24 septembre 2009
Cultiver sous serre, sur une terre hostile, deux projets similaires pour deux sociétés différentes.Ceux qui suivent savent peut-être qu'il s'est tenu en 2008 une
exposition universelle à Pembertøn, où plusieurs pays sont venus présenter leur dernières innovations technologiques. Le sujet de l'exposition sont les "Les innovations à impact positif pour l'environnement". Beaucoup de projets de biotechnologie y ont été soumis et l'Union y a participé. La station Drahe a du faire appel à une équipe de sociologue pour expliquer le thème aux chercheur des Terres australes, et ceux-ci ont continué à travailler sur l'exposition universelle par la suite. Il se trouve que Shuharri et le Lofoten ont soumis des projet en l'apparence très similaires, mais qui servent de formidable outils de comparaisons entre les sociétés lofotènes et shuharres. Les deux pays font face à un problème similaire : une terre trop froide pour constituer une agriculture en pleine terre, et la solution trouvée, c'est de l'agriculture hors-sol et l'aquaculture associée, et c'est sur ce point précis que l'on va se concentrer. L'équipe à récemment rendu un rapport qui sera synthétisé ici.
0. Que signifie ce thème ?La première question à laquelle a répondu l'équipe permet de poser le contexte. Voici une tentative d'explication de ce qui était recherché à l'exposition universelle. Il était donc demandé des méthodes que la plupart des participants n'utilisaient pas déjà, qui vont agir sur ce que l'on appelle l'environnement. L'environnement, globalement, est ce qui nous entoure, mais dans ce contexte, est plutôt sous-entendu environnement "naturel", c'est-à-dire l'environnement qu'un Eurysien ou un Aleucien considèrerait comme non affecté par les humains (héritage d'un mythe abrahamique de création de l'Univers où les humains auraient été créés après le reste des êtres vivant et doués de particularité qui les distinguerait du reste du monde). Maintenant, on cherche des innovations qui peuvent avoir différents impacts sur cet environnement naturel, mais il faut qu'il soit positif. Le terme "positif" implique une polarité, et dans le cas présent, une polarité morale. Les Hohhothaïens et les Tumgaones comprennent probablement l'idée, pour ceux des Terres australes, c'est plutôt un terme que l'on appliquerait à des valeurs mesurables comme des charges électriques ou des corrélations quantitatives. Un impact positif est un impact souhaitable, un impact négatif est considéré mauvais. Le référentiel moral qui doit être considéré est celui du Lofoten, il faut donc comprendre ce qui au Lofoten est un impact souhaitable sur l'environnement naturel, et donc, ce qui est un environnement naturel idéal au Lofoten, et là, le postulat de base est assez différent ce ce que l'on connaîtrait à Hohhothaï ou à Tumgao : le Lofoten hérite ici du monde abrahamique en utilisant des postulats conservationnistes. Avant de s'installer sur une terre, l'état de l'environnement naturel est le meilleur possible (car c'est celui qu'a créé une divinité supposée parfaite, mais l'idée s'est depuis largement sécularisée). Les humains, en naissant ou en s'installant dans cet environnement naturel, en héritent, et sont idéalement sensés le retourner dans le même état. L'activité humaine altère cet environnement naturel, et cette altération est nécessairement mauvaise dans la mesure où il était dans un état optimal avant l'arrivée des humains (à noter que selon l'époque et le contexte, certains peuples humains peuvent être considérés comme faisant partie de la Nature, il s'agit généralement de peuples autochtones sans État ne se nourrissant pas principalement par l'agriculture). Donc, ce qui est cherché ici, est une méthode peu utilisée par les participants, qui pourrait être davantage utilisée à l'avenir, pour aider les humains à ramener l'environnement naturel (que les humains ne sont pas sensé affecter directement) vers la composition et la structure qu'il aurait si les humains n'étaient pas présents.
Détail important : ce paragraphe d'explication du thème n'aurait pas été aussi important au Lofoten, où la plupart des gens ont une compréhension instinctive de ces notions et ne le conscientisent souvent pas. Il y a des raisons pour lesquelles les règles et institutions internationales servent d'outils de soft power : ceux qui font les règles peuvent imposer dans leur fondement même des idées et notions inhérentes à leur culture, souvent en les considérant universelles, ce qui amène au fil du temps à l'expansion et à la prise de pouvoir d'une culture dominante, plus efficace pour gérer les problème qu'elle pose selon ses termes, pour façonner le monde selon ses objectifs.
