21/02/2015
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[RP] Pădure

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Pădure

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Sur la colline de Pădure, au pied de laquelle a été bâti le village de Câini, pousse une forêt noire que les quelques pâturages ne sont pas parvenus à repousser. Comme une frontière naturelle, les pins sylvestres se dressent droit de l’autre côté des clôtures et forment vus de loin une rangée de barreaux. L’orée est en Transblêmie ce qui sépare l’homme de la bête et les feux de Câini, qui ne compte que quelques centaines d’âmes, pénètrent difficilement l’intérieur du sous-bois.

Pour protéger les hommes et les bêtes, fut érigé autour du hameau un murin de pierres qui s’élève jusqu’à hauteur de gorge. Assez haut pour passer une tête par-dessus, et aussi un fusil. L’unique entrée, tournée vers la colline et les pâtures sur son flanc, est cernée de deux tours de bois reliées d’un ponton et sur lequel déambule quand tombe la nuit un veilleur. Sous ses pieds pend une longue enseigne de bois où ont été gravés ces mots : « Iată că vin lupii », « par ici viennent les loups ».

Montés de grands étalons noirs, vêtus de draps amples maintenus sur le corps par des lanières de cuir, le visage casqué de fer et masqué de tissu les chasseurs descendirent de Pădure, franchissant l’orée des bois, franchissant les clôtures en éparpillant les bêtes, crevant l’humide brouillard des hautes régions de Transblêmie.

Ils étaient cinq et rien ne les différenciait les uns des autres quoiqu’un seul s’exprima. Ils cherchaient une jeune femme, les cheveux roux et les yeux bleus. Elle ne devait pas avoir vingt ans, dirent-ils, malheureusement on ne l’avait pas vu à Câini et la journée déclinait lorsqu’ils s’en allèrent, promettant de revenir un jour, et malheur si l’on avait menti.

Se ascunde în pădure.
Cela rôde dans les bois.
Sur le bruit de la cavalcade, on referma les portes du village et on les barra d’une large poutre de chêne. Cette nuit, le vieux Victor versa un demi bidon d’essence dans son générateur et avec un vrombissement mécanique, tout au long du mur s’allumèrent des ampoules qui encerclaient le village. Les feux de Câini étaient allumés et projetaient d’étranges ombres dans le brouillard.

S’il fallait craindre la fille ou le retour des cavaliers, la chose était indécise, dans les montagnes escarpées on craignait autant la sorcellerie que le Grand Duc, qu’on soupçonnait à demi-mot de n’être pas complètement innocent dans les malédictions qui s’abattaient sur la région et la peuplaient de monstres. Quelque portail avait-il été ouvert que ces chasseurs de loups étaient chargés de refermer ou les actions impies du masque de perle avaient-elles attiré la colère du Tout Puissant sur la nation ?
Ce n’était pas des théories qu’on formulait à voix haute, car personne n’ignorait qu’un voisin complice aujourd’hui pouvait sous la torture ou les machines d’hypnose des grands inquisiteurs donner votre nom pour sauver sa peau. Seuls les plus jeunes du village n’avaient pas connu les procès en abomination menés par les agents des théoriciens de Transblêmie et les plus âgés gardaient marqués dans leur chaire le passage des chasseurs de loups dans la région.

Comme le mildiou, on ne pouvait que prier pour que cette calamité ne s’abatte pas sur Câini, tout en sachant qu’on n’y couperait pas éternellement et que d’ici là, des fois que Dieu soit à l’écoute, il fallait prier et se comporter comme un pieux. A moins bien sûr que depuis son palais, ce ne soit le Grand Duc en personne qui tende l’oreille ?
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Cristian

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Du pays qu'il habitait, Cristian Romanescu n’avait jamais rien connu d'autre qu’une succession continue de colline vertes qui, lui semblait-il, paraissaient s’étendre à l’infini, où qu’on porte le regard tout autour de soi. Des hectares et des hectares de forêts ondulantes comme des vagues dans le creux desquelles s'ouvraient parfois de maigres vallées où se nichaient de petits hameaux entourés de quelques carrés de champs.

Bien sûr, il n’ignorait rien des grands centres urbains qui, quelque part vers l’Est, ouvraient une porte sur le reste du monde et ses étrangetés. La capitale et les ports et la mer, tout cela on n'en parlait pas vraiment, même si quelque part, loin, on savait que ce monde existait. Parfois, des montagnes descendaient leurs cavaliers noirs, qui réclamaient des informations et souvent un tribut en nourriture et en bière et lorsqu’une fille était belle, l’emmenaient avec eux dans une grange pour n’en sortir que quelques heures plus tard et jeter – s’il était chanceux – une poignée de runes blêmiennes à son père.

Pour beaucoup de gens dont Cristian, les cavaliers noirs étaient le seul aperçu du reste du monde qui leur ait été offert. Si certains pensaient trouver en les rejoignant une opportunité de quitter l’isolement des villages, pour les autres il n’y avait là qu’une motivation de plus à chérir l’isolement. Puisque l’extérieur était peuplé de soldats et d’inquisiteurs, mieux valait s'en tenir au secret des montagnes de Transblêmie et apprécier à leur juste valeur le charme discret de ses mœurs et de ses paysages.

