Pharot n'était pas à proprement parler ce qu'on pouvait appeler une belle ville, mais pour qui savait y regarder elle avait son charme. Historiquement, c'était Albigark, la capitale, qui abritait le centre culturel de l'ancien Royaume d'Albi. Pharot, ville industrielle et bastion ouvrier avait été l'un des premiers bastions de résistance face à la monarchie et après la victoire, elle avait tenue à se démarquer de la noblesse en adoptant une architecture plus authentiquement populaire. En résultait une cité de brique rouge, puis de béton massif dans le plus pur style brutaliste des ingénieurs pragmatiques à qui on avait plusieurs fois donné pour tâche de moderniser la ville.
De toute façon, le Syndikaali accordait relativement peu d'importance à son architecture terrestre. Il aimait la beauté chez les autres, collectionnait les œuvres d'arts, tableaux et grands ouvrages de littérature que ses pirates et explorateurs ramenaient du monde entier, mais sur son sol on préférait l'aspect fonctionnel des grands bâtiments sans âme, transpercés de toute part par les fils de télécommunications qui assurait au pays une couverture réseau d'une qualité irréprochable.
D'ordinaire au Syndikaali, on aurait reçu une délégation étrangère avec des tirs d'artifices, des chants et des danses, des gâteaux et des hourras. Pour les Francisquiens, un étrange silence s'était abattu sur le port. Nulle foule ne s'amassait sur les quais, mais de nombreux curieux observaient aux fenêtres la délégation de l'Empire accoster, tandis que d'autres avaient suivi son navire approcher depuis le bastingage de leurs propres embarcations.
Au loin, on pouvait entendre l'agitation habituelle de la ville. Beaucoup de cris d'enfants et les braillements des travailleurs du port, dockers et ivrognes de concert.
Sur un quai militaire, la délégation gouvernementale pharoise attendait, composée d'une vingtaine d'hommes de la garde d'honneur et qui portaient d'étranges cirés militaires, ainsi que trois ministres du Syndikaali.
La Citoyenne Martta, Ministre des arts, de la culture et de la diplomatie, qui avait étudié le dossier francisquien pendant toute la crise politique des derniers mois, le Capitaine Kaapo, Ministre de la planification et qui s'occupait également de la sécurité intérieur et du contre-espionnage, et la Capitaine Elina, Ministre des explorations outre-mer, dont on ne savait pas vraiment pourquoi elle était là.
Diplomatiquement, la Capitaine Irja, ministre des armées, ne se trouvait pas là. Ses dernières tractations avec l'Empire Démocratique Latin Francisquiens avaient été jugées décevantes et une partie de la population continuai de juger que c'était sa gestion médiocre de la crise qui avait poussé à la mort des deux adolescents, ainsi qu'à l'entrée en guerre, même brève, du pays. Le choix de ces trois ministres étaient donc un geste plutôt positif et de bonne augure.
Quand le navire s'amarra à quai, les enceintes qui d'ordinaires servaient à annoncer des tempêtes diffusèrent l'hymne nationale francisquien, puis pharois. La Citoyenne Martta s'avança de son petit pas chaloupé et souriante.
- "
Bienvenue à Pharot, amis Francisquiens. J'espère que vous avez fait bon voyage ? Nous allons vous conduire jusqu'au ministère des affaires étrangères."
Les autres ministres se présentèrent et saluèrent également, suite à quoi on invita les étrangers à prendre place dans des véhicules militaires qui s'élancèrent à travers les rues animés de la ville avec pour toute escorte la voiture de tête qui avait retiré sa capote et criait aux gens de se pousser. Si l'accueil pouvait paraitre un peu austère, c'était en fait la marque de fabrique du Syndikaali. Il suffisait de voir les gens dans les rues, la gueule des bâtiments pour comprendre que tout ici avait quelque chose de relativement bordélique et peu encadré. Toutefois, cela grouillait également d'agitation, de petites scènes de vie à la sortie des bars, dans les marchés improvisés et les enfants qui couraient en tout sens. Ici un groupe d'ados entamait une petite danse bas-dessus bras-dessous, là une homme vouté lavait sa voiture en détournant le jet d'une borne incendie. Plus loin, un groupe de policiers semblaient en discussion animée avec deux jeunes femmes aux tenues aguicheuses, et partout des armes. Tout le monde se promenait fusil sur le dos dans le coin et si on se servait plus des crosses comme décapsuleurs que pour tirer, il n'empêche que cela donnait une ambiance un peu étrange, électrique. En quelque sorte, la nation tenait ses promesses : la ville était un repaire de marins pirates à moitié et voyous jusqu'au cou, mais tout cela semblait se tenir tout de même, par la force de l'habitude et d'une certaine culture de l'indépendance et de l'autogestion.
Pharot n'était pas si grande. En vérité elle s'étalait sur une langue de terre si bien qu'elle possédait deux ports : un au nord et l'autre au sud. Un canal les reliait mais à peine assez large que pour faire passer deux navettes côte à côte.
Enfin, on atteignit le ministère. Un épais bâtiment de béton aux formes vaguement stylisée pour évoquer des colonnades en sablier. A peu de choses près on aurait pu le confondre avec une usine de ciment.
Martta mena la délégation jusqu'à l'intérieur, toujours souriante, saluant les militaires qui jouaient aux cartes devant l'entrée, puis après avoir passé quelques hall et couloirs, mena tout le monde à un petit salon étonnement accueillant au regard de l'austérité du reste des lieux. Pendant qu'on s'installait, le Capitaine Kaapo s'approcha d'une table et mis de l'eau à chauffer.
- "Quelqu'un voudra du café ?" demanda-t-il. "On va avoir du boulot, je vous le dis."
Martta souriait toujours.
- "En effet, ce ne sera pas une mince affaire que de déloger les anarchistes. Ce sont de véritables moules accrochés à leur rochet ceux-là, et je ne vous cache pas qu'une partie de nos concitoyens et même certains députés leurs sont favorables..."
Kaapo grogna.
- "La Fédération Anarchiste, ouais, m'étonnerait même pas qu'ils les financent en sous-main de temps en temps. Et le Parti Pirate, mais eux c'est surtout pour faire chier, aucune conscience politique là-dedans."
Ce fut au tour d'Elina de prendre la parole. Sa voix avait quelque chose de rassurant.
- "Toutefois, le Gouvernement actuel est bien décidé à régler le problème, du moins nous ferons notre possible afin de rendre la région plus sûre."
- "Dans les limites de nos pouvoirs." précisa Kaapo en revenant avec la bouilloire. "Vous avez un plan, par chez vous ? Ou vous venez demander des conseils ? Ça fait un moment qu'on les connait, les anars, pour affronter cette engeance là faut un peu d'organisation sinon c'est un coup à essayer d'attraper de la fumée avec les mains."