Les forêts pourraient avoir été plantée par des humains et le lac être issu d'un barrage hydroélectrique, que ce paysage pourrait être considéré naturel. La Nature est une notion très mouvante.
1. Qu'est-ce qu'une situation critique ?Les Provinces-Unies du Lofoten et l'Union des Terres australes de Shuharri ont tout les deux développé un programme d'agriculture sous serre pour faire face à une menace jugé critique sur la sécurité alimentaire. Au sein de l'Union des Terres australes, le programme d'agriculture sous serre devait également produire sous serre des composés non alimentaires tels que des composés textiles, ligneux, des supports d'écriture, des herbes médicinales, le programme lofotène se concentrant davantage sur la production alimentaire.
L'intérêt du Lofoten dans l'hydroponie et l'aquaponie est plutôt récent, vient des années 1990-2000', avec une première serre expérimentale développée en 2001 dans le Sud du pays. Les Terres australes construisaient alors des serres en pleine terre depuis les années 1980' et déployaient rapidement des serres hydroponiques.
Le risque critique auquel faisaient alors face les deux terres était dans les faits formulé assez différemment. Le Lofoten est un acteur majeur de l'économie de marché mondialisée et importe depuis des pays alliés, le besoin d'autonomie alimentaire réponds donc à un risque réel, mais diffus, de changement potentiel de la situation géopolitique mondiale. Les agronomes shuhs décrivent les risques en termes nettement plus directs et précis : les tempêtes hivernales bloquent régulièrement les routes d'importation et des séismes ou des éruptions détruisant les réserves pendant une tempête hivernale pourrait occasionner une famine. L'environnement d'une hostilité extrême dans laquelle les Shuhs des Terres australes doivent survivre rendent les risques alimentaires nettement plus intenses aux Terres australes qu'ils ne le sont au Lofoten.
Cette différence de risque causée par la dépendance alimentaire est amplifiée par des tendances démographiques diamétralement opposées : la population lofotène a terminé sa transition démographique et diminue régulièrement là où celle des Terres australes est en train de grandir exponentiellement sans signe de ralentissement. Plusieurs hypothèses ont été avancés pour expliquer la trajectoire démographique si particulière des Terres australes, la plus admise l'impute à l'organisation sociale du pays. Au Lofoten, l'élevage des enfants est du fait de la famille, et parmi la famille, principalement deux parents. Aux Terres australes, l'élevage des enfants est communautaire et peut impliquer un clan ou une tribu entière, et même au sein d'une famille, la polygamie est majoritaire dans la plupart des peuples là où elle est interdite au Lofoten. Une famille shuhe vit fréquemment avec des grands-parents voir des oncles et tantes, chose relativement rare au Lofoten. Cela réduit la difficulté que représente l'élevage d'un enfant aux Terres australes comparativement au Lofoten, dans la mesure ou la communauté peut mutualiser les temps de travail, les équipements, et se soutenir mutuellement, là où un élever un enfant est une responsabilité qui incombe principalement à deux personnes au Lofoten. Si cela reste une hypothèse à l'heure actuelle, la différence démographique est nette, et accentue l'importance de l'autonomie alimentaire aux Terres australes là où elle l'atténue au Lofoten.
Les problèmes alimentaires auxquels doivent répondre le Lofoten et les Terres australes sont donc assez différentes : pour le Lofoten, l'autonomie alimentaire est un enjeu géopolitique important, pour l'Union des Terres australes, l'autarcie agricole est un problème existentiel. Cela explique notamment pourquoi l'agriculture sous serre a été très rapidement déployée à grande échelle aux Terres australes là où elle reste expérimentale au Lofoten : au Lofoten, l'autarcie agricole n'a jamais réellement été une urgence, d'autres enjeux entrent en considération dans l'élaboration et le déploiement d'une technologie agricole.