Cristian Romanescu était né à Câini, son père y était né avant lui et avait épousé sa femme qui elle venait de derrière la colline de Răceală. Avec Pădure de l’autre côté, elles enclavaient à deux complètement le village et lui coupaient l’horizon. Le seul moyen pour quitter Câini sans s’enfoncer de front dans les forêts qui recouvraient les monts était de suivre un sentier serpentant au milieu des bois et qui profitait du cour d’un maigre ruisseau sur plusieurs kilomètres pour contourner les collines.
Nicolae Romanescu et Rebecca Romanescu, ses deux parents, s’étaient rencontré à mi-chemin, à l’occasion de l'arrivée dans la région d’un marché itinérant où les nombreux villages des environs venaient proposer leurs produits. Nicolae avait dix-sept ans alors, elle en avait seize et apportait en dot une trentaine de chèvres et de moutons obtenus de son père, un grand berger de la région. Nicolae n’avait pas autant de bien, à peine quelques bêtes que vaillamment il emmenait paitre chaque jour et chérissait comme un trésor, mais les deux jeunes gens se plurent presque tout de suite.

Les gens des montagnes connaissent aux affaires de la séduction des secrets que les citadins peinent parfois à imaginer. Dans les mois qui suivirent, Nicolae fit promener ses animaux sur le flanc de la colline de Răceală, chaque jour un peu plus loin. Rebecca fit de même avec les siens et vint un matin où ils s’y rencontrèrent finalement. Ainsi commença leur histoire, d’abord secrète et romantique et bientôt officialisée quand Nicolae, après avoir demandé la permission à sa mère, s’en alla trouver le père de Rebecca dans son village de Ciudat. Après quelques négociations et que celui-ci ait se soit tourné vers sa fille et demandé d’une voix ferme si vraiment elle aimait « ce petit bonhomme qui n’a pas un poil sur le menton ni sur le torse » l’affaire fut conclue et les noces organisées.

La cérémonie eut lieu à Câini, dans le village du mari où habiterait bientôt Rebecca, en présence de leurs familles et des autres habitants. On tua six moutons pour l’occasion, cinq pour le repas et un laissé à l’orée des bois, pour que les choses qui y vivent ne s’en prennent pas aux jeunes mariés et épargnent leurs enfants à naitre.

Neuf mois plus tard, Cristian venait au monde, bientôt suivi d’Anastasia, Anna, Rebecca et Fiona puis les parents estimèrent que cela faisait suffisamment de dots à payer et décidèrent de ne pas prendre le risque d’avoir une fille de plus. Cristian était donc l’aîné d’une famille de cinq enfant qui ne seraient assurément pas de trop pour garder à l’œil la quarantaine de têtes de bétail leur appartenant. Un chien n’aurait pas été du luxe, mais ces bêtes là coutaient cher et avaient tendance à disparaitre dans les bois.



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Cristian avait l’âge de son père – dix-sept ans – quand s’en virent au village les cinq chasseurs de loup du Grand Duc de Blême. Il en avait déjà vu à plusieurs reprises, lors de foires régionales, à surveiller les commerçants derrière leurs masques noirs et aussi de loin, parfois, sur l’autre versant d’une colline, progressant à cheval au nombre de six ou sept, souvent l’un d'eux devant marchait à pied et la tête basse qui semblait chercher quelque chose au niveau du sol.

« Des sorciers que ces gens-là. » disait son père et « Méfie t’en, mais s’ils te disent de faire quelque chose, alors ne discute pas. » ce qui était assurément un bon conseil, et aussi « Quand ils viendront, tu cacheras les filles. »

Alors Cristian avait caché les filles quand ils étaient venu à Câini, dans les bois, et lui avait regroupé seul les chèvres et les moutons affolés par l’arrivée des cheveux et les avait rentrés à la bergerie du village. Lorsqu'il en était ressorti les cavaliers se trouvaient toujours sur la petite place de terre battue, devant la porte, à discuter avec le vieux Victor et d’autres hommes du hameau. L’un des chasseurs avait ôté son masque pour boire de l'eau du puits, dévoilant un visage juvénile, rougi par l’essoufflement. Il doit être à peine plus âgé que moi, se dit Cristian.

N-aș vrea să am surpriza neplăcută să aflu că ne-ai mințit, Victor.
Je n’aimerai pas avoir la mauvaise surprise de découvrir que vous nous avez menti, Victor. disait l’un des hommes toujours monté.

Siguranța oamenilor din acest sat este la fel de importantă pentru noi ca și pentru voi, iar ceea ce vânăm nu ar aduce decât urâciune în această regiune pașnică.
La sécurité des habitants de ce village nous tient à cœur comme à vous et ce que nous traquons n’apporterait qu’abomination sur cette région paisible.

Le vieux Victor hochait la tête à chaque mot prononcé, il semblait abonder dans le sens du cavalier de tout son cœur.

- « Nu va trebui să vă plângeți de noi ! Vom fi atenți, dacă monstrul va fi zărit în munți, veți fi primii care veți afla ! »

Bine.
Vous n’aurez pas à vous plaindre de nous ! Nous serons attentifs, si le monstre est repéré dans les montagnes vous en serez les premiers avertis ! Bien, répondait l’autre.

