Niall Pheadair, dans un long manteau damann, était arrivé le premier à la
Forteresse de Ciardhai. Ce bâtiment de pierre grise était un chef-d’œuvre pour les Damann, cependant ce sentiment n’était pas partagé à l’étranger : La Forteresse était immense, robuste, inspirait la puissance par ses édifices imposants, mais n’avait pas un seul trait artistique ou original qui la caractérisait. Construite bien des siècles auparavant, cet édifice n’avait d’autre but que la guerre, mais il avait été rendu obsolète avec l’avènement de l’arme à feu ; le Progrès n’apportait pas avec lui que des bonnes choses.
Cela n’empêchait que
Pheadair était un fervent défenseur du progrès, et qu’il exerçait une telle pression sur l’ensemble des dirigeants qu’il en avait laissé sa patte sur la Constitution de la République révolutionnaire en promouvant le
Progrès comme étant une valeur de la République – et c’est ce qui la différenciait pleinement du Nhorr.
La salle où il vint patienter allait être le lieu où se tiendrait
une réunion qui allait marquer l’histoire du Damann. Cette salle, située au beau milieu du Donjon de la Forteresse, n’était seulement éclairée que par un ensemble d’ampoules de dernière génération qu’on pouvait peiner à trouver dans la région. Il n’y avait pas de fenêtres, car une multitude de pièces entouraient cette salle de réunion de chaque côté. Elle avait été pensée pour protéger l’ancien Roi de Ciardhai d’un assaut ennemi, et ce soir, elle servirait à éviter les regards indiscrets ou les tentatives d’assassinat ; car
quatre des six personnages les plus influents du Damann allaient s’y retrouver, pour discuter de
l’avenir du Front démocrate.
Tormod Cainn fut le premier à arriver. Leader des Fédéralistes, Cainn était un fier
traditionnaliste qui voulait tenter de revenir aux systèmes politiques
antérieurs à la Révolution tout en en respectant les valeurs. Cependant, contrairement aux Seannistes qui voulaient une Restauration, Cainn était un fier
partisan de la démocratie, et il s’entendait plutôt bien avec ses homonymes.
Anduin Deoir le suivit à quelques minutes près. L’ex-Consul, mais également le
fondateur de la République, tentait toujours tant bien que mal de maintenir cette petite démocratie. Mais Deoir avait été le
bouc-émissaire de tous les extrémistes : D’abord, il avait dû se soumettre à
Leoideach pour éviter de scinder les révolutionnaires en deux camps (mais c’était peine perdue). Ensuite, il avait dû
accepter que son parti se libéralise pour gagner quelques partisans à la veille des élections pour contrer
les Rouges. Puis, ce fut un échec et il fut contraint de temporiser avec Buiseid pour éviter une scission au sein du Front démocrate. Et après, on s’étonnait que Deoir soit si peu franc : il était bloqué entre les idéologies, et il n’avait jamais vraiment le choix quand il s’agissait de prendre une décision !
Enfin, après une demi-heure de plus,
Sineag Buiseid entra dans la salle. Elle était Consule, leader du plus important parti démocrate, les Rouges, et elle était la Damann la plus connue dans le monde grâce à sa détermination et son idéologie. Fière, intelligente, forte,
Buiseid contrôlait le Front démocrate d’une main de fer.
Pheadair, assis les bras croisés depuis longtemps au bout de la table de réunion, regardait silencieusement les trois leaders s’installer, et eut un rire intérieur. En vérité,
Cainn, Deoir et Buiseid étaient ses pantins, et aucun d’entre eux ne pouvait agir sans qu’il n’approuve la décision. Niall Pheadair était à la tête d’un très large réseau d’espions et d’assassins, et faisaient danser ses pions sur l’échiquier qu’était le Damann.
