18/05/2013
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Activités étrangères aux EAU

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Activités étrangères aux EAU

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Raxington, magnifique ville.

Quelle plaie, ce pays.

La question n'était pas de savoir s'il l'aimait, ça Erik le savait bien. La question n'était pas non-plus de savoir s'il en appréciait la culture, ou même l'organisation politique – ça aussi ça ne dépendait de toute façon pas de lui mais de ses supérieurs. Non. Le vrai problème, le truc qui le démangeait plus que tout, c'était que le pays, en lui-même, de part son emplacement géographique et ses conditions d'existence, était une plaie. Ouverte. Et qui n'était pas purulente pour la simple et bonne raison que la chair avait gelée avant de pourrir. Purement et simplement. Pour tout ce qu'on pouvait dire de « positif » sur l'EAU, Erik Singer, Tulpa en mission pour le Kah, rétorquait toujours et encore la même chose.

« Oui oui. C'est bien beau. Mais quand même : il y fait froid. »

Et pire encore.

En un sens ce pays était une mine d'or pour un insurrectionnel professionnel dans son genre. D'un autre côté il ne demandait pas forcément à se voir opposé des défis d'une telle intensité.

Tout avait commencé presque un an au précédent. Pour une raison ou une autre la patronne avait eu une discussion avec le citoyen de Rivera, et en était venue à s'intéresser à l'EAU. Ce qui ne l'aurait pas forcément inquiété, notre ami Singer, s'il n'avait pas lui-même été un descendant d'une famille d'Aumérine. Il ne savait pas pourquoi mais les pontes du Comité de Volonté Publique s'était mis en tête qu'il fallait faire « évoluer » l'EAU, et la patronne s'était mise en tête que c'était à lui de s'en occuper.

Il pouvait refuser, mais avait accepté. Car après tout qui d'autre que lui pour une telle opération ? Il avait l'accent d'Aumérine, les traits d'un aumerinois, une certaine habitude du froid acquise lors de ses nombreux passages au pays de ses ancêtres. En bref il était le leader idéal pour une expédition insurrectionnelle au sein d'un pays à la fois gelé et très franchement anglo-saxon. Après ça il avait été question d’entraînements sur la glace antarctique, d'apprentissage culturel, d’imitation d'accent, de repérages, de monter une équipe ayant droit aux mêmes traitements. Puis on l'y avait expédié, discrètement, et maintenant il y était. Un an plus tard. C'est que le moment était bien choisi pour une infiltration : les grandes familles du pays s'étaient rassemblées à Raxington pour leurs deux mois de stationnement. La ville allait se remplir. Neuf millions d'âme. Une métropole insensée et éphémère, dans laquelle Singer et ses agents allaient devoir trouver des points d'accroche, des gens avec qui travailler. Au début la tâche lui sembla impossible, isolé au milieu d'une espèce de titanesque masse de béton répandue entre des montagnes et la mer, grouillante d'une foule grossière, brusque mais bien rangée en fonction de sa famille d'origine, dont Erik n'avait malgré des heures de documentation qu'une idée en fait très vague de la culture réelle.

Le temps lui appris qu'il y avait de nombreuses subtilités à prendre en compte dans le cadre de l'EAU. Des subtilités qui étaient autant de pièges, d'opportunités, de possibilités, et d'adaptations nécessaires à l'idéal libertaire qu'il était question d'apporter aux habitants du pays. Après tout le but n'était pas de faire s'effondrer l'EAU par une révolution, et le pays était foncièrement dépendant de son système nomade étrange. On ne pouvait pas faire sans. Ou très, très difficilement. C'était de toute façon trop ancré dans la culture locale.

Alors quoi ? Quels leviers utiliser ? Il y en avait quelques-uns. C'est ce qu'Erik avait découvert durant ses études, et ce qu'il étudia plus en détail encore une fois en ville, fréquentant les bars, les universités fermées pour les vacances, les rares cercles littéraires et scientifiques. Discutant avec qui voulait bien parler, sondant ses interlocuteurs, lisant la presse officielle, cherchant activement l'officieuse.

Alors quoi ?

Le droit des femmes, qui était classiquement bafoué et nié. Mais on ne pouvait pas s'appuyer sur des citoyennes de seconde zone pour faire changer tout un pays. Malheureusement elles seraient au mieux un support utile.

Les conditions de travail ? Meilleur plan. On pouvait organiser des grèves, et avant ça sensibiliser la population à ses propres conditions de vie, à la puissance de sa masse laborieuse, aux conditions du prolétariat d'autres pays, vivant mieux, plus simplement.

Ensuite il y avait le culte du travail mis en avant par leur religion. Pas inintéressant si on le mélangeait à une dose savante d’égalitarisme, fut-il marxiste ou autre. Car après tout les patriarches et leurs cadres ne travaillaient sans doute pas autant que ces braves ouvriers du pétrole, pas vrai ?

Il fallait cependant éviter de tomber dans le piège classique : celui d'imputer au système ce qui tenait des conditions climatiques. La vie était dure dans ce pays, car il ne pouvait en être autrement. Alors différencier ce qui tenait du climatique et ce qui tenait simplement de l’oppression systémique. Vaste travail. D'autant plus qu'il fallait aussi séparer ce qui, dans le système, était essentiel à la survie du pays, et ce qui était uniquement essentiel à la survie de son oligarchie. Vaste, très vaste travail. Et deux mois seulement pour y travailler, tout mettre en place, répartir ses agents. Car après ça, ils disparaitraient pour une année pleine en territoire ennemi, à chercher chacun indépendamment des autres des moyens de faire changer les cœurs.

Puis la solution se présenta de façon inattendue à l'un des agents d'Erik, qui lui reporta l'information et le mis en relation avec les bonnes personnes.

Se trouvait, au sein d'un des convois, des anarcho-chrétiens. Des gens qui ne supportaient pas qu'au sein d'une communauté d'hommes théoriquement égaux devant le Seigneur, il s'en trouve pour se placer au-dessus des autres. Des gens qui, en bref, selon Erik, avaient bien raison.

Alors c'était tout trouvé. Ces gens seraient des alliés. Peut-être même, pour reprendre les termes d'usage, l'avant-garde d'une prochaine révolution. Disons plutôt une réforme. Une réforme radicale.

C'était fort de cette idée et sa sacoche chargée de tracts camouflés dans la couverture de livres tout à fait convenables qu'Erik alla à leur rencontre. Il était temps de leur dire bonjour. De leur présenter les techniques utilisées par les travailleurs de tout les pays pour défendre leurs droits et intérêts.

Les femmes. Les ouvriers. Et les chrétiens.

Voilà qui promettait d'être intéressant.
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Réunion

Bruits de pas. Garder l'air calme, sûr de soi. Ne pas sembler louche. Un regard par-dessus son épaule, l'homme qui semblait le suivre s'était engagé dans une autre rue. Fausse alerte. Erik se redirigea lentement, disparaissant entre deux tours de béton morne, direction : le lieu de rendez-vous. Le vend froid claquait les pans de son gros manteau, il se passa une main dans la barbe. Désormais il avait tout l'air d'un local. Ça ne faisait qu'un mois, mais il était plus ou moins au bout de sa transformation. On l'y avait aidé, et sa formation n'avait pas été inutile non-plus. Il avançait, un peu patibulaire, coincé dans une épaisse tenue d'ingénieure, ses bottes caoutchouteuses s'enfonçant dans la neige fondue et les flaques de boue jusqu'au mollet. Splortch. Splortch. Ce bruit à longueur de journée, dès qu'on émergeait d'un bâtiment. Erik grogna. Malgré tout il continuait de haïr le froid. Mais le pays était comme ça, on y pouvait rien. Même le feu d'une révolution ne pouvait changer le climat.

Il émergea dans l'avenue de la Sainte Vierge, toute congestionnée de neige et où quelques gars d'une famille finissaient de s'écharper. Les contourna, fixant les enseignes ; Boucherie, bar, coiffeur. L'endroit où il devait se rendre était situé sur une petite place dont la forme passait ici pour élégante, à quelques dizaines de mètres. Il avança. On évitait généralement de réutiliser deux fois les mêmes lieux de réunion. D'un autre côté créer une forme de pratique habituelle pouvait aider à justifier la présence des mêmes personnes aux mêmes endroits. Alors depuis quelques jours, on utilisait toujours et encore le Flint. C'est que le patron était un ami. Et son serveur aussi. Tous deux, de bons gaillards prêts à aider la cause. Pour le moment ça passait par le prêt d'une arrière-salle. Un jour, ça pourrait être autre-chose. Même s'il n'avait jamais soulevé la question, Erik les soupçonnait d'être secrètement homosexuels. Les pauvres. Dans un pays pareil c'était vraiment misérable.

Et en même temps c'est qu'il y en avait beaucoup, dans ceux qui désiraient lutter pour un changement. Et en l'espace d'un mois on avait rassemblé un panel étonnamment éclectique de mécontents, révolutionnaires en devenirs. Hommes et femmes qui n'avaient rien à perdre, sinon leurs chaînes, et buvaient à la fontaine de l'idéologie en l'agrémentant parfois de leurs propres commentaires. C'était le but de ces réunions, même : Formation idéologique puis pratique, adaptation des doctrines. Mise en place, dès que possible, de réseaux clandestins et d'un plan de renversement du pouvoir, ou de réforme. Les Tulpas du Kah n'étaient que des guides, mais se refusaient théoriquement à garder le contrôle de ces groupes. Ne parlait-on pas d'auto-détermination ? De toute façon il était impossible d'appliquer le modèle Kah eaux EAU. Le climat, le territoire, l'économie locale : tout l'empêchait. On devait faire avec les impératifs locaux, oui. Et ça, les camarades de l'EAU étaient les seuls à les connaitre. On pouvait les former, leur donner les armes idéologiques, mais pour le reste il ne fallait pas ingérer. C'était en tout cas la ligne que défendait Erik face aux autres Tulpas.

Désormais le Flint était bien visible : Trois étages de béton couverts de carrelage trônant, miteux, entre deux des cinq rues amenant à la place. Des ouvriers finissaient leur consommation derrière les épaisses vitres du bar, couverte de condensation. Il n'y avait pas vraiment foule, ce soir. Flint contourna le bâtiment par la droite, rejoignant la cours qui s'étendait derrière. On l'avait couvert d'un barnum de toile pour éviter les regards indiscrets. Un semblant de chaleur y restait piégé, ainsi qu'une odeur putride d'ordures. Sur la façade arrière du Flint se trouvaient plusieurs portes amenant à la cave, aux rues souterraines, en cuisine ainsi qu'un petit monte-charge destiné à descendre les ordures. Sortant un double des clés, le Tulpa pénétra dans la cave et, s'éclairant avec une lampe-torche à manivelle, rejoignit un petit réseau de couloirs et de portes qu'il connaissait par cœur. Les lieux étaient plus secs, à peine moins froids. Au moins le vent ne pouvait pas y souffler : c'était toujours ça de gagner.

Erik arriva devant l'épaisse porte de bois, renforcée à l'aide de bandes métalliques, dont la serrure aurait pu résister à des tirs d'arme à feu. Il frappa et, d'une voix claire, entonna le mot de passe du jour.