Visiblement, la conversation touchait à sa fin. Le plus jeune des cavaliers avait fini de boire et remontait à cheval, son masque rabattu sur son visage, tendis que celui qui s’était adressé à Victor réclamait du mouton salé pour ses hommes.

Sans les quitter des yeux, Cristian se glissa parmi la petite foule de villageois – essentiellement des hommes – rassemblés en bloc autour du vieux mais tout en gardant bonne distance avec les chasseurs de loups et prêts à disparaitre en un éclair dans les ruelles au besoin. Dans le lot, il y avait son père.

- « Fetele sunt în siguranță, dau ocol satului și vor intra în el prin spate... »

Les filles sont à l'abri, elles contournent le village et y rentreront par derrière, lui souffla-t-il. « Taci. » tais-toi, fut la seule réponse de son père.

On avait apporté plusieurs tranches épaisses de mouton enveloppées dans du papier pour les cavaliers et ceux-ci tournaient déjà bride quand leur chef fit mine de se retourner.

Se ascunde în pădure.
« Cela rôde dans les bois. »

Dans la foule quelques hommes se signèrent mais le cavalier sembla faire mine de n’avoir rien vu. Bien qu’officiellement hérétique, la religion du Christ était encore bien implantée en Transblêmie et jusque dans les rangs des garde-loups il se racontait que certains n’étaient pas insensibles lorsqu'on en appelait à la charité chrétienne.
Les cavaliers battirent les flancs de leurs montures et franchirent au galop les portes de Câini.

- « Dacă nu o găsesc, se vor întoarce. » dit quelqu’un.

S'ils ne la trouvent pas, ils reviendront. Plusieurs hommes hochèrent la tête, l’air grave.

Cinq cavaliers, ça ne compte pour rien, dit un autre, mais s’ils pensent que nous la cachons ils seront plus nombreux la prochaine fois. A nouveau on hocha la tête et Cristian fut du lot. Son père sembla le remarquer et lui décocha un coup dans l’épaule. Va voir si tes sœurs vont bien au lieu de te mêler des discussions d'hommes ! « Du-te și verifică-ți surorile în loc să te implici în discuții între bărbați ! »

L’épaule et les joues cuisantes, il s’enfuit en courant vers la maison.
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L’ascension

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Quelques jours passèrent qui devinrent bientôt des semaines et les cavaliers ne revinrent pas. Un soir, dans cette grande salle qui servait à accueillir les habitants du village au coin du feu et où se trouvait l’unique poste de télévision de la vallée, Virgil Cristea, l’épicier, évoqua l’idée que peut-être ils avaient trouvé la fille ailleurs et que la chasse était désormais terminée. Comme une incantation, la phrase sembla cristalliser le fait et mettant des mots sur ce que tous espéraient, en fit une vérité. La vie reprit son cours plus agréablement.

A plus d’un titre, Cristian en fut soulagé. De peur de savoir rôder là dehors les Chasseurs de loup du Grand Duc, sa mère avait formellement interdit à ses sœurs de quitter le village seules. On n'ignorait pas ce que faisaient parfois les soldats aux bergères dans la région. Personne n’accepta très bien la décision, les filles de se voir cantonnées à l’intérieur des barricades et Cristian de devoir se charger seul du troupeau. Mais on ne discutait pas les décisions de Rebecca et Nicolae soutint sa femme, ce qui eut pour effet de clore toute discussion.

Pendant la quinzaine qui suivit, le jeune homme eut à sa charge presque exclusive la quarantaine de têtes de bétails qui composaient leur cheptel, des bêtes farouches qui s’éparpillaient dans les alpages à la moindre vue d’un bouquet de chèvrefeuille si bien qu'il fallait sans cesse les compter et s'inquiéter qu'une ou deux manque toujours à l'appel. Au moins Cristian ne s’ennuya-t-il pas et rentrait fourbu le soir à la maison, vidait son assiette comme un mort de faim avant de s’en aller s’écrouler sur son matelas à l’étage.

Il accueillit donc assez joyeusement le retour des filles à la tâche et faisant valoir qu’il s’était tapé tout le boulot pendant qu’elles se la coulaient douce au village, demanda une journée de vacance. Ces dernières eurent beau lui rétorquer qu’elles avaient recousu la moitié de ses pantalons, dans un élan de compassion sa mère donna raison à Cristian et à la condition qu’il ramène du bois, l’autorisa d'un regard attendri à s’en aller promener.

La pauvre femme avait cessé d’exister en propre depuis longtemps et ne vivait désormais qu’à travers les commérages que chuchotaient les autres femmes du village, aussi sur la base de quelques rumeurs s’imaginait-elle que son fils s’en allait retrouver une fille de la vallée d’à côté. Elle se revoyait à son âge, projetait sur lui sa propre histoire. La fille s’appelait Anita, lui avait-on soufflé. Anita, en vérité, était la jument du meunier dont Cristian et ses amis Vlad et Stefan avaient eut l’autorisation de monter sur son dos s’ils la débourraient avant.