2. Lendemain qui chante ou nouvelle tradition ?Les efforts de recherche dédiés et les acteurs impliqués sont très différents selon les deux régions. Le Lofoten à fourni des subventions à la recherche privée et une société nommée Ecogrowth a développé un système agricole non seulement hydroponique, mais vertical, en d'autres termes, le but premier est de densifier l'agriculture pour prendre moins de place au sol, et ce pour préserver au maximum l'environnement naturel. La volonté conservationniste est très présente dans la conception, et surtout la présentation du projet. L'adjonction de bassins de poissons sert avant tout des buts conservationnistes : altérer le moins possible l'environnement naturel en y dispersant des nutriments. Là, l'approche ressemble à celle des Terres australes : recycler les nutriments. La principale différence avec les Terres australes est la recherche est la diversité des productions recherchées et la volonté ou non de recycler entièrement les nutriments. L'approche lofotène du recyclage des nutriments est plus simple que l'approche shuhe, mais implique tout de même une dispersion des nutriments (car certains rejets des plantes ou des poissons ne peuvent pas être retirés) qui sera toujours plus faible que celle d'un champ fertilisé.
Aux Terres australes, le système agricole et le système de cyclage des nutriments sont la résultante de plusieurs projets de recherche agronomiques majeurs, impliquant la coopération de dizaines d'équipes scientifique, issu de l'ensemble des Terres australe, dans son acception élargie incluant Hohhothaï et Tumgao. L'adoption d'un tel système agraire est la résultante de l'effort coordonné d'une société entière pour s'assurer que le prochain hiver se passe dans les meilleures conditions possibles. Il y a eu un prix à payer : des semaines de travail intenses, et des changements sociétaux profonds. A l'époque où des milliers de nomades se retrouvent sédentarisés contre leur volonté, où la production d'électricité est un questionnement constant, où les sociabilités sont complètement chamboulée par les journées de travail à la serre, les Terres australes font face à une période d'instabilité intense, à des grèves à répétition, à une multiplication des dépressions. Autre changement majeur : chaque peuple commence à se construire une nouvelle culture agraire, où produire des tas de choses différentes du monde hostile qui les entoure dans un environnement qu'ils apprennent à maîtriser, devient une véritable source de fierté, autour de laquelle se constitue un groupe. Aux Terres australes le cyclage vise à recycler quasi-entièrement les nutriments, ce qui est lié à l'approche extrêmement long-termiste de la politique agricole des Terres australes, qui considère qu'une perte de nutriments poserait inévitablement problème, dans 20 ans, 500 ans, 10 000 ans, peu importe. A cela s'ajoute que l’eutrophisation de lacs ou de zones côtières, là encore, met directement des populations en danger, ce qui rends le compromis lofotène peu pratique aux Terres australes.
L'adoption des serres Ecogrowth au Lofoten impliquerait certains changements dans les habitudes alimentaires des Lofoten, mais la question n'est pas du tout abordée de la même façon. Le Lofoten forme une société beaucoup plus individualiste que les Terres australes, et donc, l'adoption d'un nouveau système agraire au Lofoten n'est pas tant considéré comme une décision collective qu'un problème de choix individuel de quel aliment on consomme (et la notion de consommation est essentielle à la compréhension non seulement de l'économie, mais de la culture lofotène). Il y a derrière une vision de l'humanité, pensée comme rationnelle et égoïste, souhaitant maximiser les ressource sur lesquels ils peuvent exercer un pouvoir, mais soumis à la pression sociale. L'adoption des serres Ecogrowth doit donc se faire en culpabilisant tout un chacun de consommer des aliments que ce système agraire ne peux pas produire, mais également fournir une gratification émotionnelle et sociale à un choix d'achat vertueux. Il revient alors à tout un chacun d'être réceptif aux même stimuli sociaux que les autres, ceux qui ne se sentent pas coupables ou reconnaissants de la même manière que les autres ont de mauvaises valeurs et sont marginalisés par la société. Ces mécanismes sociaux de culpabilisation, de gratification et de marginalisation permettent normalement d'obtenir au sien d'une société individualiste les changements rapides et souhaités que la planification et le travail collectif assurerait dans une société collectiviste. Ces mécanismes existent également dans une société collectiviste, mais là est le point : une société individualiste n'est pas une société égoïste, et de nombreuses techniques d'ingénierie sociale appliquée dans de telles sociétés jouent précisément sur la propension des gens à se soucier des autres. La principale différence est que dans une société individualiste, on cherche des personnes qui partagent les même valeurs morales et qui sont réceptifs aux mêmes stimuli sociaux, et ce, dans l'idéal, sans que des mécanismes sociaux visibles et admis comme tel ne les ait influencé, ce qui serait une privation de liberté, là où dans une société collectiviste, l'on cherche des personne qui sont loyales envers un projet commun, une telle loyauté n'est pas exigée au Lofoten.