« C'est dans la Carcasse des baleines qu'on trouve les graines de demain. »

Silence. Il y avait un petit judas sur la porte, et Erik savait qu'on l'observait. Un peu par réflexe, il leva une main en signe de salut. Bruit caractéristique : le loquer claqua, la porte fut ouverte par une imposante bonne-femme, qui lui offrit un sourire aussi sincère qu'édenté.

« Citoyen Lotts ! »

Elle Tout le monde utilisait des noms de guerre et pseudos. Erik lui attrapa la main et la serra virilement.

« Tout le monde est là ? 
– Tous ceux qui pouvaient venir. Z'ont déjà commencé.
– Je vais me dépêcher alors. » Il indiqua la large tasse de fer blanc, vide, qui était posé sur une table-basse. « Je vous ramène un truc une fois là-bas ? »

Elle secoua la tête et entre-ouvrit son manteau, révélant une grosse gourde. Un nouveau sourire. Erik s'éclipsa rapidement, suivant le couloir et grimpant quelques marches jusqu'à la salle de réunion. Lorsqu'il entra la porte et entendit le jeune Adam, étudiant ingénieur, entamer une lecture critique des textes de Mazarn Kolt, le Tulpa compris que lui et ses pairs avaient bien avancé. En un mois, on avait planté le terreau. Restait à transformer l'essaie. Et à prier pour que la séparation prochaine des familles ne réduise par les réseaux à l'impuissance. Il s'installa sur un tabouret vide - la salle avait des airs de réserve, des meubles divers étaient empilés contre les murs – et écouta religieusement le jeune adulte continuer son essaie, saluant de signes de tête les autres conjurés. Ainsi, selon Adam, l'aspect essentiel de la culture prolétaire était l'union dans la douleur du travail, et la dureté du climat. C'est que Mazarn Kolt venait d'un pays rude, où il faisait froid et où - de son vivant, les conditions étaient presque infernales. Un peu comme l'EAU. En définissant la classe prolétaire comme celle capable de souffrance, il déshumanisait et excluait les cadres et dirigeants. Les nantis. Bien entendu, il fallait noter que l'aspect essentiel de la Révolution était d'éliminer la douleur, ce qui justifait l'existence d'une classe de cadres et d'administrateurs rouges... Mire, importante figure crypto-féministe, se permis de l'interroger et de le reprendre, redirigeant le débat sur les conditions de travail. Le débat s'anima, s'organisa. La lecture devint, comme prévu, un sujet de réflexion, d'émulation.

Il faisait froid, on buvait un liquide chaud infâme, parlait vivement et on se sentait uni.

C'était, en termes simples, l'ébauche d'un grand changement.
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A l'intention de Benjamin Dallas, au ministère des affaires étrangères EAU.

Monsieur Dallas,
C'est avec un immense plaisir que nous acceptons une rencontre au sujet du continent antarctique.

Ce sera également l'occasion de faire connaissance diplomatiquement et de nouer peut-etre une relation durable et positive pour nos deux pays.

Recevez tout le respect du Royaume d'Aubrane,
Bien cordialement,

Aksil Boubacar
Ministre des affaires étrangères du Royaume d'Aubrane
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Message posté au mauvais endroit, je l'ai renvoyé à la mairie, désolé !
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Martin Burton, planificateur Kah-tanais I.

Kah est une roue. La phrase est un peu vieillotte, mais encore très populaire. Utilisée même en dehors des frontières de l’Union, même en dehors des cercles militants ou kah-taphiles, elle est devenue un genre de synonyme fréquent de « ainsi soit-il ». Succédant à la désignation de l’inévitable, du prévisible, ou plus simplement, à l’affirmation qu’une chose aura lieu. La formule a de nombreux sens. Maintenant c’est aussi qu’ils sont nombreux à mal l’utiliser – si on oublie un moment qu’une langue est vivante et qu’on s’en tient, tel un intégriste de la langue comme structure morte – aux définitions les plus anciennes. Kah est une roue ne signifie pas que l’histoire se répète. C’est comme tout : visualisez l’économie de marché dans un vide pur et parfait de théorie et on croirait presque qu’elle peut fonctionner. Visualisez une roue dans un vide pur et parfait de théorie, et on aura l’impression que son principal usage est de tourner sur son axe. C’est qui est stupide. L’Histoire ne se répète pas. Elle hoquette. La roue tourne sur elle-même, oui, mais avance sur la route. Trace son sillon. Progresse vers sa destination. L’atteindra-t-elle seulement un jour ? Peut-être que le sentier lui-même est circulaire, mais c’est un autre problème. Kah est une roue.

En attendant il y avait des choses qui restaient assez imprévisibles, notamment la propension de l’homme à prendre des décisions vraiment regrettables et à imposer les conséquences desdites décisions à leurs prochains, dans un élan banal mais systématiquement irritant d’égoïsme. Purement et simplement. Sinon comment désigner toutes ces très mauvaises décisions prises en connaissance de cause ? Par exemple celle qui voulait qu’un jour, un homme du nom de Ryan Raxington ait la mauvaise idée de s’opposer politiquement au gouvernement Aumérinois, entraînant un exil vers l’Eurysie qu’une tempête changea en formidable accident politico-historique, plus communément appelé les Églises Australes Unies. Sacrés Raxington. Difficile de l’imaginer comme un révolutionnaire. Dans l’imaginaire général il ressemblait plus à un curieux mélange, le juste milieu entre le trappeur, la grenouille de bénitier et le père fondateur. Sans doute un agglomérat de différentes périodes de sa vie. Différentes identités qui s’étaient exprimées selon les besoins de l’instant. Mais révolutionnaire, lui ? Jamais. Difficile pour autant de lui en vouloir de s’être fait exilé. Et à bien y réfléchir il aurait sans doute préféré être déporté un peu plus au nord, là où il ne risquait pas les engelures, mais enfin. C’était chose faite et il fallait considérer, d’une façon ou d’une autre, que l’existence de l’EAU était au moins partiellement de son fait et que, par conséquent, l’existence d’une filière sociopolitique imposant à un nombre toujours plus important de Kah-tanais de partir pour le sud lointain se les peler était, là aussi, partiellement de son fait.

Sinon à qui la faute ? Oh, en fait son origine était toute trouvée, mais personne n’aurait osé prononcer les accusations plus fort qu’en chuchotant. Et encore, après avoir longuement vérifié par-dessus son épaule que personne n’était là pour l’entendre. La faute au petit rusé qui, au sein du Commissariat Suppléant à la Sûreté, avait senti la faiblesse de l’oligarchie locale, expédié une poignée de Tulpas dans la région et attendu patiemment que tout l’édifice s’effondre sous la pression populaire, dans une magnifique conflagration révolutionnaire s’étant achevée, eh bien, comme sait qu’elle s’est achevée. Pas nécessairement mal, pas nécessairement bien, assurément au mieux que le permettaient les fondations sociales et climatiques de cette région franchement défavorisée par l’Histoire et la nature. En d’autres termes, c’était la faute d’un génie de technocrate des renseignements généraux. Si ce n’était de Styx elle-même. Quoi que, on ne pouvait imputer l’ensemble des opérations du Cabinet Noir à cette femme. Elle en était certes la grande organisatrice, sa mère, disons, elle n’était pas responsable de l’activité de chacune de ses cellules. Il aurait été très improbable qu’elle se soit ne serait-ce qu’intéressée à l’EAU. Tout cela devait tenir du malentendu. Malgré son très haut niveau d’implication dans la gestion d’un des commissariats les moins transparents de l’Union, elle ne pouvait pas… Non, c’était impensable... C’était la révolution qui avait placé l’EAU sur les cartes d’autre-chose que les sociétés d’import de pétrole.

À moins que ?... C’était peut-être ça. Peut-être qu’on avait simplement cherché à importer du pétrole depuis un pays ami. Un pays échappant au contrôle des rapaces capitalistes. N’était-ce pas logique au final ? La scène s’imaginait toute seule. Une réunion comme une autre au sein du comité Estimable. Actée qui pontife, Aquilon qui tape du poing sur la table en parlant encore et encore de réarmement. Maximus de Rivera qui tempête. Et soudain… Zeltzin ou Xen Suchong, l’un des deux petits malin chargé d’assurer la bonne gestion de l’économie, a le malheur de faire une remarque sur l’économie. Une pauvre, malheureuse remarque sur l’inflation du prix au baril, et elle ne tombe pas dans l’oreille d’un sourd. Non. Elle tombe dans celles de Styx Notario, surnommée « La Cryptique », qui se rêve d’une petite révolution à peu de frais et se dit que ce serait l’occasion d’assurer à l’Union une importation pérenne de pétrole. C’est ça. Une malheureuse remarque et Notarion passe la nuit dans les archives à consulter les caractéristiques sociaux-économiques de l’ensemble des pays producteurs de pétrole. Le Banairah ? Idéologiquement injustifiable d’organiser une révolution là-bas. Lofoten ? Trop stable, et dangereux. Les EAU ?...

Tout ceci était bien sûr très compréhensible sur le plan idéologique, et considérant l’émergence du Liberalitnern et tout ce qui avait suivi la juste illumination des Églises Australes Unies, on ne pouvait vraiment pas reprocher aux tulpas ce qui avait été, en somme, une opération bien menée.

Le souci c’est que les liens désormais forts entre les territoires antarctiques et l’Union imposaient à cette dernière d’y expédier du personnel. Non. Le problème, on y revenait toujours à ça, c’est qu’aucun des partenaires majeurs de l’Union n’avait un climat normal, et qu’où qu’il ait été envoyé, Martin Burton serait mort d’insolation, de soif ou de pneumonie. L’administration avait tranché par ses voies mystérieuses et forcément obscures, ce serait la pneumonie. Il partait pour Raxington, et avait accepté la mission par sens du devoir, du défi, fraternité révolutionnaire, mais pas sans grimacer. Oh ça oui, il avait grimacé.
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Martin Burton, planificateur Kah-tanais II.

Martin Burton était ce qu’on appelait, dans le jargon hautement informel du Commissariat à la Planification, un espadon. Le terme avait sans doute une signification. Selon une rumeur persistante il venait de l’emblème de la vieille Compagnie des Mers Orientales, qui avait établi plusieurs colonies sur le territoire de l’Actuel Grand Kah et formé ce qui deviendrait ensuite certaines des écoles les plus brillantes de la vice-royauté. Le terme, donc, serait antérieur à la Révolution et désignerait originellement les brillants fonctionnaires diplômés dans les instituts de la Compagnie et travaillant pour son compte. En soi, il était à peu près sûr que la question avait une réponse plus simple, sans quoi quelqu’un s’en serait déjà emparée pour écrire une thèse. Quoi qu’il en soit il savait que le terme avait une connotation relativement positive. Un espadon c’était un genre de foudre de guerre de l’économie, à même de prendre la tête de missions importantes pour l’intercommunale ou des alliés étrangers. Après tout la tradition kah-tanaise voulait que l’Union exporte son abondance de talents dans des régions du tiers-monde où elle pourrait être utile. Tirer le monde vers le haut, mission historique, prétentions révolutionnaires discutable dans leurs aspects paternalistes. Tout de même, s’il n’avait pas été un espadon on ne lui aurait sans doute pas proposé de se rendre aux EAU. Il fallait un homme solide sur ses bases pour mener une telle mission, et il ne doutait pas qu’il aurait tout le loisir de remettre en question jusqu’à ses acquis les plus sûrs face au désordre que semblait promettre la contrée des églises mouvantes.