Malheureusement, Vlad aidait son père à l’atelier ce jour-là et Stefan travaillait toute la journée à la scierie, située un peu plus bas dans la vallée où une roue à aube tirait un maigre roulement du cour d’eau qui y sillonnait. Un moment Cristian envisagea d’aller le retrouver puis se ravisa. C’était un coup à écoper d’un nouveau tas de corvées par les bûcherons s’il donnait l’impression de se tourner les pouces, aussi prit-il le chemin inverse et remonta vers Pădure.

La colline et sa forêt se dressait comme une barrière naturelle entre le village Câini et le reste du monde. Habituellement, on n’en passait pas l’orée. Pour ceux qui voulaient aller à la cueillette aux champignons ou chasser le gibier, le bas de la vallée suffisait largement mais sur les hauteurs, mieux valait éviter. Cristian avait remarqué que c’étaient souvent les plus vieux que l’idée inquiétait, des angoisses de vieillard pensait-il et Stefan et Vlad étaient d’accord. Plus d’une fois ils avaient franchi la palissade des pins et s’étaient engouffré dans le sous-bois, jusqu’à y avoir quelques familiarités. Là deux rochers adossés l’un à l’autre faisaient comme une sorte de tunnel, ici se trouvaient des fraises sauvages et un peu plus loin une clairière avec de la luzerne.

Rien de bien effrayant, somme toute, sinon que l’étrange réputation de la forêt accompagnait chaque pas et de savoir qu’on n’osait guère s’aventurer par ici faisait planer sur les sous-bois un sentiment de solitude et d’isolement qui s’accentuait à mesure qu’en grimpant on s’éloignait du village. En vérité, rarement les adolescents avaient marché plus d’une heure dans la forêt de Pădure et lorsqu'il s'y engouffra seul cette fois, cette idée frappa Cristian. Malgré tout leur courage, leurs ricanement, jamais ils ne s’étaient tant que cela éloigné de l’orée.
Méditant songeur sur cette couardise impensée, au moment où l’habitude lui aurait dicté d’opérer un demi-tour il poursuivit plus loin dans les bois.

Comme pour se prouver quelque chose à lui-même il marcha une bonne partie de la matinée, chaque pas faisant autant sentir dans ses muscles l’escarpement de la pente que l’idée sourde et saisissante que c'était la première fois qu'il grimpait aussi haut et aussi longtemps.
Régulièrement, Cristian se retournait pour voir le chemin parcouru. Plusieurs fois il se fit la réflexion que vu d’ici, cela ne faisait pas beaucoup. La colline avalait les kilomètres passés laborieusement et à se frayer un passage dans les ficaires qui accrochaient ses chaussures il avançait beaucoup plus lentement que sa tête ne l’imaginait. L’imagination, c’est connu, va plus vite que la réalité.

A 12h sonnèrent les cloches de l’église et le jeune homme trouva une clairière où s'arrêter pour pique-niquer. Alors qu’il s’installait sur une souche d’arbre, il eut cette fois la satisfaction de constater que le village avait presque entièrement disparu de sa vue, masqué par la forêt. Cela lui procura des sentiment mitigés, mélange de fierté joyeuse et de vague crainte enfantine. L’espace d’un instant un nuage passa devant le soleil et la clairière ensoleillée lui parut un peu plus inquiétante. Il avala rapidement sa tranche de viande séchée et son morceau de pain et reprit son chemin.

Toujours l’accompagnait comme un compagnon de voyage la conviction rassurante que le chemin serait bien plus tranquille au retour, qu’il suffisait de dévaler la pente pour être de retour chez lui en une heure et que Stefan et Vlad seraient bien impressionnés lorsqu’il leur raconterait son périple. Comme un de ces explorateurs qui traversaient les océans, chaque mètre franchi ouvrait de nouvelles perspectives pour lui et ses amis. Finalement il n’y avait vraiment pas grand-chose à craindre dans cette forêt et la réputation de Pădure semblait bel et bien le fruit des fantasmes de paysans incultes. Son père avait beau lui donner du « fiston », s’était-il aventuré si loin et si haut, lui ?

Derrière l’arbre suivant, il tomba sur la fille.
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Une sorcière

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Plus femme que fille, elle devait avoir le double de son âge ce qui n’était pas si vieux. Sa tunique en mailles de laines avait autrefois dû être joliment colorée, aujourd’hui tout avait délavé pour retrouver la blancheur jaunâtre originelle des moutons. Le bas du vêtement avait été retroussé sur ses genoux et elle trempait ses pieds dans un petit ruisseau au-dessus duquel elle épluchait des tubercules. Les pelures s’en allaient vers le bas, de l’autre côté de la colline, Dieu sait où en fait. A voir ces morceaux disparaitre entre les pierres du cour d’eau, Cristian ne put s’empêcher de penser que, comme des petits cailloux blancs laissés dans la forêt, les épluchures pourraient permettre de remonter jusqu’à elle, si quelqu’un, en contrebas, se prenait de remonter jusqu’à la source.

Quand il cessa de penser, il constata que la sorcière le regardait.

- « Tu n’as pas peur que quelqu’un s’en serve pour te retrouver ? » demanda-t-il ?