Le cyclage des nutriments des Terres australes était justifiée par une notion de nécessité (bien que d'autres solutions auraient très bien pu être envisagée, comme la dispersion des populations, l'amélioration des techniques d'agricultures traditionnelles...), comment se justifie donc l'implantation des serres Ecogrowth ? Par un mélange de techno-optimisme et de conservationnisme. Côté techno-optimisme : de nouvelles technologie développée pour ce système agraire pourrait nous permettre de faire beaucoup de choses de choses que l'on commence tout juste à entrevoir. Cela stimule l'imagination et l'on peut rapidement devenir enthousiaste concernant le projet. Aux Terres australes, c'est exactement le genre de discours que tiennent les transhumanistes. Côté conservationnisme : dans la mesure où nous, Lofotènes, sommes des gentils, nous utiliserons notre pouvoir incroyable pour de bonnes choses : laisser la place à la Nature, par exemple en consommant moins d'énergie, d'espace, en rejetant moins de déchets. A noter que le projet vise l'agriculture verticale, donc une partie des plantes manqueront de soleil, et que si les cultures de feuilles comme les salades peuvent se contenter de LED UV et IR peu consommatrices en énergie, le projet vise également la production de fruits, qui nécessite des lampes horticoles fortement consommatrices en énergie. La consommation d'énergie du système dépendra donc des proportion d'aliments produits. Mais il s'agit finalement d'un problème technique, assez différent des questions émotionnelles que l'on mobilise lorsque l'on dit que l'agriculture sera positive pour l'environnement naturel.
3. Efficacité ou polyvalence ?La présentation lofotène de l'aquaponie, comparée à son équivalent shuh, présente beaucoup de chiffres : réduction de l’exposition au risque alimentaire de plus de 80%, réduction de l’empreinte carbone du Lofoten de 35%, à 99% autonome, produisant plus de 150 espèces différentes de légumes et de fruits et plus de 8 espèces aquacoles... Le discours shuh se concentre davantage sur le fonctionnement technique du système, sans réellement chiffrer les résultats, et s'intéressant d'ailleurs assez peu aux résultats. Cela est révélateur d'une différence majeure dans la façon dont est estimée la pertinence d'une technologie : le modèle d'aquaponie lofotène a vocation à être vendue, et fait donc l'objet d'un rapport marchand. Un investisseur cherche à s'assurer un retour sur investissement en prenant le minimum de risques, plus les variables sont connues, mieux c'est. Cela donne également une impression de sérieux et de rigueur au projet, quand bien même chiffrer des variables comme l'exposition au risque alimentaire ou l'autonomie est une tâche à la fois extrêmement complexe, et inévitablement réductrice. Les cyclage de nutriments des Terres australes est né dans un contexte très différent, au sein de projets de recherche qui ont également une vocation diplomatique. Le but même d'une bonne partie des programmes scientifiques des Terres australes, est d'inciter des peuples aux relations parfois tendus à se faire confiance. Le travail de recherche est plus important même que les résultats, bien que dans ce cas précis, le résultat souhaité était assez précis, mais non chiffré : l'autarcie agricole. Les chiffres existent également aux Terres australes, des mesures sont prises de partout, mais ce ne sont pas eux qui servent à convaincre la tribu d'à-côté que la méthode est utile, c'est plutôt le travail d'une bonne explication de la façon dont une technique permet de répondre à un besoin ou un souhait du groupe.
