C’était au travers de la répétition des gestes que les traditions perduraient au Jashuria et qu’elles pouvaient se transmettre et évoluer. Non seulement, cela permettait de conserver la mémoire des pratiques culturelles, mais en plus, cela donnait à chaque Jashurien le sentiment d’appartenir à une même continuité générationnelle. Ce que l’on faisait aujourd’hui, nos ancêtres le faisait avant nous et nous ont transmis leurs gestes. Ce n’était qu’au travers de la patiente et lente répétition des gestes que l’on pouvait non seulement espérer les améliorer, mais aussi en saisir le sens caché et la sagesse des anciens.
A ce titre, tout devait être parfait pour recevoir ses invités. L’écrin valait tout autant que le présent. Le Hall des Ambassadeurs possédait ses propres salles de préparation du thé, servant aussi à recevoir les invités. La préparation du thé, quant à elle, visait à sublimer les propriétés de la feuille de thé par des variables savamment maîtrisées : le choix du thé, la méthode d’infusion, le choix de l’eau et enfin, le temps d’infusion. Tout le reste, de la première gorgée à la manière de le boire, relevait d’un cérémoniel complexe que les Jashuriens appréciaient particulièrement expliquer à leurs invités.
Si les Eurysiens préparaient principalement le thé avec de grandes bouilloires et de grosses théières rondes, les Jashuriens infusaient leur thé dans des théières particulières en céramique ou en terre cuite capables de conserver sur leurs parois les tanins du thé, lui conférant une nouvelle texture, plus délicate. Certaines théières allaient même jusqu’à être réservées spécialement pour les thés aux feuilles fragiles, comme le thé jaune ou blanc, afin d’éviter d’en abimer la saveur. En un mot comme en cent, le thé jashurien était un art pris très au sérieux, avec des outils raffinés et adaptés au fil de millénaires de pratiques.
Si cet art pouvait sembler cryptique aux yeux des Eurysiens, il ne fallait pas s’y tromper. Un Jashurien vous préparant du thé selon le cérémoniel traditionnel était un honneur. Cette cérémonie était principalement connue dans le Nazum et respectée par les interlocuteurs internationaux.
La cérémonie du thé de ce jour visait à recevoir les augustes représentants de l’estimée fédération de Spaoya. La salle de réception spéciale donnant sur le jardin zen et un authentique bassin à carpes koï avait été réservée spécialement pour l’occasion. Le beau temps s’était installé à Agartha et la lumière baignait les jardins du Hall des Ambassadeurs en cette belle journée de juin. Les orchidées offertes par le Meijihua fleurissaient à la perfection dans le jardin et étaient savamment entretenues par les jardiniers du Hall des Ambassadeurs. Le Jashuria savait prendre soin de ce qu’on lui confiait et veillait à ce que ses invités, comme ses amis, soient bien traités. Il en allait de même avec les présents qu’on lui apportait.
Les boites de thé avaient été préparées à l’avance. Les Spaoyens auraient le choix du thé et il serait préparé devant eux par une experte, en la personne de la Première Ambassadrice. Il revenait à l’hôte de préparer lui-même la boisson, cela allait de soi. La Première Ambassadrice, en robe traditionnelle, attendait patiemment la délégation spaoyienne avec à ses côtés l’une des jumelles Malwani, qui officierait comme secrétaire de cette rencontre. Lalana Preecha était accompagnée d’Apsara Sirisopa, la ministre du cercle intérieur en charge des grands projets ainsi que de monsieur Bunkit Souvanatong, le ministre de l’écologie. Ce dernier avait insisté pour être présent à la réunion, bien que le ministère de l’écologie soit généralement particulièrement occupé. Apsara Sirisopa, elle, était une habituée du Hall des Ambassadeurs et une collègue que Lalana Preecha estimait. Bunkit Souvanatong était nouveau dans le jeu de la diplomatie, mais l’homme affichait un sérieux inébranlable.
Les invités spaoyens furent conduits avec le plus grand soin vers le salon de thé, où la Première Ambassadrice les attendait. Quand ils pénétrèrent dans l’enceinte du lieu, les Jashuriens les accueillirent chaleureusement.
Lalana Preecha: « Bienvenus à Agartha, chers amis ! C’est un plaisir de vous rencontrer en notre cité d’Agartha ! Je vous présente madame Sirisopa, l’actuelle ministre du Jashuria en charge des grands projets, ainsi que monsieur Souvanatong, l’actuel ministre de l’écologie. Quant à moi, je suis madame Preecha, Première Ambassadrice du Jashuria et votre hôte pour cette rencontre. Installez-vous je vous prie. Nous avons beaucoup à parler, mais avant … du thé. »