Elle sourit. « Ça te préoccupe ? »

Il ne sut pas quoi répondre. La sorcière n’avait pas l’air intimidée par lui. Quand il l’avait découverte là comme ça, un peu à la dérobé, un peu en contrebande, il avait pensé que bien sûr elle prendrait la fuite à partir du moment où il se manifesterait. Sans doute lui l’aurait-il fait, si c’était lui que les chasseurs de loups s’étaient mis en tête d’attraper. Dès lors on n’avait plus d’alliés qui vaillent, plus d’amis sur qui compter, même plus de famille, bien souvent.
Mais en croisant ce regard bleu curieux qu’elle avait, et avait de nouveau braquée sur ses panais, il avait semblé tout de suite évident à Cristian qu’elle ne s’enfuirait pas. Et que des deux, il était sans aucun doute le plus intimidé.

En réalisant cela, il tâcha de se donner un genre, se décontracta un peu, facticement, et posa son avant-bras contre le tronc de l’arbre à côté de lui pour s’y reposer, envoyant espérait-il le message qu’il était disposé pour causer.

- « C’est toi la fille que tout le monde cherche dans la vallée. » dit-il, et il se sentit bête.

Elle ne répondit que par un demi-sourire, mais pas de regard. Les épluchures avaient plus d’intérêt que lui.

- « Tu t’appelles comment ? »

Cette fois, elle cessa d’éplucher et se tourna vers lui plus franchement. Un peu de son amusement taquin l’avait quittée. Cristian se sentit bien petit et son avant-bras crispé coincé contre le tronc de l’arbre, plutôt ridicule.

- « Tu ne devrais pas me parler. En fait, tu ne devrais même pas être ici. »

Il haussa les épaules, d’un air de ceux qui s’en foutent.

- « Pourquoi pas ? »

- « C’est le Royaume des sorcières. »

Si elle avait voulu lui faire peur, c’était raté. Les sorcières n’avaient pas de royaume, elles étaient des parias, comme les garous et les socialistes, leurs destins se confinaient à une longue traque dans les montagnes, ponctuée de malheurs à qui croisait leur chemin. Et quand on les trouvait – car les chasseurs de loups les trouvaient toujours – quand la traque s’achevait, le mal était vaincu par le sang et le feu et le calme revenait plonger les vallées dans une paisibilité fébrile.

- « N’importe quoi. »

- « Tu ne me crois pas ? »

Pour toute réponse, Cristian ricana. Il se sentait toujours bête, mais ne savait pas très bien comment faire en sorte d’arrêter.

- « Pourquoi personne ne monte jusqu’ici, penses-tu ? »

Il haussa les épaules. « Des gens montent. »

A son tour elle rit un peu, d’un rire plus sincère et plus clair qui faisait comme une trouée de soleil dans les arbres et s’élevait au milieu des bruits brutaux de la forêt. Un son d’humain, profondément humain, venant trancher sans cérémonie avec la religiosité des bois. Un rire qui se moquait du sacré.

- « Personne ne monte si haut et tu le sais. »

Le ton était toujours malicieux et comme la première fois, son attention se reporta sur les tubercules. Cristian sentit un fond de panique l’envahir, comme si ce désintérêt du regard pouvait suffire à mettre fin à la conversation, et à cette rencontre.

- « Je suis monté moi ! »

- « Et tu n’aurais pas dû. »

Toujours pas un regard. Il renchérit, désespéré.

- « Pourquoi pas ? Ce n’est qu’une bête colline ! Il suffit d’avoir une après-midi à perdre ! »

A son tour, elle haussa les épaules, d’un geste qui disait ‘tu ne trompes personne avec tes mensonges’ et un silence s’installa. Il y avait toujours le bruit de l’eau et les chants des oiseaux et un fond de vent dans les feuilles, mais enfin ça ne comptait pas.

- « Tu ne m’as pas dit ton nom. » tenta Cristian.

- « Ni toi le tiens. » répondit-elle sur le même ton.

- « Cristian Romanescu, j’habite Câini. »

- « Je sais. » dit-elle. Cela l’agaça. Elle se donnait des grands airs, mais ils fonctionnaient un peu sur lui.

- « Et toi ? »

- « Juste une sorcière. »

Le sang lui monta au cœur, il fit un pas en avant. Elle posa son regard sur lui, il regretta son attitude. L’espace d’un instant, il avait eu envie de la malmener, lui attraper l’épaule, comme à sa sœur qui faisait l’idiote, la secouer pour lui arracher brutal une information, un secret, une concession. Il était le plus âgé de sa fratrie et secouait souvent ses sœurs, ses petites sœurs, mais pas là.
Il n’y avait plus de tronc d’arbre ou poser crânement le bras pour se donner un genre, il était bras ballants.

- « Cristian Romanescu. » dit-elle.

- « Oui. »

- « Qui est entré dans notre royaume sans autorisation. »

C’était dit d’un ton taquin mais il se sentit mal à l’aise. Il fronça tout de même les sourcils, dans une forme de défi. Elle le releva comme on réajuste un chapeau.

