Pour protéger les hommes et les bêtes, fut érigé autour du hameau un murin de pierres qui s’élève jusqu’à hauteur de gorge. Assez haut pour passer une tête par-dessus, et aussi un fusil. L’unique entrée, tournée vers la colline et les pâtures sur son flanc, est cernée de deux tours de bois reliées d’un ponton et sur lequel déambule quand tombe la nuit un veilleur. Sous ses pieds pend une longue enseigne de bois où ont été gravés ces mots : « Iată că vin lupii », « par ici viennent les loups ».
Montés de grands étalons noirs, vêtus de draps amples maintenus sur le corps par des lanières de cuir, le visage casqué de fer et masqué de tissu les chasseurs descendirent de Pădure, franchissant l’orée des bois, franchissant les clôtures en éparpillant les bêtes, crevant l’humide brouillard des hautes régions de Transblêmie.
Ils étaient cinq et rien ne les différenciait les uns des autres quoiqu’un seul s’exprima. Ils cherchaient une jeune femme, les cheveux roux et les yeux bleus. Elle ne devait pas avoir vingt ans, dirent-ils, malheureusement on ne l’avait pas vu à Câini et la journée déclinait lorsqu’ils s’en allèrent, promettant de revenir un jour, et malheur si l’on avait menti.
Sur le bruit de la cavalcade, on referma les portes du village et on les barra d’une large poutre de chêne. Cette nuit, le vieux Victor versa un demi bidon d’essence dans son générateur et avec un vrombissement mécanique, tout au long du mur s’allumèrent des ampoules qui encerclaient le village. Les feux de Câini étaient allumés et projetaient d’étranges ombres dans le brouillard.
S’il fallait craindre la fille ou le retour des cavaliers, la chose était indécise, dans les montagnes escarpées on craignait autant la sorcellerie que le Grand Duc, qu’on soupçonnait à demi-mot de n’être pas complètement innocent dans les malédictions qui s’abattaient sur la région et la peuplaient de monstres. Quelque portail avait-il été ouvert que ces chasseurs de loups étaient chargés de refermer ou les actions impies du masque de perle avaient-elles attiré la colère du Tout Puissant sur la nation ?
Ce n’était pas des théories qu’on formulait à voix haute, car personne n’ignorait qu’un voisin complice aujourd’hui pouvait sous la torture ou les machines d’hypnose des grands inquisiteurs donner votre nom pour sauver sa peau. Seuls les plus jeunes du village n’avaient pas connu les procès en abomination menés par les agents des théoriciens de Transblêmie et les plus âgés gardaient marqués dans leur chaire le passage des chasseurs de loups dans la région.
Comme le mildiou, on ne pouvait que prier pour que cette calamité ne s’abatte pas sur Câini, tout en sachant qu’on n’y couperait pas éternellement et que d’ici là, des fois que Dieu soit à l’écoute, il fallait prier et se comporter comme un pieux. A moins bien sûr que depuis son palais, ce ne soit le Grand Duc en personne qui tende l’oreille ?