Jusque-là il avait principalement travaillé à l’échelon communal. Plus précisément, il avait rejoint une commission spéciale créée au lendemain des élections générales et sur la proposition du Citoyen Caucase en personne pour mener à bien l’un des éléments les plus importants du programme de la coalition au pouvoir : la remise à niveau durable des communes les plus isolées de l’Union. Égalité ne signifie pas équité, et malgré le système confédéral et la répartition particulièrement juste des ressources économiques de l’Union entre ses différents éléments, les communes urbaines demeuraient plus riches (en termes d’accessibilité aux ressources et aux services) que les communes rurales, elles-mêmes favorisées face aux communes les plus excentrées, celles des jungles, des hautes montagnes, des lieux lointains où la civilisation avait encore du mal à percer.

Et d’ailleurs ce n’était pas nécessairement vécu comme un problème par les populations locales. Il y avait des moyens de relier le reste du pays, les biens et ressources transitaient malgré tout, les manques concernaient plus des produits de luxes que des besoins vitaux. Tout de même, cela restait un obstacle au développement total de l’Union et un manque flagrant d’équité entre les communes qui pouvait, à très long terme, générer des problèmes structurels ou, plus grave encore, éroder le nationalisme civique des communes. Accessoirement le Comité Défense et Développement était issu d’une coalition entre un programme franchement agraire et un autre qui ne jurait que par les infrastructures et l’industrie lourde. Le citoyen Arko Acheampong, dit « le chiffre », architecte de tout l’aspect économique du programme qu’avait porté Meredith durant les élections, avait réussi à faire avaler quelque-chose d’invraisemblable aux commissariats économiques : il n’y aurait pas de compromis. Les deux programmes seraient appliqués conjointement. Ce qui était réalisable sur le plan strictement humain et théorique, mais discutable sur le plan pratique. Pourtant, le chiffre avait tranché : la croissance couvrirait les frais. Il semblait croire que le miracle économique kah-tanais, soit le financement efficace de la reconstruction nationale par le biais d’exportations de produits manufacturés de haute qualité, pouvait se prolonger. Que l’investissement massif continuerait, au moins pour un tant, de générer assez de recettes pour plus d’investissement tout aussi massif. La différence était qu’on ne reconstruisait pas, on construisait tout court. La marge de rentabilité risquait d’être moindre, comparativement à l’époque du Miracle.

Martin, qui avait modéré son enthousiasme par pure mesure de précaution, avait bien dû admettre qu’aussi ambitieuses qu’elles furent, les projections des commissariats semblaient réalistes. Et il avait passé quelques mois intenses mais gratifiants à aller de communes en communes régler des problèmes pratiques et assurer la coordination démocratique de différents sites d’extraction et de production.

À l’époque il se trouvait du côté de Dietes. Ou plutôt, dans cette région de hauts plateaux forestiers au centre de laquelle se trouvait la ville de Dietes. Commune urbaine de quelques dizaines de milliers d’âme, qui faisait office de plus important centre industriel et de population d’une région hautement impraticable, éternellement sauvage. Pendant des siècles et des siècles le seul moyen d’efficacement la traverser avait été par le fleuve et les cours d’eaux qui en émergeaient. Toutes les localités se trouvaient dans son prolongement et les nombreux efforts pour doter les communes d’infrastructures modernes : rails, routes, téléphériques, n’avaient pas eu un effet aussi important qu’on l’avait souhaité. Finalement, profitant des plans de la confédération pour obtenir un budget supplémentaire, la commune supérieure avait proposé un grand projet visant à tripler en cinq ans les infrastructures traversant la région et à permettre le passage d’un fret plus important, notamment en améliorant le vieux système de canaux et d’écluses permettant de faire transiter quelques modestes péniches des communautés locales à Dietes. La mission de Martin et de ses pairs avait été de faire une étude très précise de tout les moyens déjà à la disposition des communes et d’établir d’une part, ce qui pouvait être restauré ou amélioré et de l’autre, ce qui devrait être remplacé ou complété. A cela s’ajoutait une étude de faisabilité et des mesures qui devaient à terme permettre un renforcement du réseau de télécommunication, encore très sommaire dans ces régions, ainsi que la construction de nouveaux comptoirs fluviaux devant accueillir à terme des contingents de la protection civile – on craignait une expansion des activités damanistes terroristes et du crime transfrontalier – et d’autres des offices de surveillance de l’environnement.

C’était une aventure qui avait quelque-chose d’assez profondément colonial. Dans le sens romantique et aventureux, fondamentalement faux et mensonger, que l’on peut prêter au terme. Il s’agissait d’embarquer pour plusieurs mois de trajet dans un petit navire, remontant le fleuve en suivant des vieilles cartes complétées par des prises de vue satellitaire. L’air frais de la montagne et l’humidité ambiante de l’immense forêt donnaient une atmosphère toute particulière à ce trajet au cœur de l’Union. Parfois on dormait sur le bateau. Parfois on s’arrêtait dans un vieil avant-poste, un comptoir, le plus souvent abandonnés mais parfois gardé par un protecteur issu des villages les plus proches. D’autres fois on tombait sur une vieille localité, totalement dépeuplée. Des installations coloniales, des avant-postes militaires dépeuplés, des villes fantômes dont l’utilité n’était plus d’actualité, et qu’on avait vidé de ses habitants. Celles-là avaient généralement été vidées. Toutes les machineries, tous les meubles, tous les outils avaient été recyclés ; Restaient quelques bâtiments vides, rongés par les plantes grimpantes, la reconquête progressive de la nature. Demeuraient les vieilles routes, les morceaux de rails, les écluses rouillées. On notait sur les cartes, on confirmait que tout était en ordre, à un ou deux détails près.

Quand on arrivait dans l’une des localités abandonnés, c’était très différent. L’Union était populaire, même aussi loin dans ces territoires qui ne la côtoyaient que peu. Malgré le faible débit des télécommunications, ces citoyens restaient connectés au monde lointain, presque inaccessible par des voies traditionnelles. Certains avaient fait leurs études à Dietes, ou dans d’autres villes. C’était l’électorat du citoyen Caucase, les isolés, les communes nécessiteuses. Celles qui profiteraient le plus des fonds confédéraux d’aide au développement. L’activité y était principalement agricole, avec parfois la création d’ensembles de fermes collectives ou de manufactures via la mise en commun des moyens de différents communes. Les assesseurs, les ingénieurs, les experts, Martin et les siens étaient bien reçus, et se mettaient rapidement au travail. Ce qui signifiait parfois recopier et documenter des fiches administratives bien tenue qu’ils auraient pu demander par radio, parfois se rendre sur le lieu prévu d’une expansion pour y mener d’importantes mesures concernant le sol et la faisabilité du projet, parfois attester en personne qu’effectivement, tel canaux mériterait sont quarante-mille dev-lib’ de rénovation si l’on voulait que le trafique fluvial puisse reprendre. Un travail de fourmis, mais satisfaisant et ordonné. C’était justement lorsqu’il travaillait sur la question d’un des canaux, dans le village quasi montagneux de Siem-nax, que Martin vit sa vie partir dans des directions inattendues.

Siem-nax était une communauté trois-cent dix-sept âmes de culture majoritairement amazérienne, quoi qu’un métissage avait eu lieu quelques deux-cent trente ans dans le passé, à l’arrivée d’une expédition de colons eurysiens (spaniards pour être exact), qui s’y étaient arrêtés pour de bon et dont les messagers envoyés remonter le fleuve pour annoncer à la vice-royauté le résultat de leur expédition n’avaient vraisemblablement jamais émergés de la forêt. Siem-nax n’était pas isolée au sens où on l’entend traditionnellement. Comme de coutume dans ces régions reculées, cette communauté faisait partie d’un important réseau de localités, liées par divers sentiers, routes, canaux, ce qui permettait sur le plan économique une certaine autonomie – au moins sur les questions alimentaires – et sur le plan strictement hygiéniste un pool génétique évitant la consanguinité. Grâce soit rendue aux immémoriales traditions de mariages inter-communautaires, qui visaient à l’origine à préserver la paix entre les différents clans. Sur le plan strictement économique, Siem-nax ne produisait pour ainsi dire pas grand-chose de valeur. Mais des plans de l’intercommunale, acceptés par les communautés locales, envisageait la création prochaine de cultures de bois rares et d’herbes pharmaceutiques. Activité qui existait déjà, quoi qu’à un niveau plutôt informel : on savait ici plus qu’ailleurs profiter de l’incomparable pharmacopée de ce qui restait l’une des rares régions au monde pouvant prétendre au titre de « méga divers ». L’un des obstacles à cette ambition demeurait, comme on l’avait expliqué aux assesseurs, l’état de délabrement avancé du système de canaux reliant les communautés entrent-elles, et ce réseau intercommunautaire au fleuve. Situation dont ils avaient de toute façon pu rendre compte lors de leur passage par l’un desdits canaux : une vieille construction de pierre dont les pans menaçaient de s’effondrer, s’enfonçant chaque année un peu plus dans la vase. Comme le Grand Kah était procédurier, et demandait systématiquement des estimations précises, on avait fait accoster le navire de l’expédition aux quais de Siem-nax, on s’était présenté aux gens du crû, on avait – comme le voulait le protocole, fait une copie de tout les documents administrations concernant les questions économiques et politiques, reçu un exposé sur les ambitions économiques et infrastructurelles de la commune, en rapport à celles de l’intercommunale, puis on avait demandé à être guidé jusqu’aux berges pourries menaçant de rompre et d’emporter avec elles tous les rêves des habitants du coin.

C’était à vingt minutes de marche village, en prenant le sentier qui partait des quais et remontait le fleuve jusqu’aux points de passage. À une époque il y avait des routes plus importantes sur l’autre rives, ainsi que plusieurs passerelles, mais c’étaient des reliques d’un passé colonial extrêmement ancien : derrière les arbres se trouvaient en fait les ruines d’une vieille Haciendas construite ici par un conquistador un peu fou. Sa famille avait toujours refusé de prendre part à la collectivisation des terres. Ce qui était tout à fait légal, d’autant plus qu’elle ne s’était pas montrée contre-révolutionnaire à l’époque des guerres civiles, empêchant tout recours légal contre elles. Cependant, le Grand Kah donne autant qu’il prend, et ces gens, qui n’avaient rien donné, devinrent aussitôt des parias. L’Union évolua sans eux. L’hacienda se retrouva bien vite privée d’employés, déconnectée des routes, l’électricité ne fut pas amenée chez elle et, un jour, elle mourut tout simplement. La famille se dispersa, certains fils et filles rejoignirent les communautés locales pour bien s’y intégrer, à vrai dire. L’hacienda devint un vieux souvenir, puis une vieille ruine. Les ponts rouillèrent, furent finalement démontés lorsque l’un d’eux menaça de s’effondrer et qu’un enfant s’y blessa. Restait le petit sentier, conçu lors de la création des canaux, bien avant la colonisation. Une voie de chantier abandonnée, que la nature avait aminci en petit chemin champêtre.

Pas désagréable à parcourir, d’ailleurs. Avec le temps, Martin avait appris à connaître la forêt et ses paysages. Il ne fallait pas s’y tromper : tous les lieux de la région ne se ressemblaient pas, malgré l’abondance continue d’arbres et d’eau. En tout cas, lui et son équipe eurent à peine le temps d’arriver au bord du canal, de sortir leurs instruments et de prendre quelques photos préliminaires, d’un homme arriva en vélo. Il portait l’uniforme kaki et le foulard rouge du service postal régional, et, ayant posé pied à terre, se dirigea vers Martin après un temps d’hésitation.