Mais cela implique un point important : les objectifs des serres Ecogrowth et des serres d'Okkaluin par exemple sont différents. Les serres Ecogrowth sont conçues pour produire un maximum de nourriture, de manière fiable et standardisée, avec le moins d'eau, d'énergie, de place et de travail possible. Les serres Ecogrowth doit s'insérer dans une industrie agroalimentaire la plus efficace possible, ne disposant d'aucune capacité de production inutilisée, et donc, à flux tendu, les chiffres et capacités de production doivent être connus à l'avance pour pouvoir mettre l'équipement à l'échelle. Les serres des Terres australes sont conçues pour une population qui utilisera la production, et qui doit donc pouvoir adapter la production de la serre selon les besoins et les envies. Cela implique des serres qui ne peuvent pas être optimisées pour un type de composé, et donc des pertes d'efficacité dans l'allocation de l'espace ou des lumières, le besoin de réaménager les serres entre deux récoltes, certaines pertes d'ergonomie. Les serres Ecogrowth sont prévues pour être automatisées au maximum, notamment par la robotisation des serres. L'automatisation est un enjeu tout aussi important aux Terres australes mais la région fait face à un manque chronique de ressources minérales et de pétrole, ce qui rends difficile la robotisation des serres shuhes, en plus de leur maintenance qui compromet la viabilité à long terme d'un tel modèle d'automatisation. Les Terres australe doit donc chercher un nouveau mode d'automatisation. A l'inverse, pour le Lofoten, la production d'OGM adaptés à la culture en serre est un horizon d'avenir, un travail qui reste actuellement de l'ordre du projet. Les Terres australes font de la transgenèse (et maintient des banques de semences) depuis les années 70' et produisent des variétés adaptées à la culture sous serre hydroponique, plantées en général aux côtés de variétés plus traditionnelles. Ces variétés shuhes, en plus d'être adaptés aux besoins de la société shuhe, sont également accessibles publiquement. Dans la mesure où la Thylacine corporation et Ecogrowth ont besoin de disposer de semences sur lesquelles ces compagnies peuvent exercer un pouvoir pour disposer des droits de ventes, elles doivent développer de nouvelles semences adaptées à leurs besoins. Certains problèmes ont reçu une réponse des deux côtés, mais assez différente : la gestion des épidémies de pathogènes des végétaux dans une serre Ecogrowth devrait se faire par des produits phytosanitaires "efficaces et à 0 impact environnemental" (sous-entendu : 0 impact à l'utilisation), c'est une solution qui promet un retour sur investissement financier car le produit pourrait être vendu. En garantissant qu'il est possible de tirer des revenus financiers de différents éléments de la chaîne de production agricole, il est possible d'encourager des acteurs privés à fournir les moyens matériel de construire un millier de serres par exemple. Aux Terres australes : les épidémies chez les plantes sont gérées en diversifiant les variété cultivées et en cas d'épidémie, en isolant des serres pour éviter que la maladie ne se transmette de serre en serre. C'est une méthode qui demande de la planification et du travail supplémentaire, mais qui demande peu de ressources supplémentaire, et surtout, qui peut être appliquée sans changement majeur à la plupart des productions.
Cette différence de conception finalement assez importante entre les deux modèles agraires montre bien à quel point les deux pays répondent à un problème similaire issu de deux contextes différents, et montre les contradictions inhérentes aux deux systèmes : les serres Ecogrowth s'insèrent dans un marché concurrentiel dans lequel des étrangers peuvent produire plus de nourriture pour moins cher, et doit donc être capable de dégager des bénéfices avec une agriculture qui demande très peu d'efforts. Il y a une raison pour laquelle les fermes verticales ne sont pas répandues, c'est que la production demande des moyens matériels importants et peuvent moins compter sur les économies d'échelles colossales que permettent les champs en pleine terre. Les serres lofotènes doivent trouver des avantages comparatifs pour être compétitives par rapport à la concurrence. Parmi ces avantage se trouve des améliorations techniques, la capacité de porter des valeurs de protection de la Nature avec lesquelles on peut culpabiliser ou gratifier des gens, et la capacité de standardisation industrielle plus difficile à obtenir en pleine terre. Les Terres australes n'ont pas besoin de retirer de bénéfices financiers à partir des serres, ce qui est attendu est beaucoup plus exigeant : fournir tout le monde avec ce dont ils ont besoin, et ce que la communauté souhaite avoir. Les serres kharines ne produiront pas les mêmes fruits et légumes dans les mêmes quantités que leurs équivalentes shues ou ilmardaises, car ils s'adaptent à une gastronomie très différente. A côté de ça, les Terres australes y affectent également plus de moyens. Le contexte est celui d'une région enclavée dans une terre difficile à atteindre où chaque peuple souhaite une maîtrise de ce qu'il mange. L'implantation d'un tel système s'est fait aussi en justifiant des sacrifices importants de la part de milliers de gens : des ressources allouées à l'agriculture, et pas à autre chose, et surtout, des heures de travail. C'est autant de livres qui n'ont pas été lus, de fêtes qui n'ont pas été organisées, de conversations importantes qui n'ont pas été menées, d'heures de sommeil manquantes, de bon plats non cuisinés, de temps non passé avec les enfants également... Il s'agit d'une véritable révolution agricole, avec le coût qui lui est associé. Au Lofoten, de tels sacrifices ne peuvent pas être demandés.