- « Te voilà embarqué dans une sale affaire, j’ai peur. Ar fi trebuit să rămâi în valea ta. Înălțimile nu vă priveau. »

Tu aurais mieux fait de rester dans ta vallée. Les hauteurs ne te concernaient pas.

- « Cesse ou je te dénonce ! » cracha-t-il.

- « Tu ne comptais pas le faire ? »

- « Arrête ! Arrête de jouer ! »

Il était lassé de se sentir idiot et cette conversation n’avait pas de sens, pourquoi n’avait-elle pas fuit à son approche ? N’était-ce pas ce que faisaient les fugitifs ?
Elle se mit à rire, il n’en pouvait plus.
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L'autre flanc

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Ses panais épluchés, la sorcière avait mis abruptement fin à la conversation, pris ses affaire puis le chemin des hauteurs. Cristian remarqua qu’elle allait pieds nus mais tout de même plus vite que lui. Alors que le jeune homme s’accrochait les ronces dans le bas du pantalon et manquait de se tordre la cheville sur le sol incliné, elle, semblait toujours trouver le petit plat de terre dégagé où prendre appui pour progresser d’un pas sûr dans son ascension.

- « Attends ! » avait-il dit une fois, mais elle n’avait pas semblé l’avoir entendu et il n’osa pas répéter.

Pourquoi s’était-il mis à la suivre ? Parce qu’elle était la chose la plus extraordinaire qu’il avait vécu en dix-sept ans d’existence ? Parce que c’était une fille ? Ou parce que c’était une sorcière ? Tandis que sa tête perdait du temps à se poser ces questions, ses jambes et ses mains – le dénivelé s’accentuait régulièrement – continuait de le porter sur les pas de la fugitive. Elle transportait les tubercules dans un pli de sa robe de laine remonté d’une main, de l’autre elle écartait fougères et branches pour se frayer un passage dans le sous-bois, branches qu’une fois sur deux Cristian recevait dans le visage avec l’élan et la force souple du bois vert.

Dans leurs dos, le soleil avait commencé à décliner avec cette promptitude qu’a l’astre à disparaitre dans les régions montagneuses, où les crètes s’élèvent si hautes qu’elles plongent des vallées entières dans l’ombre dès la fin de l’après-midi. Cristian commençait à fatiguer. Sa journée de grimpette se rappelait à lui à présent et sorcellerie ou non, la fille semblait aller bien plus fraichement que lui. Une fois, il avait jeté un œil par-dessus son épaule, se demandant à quelle hauteur ils se trouvaient à présent et combien de temps il lui faudrait pour redescendre de Pădure, mais dans son dos il n’y avait que des arbres coagulés et la visibilité se perdait dans leurs branches.

La sorcière, elle ne s’était jamais retournée. A croire qu’elle se fichait de le savoir derrière elle, comme si ça n’avait pas d’importance ou qu’il allait bien finir par rebrousser chemin à un moment ou un autre, et cela le vexait autant que le motivait à lui prouver qu’il était capable de tenir le rythme. Mais plus ils progressaient, plus il semblait à Cristian que le sous-bois s’épaississait, alors que selon toute logique la montée aurait dû l’éclaircir. Ce n’était sans doute qu’une impression issue de la fatigue et des escarpement rocheux qui repoussaient des plantes hargneuses vers les chemins praticables, mais il se blessa à la main sur des épines et failli encore se tordre la cheville sur une mauvaise prise. La sorcière était épargnée par ce genre d’ennuis et un moment il sembla à Cristian qu’il suivait une sorte de spectre et cela lui fit peur. Si elle s’était retournée là, d’un visage grimaçant, probablement aurait-il débandé.
Elle ne le fit pas, il tint bon. Jusqu’au sommet.

Enfoncés dans la végétation on n’y voyait ni comprenait rien au haut du bas mais un instant ils progressaient encore dans les fourrés et celui d’après ils crevaient les arbres. Devant eux descendait en contrebas l’autre versant de Pădure. Avec le soir était venu le brouillard, la forêt en était nimbée, noyant sous un épais tapis blanc toute trace de vie qu’aurait pu abriter la vallée.

La sorcière s’était arrêtée et le fixait lui, semblant attendre une réaction. Il était essoufflé, autant par la montée que par la vision d’un flanc de colline inconnu ce matin encore et que la hauteur étendait loin à l’horizon, ouvrant sur d’autres collines boisées et d’autres flancs encore et ici et là pointant vers le ciel des montagnes plus hautes encore. Des îlots de roche et de sapins encerclaient des cuvettes de brume où sans doute devaient se nicher d’autres villages comme celui de Câini.

- « C’est la première fois que je vois ça… » confessa-t-il.

La surprise, la magnificence des montagnes de Transblêmie lui avait ôté l’idée de paraitre crâne. La sorcière sembla le comprendre, elle hocha la tête.

- « Pădure n’est qu’une petite colline, il y en a beaucoup d’autres, mais être monté sur une, c’est déjà pas mal. »

A son tour il fit ‘oui’ et il y eut un silence. Le vent était tombé, seul le bruit qu’il faisait en passant entre les feuilles, dans le sous-bois, avait pu donner l’impression qu’il soufflait fort. En haut de Pădure régnait une sorte de calme contemplatif, bercé par les lents mouvements de brouillards qui faisaient comme de la soupe s’insinuant épaisses dans les creux des montagnes.