« Citoyen Burton? »

Il était assez jeune mais parlait avec l’assurance bienveillante de celui qui aime remplir son devoir.

« Salut et fraternité. Qu’est-ce qui se passe ?
Une dépêche pour toi. » Il fit émerger un papier de sa besace, qu’il lui remit avant d’ajouter. « Ils vous ont appelés, mais...  »

Inutile d’en dire plus : on recevait très mal dans ce coin de l’Union. Burton remercia le commis et lut la missive.

On lui proposait de se rendre à Axis Mundis pour y recevoir une offre qui, en plus d’être exceptionnelle de part la mission dont elle lui ouvrirait les portes, ferait plutôt jolie sur son CV et servirait un rôle révolutionnaire certain.

Un rôle révolutionnaire certain. Martin, tout espadon qu’il fut, n’était pas exactement un radical. Il savait cependant reconnaître le langage un peu sibyllin du Commissariat aux affaires étrangères. Ce terme seul indiquait qu’il n’allait pas seulement faire face à d’autres technocrates et ingénieurs de planification ou du maximum. Deux jours plus tard, il prit le premier train pour Commune Ville-Libre. Là il pénétra pour la première fois de sa vie dans la seconde annexe de la Convention Générale, un bâtiment installé au sein des jardins, où les commissions et commissariats organisaient tout type de réunion et groupes de travail.

La suite avait pris la forme d’un barrage de question par des hommes qu’il ne reconnaissait que très vaguement. Que savait-il des EAU ? En combien de temps pensait-il être capable d’assimiler les dossiers des affaires étrangères sur le pays ? Parlait-il couramment l’anglais ? Et était-il capable de travailler dans cette langue ? Le froid, ça ne le dérangeait pas ? Avait-il un ou une conjoint·e ou amant·e, qu’il souhaiterait amener avec lui s’il venait à travailler à l’étranger ? Et un animal de compagnie ? Même pas un chat ? Bon, tant mieux en un sens.

Au final on lui remit un dossier de plusieurs centaines de pages et un mois pour recontacter le commissariat avec une réponse. Il était autorité à demander plus de temps si nécessaire, rien ne pressait. Mais tout de même, il serait vraiment bien vu qu’il accepte cette mission. Elle était vraiment importante. Vraiment. Sans rire.

Le dossier en lui-même rendait compte de la situation politique et économique des EAU. C’était une analyse, bien menée et professionnelle, des perspectives d’avenirs de la région prenant en compte l’inclusion au Liberalintern, les changements initiés par la révolution et les défis représentés par le climat et la dépendance excessive du pays à une ressource unique : le pétrole.

Ce n’était un secret pour personne : une économie entièrement dépendante d’une ressource unique était une économie faible. Les perspectives réelles d’évolution étaient limitées, les variations du prix de la dite ressource avaient les moyens de mettre ladite économie en berne, plus généralement la simple existence d’une concurrence disposant potentiellement d’une économie plus diversifiée représentait un risque majeur en cas de guerre commerciale. L’économie des EAU étaient comme une invitation à la mettre à genoux. Plus précisément à lui casser les genoux, et pas consensuellement, non. Le Grand Kah, qui tenait à ses alliés tant par souci fraternel que par pur réalisme, tenait à assurer leur résilience et leur propension à s’enrichir. En d’autres termes, les changements sociaux au sein des Églises ne seraient pas un succès tant qu’ils ne seraient pas accompagnés de changement économique. Il fallait que quelqu’un s’occupe de faire comprendre au Purgatoire que la part du PIB dépendant du pétrole devait baisser. Ce qui ne signifiait pas baisser les exportations de pétrole, mais bien développer d’autres secteurs. Cette précision, certes redondante, pouvait à elle seule prendre des semaines à être expliquée au très indiscipliné parlement austral. Non-pas que ceux y siégeant fussent des imbéciles, mais la culture locale était… Ce qu’elle était. Entre le disco et le rock. Fondamentalement incapable de s’organiser de façon efficace, du moins à première vue.

En fait le souci venait du fait que les EAU ne se sauveraient pas nécessairement seules, mais qu’elles étaient incompréhensibles pour un étranger. La difficulté ne venait pas du fait que les EAU ne pouvaient être aidées, mais qu’un étranger s’essayant à l’exercice risquait à minima d’y laisser un peu de sa santé mentale.
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Insignifiantes et vulnérables,


Ania Mutasaliq a écrit :
12/03/2009

Nous traversions l'étendue de glaces depuis 65 jours déjà.
Sur notre gauche, perdue, la plupart du temps dans la chape de plomb qu'est le plafond gris et infini de la région, la glace se confondait avec des roches et des terres noires, certains sommets rappelant avec vocifération que la région est hautement volcanique.
Sur notre droite, l'immensité blanche et grise, l'horizon pouvant se confondre avec le ciel, laissait un sentiment, que nous connaissions heureusement, de mal être et de désorientation.

Face à nous, la chaîne de montagne guidait nos pas, comme une rembarde inatteignable qui nous permettait de ne pas tomber dans le précipice du vide blanc et gris.

Cela faisait bien une semaine que nous contournions glaciers après glaciers, longues traînées charnues dévalant, dans un terrible grincement, les pentes de ce paysage grandiose et fantasmagorique.
Les glaciers avaient la particularité d'être difficiles et dangereux et nous faisions notre possible pour les éviter, néanmoins dans ce pays de la glace, ces premiers étaient rois et étaient littéralement le paysage environnant.


Le 04/03, au milieu de la nuit, nous fûmes réveillés par une détonation si forte que Tafukt en saigne encore de l'oreille gauche. Je pense que certains de mes chiens n'entendent plus clairement mes instructions depuis.
Nous pensions que le vent à atténuer la perception du souffle, mais nos tentes ont été fortement chahutées juste quelques temps après.

Je dirais, six à sept jours de retard pour le Glacier de l'Enfer dont l'origine se perd dans une vallée en virage que nous n'avons pu approcher (que nous n'avons pas souhaité approcher), toutefois bordée de pics rocheux dont la noirceur laissait à penser qu'ils étaient... frais. Illi dit avoir identifié des aiguilles volcaniques au loin...
Pour le glacier, les blocs de glace devaient recouvrir un espace à la sortie de la montagne de presque 3 kilomètres de large, pour s'enfoncer dans le paysage et y creuser d'immenses combes, comme des tentacules ténébreuses. La particularité du Glacier de l'Enfer est sa couleur : noir de jais et bleuté. Nous ne pouvions confondre avec des coulées de lave, car nous faisons face à de la glace, mais l'effet visuel était bluffant. Les photos seront transmises dés que possible.

Et la traversée des "combes" nous glaça plus d'une fois le sang.
La terre tremblait une à deux fois par jour, les volutes d'un lointain volcan, se perdant dans la chape de plomb, pour en noircir les environs et nous plonger dans une tempête de neige noire et sulfurée. Les lampes frontales étaient utiles un temps, marchant dans la pénombre d'un jour transformé en nuit, poussant nos traineaux tandis que les chiens paniquaient à chaque secousse.
Nous sentions et entendions le volcan depuis plusieurs jours déjà et bien que nous soyons déjà à bonne distance, nous pouvons encore ressentir sa présence.
Ce qui nous frappa encore plus, c'est cette sensation que nous avions affaire à un effacement progressif des aspérités du paysage et que le tephra et la cendre glacée augmentait de volume... à vue d'oeil.

Au milieu de la traversée de la quatrième tentacule noire, le 10/03, la peur s'accentua lorsque du tephra commença à pleuvoir tout autour de nous et que des bombes volcaniques percutèrent des morceaux de glace de plusieurs mètres de haut, en déséquilibrant un pan immense qui vint s'écraser au loin. La "vague" de mouvements des blocs du glacier, qui en découla, fit chavirer trois traineaux et nous perdîmes cinq chiens et, Ilâhat soit remerciée, ils furent les seules pertes jusqu'alors.


Par ailleurs, nous avons identifié la position théorique du volcan derrière le rempart de pics rocheux. Il ne serait pas invraisemblable que nous ayons échappé à un volcan gris gigantesque... J'en tremble encore.


La conscience du danger, auquel nous avons fait face, fut floutée par le problème de visibilité constant au sein de la région. Est ce que le volcan était au dessus de nous, en continuité du rempart ou bien à l'intérieur de la chaîne de montagne ? Ce qui est sûr, c'est que le détour effectué afin d'éviter la proximité du déluge quotidien n'aura pas suffi entièrement et les membres de l'expédition sont terrorisés à l'idée que l'ensemble de la chaîne de montagne continue en ce sens.




La stratégie, établie par carte et adaptée sur place, et à Raxington, a dessiné une boucle passant par "l'Ouest" de la chaîne de montagnes vers le Mont Trinité, une traversée en aval du Mont pour récupérer par "l'Est" l'autoroute des Justes et son chantier. D'après nos estimations en ressource et le temps parcouru afin d'atteindre notre position, un passage vers les Terres Australes des Shuharri est envisagé avant de reprendre le chemin vers Raxington où les équipes de soutien font un monitoring de notre avancée et collectent les données.
Les transmissions sont très difficiles à l'heure actuelle, toutefois dés notre traversée de la chaîne de montagnes, nous devrions pouvoir disposer d'une meilleure connectivité avec Raxington. La 2e équipe nous rejoindra avec le véhicule mis à disposition.

Nous devions partir le 30/04 de cette année de Raxington, toutefois les plans ont changé avec la préparation avancée de l'expédition et les retours des locaux précisant que l'été austral était bien terminé cette année. Je pense que nous avons bien fait de partir en avance, les températures ne passent presque jamais au dessus de -25 degrés Celsius et les vents sont déjà puissants et terribles, les montagnes faisant office de bouclier au gré des humeurs et non de la saison. Il était attendu du ciel bleu pour la plupart de l'expédition...





09/03/2009, Raxington


Comme vous pouvez le voir, les photos prises par l'expédition concordent avec les cartes détaillées que vous nous avez transmises.
Vous avez un volcan gris fortement actif dans la région. D'après nos cartes et les informations que nous avons partagées, il n'était pas "actif" ou identifié lors des cartographies effectuées par les explorateurs du Chantier.
Ce volcan semble fortement bousculer la région et le tracé de l'Autoroute des Justes contournent par "l'Est" ce massif montagneux.
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Pour une raison aussi regrettable qu'incompréhensible, un journaliste gonzo a été lâché sur l'EAU.

Bon. Là en théorie, nous en sommes à un stade où il conviendrait de dire « Trianon, mon p’tit gars », – au passage et qu’il soit bien noté que ma taille n’a rien à voir là-dedans, vu, – « tu es comme qui dirait dans la merde. » Et ouais, c’est bien le terme. Enfin, pas le terme le plus classe, et pas non-plus le plus révolutionnaire. On est loin de la dinguerie, mais en commence à entrer dans le factuel. Pas trop non-plus. L’imagé, disons. Mais pas faux pour autant. Je n’étais pas physiquement dans la merde. C’est ce que je veux dire. Pas dans la fosse à purin. Ouais. Mais sans aller jusqu’à dire que les choses étaient propres, voyez-vous, je respectais un semblant d’hygiène. C’est le principe du métier qui veut ça. Donc dans la merde, en termes spirituels. De façon de voir les choses, disons, mon futur proche, l’environnement direct de mon existence, risquait de prendre – et rapidement – des tournures qui auraient fait passer la petite crise politique des années quatre-vingt-dix pour la joyeuse sauterie que les révisionnistes, ces fascistes à la con, essaient de nous décrire quand on parle du sujet.

