplé sa richesse en une poignée d’année, il ne fallait pas s’attendre à ce que tous les cœurs restent sans bouleversement.

Heureusement la conversation fut à ce moment-là interrompue par l’explosion du bombe incendiaire, qui devait permettre de préserver encore quelques temps le secret éventré de la fragilité morbide du régime Pharois.
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