Posté le : 31 août 2021 à 22:53:50
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La remarque sur l'hypothétique teinte d'un chant politique kah-tanais eut au moins le mérite d'arracher un petit rire à la citoyenne Tetica. La plus jeune juge de Kotios était, paradoxalement, l'une de celle qui avait pris le plus à coeur l'idée selon laquelle leur petit tribunal concentrait désormais l'ensemble des pouvoirs de la cité. Organisant son bureau en conséquence, réclamant plus de moyens à son parti d'attache et organisant au moins au sein des "syndicats" et des "communes" organisées par le Club au sein de ses quartiers, des recensements divers et variés visant à éclairer la politique du tribunal spécial. Pourtant, en dehors de ce rire - si cristallin fut-il, elle demeura assez silencieuse. Elle était de celles qui écoutaient sans mot dire, préférant arborer le ton plaisant du consensus au moment opportun. En l’occurrence il ne lui semblait pas encore venu. En d'autres temps c'eut été au juge Rémi Sabbe de prendre la parole, tant le charisme naturel de l'homme avait fait de lui le représentant tout désigné des six judiciaires kah, mais l'homme était absent. Une très pressante affaire, potentiellement en lien avec la guerre, retenait son attention dans les geôles. Jolie manière de dire qu'il y procédait à l'un de ses interrogatoires fleuve, en compagnie d'officiers du Kah-tanais dont on disait qu'ils venaient des services de renseignement de l'Union.
Ce dut donc le juge Epoch Tonalnan qu pris la parole. Se raclant doucement la gorge.
Epoch Tonalnan : Je vous l'accorde il serait très plaisant de pousser notre avantage, et de marcher sur les positions de nos ennemis historiques. Mais en avons-nous les moyens ?
Epoch était un de ces grands brûlés. Ancien esclave, libéré tardivement durant la révolution. Sa haine des francisquien était bien connue de ses collègues, et le poussait à une intransigeance frisant le fanatisme sur toutes les affaires concernant leurs agents. Pourtant, c'était aussi un homme d'une grande finesse d'esprit, et bien au fait des réalités du terrain. Haineux, mais très loin d'être irréaliste.
Epoch Tonalnan : Nous avons bien trop à faire sur la Commune même pour nous engager dans une guerre. Une vraie guerre. La ville est déjà bout, sa population déjà à genoux. Elle n'acceptera pas de prendre un tel risque. Et puis… Les francisquiens nous donneront de très nombreuses occasions de déclarer une nouvelle guerre.
Il eut un sourire retors.
Epoch Tonalnan : Ils collectionnent les ennemis autant que les bourdes. Faisons de cette guerre une guerre froide. Ne provoquons pas le diable à la frontière. Demain son heure viendra, et nous serons tout à fait légitimes à aller le chasser. Surtout si nous amis protègent encore la commune à ce moment là. Il sera bien plus simple de les faire marcher sur l'Empire si c'est pour protéger une commune florissante et leur étant « utile », pardonnez-moi ce cynisme – que sur les injonctions d'un gouvernement provisoire sortant de guerre civile.
Il s'interrompit, captant le regard de la juge Helena Markos à qui il laissa la parole.