Franchement, on fait pas pire que ça, les révisionnistes. Tant qu’à choisir, s’ils pouvaient décider d’être ou ignorants, ou fascistes, ce serait plus agréable. Mais comme dit l’adage, un malheur vient jamais seul, le gros fils de pute.

Donc oui. J’étais dans la merde. Plus qu’à l’accoutumée en tout cas. Une série un peu gore de mauvaises décisions m’avaient peut-être un peu assistée pour m’y trouver et, je dois dire, que j’étais pas non-plus totalement innocent dans mon propre malheur. On peut philosopher comme on veut, se placer en haut de la montagne universitaire pour scander, étude à la main, qu’il y a des causes sociétales à la condition des hommes, ce serait malhonnête de nier que j’ai été acteur, et acteur principal, du bordel d’où il convenait maintenant de me dépêtrer.

La décision avait été prise assez rapidement cas, en gros, j’avais besoin de thunes, et le boulot qu’on me proposait payer bien. Au-delà de ça toute considération était superflu. Je me suis bien dit « Trianon. Qu’est-ce que tu connais aux EAU, exactement ? » Quedalle, non ? Mais ça, à la limite, ils ne le savaient pas, mes éditeurs. Ils le découvriront au même moment que vous, (salut Masha, au passage). Enfin s’ils prennent le temps de lire mon boulot (pas vrai Masha ?) Sur le coup j’avais surtout besoin qu’ils ne le remarquent pas. Parce que moi, en fait, je ne suis pas limité par ma connaissance d’un sujet. Vous me dites « tant pour écrire sur tel truc », je vous écris ce que vous voulez, totalement. Rapidement en plus. Et les gens n’y voient que du feu. Je suis un tueur quand il s’agit de choper l’air du temps, faut croire. On me lâche dans une ville comme un chien truffier, deux coups de flair, c’est bon, j’ai chopé l’ambiance, tout le monde est content. Sauf la police. Et les politiciens. C’est un peu le souci. Apparamment les eurysiens ne sont pas fans qu’on remue trop de merde lorsqu’elle concerne leur vie privée et les pots-de-vin qu’ils font passer en douce. Ils n’aiment pas trop, non-plus, très bizarre de leur part, qu’on explique le fonctionnement de leur clientélisme. Pourtant c’est instructif. Ah si, on apprend un tas de choses. Par exemple à esquiver les gyrophares, à se planquer, comment entrer dans un bâtiment de l’administration sans que personne ne s’en alerte. Ou à quel point la démocratie représentative est une farce.

Bon, bref. La frilosité des eurysiens pour accepter qu’on pointe du doigt leur caractère un peu bougon et le fonctionnement carrément naze de leurs instances m’a – là encore c’est une image – coûté un bras. Grosse caution, sur le coup j’ai accepté un peu d’aide, et maintenant je devais de la thune à quelqu’un, qui, était certes un bon ami, mais m’avait aussi promis qu’il me trancherait la gueule (sic) la prochaine fois qu’on se verrait. Moi je vois comme une erreur dans sa logique, au mec, parce que s’il fait ça il ne risque pas de récupérer sa thune ; Et moi, serviable, prévoyant, je compte bien lui renverser jusqu’au dernier rouble Peprovites. Question d’honneur, question aussi qu’on ne vienne pas déterrer mon cadavre pour lui faire des trucs après coup. Les menaces, ça va, tant qu’on ne les exécute pas.

Donc c’est pour ça que lorsque j’ai vu l’annonce, je me suis dit qu’étant dans la merde, je pouvais bien insister un peu, c’était comme une dette souveraine de merde : je restais dans la merde, voir je l’étais de plus en plus, mais je repoussais le moment où il faudrait payer. Amen mes frères. Et donc, pour un peu d’argent facile, je me disais que ce serait facile à l’époque, j’ai accepté un petit trajet au sud de notre merveilleux continent de jungles et de hautes montagnes. Tellement au sud, en fait, que les jungles laissent place à de la taïga puis, soudain, il fait moins trente, tout le monde est ou drogué ou membre d’une amicale sectaire, et le moins qu’on puisse dire c’est que les choses commencent à prendre un tournant des plus bizarres. Mais ça tombe bien : quand les choses deviennent bizarres, les bizarres deviennent professionnels. Je crois que c’est ce qu’on attend de moi, du professionnalisme. Encore qu’à mon âge je pourrais encore me casser avec la caisse et imiter mon illustre collègue, camarade et, oserais-je le dire, maître à pensée John Birlkin, celui-là même dont on dit qu’il s’est tiré au nazum avec son mec et son amante, une poignée de billets volés à je ne sais quel éditeur normanien, pour y vivre une très intense vie de drogues dures et de sexe non-protégé – mais toujours consenti. Car le gonzo ne viole que ses engagements. Birlkin, type merveilleux au courage immense, vivant – j’espère qu’il est encore en vie – des choses sans doute incroyables. Et si ça a foiré, son cerveau est sans doute trop cramé pour le comprendre. Alors franchement.

Mais bon, comme dit, je suis un homme de parole, et je suis bien parti pour les EAU.

Le vol pour le sud était marrant. On rencontre toujours un tas de type dans les avions. Selon la période de l’année et la ligne ce ne sont évidemment pas les mêmes. Mais par effet miroir, en fait, on peut deviner des choses sur le pays où on se rend. Un pays touristique, par exemple, ça donnera des avions pleins de petites familles insupportables, avec des gros pères de famille suant, des gosses rougeauds, toute la smala quotidienne. Les EAU c’est un peu compliqué. Bon. Contrairement à ce que je craignais j’ai pas vu passer de curé. Par contre, du costard et du col Mao, oui. Je me suis dit : ben c’est normal après tout. Quelqu’un y a foutu (drôle d’idée) des institutions de l’Internationale. Les EAU sont un peu devenues le rêve humide de tout les étudiants en science-po’ du pays. Quelle idée. J’ai aussi appris qu’on ne pouvait pas fumer dans les lignes Kah-EAU. Je suppose que l’inverse est vraie. On fume beaucoup aux EAU. Et on boit, aussi. Deux activités qui, je pense, seront très utiles pour commencer à comprendre le fonctionnement de ce pays.

De toute façon fumer et boire sont des qualités requises dans mon corps de métier. J’en ai même fait une fierté. Les gens doivent savoir ! C’est un peu le cri de guerre du journaliste, qui généralement oublie de l’appliquer à lui-même. Moi je n’ai pas de fausse pudeur. Que les gens sachent tout, vraiment tout, aucun souci, on s’amuse, on passe un bon moment. J’ai remarqué, par exemple, que les politiciens et autres élus, les types qui ont des comptes à rendre à la société, ont tendance à se montrer un peu tendus lorsque vous arrivez, journaliste célèbre et présumé toxicomane, sur le pas de leur porte, micro en main, pour leur poser les questions qui fâchent. Il y a, globalement, dans notre société, un rejet et une peur tout à fait regrettable des présumés toxico’. Quelque-chose que je mets sur le compte de l’incertitude, je crois. Il y a la potentialité, le risque, vous voyez, qu’on soit des gros dégueulasses de drogués. C’est malsain, l’autre ne sait pas trop sur quel pied danser.

Les choses sont beaucoup plus simples depuis que j’ai pris la décision de passer en clinique pour lever cette rumeur persistante à mon sujet. Je ne suis plus présumé toxico’ mais toxicomane reconnu. Depuis les gens acceptent mon comportement. C’est normal. Et je passe pour beaucoup moins malsain. Question : est-ce que ça s’applique de la même façon pour la corruption en politique ? Les gens sont-ils plus dérangés par le risque d’avoir un politicien corrompu que par le fait d’avoir un politicien avéré corrompu ? Réponse : les gens s’en foutent un peu, je suppose, et la justice est sous-financée à dessein. Dans l’ensemble, mieux vaut être toxicomane. Moi ça m’a réussi.


Mon arrivée à Raxington s’est faite dans les meilleures conditions possibles. C’est-à-dire que je suis sûr, à divers degrés, qu’au moins un de mes poumons est atteint d’un cancer. L’avenir et ma potentielle mort prématurée de rockstar confirmeront peut-être ces suppositions. Il faut dire que la capitale de nos amis austraux est moins ville que tache de graisse, un gros morceau gras, tombé du moteur pour creuser un sillon noir et crasseux dans le continent antarctique. À un moment donné, quelqu’un a dû bâtir cet aggloméré de béton sinistre, et c’est là que je suis obligé de soulever la question : était-il humain et, si oui, allait-il bien ? A-t-on la moindre information sur l’identité du planificateur urbain de cette ville ? Sur son état de santé ? Ces informations devraient intéresser le public. Beaucoup plus qu’elles ne le font, en tout cas. La question, sans être centrale, me semble quand-même considérable à en juger par la gueule de cet endroit. Les conditions climatologiques ne sont pas fameuses non-plus, mais pour le coup c’est à voir avec Dieu ou, à la limite, avec le type qui a installé une colonie si bas. Et ça, c’est un peu trop tard pour leur parler, je suppose...
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Pas l'environnement naturel d'un planificateur économique

Martin Burton arriva devant la porte du bureau à l’économie, après un accueil sommaire mais amical. Il avait été conduit dans un bâtiment rouge pétant porté par des colonnes blanches par une escouade d’une milice « aux ordres du Maire » (comme l’indiquait leur badge), avec des excuses laconiques quant à l’absence de la Maire sur le moment, « occupée à nettoyer un complexe composé de 10 différentes boîtes de nuit au 7ème sous-sol est des Shutters (un des quartiers de Raxington) ». La porte était comme entrouverte, invitant presque quiconque passait de la pousser juste pour voir. La porte arborait un panneau sobre, récemment mis en place, où il était inscrit "Bureau central de la distribution économique" De là où il attendait, Burton ne pouvait pas vraiment se douter de ce qui l’attendait. Tout au plus, il avait pu déceler un soupçon de gêne très peu glisois lorsque le garde était ressorti du bureau des finances pour l’inviter à entrer.