Champs d'hydroponie expérimentale du Lofoten, misant sur sur une spécialisation et une automatisation poussée au maximum pour produire de la nourriture très rapidement.
Hydroponie aux Terres australes, largement manuelle et utilisée pour différentes cultures.
4. Des animaux, des hommes, et des démonsLe dernier point abordé par le rapport concerne la façon dont l'implantation d'agriculture sous serre aquaponique ou associé à un cyclage des nutriments influence la position de l'élevage dans l'agriculture. Si les serres aquaponiques lofotènes peuvent produire de la chair de poisson, c'est avant tout la production végétale qui est visée. Il est considéré que la consommation de poisson ne pourra pas remplacer la consommation de viande actuelle, et les autorités lofotènes comptent également sur une augmentation de la proportion de végétariens et de végétaliens pour permettre à l'aquaponie d'assurer l'autonomie alimentaire du Lofoten (par le principe des changements dans les habitudes de consommation). L'augmentation de la proportion de végétariens et de végétaliens est déjà constatée au Lofoten, en premier lieu car la viande y coûte relativement cher et n'est pas aisément accessible pour tout le monde, mais également car il y est rattaché des valeurs conservationnistes. Dans les systèmes agraires Saint-Marquois, Aumérinois ou Eurysien desquels le Lofoten importe, et que connaissent les lofotènes, l'élevage est considéré comme une activité séparée de la culture de végétaux, et la production de viande se fait en nourrissant des animaux avec des productions agricoles, il faut alors plus de terre agricole pour nourrir un animal que pour nourrir un humain avec uniquement des végétaux, sans oublier les problèmes de pollution des sols et des eaux que pose la concentration d'animaux qui urinent et émettent des bouses au même endroit. Cela a conduit la viande à prendre une réputation écologique relativement sulfureuse au Lofoten, et à incité d'intenses débats sur la place de la viande dans l'alimentation lofotène. La troisième raison pour laquelle une personne devient végétarienne au Lofoten est d'ordre morale, issue de convictions animalistes. L'animalisme est l'extension de règles humanistes à d'autres espèces animales qu'une personne ou une population donnée considère comme disposant de capacités humaines, comme la capacité à ressentir des émotions. L'animalisme se construit par opposition au modèle humaniste qui en contraste considère que la sacralité de l'humain est un postulat de base, et qui hérite d'une vision de l'humain comme séparé du règne animal, et disposant de capacités considérées proprement humaines qui les distinguent des animaux. La conviction animaliste est ce qui explique le plus l'augmentation de la proportion de végétariens et de végétaliens au Lofoten en ce moment, et cela se traduit par l'adoption de
lois visant le bien-être animal.
Aux Terres australes, l'implantation du système de cyclage est ce qui a permis d'importer l'élevage alimentaire dans la région, qui fait partie intégrante du réseau de cyclage des nutriments en se nourrissant de certains déchets végétaux pour en produire une viande consommable. Effet réellement inverse de celui attendu au Lofoten sur la place de la viande dans l'alimentation. L'élevage est bien vu comme un moyen d'augmenter l'efficacité de la production alimentaire des Terres australes, ce qui n'est pas le cas au Lofoten.