Cristian eut envie de s’asseoir et de rester là. D’ici le soleil était à nouveau visible à l’horizon mais ne tarderait pas à disparaitre bientôt et l’ombre que projetaient les collines face à lui paraissait grimper à vue d’œil sur les hauteurs. Bientôt il ferait nuit en Transblêmie.

La sorcière enfouit ses mains sous sa robe de laine et soupira.

- « J’imagine que tu ne rentres pas chez toi ? »

Que pouvait-il dire ? Il secoua la tête. Quoi qu’ait pu le mener à suivre la sorcière ce soir, cette force demeurait quelque part. Soit qu’il ait été envouté et dans ce cas tant pis, soit qu’au fond de son cœur ait résidé une sorte d’attraction secrète pour ce qui viendrait briser son ordinaire. Alors là non plus, il n’y avait rien à faire. L’idée de retrouver les moutons ce soir lui pinça la gorge, il pensa aussi à ses sœurs. Ba, la famille survivrait à une nuit d’absence et tant pis si l’on criait abusivement au loup. Ou à la sorcière…

Celle-ci s’était détourné de lui et descendait à présent par une trouée dans les fourrés qui ouvrait sur un espace dépourvu d’arbres. C’était un large reste de champ en friche depuis des années rempli d’herbes hautes et de fleurs sauvages qui montaient à la taille mais où les bois n’avaient pas regagné tout le terrain, donnant vue d’en haut l’impression que la colline avait comme un trou dans sa barbe de pins. Alors que la sorcière s’engageait dans le champ, elle se tourna vers Cristian et lui fit signe de la suivre. Il se surprit à obtempérer sans questions, foutu pour foutu sans doute, espérant juste que la marche ne durerait pas encore une heure. Puis il fustigea sa paresse et s’engagea dans le champ d’un bon pas.

Il fallut compter tout de même une bonne trentaine de minutes à patauger dans l’herbe folle pour atteindre en contrebas l’autre côté de la forêt qui s’enfonçait dans le brouillard. Cristian se glissa à la suite de la sorcière, penchant la tête pour esquiver une branche basse et pénétra sans s’en rendre compte dans une clairière discrète où coulait un ruisseau. Au milieu se trouvait ce qui avait dû être une vieille scierie, laissée à l’abandon et où la sorcière avait visiblement trouvé refuge. Renversée sur le flanc, une roue à aube prenait la mousse.
Privée de celle-ci, la scierie avait l’allure d’une petite maison, presque entièrement recouverte d’un lierre fleuri et odorant qui donnait l’impression qu’elle se faisait doucement avaler. Au milieu des feuilles émergeaient des centaines de bougies de cire blanche qui reposaient dans des bols de céramique et faisaient comme une couronne au-dessus de la porte d’entrée.


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La sorcière grimpa les trois marches qui l’en séparait et la poussa en faisant grincer les gonds. Il n’y avait pas de verrou et Cristian soupçonna que quelque maléfice tienne la clairière à l’écart des visiteurs importuns. Le soleil était définitivement couché à présent, laissant dans le ciel des hématomes violacés et la clairière qui sans doute aurait pu paraitre enchanteuse en pleine lumière n’inspirait à présent plus qu’un vague sentiment de malaise et de honte.

Pourquoi était-il là ? Pourquoi l’avait-il suivi ? Était-il à ce point bête que la première fille rencontrée dans les bois l’emmène avec elle sans résistance ? Ou bien avait-il vraiment été victime d’un enchantement ?

Cristian était déjà en haut des marches quand il se figea sur le pas de la porte. A l’intérieur de la vieille scierie la sorcière avait allumé une bougie qui peinait à éclairer de sa flamme pâlotte des étagères de bocaux et des morceaux de ferraille aux allures de squelette.

- « Tu m’as jeté un sort ! » souffla Cristian avec une forme d’horreur teintée de reproche.
- « Du tout. » lui répondit la fille. « Mais si ça te plait de le croire, alors va-t’en, le sort est rompu. »

Il jeta un œil à la clairière derrière lui. Elle était sombre, à l’ombre de Pădure et Câini se trouvait de l’autre côté sur l’autre versant. Il faudrait plusieurs heures pour rejoindre le village et si Cristian avait bravé la colline aujourd’hui, dans un élan du cœur et de folie sans doute, les inquiétantes rumeurs autour de celle-ci n’en avaient pas pour autant disparu. C’était une chose d’explorer la forêt de jour, mais tout le monde savait bien que les monstres sortaient de nuit. Il se surprit à vouloir demander à la sorcière s’il y avait bel et bien des choses qui rodaient dehors, ou si, comme pour elle, les rumeurs ne disaient pas tout. Mais il retint sa question, de peur de passer pour effrayé.

Plusieurs bougies éclairaient à présent l’intérieur de la pièce. Elle était longue et large aux murs fins, avait sans doute dû servir à stocker les troncs à une époque et peut-être à l’occasion servir de dortoir pour les employés. Dans le fond, un épais tas d’herbes sèches et de fleurs servait vraisemblablement de couchette et le jeune homme se surprit à penser que cela devait sans doute expliquer cet étrange parfum délavé que la sorcière trainait avec elle, mélange de moisi et d’herbes coupées.