Le bureau en lui-même racontait tout une histoire. Dès l’entrée, l’odeur diffuse d’alcool et de cigarette qu’on pouvait attribuer par erreur au garde s’intensifiait, et un spectacle qu’un glisois qualifierait par excès de patriotisme de saisissant se livra aux yeux de Burton. Tout d’abord, le désordre. Trouver un classeur poussé jusqu’au fond de sa bibliothèque en position verticale était mission impossible, et encore, trouver des feuilles désordonnées dans un bureau n’était pas en soit choquant. Plus inquiétants étaient quatre sabres courts, d’origine Jashurienne au vu de la plaque en dessous de leur mur où ils étaient originellement suspendus. Ils servaient maintenant de punaises pour la multitude des calendriers sexy, de la police au pompiers en passant par la milice. Un tableau noir partageait le mur avec les calendriers, et se trouvait parfaitement illisible pour quelqu’un qui ne l’aurait pas inspecté quelques minutes pour déchiffrer l’amas de flèches, d’inscriptions et de photos n’ayant à première vue rien à voir entre eux. Un des sabres servait aussi d’encrier , la lame comportant une ligne noire en plastique suspecte. A l’emplacement où se trouvaient les sabres figuraient maintenant des arabesques aléatoires provoquées par le contact de l’alcool sur le mur, victime d’un accès artistique de la personne responsable ici, probablement. Les autres murs étaient couverts de poster de l'office du tourisme, de groupes de musiques en vogue chez la jeunesse glisoise et d'animes girls kah-tanaises. Quelques affiches de bienvenue officielles était perdus là au milieu, célébrant soit la révolution, soit le Liberalintern. Au milieu du grand bureau d’ivoire saisi à la famille Rose s’étendait dans toute son ivresse ensommeillée une forme longiligne aux longs cheveux bouclés, luisants et inégaux. Sa coiffure ressemblait à la ville de Raxington elle-même, sale, désordonnée, mais avec quelques touches encourageantes. La teinture blonde était par exemple si bien faite qu’elle masquait presque à elle seule les taches rougeâtres de piquette qui la parsemaient. Le reste de la forme, mieux ne valait pas en parler. La chemise était peut-être encore blanche le soir d’avant, et le peu de mains qu’on pouvait voir soutenait la tête qui y était enfoncée, comme on enfonçait le piton de 5 mètres de long dans la glace pour ancrer une église. Le bruit frappait aussi le visiteur non-averti à la manière du légendaire coup de tête de Benjamin Dallas. Le rugissement d’une foreuse faite ronflement, dont on se demandait comment il pouvait sortir d’un aussi petit corps, comparativement. Le reste du bureau n'était pas glorieux: un ordinateur suranné était noyé sous une mer de documents et de formulaire, avec un seul tas bien ordonné propre et ficelé au milieu. Il s'intitulait "RAPPORT ECONOMIQUE POUR L'ANNEE 2009, EAU". Enfin, pour compléter le tableau, tout le contenu d’un minibar gisait sur un chariot d’hôpital crasseux arrivé on se sait comment dans cette pièce. Inutile de le dire, le minibar avait été dûment pillé et transformé en champ de bataille.

Sur le tableau noir derrière la forme endormie trônait une inscription, la seule lisible au milieu de son foutoir, avec une flèche pointant vers ladite forme. « I’M NOT RESPONSIBLE FOR INTERSERVICE RELATIONS, DISCUSS IT WITH MY BOSS » La seule personne capable d’avoir écrit ça était assise derrière son bureau à l’autre extrémité de la pièce, un casque vissé sur la tête, et tapait frénétiquement on ne sait quoi. Il ne faisait absolument pas attention à la personne qui venait d’entrer, au contraire. Tout son être hurlait « JE NE SUIS PAS LAAAAAAAAAA » avec une telle force que le détourner de sa tâche allait s’avérer être un boulot d’orfèvre.

hehe
L'homme derrière son ordinateur.
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En chair et en os

Avez-vous déjà essayé de passer du temps au bar avec des Glisois ? C'est une expérience assez différente de ce que l'on a aux Terres australes. Les Shuhs, ils sont très calmes, mélancoliques, et en général, assez directs pour exprimer comment ils se sentent (souvent, fatigués par les longues journées voire nuit de travail qu'ils viennent de passer). Les Glisois, en majorité, ils se montrent toujours enjoués, très amical, et prêt à passer du bon temps. Après quelques verres, leur conscience s'altère et le vernis d'allégresse s'effrite, l'on commence à voir ressortir leurs peines. Ajoutez un animiste curieux retenu du mauvais côté de la tempête et échoué à Raxington et vous grattez même la peinture du christianisme pour voire remonter des peurs profondes, des superstitions inavoués dites avec un air coupable, et des traumatismes jamais guéris. L'on apprends alors que Raxington serait hanté de centaines de monstres, de gueules cassé, de fantômes de camarades ayant perdu toute humanité, de chairs déformés. S'il restait assez longtemps, il pourrait presque en deviner un bestiaire. Si l'on croisait un de ces monstres, il fallait tirer, sans hésiter. Ils ne sont plus humains depuis longtemps, désolé pour eux. Tuer c'est mal disait-on, mais on ne pouvait pas les laisser souffrir indéfiniment, si ? Au pire, ils s'expliqueront plus tard, mais il fallait mettre fin aux souffrances de Raxington. Continuez à tendre l'oreille, et peut-être entendrez-vous les cris de ce monde sous le monde, il deviendrait alors impossible de l'ignorer.

Comment on dessine la peur ? Des fois, tout simplement tous les traits d'un prédateur. Les chasseurs sur le continent apprécieront !

Malheureusement, face à la souffrance, Yandardi ne pouvait faire que peu de choses. Il pouvait traiter la douleur, mais la souffrance, c'était pas son rayon. Dans les faits, savoir gérer la douleur, la douleur grave, c'était déjà précieux. Au point que les Glisois étaient prêts à lui faire confiance, même officiellement. On ne sait pas d'où tu sors, ni comment tu as été formé, mais l'on sait que t'est médecin, l'on s'entend, tout le monde comprends, et le protocole peut aller se faire voir. Et un toubib ne s'ennuie jamais dans ce monde qui n'a jamais réellement terminé sa révolution. Les Kah-Tanais, on les repère vite, c'est les plus propres du lot. Ils viennent avec des idéaux révolutionnaires les plus purs qui soient et sont sûr qu'ils pourront émanciper le pays en parlant industrie et économie. Esprit sain, corps sains. Sauf que personne de sain ne peut émanciper qui que se soit ici, a cause d'un problème simple, mais tellement désespérant : les Glisois n'ont quasiment jamais appris que leur vie comptait. La survie des employés était un problème secondaire du temps des Neuf Familles. Tant que les femmes fabriquaient des enfants, la machine pouvait tourner, et extraire tant de vieilles forêts liquide que l'on aurait pu tous les noyer avec, s'ils ne représentaient pas d'intérêt financier. Et ça, en fait, ça n'avait pas réellement changé. L'infrastructure médicale restait largement sous-développée et il restait normal de déclarer sans espoir des cas que Yandardi savait pertinemment soignables quitte à laisser la personne mourir. Les Glisois avaient toujours tendance à négliger leur survie. Au pire, Dieu les rappellerait et ils seront au Paradis, non ? Et vous, vous préféreriez quoi ? Le Paradis ou les E.A.U. ? Bon, pour un Shuh, c'est pas évident, mais pour un chrétien, aller au Paradis, c'est le rêve, et les E.A.U., ça l'est pas. Mais voilà, Yandardi, il était médecin, les Glisois qui n'atteignaient pas le Paradis avaient des chances d'atterrir entre ses mains, priant pour qu'on lui abrège ses souffrance quand Yandardi savait dès le début qu'il ne le ferait pas. Il traiterait la douleur, ou l'infligerait si besoin, mais autant que possible, son patient survivra.

Ce jour là, Yandardi avait passé plusieurs heures à dormir, et avait ignoré son téléphone tout ce temps. Les messages s'amoncelaient, il les effaça après s'être habillé, c'était probablement trop tard pour eux, l'on pouvait espérer que quelqu'un d'autre leur avait été affecté. Il sortit sur le pont du bateau qu'il connaissait tant, et partit au foyer chercher un thé et un bol de riz au poisson en compagnie de Rezhi. Elle avait passé la nuit à réparer des voiles en écoutant la mer et n'allait pas tarder à se coucher. L'hiver sur le Fjörd et les grandes rencontres avec les autres équipages lui manquaient un peu. Il y a quelques amis qu'elle aurait voulu voir. Yandardi comprenait. Lui, il savait pas trop. Quoi qu'il en soit, il prit une profonde inspiration et prit son téléphone pour voir les derniers messages. Il lu le dernier : "On a une infection dans une Église au Sud, il y a quelqu'un sur le terrain ?". Normalement, un hôpital ne ferait pas de demande par texto aux médecins du coin, il enverraient une ambulance. Dans les faits, ils étaient en général surchargés, donc, ils improvisaient avec les moyens du bord. Pour les peuples dérivants, c'était une relativement bonne nouvelle : des médecins pouvant soulager leurs homologues glisois plusieurs mois d'affilée, c'était une quasi-garantie d'un mouillage accordé. En revanche, cela signifiait aussi qu'ils n'avaient plus nécessairement le temps de soigner les leurs, mais quelques mois près du port de Raxington n'était pas des plus effrayants. Ils partaient sur les mers dans la journée et revenaient mouiller au soir, ou passaient des semaines sur la maintenance du bateau, ou, quand c'était possible, se payaient un carénage qui aurait dû être faits aux Terres Australes. Les blessés étaient traités par l'équipage qui se débrouillait pas trop mal, puis les médecins intervenaient quand ils avaient le temps. Il appela l'hôpital et accepta la visite.

Les Églises, c'était de grands véhicules conduits sur les glaciers plats de la région que les glisois nommaient "La Banquise". Pour pleins de raison, il y en avait toujours un certains nombre qui stationnaient du côté de Raxington. Si normalement, il devrait toujours y avoir des médecins avec les convois d’Églises, les patriarches rognaient traditionnellement sur ce poste de dépense, si bien que les soignants avaient toujours manqué, et étaient principalement formés à de la médecine de base, ils pouvaient rapidement être désemparés face à des cas graves. Le nouveau régime politique qui n'avait plus à s'inquiéter des profits avait permis aux E.A.U. d'investir dans la formation de soignants, mais d'ici à ce qu'il y en ait assez c'était chaotique, et des Églises devaient régulièrement rentrer à Raxington pour traiter leurs malades et leurs blessés, leur état pouvant empirer durant le trajet. Un patient venant d'une Église avait donc souvent des blessures aggravées. Il avait apporté tout ce qu'il fallait pour traiter une infection, et de quoi gérer une septicémie autant que possible s'il le fallait. Ici, le camp d’Églises était une petit village mouvant, toujours aussi temporaire, une ruche bourdonnante se gens passant en tout sens sur la glace et de réparations diverses. Une légère brise froide soufflait sur les plaines. Il frappa à la porte de l’Église qu'il était venu prendre. C'est une femme en tenue de mécano qui l'accueillit, Chelsea de son nom. Elle était vaguement inquiète, lança un rapide "bonjour" et conduisit Yandardi à travers plusieurs couloirs, pour l'amener au patient infecté. La blessure à traiter était une amputation qui semble-t'il, avait mal tournée.