Les végétariens et les végétaliens existent aux Terres australes, mais pas selon les mêmes conditions. La viande est gérée par la communauté comme n'importe quel aliment, et une part importante de la population chasse toujours pour se nourrir (ce qui là encore contraste avec le Lofoten où la chasse est considérée comme un loisir). La différence d'accessibilité de la viande est plutôt géographique, dans la mesure où obtenir de la viande est plus aisé dans certaines régions que d'autre. Certains villages isolés finissent tout de même par avoir une basse-cour. Les valeurs conservationistes ne sont quasiment pas présentes aux Terres australes, et l'élevage, en tant que moyen d'obtenir de la très bonne nourriture en plus sans avoir à investir des ressources et de l'énergie à la construction de nouvelles serres, jouit plutôt d'une bonne réputation. La consommation de viande reste basse aux Terres australes, mais n'est pas plus ou moins considérée comme un mauvais choix.
Philosophiquement, l'idée que les animaux disposent d'attributs humains n'est pas du tout étrangère. Il existe même d'importantes populations animistes qui voient dans les animaux des esprits. Il existe certains peuples pour lesquels il existe un interdit culturel ou spirituel, mais à part ces exceptions, et cela diffère du Lofoten, il n'y a pas réellement de corrélation entre la tendance d'une population à considérer un animal comme disposant d'attributs humains comme la capacité de ressentir des émotions, et la prépondérance du végétarisme et du végétalisme. L'effet plus important est le rapport à la mort. Au Lofoten, la mort est considérée comme un drame, et en premier lieu, un drame pour la personne qui meurt. Les Lofotènes s'accordent donc sur une tendance à vouloir éviter la mort à des êtres sentients. La vision de la mort des shuharris peut grandement varier d'un peuple à l'autre, mais les lofotènes apparaîtraient plutôt extrêmes dans leur valorisation de la vie sentiente. La mort est considérée beaucoup plus quotidienne aux Terres australes, présente absolument de partout, et les Shuhs vivent quotidiennement avec l'idée que leur environnement, même dans le monde habité, pourraient les tuer le lendemain. Ce qui fait que des shuhs n'acceptent pas de se tuer entre eux, c'est davantage la formation d'un groupe qui se soutient face à l'environnement qui les entoure que des qualités considérées proprement humaines. Des chasseurs shuhs, en tuant un animal, le considère souvent comme un adversaire, dans un monde ou la prédation est la norme, et un respect est souvent voué envers l'animal tué de la même manière qu'un adversaire tombé au combat (notamment chez des peuples guerriers, les Thurannis en premiers lieu). Globalement, l'idée de tuer un être sentient est loin d'être aussi dérangeant pour un Shuh qu'il ne le serait pour un Lofotène. Le végétarisme et le végétalisme se fait donc davantage par interdit culturel ou spirituel, par isolement géographique, ou simplement par goût personnel.
Le cas de l'élevage est particulier dans la mesure ou l'animal n'est pas tant un adversaire qu'une part de la société. Il mourra, mais en contrepartie, on lui doit le respect, cela incite davantage à installer les élevages au plus près des lieux de vie, et cela a occasionné des changements culturels. Une basse-cour est quelque chose de connu et la possibilité de caresser un yak ou de laisser un lapin se poser sur ses genoux devient de plus en plus quotidien. Cela amène la sphère humaine et celle du reste des animaux à s'interpénétrer davantage, et pourrait conduire à terme à une augmentation de la population végétarienne et végétalienne, où à un changement encore plus profond dans la relation qu'entretiendrait les Shuhs avec les autres espèces animales.
Résultat, on obtient des technologies ressemblantes, qui dans un cas évite la production de viande par efficacité et animalisme, et qui dans l'autre encourage la production de viande par efficacité au plus près des lieux de vie. Dans les deux pays, le principe de respect de l'animal et même d'identification à l'animal est bien présent, mais défini différemment.
Il s'agit globalement des principales différences de conception qui apparaissent dans les technologies agraires shuhes et lofotènes : des serres à vocation spécialisées ou polyvalentes, compétitives ou autarciques, recyclant ses nutriments de manière simple ou quasi-complète, standardisée ou planifiées, évitant l'élevage ou s'y associant. Et derrière ces choix, il y a un contexte social.