Il était leader des
Pluralistes, le parti « centriste » du Damann. Chez les Pluralistes, on réclamait une République très
tolérante,
libertaire, et ou chacun pouvait
trouver son bonheur sans s’inquiéter qu’un autre le décapite parce qu’il ne respectait pas ses idées. Les Pluralistes luttaient contre la plupart des extrémistes, mais étaient très respectées – voire craints – par les autres partis, et c’était notamment parce qu’il arrivait mystérieusement malheur aux personnes qui agressaient le parti.
Mais il était également le leader de la
Ligue pourpre, une organisation secrète composés de nombreux penseurs du monde qui voulait voir se créer une
Nation-Monde unie dans la diversité.
Et oui, avant la guerre, on blâmait Leoideach pour tenir les rênes du pays sans être consul, et aujourd’hui Pheadair riait car il faisait exactement pareil mais que personne ne le remarquait ! La pression pour la création d’un Parlement, c’était lui. La Charte de l’Alliance démocrate, c’était lui. L’acceptation par Buiseid des partis théocrate et asgallistes ainsi que de la Lutte impériale au sein du Parlement, c’était lui. La mission de Deoir de rallier le Grand Kah à la cause Damann, c’était encore lui !
Mais que voulait également le leader secret du Damann ? La démocratie ? Bah, tant que le Peuple est heureux, pourquoi aurait-il besoin de voter ? L’égalité ? Pheadair n’était pas partisan de l’égalité parfaite, qui signifierait tôt ou tard le chaos et l’anarchisme. Le pouvoir ? Ahah, il l’avait déjà !
Non,
Pheadair avait besoin de prouver au monde qu’on pouvait maintenir plusieurs idées au sein d’une même nation sans que celle-ci ne tombe dans l’anarchie. Ce serait la première étape pour la Nation-Monde, et pour cela, il devait gagner la guerre sans évincer les partis opposants. Et quand ce serait fait, quand le Damann aurait un gouvernement qui allie théocrates et démocrates, fascistes et individualistes, ou encore communistes et libéraux, alors il aura prouvé au monde que la Nation-Monde et possible !
La Ligue Pourpre vaincra.
— Bonjour à vous, chers collègues ! dit-il pour entamer la réunion. Comme vous le savez, nous sommes là aujourd’hui pour fixer l’avenir du Damann et du Front démocrate.
Le premier sujet dont lui et les trois autres leaders parlèrent fut
l’adoption d’un nouveau drapeau par le Parlement. Un long débat fut lancé entre Deoir, Buiseid et Cainn. Deoir était à l’origine de cette loi, et voulait un drapeau plus
progressiste et plus
significateur, qui rassemblerait le peuple sous un Etat-Nation et non simplement sous des traditions, qu’illustraient jusqu’alors l’ancien drapeau avec ses nœuds et son fond vert. Cainn accusait Deoir de
trahison, en clamant que ce dernier avait accepté l’ancien drapeau lors de la proclamation de la République justement pour ne pas fâcher les conservateurs, et qu’il avait toujours dit qu’il était parfait, puis que tout à coup il avait changé d’avis et que c’était une décision
trop hâtivement prise. Buiseid, toujours partisane de la création d’une République socialiste, en profita pour mettre en avant son projet de réécriture de la Constitution, et de l’adoption d’un
drapeau rouge aux couleurs conventionnelles de la Révolution, pour la scène internationale.
Mais Pheadair était d’accord avec Deoir, et comme c’était toujours lui qui avait le dernier mot, faute de ne pouvoir lui montrer d’opposition, alors on passa au sujet suivant.
Avec transition, on se mit donc à parler de la Constitution. Avec Buiseid comme Consule, tôt ou tard, la Constitution changerait, marquant le début d’une
Seconde République. Buiseid voulait donc, comme elle l’avait rappelé précédemment, une République socialiste avec un système économique proche du communisme – ce que le Peuple appelait le «
Buiseidisme ». Tormod Cainn était aussi un partisan du Buiseidisme, il était devenu au fil du temps de plus en plus favorable à une
République socialiste. Deoir, qui se devait de soutenir les mouvements libéraux de son parti pour ne pas en perdre le soutien, s’opposa fermement à cette décision. Et, cette fois, Niall Pheadair ne s’exprima pas. Pour le coup, la démocratie s’imposait, et ce serait au P
euple de choisir, notamment par une décision parlementaire.