"Bonjour, je suis Yandardi, je suis là pour soigner votre infection, à qui ais-je l'honneur ?"
"Sterling, enchanté, vu ton accent et tes hésitations, tu ne viens pas de Raxington, je me trompe ?"
"Non, je viens de l'océan"
"Hahaha ! Bien sûr !"
"Donc, c'est cette blessure qui est infecté ?"
"Un conseil : pince-toi le nez avant de défaire le bandage. Ça sent la viande faisandée là-dessous"
"C'est normal, c'est loin d'être la première infection que je traite ici, ça se gère"
"Ne t'embêtes pas à me rassurer. Les forages, c'est fini pour moi, je n'ai plus tant à perdre"
"De mon expérience, c'est rarement vrai. Comment tu as eu ton amputation"
"Le classique : une magnifique gelure. On se prends une bourrasque, et je perds un gant, et je suis assez con pour finir le boulot avant de rentrer. Une fois dedans, je faisais pas le fier, j'avais une bonne grosse gelure sur tout le bras. Ben, du coup, on a amputé !"
"Normalement, il faut plusieurs mois pour connaitre l'étendue des dégâts d'une gelure, il n'y a pas toujours besoin d'amputer, celui qui t'a fait le soin ne le savait pas ?"
"On le sait quand c'est perdu, pas besoin d'attendre"
"Pour une gelure, on ne le sait pas tout de suite"
"Eh, c'est pas complètement rationnel. Et on a pas une approche très rationnelle a notre corps en général"
"Pas beaucoup d'espoir"
"Quand même ! On sait se battre, c'est après que ça se complique"
"On a une bassine ? Je vais commencer à nettoyer"
"Tu as une salle d'eau juste derrière, sers toi ! Si tu cherche une serviette propre, il doit en rester dans le rangement en haut à gauche"
"Tu veux prendre un cache-nez ?" Demanda Yandardi en se lavant les mains.
"Pas la peine, je vais quand même supporter ma propre odeur !"
Le médecin retira lentement le bandage pour révéler une plaie méchamment infectée, il avait même l'impression que la plaie commençait à se répandre. Que Sterling soit encore en vie était déjà une bonne nouvelle. Il demanda au patient de mettre son moignon de bras au-dessus de la bassine vide, puis sortit un morceau de gaze et de la solution physiologique et nettoya tranquillement la plaie.
"Tu sais, on a découvert un volcan au Sud du pays. Pile là où on était sensé mettre notre autoroute. Si ça c'est pas une mise à l'épreuve"
"L'on dit des volcans qu'ils gardent les continents, qu'ils s'assurent que les tempêtes ne les emporte pas. Peut-être le volcan glisois est-il là pour vous garder de futures tempêtes ?"
"Qui sème le vent récolte la tempête disons-nous, et c'est sûr qu'on n'a pas manqué de semer du vent ! Mais enfin, je pense pas que je serais là pour la voir"
"Il faudra attendre quelques années pour le savoir"
"Hahahaha ! J'aimerais avoir votre optimisme, mais au fond, on sent ce genre de choses. Si je suis juste un fardeau pour la communauté, est-ce que ça vaut le coup"
"Je vis sur un navire. Notre village est un navire. Je peux te dire d'expérience : tu ne peux pas traiter des gens, toi-même en premier lieu comme on fardeau. Quand on commence à désigner des fardeaux, l'équipage peut éclater. C'est comme ça qu'on perd un bateau sans couler"
"Tu sais, un convoi d’Églises, c'est étrange. On forme une communauté, même une famille, mais on a aussi ce truc protestant de toujours devoir être indépendant, ce pas nous imposer aux autres et de chercher soi-même son bonheur. Tout le monde veut aider, mais personne veut être aidé, donc tout le monde garde ses problème et on est tous heureux ensemble !"
"Tu coup, quand le conditions de travail posent problème, comment vous faites ?"
"On se réunit le matin. En général, on se répartit juste le travail, on n'a pas trop l'habitude de se plaindre. Il faut croire qu'une révolution, ça suffit pas à te changer un homme"
Yandardi sortit un biotainer et un écouvillon stérile. Il entreprit de préparer une culture de plaie.
"Alors, je te présente Noah, c'est mon fils, qui est venu me voir, il est parti à Raxington étudier la mécanique, et il me manque souvent"
"Comment tu te sens ?" demanda Noah
"Comme un charme, et toi ?" répondit Sterling
"Content de te voir, j'aurais aimé que ce soit dans d'autres circonstances, mais ça fait plaisir !"
"Eh, t'inquiètes que j'en ai connu d'autres ! Tu te fais des amis ici ?"
"Oui, mais pas comme sur le convoi"
"La grande ville, personne n'est jamais vraiment ami, je suis content de rester sur la banquise moi"
"Un de ces jours, on passera du temps en ville tous les deux"
Le médecin reprit la parole.
"J'ai un échantillon des microbes de ta plaie, je vais aller les cultiver. Je devrais l'envoyer au labo, mais vu qu'ici, il manque encore plus de labos médicaux que de médecins, on utilise notre matériel au bateau. Il faut normalement 48 heures à quelqu'un qui n'est pas débordé pour obtenir des résultats. J'essaie de les avoir dans 72 heures. Alors, je viendrais te voir, ou j'enverrai quelqu'un avec les résultats et le bon traitement. D'ici-là, on va déjà commencer à traiter. Donc je vais te passer l'antibiotique qui fonctionne dans la plupart des cas. C'est pas une bonne idée la plupart du temps, mais là, si c'est le bon, les quelques jours gagnés peuvent te sauver la vie, donc on va le faire. Je suis en train de sortir est une pommade antibiotique, je vais en étaler sur la plaie, puis je recouvrirai le tout avec un bandage. Il faut changer ce bandage régulièrement, au vu du niveau d'infection, je conseillerais tous les jours. Vous avez un soignant sur l’Église ?"
"Sur l’Église non, sur le convoi, oui"
"Donc, tu le changes toi-même, et je te laisserais un pot de pommade jusqu'à ce que tu rejoignes le convoi. Ensuite, laisse faire le soignant, il sait changer un bandage proprement"
"On peut aussi demander aux Églises d'à-côté s'ils on un soignant de libre !" fit remarquer Noah
"Oui, si vous en trouvez un, ce serait la meilleure solution"
"Je vais faire ça dès que c'est fait ici"
"L'autre chose, c'est l'antibiotique oral, car je crains que l'infection ne soit déjà en train de s'étendre. On prends nos médicament des Terres Australes, qui a une industrie pharmaceutique assez autonome par rapport au reste du monde. On n'a pas nos antibiotiques sous formes de gélules, mais de pots de poudres, dosées de telle manière qu'un gramme de poudre par jour serve à traiter les cas courant. Je vais vous demander d'en prendre deux par jour jusqu'à ce que ça aille mieux, un au lever, un au coucher, quand ça va mieux, vous prenez un gramme par jour au lever avant même de déjeuner pendant trois mois, ou jusqu'à ce que votre soignant vous dise d'arrêter, sinon, n'arrêtez sous aucun prétexte, c'est un coup à se retrouver avec des microbes résistants à l'antibiotique"
Sterling releva :
"Oh, vous venez du Sud ! J'ai dû croiser un ou deux des vôtres quand on allait faire de la prospection sur Southern Falls, c'est toujours assez incroyable de voir des gens passer dehors sans Église"
Noah continua :
"Si vous saviez ce qu'on raconte sur le Sud à Raxington ! Sérieusement, vous passez pour des espèces de mages noirs, ou je sais pas quoi. Tout le monde sait que c'est des craques, mais personne n'a mieux à dire"
Yandardi sorti une balance, alla prendre un verre, et pesa un gramme d'antibiotique.
"Vous avez une balance qui pèse les grammes à bord ?"
"Euh, je crois"
Noah soupira
"J'irais en chercher une en ville"
Quelqu'un lança du couloir : "je vais préparer ce midi. Tu préfères tes patates à l'ail ou sans ?"
"Avec ! Sans hésiter" répondit Sterling, avant de reprendre : "Désolé, on en était où ?"
"Les balances ?"
"Ah oui, est-ce que vous êtes des sorciers maléfiques qui transformez vos enfants en goules ?", lança Sterling devant l'air mi gêné, mi amusé de son fils.
"Désolé de vous décevoir, mais on ne transforme pas nos enfants en goules, on attends quand même qu'ils soient adultes, on n'est pas des monstres !"
"Vous faites pousser votre bouffe du néant ?"
"Vous avez déjà mangé un bout de soleil ? C'est très bon !"
"Vous avez pactisé avec le diable ?"
"La plupart n'ont même jamais entendu parler de ce gus"
"Fair enough !"
"Donc, tu peux boire ce verre d'eau ! Il contient l'antibiotique"
Verre d'eau qu'il avala d'une traite.
"Pour le moment, on a fait ce qu'on a pu, vous avez un téléphone ?"
"Vous pouvez appeler l'église, je vais vous laisser le numéro"
"Docteur, on peut parler un peu en privé ?" demanda Noah
"Sterling, on se revoit dans quelques minutes"

Même dans la maison de Dieu, l'on manque de médecins traiter les malades. L'exploitation des travailleurs aura laissé sa trainée de corps brisés.

Porte fermée, dans le couloir, Noah posa la question :
"Il va s'en sortir ?"
"Je ne sais pas. Il est pris en charge, il sait quoi faire. Il est mal en point, mais pas seul"
"Non, mais sérieusement, pas de blabla de toubib, je suis fort, je peux encaisser, il va y passer ?"
"Sérieusement j'en sais rien ! Des fois c'est comme ça, on peut pas dire, juste attendre et voir. C'est pas forcément la plus confortable des positions, mais eh, on a inventé l'espoir pour ça !"
"OK, OK, je te garantis qu'il va pas oublier une seule dose d'antibiotique, je veillerai au grain. Je peux prendre votre numéro ?"
"Oui, pourquoi ?"
"Je viendrais chercher les résultats et le traitement, et c'est toujours bon d'avoir le contact de quelqu'un qui sait gérer une infection"
"J'espère qu'on tient déjà le bon traitement pour être honnête"
"C'est une tête de mule, pas toujours très rigoureux, mais je l'aime, je vais pas le laisser"
"Il a donc toutes les chances de s'en sortir, et si ça suffit pas, c'est pas votre faute"
"OK, on y retourne, et on s'échange tous les numéros qu'il faut"

Pendant que Yandardi traitait Sterling, la neige s'était mise à tomber, si bien que le camp d’Églises se recouvrait à nouveau d'une couche de neige propre. Rentrer au centre-ville allait s'avérer plus difficile que prévu. Il se posa deux minutes à observer les motifs de la neige qui serpentait dans le vent près du sol. Il était difficile d'imaginer un futur où tout ça ne finirait pas sous la neige. Il prit son téléphone, regarda les dernières demandes, et en prit une : "Kerry Lowe, comédienne, blessure grave, annonce être couverte de griffures, elle n'a pas donné de détail sur leur origine. Quelqu'un prends ?"


"Allô, ici c'est Yandardi, celui qui a traité votre père. On a les résultats de la culture, c'était pas le bon traitement. Pas de panique, j'ai le bon antibiotique, et la bonne pommade, vous êtes disponible ?"
"Désolé, je ne peux pas venir tout de suite, vous avez une heure ?"
"Vu votre état, je ne compterait pas qu'une heure, et il faudrait aussi que j'aille dormir, pas grave, je vais tout lui apporter, et changer son bandage par la même occasion"
"Non, non, promis, j'arrive, je suis juste... Un peu dans le cirage..."
"Vous ne m'avez pas exactement l'air de pouvoir faire tout le trajet, bon, vous avez mon numéro si vous voulez une consultation"
"Non, non, je ne veux pas abandonner mon père. J'ai promis de faire ça bien, s'il vous plaît"
"Vous n'abandonnerez pas votre père parce que de temps en temps, vous allez pas bien, reposez-vous, il est pas seul, pas d'inquiétude"
"Je crois que j'ai trop bu... Mais je peux tout arranger"
"Non, mais reste au lit, dégrise, prends pas de risque, je viens après..."
"Promis, j'arrive"
Il raccrocha
Merde ! Pas sûr qu'il puisse être d'une grande aide cette fois-ci !
5709
L'expédition Pôle Sud et Mont Trinité suit son cours...