Elle se laissa tomber sur le matelas d’herbe, croisa les jambes et se saisit d’un bocal dont le contenu d’un bleu sombre paraissait profondément noir à la lumière tamisée des bougies.

- « Assieds, toi, ne reste pas debout comme un idiot. » Il se sentit idiot.

Il n’y avait pas d’endroit où s’asseoir alors il choisit le sol en parquet vermoulu, attaqué par des années d’humidité. Il n’y avait plus de bruit dehors, même pas un souffle de vent, juste le raclement de la cuillère en bois dont se servait la sorcière pour touiller l’intérieur de son bocal.

- « C’est quoi ? » demanda Cristian.
- « C’est pour toi. » répondit-elle d’un ton neutre.

Il ne su pas s’il devait se sentir flatté ou inquiet. Il était un peu des deux.

- « Mais c’est quoi ? »

Le regard de la fille se déposa sur lui, comme on observe un enfant un peu nigaud à qui il convient de tout expliquer longuement. Cette fois, il se sentit honteux et agacé. Était-il censé connaitre quoi que ce soit à la sorcellerie ? Qu’attendait-elle de lui au juste ?

Elle garda le silence un instant tout en soutenant son regard, puis esquissa un sourire victorieux.

- « De l’encre. Juste, de l’encre. Ce n’est pas une potion magique. »

Il se sentit légèrement déçu. A nouveau le silence s’abattit sur eux.

- « J’ai une question. »
- « Je t’écoute. »
- « Si tu vis juste de l’autre côté de Pădure, pourquoi les chasseurs ne t’ont pas déjà trouvée ? »

La question l’intriguait. La sorcière échappait à la traque des soldats du Grand Duc depuis des semaines, vraisemblablement plus, et lui n’avait eu besoin que d’une excursion pour tomber sur elle. Tout ça flairait l’embrouille. Une fois de plus, sa question sembla l’amuser. Faisait-elle exprès pour l’agacer ? Cela fonctionnait.

- « J’oublie souvent que les habitants des montagnes sont ignorants de beaucoup de choses de leur propre pays… »
- « Eh ! »
- « Ce n’est pas contre toi que je dis ça, vous êtes volontairement laissés dans cette situation. La Transblêmie a plus de secrets que de collines et les inquisiteurs de Blême gardent précieusement ces savoirs. Ceux qui les découvrent sont excommuniés et traqués par jalousie. »

Il ne comprenait pas. Elle du le sentir car elle soupira.

- « T’en dire plus ne serait pas bon pour toi, tu m’as suivi, je ne pouvais pas t’en empêcher, mais je ne te dois rien et sûrement pas d’explications. »

La réponse, prononcée d’un ton froid, le heurta comme un poing au creux du ventre. Il en resta vaguement interloqué. Tout ce chemin dans la forêt, ses explications énigmatiques et ses demi-mots pour se faire finalement refuser toute explication sous prétexte que… sous prétexte que quoi, d’abord ?

- « Pourquoi ? »
- « Tu n’as pas le caractère pour. Et tu n'es pas fiable. »

Cela l’énerva.

- « Je t’ai suivi juste que dans ta maison, qu’est-ce que tu veux de plus ?? Un engagement écrit ? »

Elle eut un petit rire franc, comme celui près de l’eau quelques heures plus tôt.

- « Tu sais écrire ? »
- « Un peu… » répondit-il non sans une pointe de fierté.

L’analphabétisme restait la norme dans la vallée de Câini et ses environs mais puisque son père et sa mère avaient un cheptel, il fallait au moins compter, alors pourquoi pas écrire ? De toute façon pour un berger il n’y avait pas grand-chose à faire de sa journée à part apprendre et déchiffrer laborieusement les lettres d’un vieux livre de conte faisait un bon exercice d’entrainement et une occupation passable.

- « Quel âge as-tu ? »
- « Dix-sept environ. »
- « A peine. »
- « Non, bien entamés. »
- « Soit. Disons que je ne refuse pas complètement ta candidature alors. »

Cristian paru interloqué.

- « Ma… ? »
- « Tu es en période d’essai. »

Ces mots n’avaient pas de sens pour lui mais il hocha la tête, prenant son parti de ce qu’elle ne lui avait pas tout simplement ri au nez.

- « D’accord, et je dois faire quoi ? »

A nouveau, la sorcière eut un de ses sourire qui l’irritait parce qu’ils disait sans mots ‘pauvre petite chose ignorante, tu as encore beaucoup à apprendre’ et ce genre d’attitude, Cristian avait cru en être débarrassé quelques années plus tôt quand sous l’œil ému de sa mère, son père l’avait hissé sur une mule : « Nous partons à la ville. » avait-il déclaré et cela voulait dire qu’en son absence on préparerait une cérémonie pour lui, à Câini, qui marquerait son passage dans l’âge adulte.
Elle n’avait pas le droit de l’infantiliser ainsi à nouveau…

- « Donne ton bas. »
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