On parla ensuite de la
guerre civile, et tous étaient d’accord qu’il fallait
écraser le Front Uni, car marquer cette victoire serait un élément fondateur d’un nationalisme damann réuni autour des mêmes idées – donc démocrates, et pas fascistes ou théocrates. Mais Pheadair n’appréciait pas cette approche, car cela ne plairait absolument pas à la Ligue Pourpre. Il devait résoudre ce conflit autrement que par les armes, et rattraper tout de suite la situation ! Sinon, ce ne serait absolument pas un bon exemple de
paix idéologique pour une Nation-Monde ! L’intervention étrangère était un fléau dont il avait perdu le contrôle, et il devait à tout pris renvoyer ces armées d’où elle venait avant que celles-ci ne se mettent à écraser tout le Front Uni. Mais sa volonté, il ne pouvait l’exprimer ce soir, car il s’exposerait beaucoup trop aux trois autres leaders, et ce serait un véritable danger pour lui.
Vint ensuite un débat sur l’«
Incident Pharois ». Si les pirates du
Pharois se mêlait à la guerre civile, ce serait un véritable chaos pour revenir à un Damann pacifique uni dans la
diversité idéologique. Des communistes qui se battraient contre d’autres communistes, les libéraux qui en profiteraient pour se séparer du Front démocrate, les pays étrangers qui mèneraient des interventions contre les libéraux ou avec les libéraux sans vraiment plus savoir qui défendre… Buiseid demanda à déployer toute l’armée damann contre ces
traitres à l’idéologie communiste, des barbares plus que des révolutionnaires ! Deoir, étonnamment, prit parti des pirates, et demanda qu’on organise
une rencontre avec pour s’expliquer sur ces désaccords. Tormod Cainn fut d’accord avec lui.
Puis, le mystérieux message de l’Empire (c’était comme ça que l’on appelait l’Empire démocratique des Etats latins francisquiens) creusa les méninges des quatre leaders : quel était le but derrière cette action ?
Que comptait -réellement- fait le gouvernement francisquien en accueillant les réfugiés si chaleureusement ? Une mission humanitaire ? C’était très douteux.
Pheadair aurait beaucoup aimé que l’Empire soit partisan d’une
paix idéologique au Damann. Mais il craignait que ce soit surtout une façon de retourner les Damann contre le gouvernement, et ce ne serait sûrement pas que dans un but de pacifisime, mais aussi sûrement dans un but de
créer un état fantoche à l’Empire.
Après maints débats, une
conférence de presse nocturne fut tenue aux portes de la Forteresse. Les décisions prises par les quatre leaders, confirmées « officiellement » par Buiseid (mais approuvées préalablement par Pheadair), furent celles-ci :
- Lancement de débats au Parlement pour l’établissement d’une République socialiste, avec une nouvelle Constitution qui instaurerait un nouveau système économique et qui promouvrait un nationalisme damann.
- Engagement de négociations pour arrêter au plus rapidement la guerre civile, pour éviter aux populations damann les atrocités de la guerre une fois de plus et pour une tolérance idéologique. Les pirates pharois qui ont causées l’incident au large de Ciardhai seront conviés aux pourparlers.
- Engagement futur d’un processus diplomatique pour partir sur de bons termes avec l’Empire démocratique des Etats latins francisquiens.
- Engagement d’un processus diplomatique avec le gouvernement pharois.
- Future clôture des frontières damann, et fermeture temporaire à la scène internationale, pour développer le nationalisme damann sans influence étrangère trop importante.