Majes-tueuses,

Ania Mutasaliq a écrit :


*Click*.... enregistrement 21, nous sommes le 25 Mars 2009, localisation estimée 85°33S 126°40W.

Nous faisons face à l'étape la plus difficile de notre expédition : la traversée de la Chaîne Trinité.

Cette chaîne de montagnes abruptes et massives qui traverse le sous-continent Paltoterranne est impressionnante de par ses dimensions et son altitude.
Sarah, notre géologue, nous précise que nous sommes face à deux plaques tectoniques qui s'entrechoquent avec une telle force et un chaos typique de l'époque de la formation des continents où le sol se disloquait à vue d'oeil et les éruptions volcaniques plongeaient la Terre dans des ténèbres millénaires.
Nous vivons un reliquat de ce passé avec la formation de cette "jeune" chaîne de montagnes, la Chaîne Trinité.

Les théories de la subduction, du rift, du volcanisme effusif et explosif semblent s'entremêler et malgré certains prélèvements, cartographies et schématisations, Sarah ne peut conclure à une situation claire de la situation géologique et volcanique de la région. En effet, nous avons croisé une foultitude (au loin) de volcans gris, dont quelques éruptions précédentes auraient pu être catastrophiques pour le groupe.
Les volcans effusifs font l'apparition dans cette étape de traversée de la Chaîne Trinité.
Et nous avons constaté un gouffre immense, tel celui d'un rift continental.

Les conclusions ne sont pas encore claires, mais l'hypothèse de deux plaques tectoniques qui s'entrechoquent est dorénavant obsolète. La Nivérée est composée d'une multiplicité de plaques lithosphériques qui ne forment aucunement une quelconque uniformité et simplicité de lecture. Cette particularité n'est pas unique sur Terre, néanmoins le sous-continent semble être morcelé par la puissance qui se déchaîne en ces lieux.

L'expédition n'a suivi que la Chaîne Trinité qui divise la Nivérée en deux, toutefois il y a fort à parier que d'autres régions connues pour un volcanisme actif subisse une fracture aussi complexe que constatée en ces lieux.


L'altitude n'aide, par ailleurs, certainement pas dans les conditions actuelles. Notre expérience et notre génétique, si je puis dire, jouent toutefois en notre faveur.
Le froid est omniprésent et le blizzard qui déferle des pentes abruptes de l'ascension de la Chaîne est un réel frein à une avancée franche à travers cet environnement très inhospitalier.
Nous avons de grandes inquiétudes vis à vis des chiens qui, tout en étant les réels héros de cette aventure, subissent malgré leurs fourrures épaisses, des blessures liées au froid perçant.
Sakina est la dernière chienne en date a nous avoir quitté. Les décisions que nous prenons pèsent de plus en plus sur le moral et je garde la responsabilité entière, et de fait l'action inhérente, de celles-ci...

...

...

... *sssnnn* ...

...

... Uuh Ruh uh...
Donc nous avançons difficilement à travers la Chaîne de Trinité.
L'objectif est de passer à l'Est des montagnes et se retrouver sur le haut plateau qui nous mènera vers l'Autoroute des Justes.

Je n'ai pas eu de retour depuis un certains temps du groupe de soutien qui viendra nous chercher à la bifurcation menant au Mont Trinité. Les véhicules massifs prêtés par les habitants de Raxington seront à la hauteur du voyage pour sûr. Nous avons hâte d'être bringuebalées par ces églises roulantes, ce sera certainement incroyable... extraordinaire !

Ainsi, nous avons atteint un des cols de la Chaîne avant hier, pensant que nous avions bien calculé le passage par le chemin le moins ardu...
Nous avions tort ou du moins nous ne pouvons en être certaines, car nous naviguons à l'aveugle dans ces combes plongées dans le brouillard sulfuré et le blizzard qui vous arrache la peau.

L'expédition est terrorisée à l'idée de tomber dans une crevasse ou frappée par le sérac.
Nous traversons des paysages enneigés et glacés, toutefois les tremblements de terre sont si nombreux et puissants que nous chavirons de nos traineaux ou nous tombons lorsque nous sommes à pied. La terre craque constamment, comme de lourds câbles ou haubans qui grincent ou s'arrachent dans d'étranges bruits raisonnants et profonds.

Hier, au creux de la nuit, le brouillard s'est levé des suites d'une tremblement de terre et la couverture nuageuse s'est illuminée de toutes parts d'un jaune orangé ténébreux.
Nous avions déjà compris que la chaleur s'immisça de toutes parts et commença à brûler nos pommettes guère plus habituées à des températures positives.

Devant nous, sans nous en rendre compte quelques minutes auparavant, nous faisions face à un danger imminent.
Sarah a pris la photo, je la transmettrais comme les nombreuses autres que nous avons prises depuis le début de l'expédition... confère photo en attachement numéro 417.
Le temps de démonter le campement et de s'éloigner aussi vite que possible, le jour avait repris ses droits derrière la chape de plomb grise à l'odeur d'oeuf pourri. Derrière nous, le ciel subissait d'étranges transformations et des explosions vinrent parachever cette éruption impromptue qui aura fait aucune victime, si ce n'est quelques arrêts cardiaques et des cheveux de plus en plus gris... Photo 418 à consulter.

Bref, je ne vous explique pas la panique... Je comprenais très bien les enjeux de cette expédition. Je comprends d'autant plus les regards obliques des habitants de Raxington à présent.
Le Mont Trinité doit subir les mêmes pressions et dangers au quotidien... Comment est ce que la communauté scientifique a pu passer à côté d'un tel environnement ?

... Bon je réponds un peu à la question en fait... les survols ne servent presque à rien... les expéditions sont aussi... compliquées... que la nôtre... Ilah soit louée, nous sommes toutes encore en vie...

...

...

...

... On va y arriver, toutes ensembles, mais il y a encore du boulot.

Ah et petit rappel protocolaire :
- Nourriture toujours à un niveau acceptable par rapport à la progression, nous ferons attention à partir du 30 Mars si nous n'avons pas quitté la Chaîne de Trinité.
- Capacités logistiques encore opérationnelles, nous disposons de suffisamment de chiens pour les traineaux restants.
- Tentes déchirées et raffistolées à maintes reprises, nous avons décidé de n'en utiliser que deux afin d'économiser les autres pour le cas où.
- Signal radio envoyé deux fois par jour sans réponses depuis le 12 Mars, radio toujours opérationnelle.





Carnet de photos


Eruption au creux de la nuit
Photo 417


Eruption et explosions lointaines
Photo 418



Carte et solution de traversée de la Chaîne Trinité



Carte de l'Expédition Pôle Sud, Mont Trinité
Nous avons clairement traversé ni à l'option 1 (bleu ciel), ni option 2 (bleu foncé).
Sarah confirme que les cartes sont hautement obsolètes et que la Chaîne Trinité est bien plus large et complexe que sur cette carte.

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Le monde du chaos s'étend, masqué par la météo très particulière des lieux...
L'ascension de la Chaîne Trinité dévoile des surprises et ses dangers...

Perverses,

Ania Mutasaliq a écrit :


*Click*.... enregistrement 24, nous sommes le 30 Mars 2009,

Nous avons traversé la chaîne de montagnes.
Ca y est.

Nous avions réussi à trouver un chemin à travers les hauts reliefs, passant entre les vallons, combes et surtout les flancs abruptes par endroits de cette glace qui recouvre presque toute chose, comme une carapace givrée. Les paysages, lorsque nous pouvions y voir clair à travers la chape de plomb de nuages gris, ont dévoilé un havre à pic, comme une foultitude de tranchants, de glissements brusques et de cisaillements sur plusieurs centaines de mètres de cette roches noires ou glacées.

La direction a été la bonne.
Nous avons progressé lentement, mais sûrement et nous avons fait face à un autre défis... et nous avons du faire des choix d'importance.

Le 28 Mars, nous avons buté face à un ravin, une paroi escarpée plongeant sur 100 ou 120 mètres pour rejoindre un glacier enserré, buriné et craquelant de toutes parts. Les couleurs blanches et bleutées s'enfonçaient dans d'immenses crevasses noirâtres qui nous firent frissonner.
Sur notre gauche, une montagne qui montait et se perdait dans la montagnes, donnant naissance au loin d'une sorte de dégueulement figé de glaces et morceaux immenses écrasés et disloqués en contrebas.
Sur notre droite, une autre montagne dont les sommets nous paraissaient bien gris par rapport à la normale... Nous savions de quoi il en referrait.

J'ai pris la décision... celle qui nous mettait en danger, mais qui était nécessaire.
Et nous avons essayé de créer un système de poulies et de paliers pour descendre les traineaux.
C'est Tanir qui prit les devants et descendit en rappel pour sonder la paroi et trouver un chemin adéquat.
Elle a fait des merveilles et nous disposions d'un plan de descente.

Je sais... faire descendre des traineaux chargés ou non, c'est extrêmement dangereux, mais nous avons tenté le coup.
J'étais plus inquiète pour nous et les chiennes pour être honnêtes...

Sept Paliers, sept arrêts pour un traineau, une remontée et rebelotte pour les 5 autres.
Nous avons descendu deux traineaux et leurs chiennes et nous étions vidées.
Et les fixations ont lâché, lorsque des séracs se sont décrochés.

J'ai pris une autre décision... celle de la raison, et qui nous épargnait sûrement nos vies.
Avec deux traineaux et des chiennes, des provisions suffisantes pour les quelques jours restant jusqu'à l'Autoroute des Justes, il nous a fallu abandonné équipements, traineaux et provisions en haut de ce glacier sur une corniche perdue dans l'immensité de la Chaîne Trinité.

Sarah a trouvé un chemin plus aisément qui nous permit de longer et remonter le glacier en amont un temps jusqu'à ce que celui-ci ne soit déjà de trop crevassé. Un bien maigre détour à comparer avec le risque de tenter une traversée d'un glacier éclatant par endroit dans des percussions et raisonnantes ténébreuses.

Je n'ai pas parlé du vent tiens... Quelle chance nous avons eu. Aucun vent pour la descente de la paroi.
Mais alors pour la traversée du glacier... j'en ai pleuré. La froidure était telle que les chiennes gémissaient et se déplaçaient collées les unes contre les autres, au risque de devoir s'arracher les poils avec la formation de la glace. C'était malheureux à voir et extrêmement douloureux à subir. Il doit y avoir un immense appel d'air juste en dessous de cette montagne... la Dégueulante, nous l'avons appelée... C'était une épreuve terrible et une fascination scientifique pour Sarah qui malgré le froid essayait de prendre des mesures tous les 100 mètres. Ce vent n'a certainement pas aidé à trouver un chemin stable et sans danger tant il créait alentour une coque de neige et de glace surplombant le glacier malmené, que nous pouvions discerné par transparence.
Les craquelures sont les traineaux ne nous ont pas précipitées dans les abîmes, Ilâh soit louée.

De ce fait, je pense que nous avons réellement dépassé les plus grandes difficultés de ce voyage.

Néanmoins, nous sommes à pied à présent et c'est lorsque nous voyons le bout de l'expédition que le temps ralentit et que chaque pas est plus lourd, dans ce pays qui n'a son pareil dans le monde.






Carnet de photos


Le glacier de la Dégueulante
Photo 477

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