Helena Markos : Concernant les questions économiques les plus pressantes… Oh, nous ne sommes pas encore en train de parler de ça. Mais concernant ces questions, puisqu'elles pourraient motiver une guerre… Le Club du Salut Public a déjà plusieurs plans économiques datant de son arrivée en ville. Vous n'êtes pas sans connaître le passif de ses fondateurs, des ingénieurs, doctorants et experts kah-tanais. Nous ne sommes pas ici pour être partisans je vous l'accorde, mais puisque nous sommes les juges nommés pour représenter cette force politique il n'est pas surprenant que nous avons accès à des informations privilégiées à ce sujet. Donc. Il faudra l’aborder plus sérieusement au moment venu, mais nous pourrions déjà donner à chaque habitant de Kotios un petit lot de terre à cultiver. Si chaque habitant de la commune cultive un morceau d'herbe sur la pelouse de son parc de quartier, ou de son jardin, balcon, toi, trottoir… Nous pourrions créer une ville jardin où chacun produirait une quantité satisfaisante de vivres pour se nourrir et en échanger avec ses voisins. L'économie privée ne sera pas fondamentalement stimulée mais ça permettra de régler la question de l'indépendance agroalimentaire. C'est une solution déjà pratiquée dans les communes du Kah, dans certaines régions insulaires et dans certains pays en voie de développement. Ce que Kotios est, force est de le constater. Le Club avait aussi des propositions pour ponctionner des fonds au monde capitaliste via l'ouverture d'une place boursière contrôlée par le Gouvernement communal, et nous pourrions aussi nous endetter pour acheter une flotte de pêche. Mais il s'agit de sujets macro et micro-économiques si complexe qu'on ne peut pas vraiment les aborder par-dessus la jambe et sans des études.
Elle marqua un temps, que le juge Jeff Verhelst utilisa pour compléter ses propos, d'une voix ferme.
Jeff Verhelst : D'autant plus que la reconstruction de Kotios sera aussi la reconstruction de son modèle politique, économique. Des sujets idéologiques sur lesquels nous allons sans doute devoir nous pencher plus tard.
Helena Markos : Oui. Là où je voulais en venir c'est que la guerre n'est pas la seule mesure qui nous permettra de rapidement répondre aux problèmes qui vont se poser dans les jours à venir. Organisons des potagers, rapidement, faisons appel à l'aide internationale dès que possible, et assurons-nous le soutien des milices et des partis pour répartir équitablement les vivres le temps qu'il faudra. Quand il y a une crise économique, l’État doit investir. En l’occurrence nous ferions mieux d'investir dans l'économie que dans une guerre menée avec les troupes d'autres nations. Une guerre qui ne nous couterait pas des vies ou des moyens, mais bien la sympathie internationale, et donc l'aide dont nous dépendons.
Ce fut à ce moment que la juge Zéphyr "Tetica" Nicolalli décida de prendre la parole.
Zéphyr "Tetica" Nicolalli : Pour en revenir au sujet initial l'Empire se moque de ce que nous disons, si on en croit leur missive. Alors ne disons rien. Ou bien envoyons-les paître sans mettre une fin officielle au conflit. Nos alliés resteront ici puisqu'il y aura une guerre et nous pourrons attendre patiemment qu'ils installent leurs bases et leurs hommes pour officiellement terminer ou escalader le conflit. Qu'en dites-vous ? Franchement c'est le seul moyen d'être sûr qu'on ne nous fasse pas faux bond. Et pour ce qui est de l'union… Bah ! Des grands travaux, comme cette histoire de potagers. Une propagande médiathique sur l'Union sacrée. Des interviews des juges les plus charismatiques de cette honorable assemblée et des héros de guerre de la Commune. Je pense à la citoyenne Meredith mais ce n'est que la plus bavarde du lot. Utilisons la crise comme ciment fondateur. Ne soyons pas naïfs : c'est bien la naissance de notre roman national. Si le peuple accepte d'y croire avec nous et qu'on arrive à proposer des solutions directes à ses problèmes les plus immédiats il fera encore un petit bout de chemin en notre compagnie, sans trop se plaindre.
Acquiescement de quelques juges du Kah, Katrien De Roock, qui était restée silencieuse jusque-là, se permis une petite remarque conclusive :
Katrien De Roock : L'Ordre de la Croix Blanche pourrait-il prendre à sa charge les questions liées à la gestion des aides internationales ? En fait nous devrions tous demander à nos amis dans les différentes factions d'envoyer le personnel nécessaire à la création d'un groupe de travail, commissariat provisoire, peu importe, visant à gérer la question en notre nom. Ce n'est pas comme s'il y avait des fonctionnaires en dehors des militants...