La route flanquait les parois rocheuses, avec une glissière neuve, des gravats pilés grossièrement, une rigole mi-profonde pour évacuer les eaux du côté intérieur. A l’extérieur, derrière la glissière, une combe se dissimulait en contrebas à quelques mètres par endroits ou à plusieurs dizaines de mètres pour d’autres. Les arbres étaient encore nombreux à cette altitude et il suffisait de regarder vers les hauts pics qui se cachaient dans les nuages gris pour discerner la source de vie de l’Althalj, partout et massive, cette neige et glace prédominante que l’on disait autrefois… éternelle.
Cette nouvelle « route » se réduit du fait de plots oranges alignés pour laisser à des ouvriers tout loisir de continuer la pose du macadam, un rouleaux compresseur, de confection Banairaise, s’attelant à la tâche, le conducteur debout, la moitié du corps à l’extérieur du véhicule pour communiquer efficacement avec ses collègues. La cheffe donnait des instructions, un casque au logo GorillAth sur la tête tandis qu’un ouvrier affichait un panneau de la taille de sa tête indiquant au véhicule de passer.
Se déportant vers l’extérieur, le conducteur roulait prudemment afin d’éviter d’éjecter des cailloux sur les travailleurs.
Le macadam était posé par couches afin d’obtenir une stabilisation de la fondation, sur plusieurs centaines de mètres, les véhicules posaient et aplatissaient et enfin venait la pose du revêtement.
Et ce revêtement pouvait interpeller certains, car celui-ci était une spécificité Althaljir, qui avait été un investissement national de cette dernière décennie.
Non loin de la couleur de l’asphalte classique, il y avait une différence dans sa pose et au niveau de l’odeur. Vous savez cette odeur particulière du goudron. Ici, cette odeur était bien moins présente et interpellait.
L’Althalj utilisait la fibre de basalte, dans la lignée de la nécessité personnelle et Althaljir du respect de l’environnement. Les études de GorillAlth avaient été validées par la Sororité ; le coût de construction et de pose était plus cher, mais ce revêtement disposait d’une résistance plus importante que ses contreparties et par ailleurs l’Althalj ne tirait ainsi pas sur sa production minimale d’hydrocarbures.
Ils ont commencé en amont par le site de construction pour se diriger ensuite vers l’aval. C’est plus facile d’aller vers le bas… Il y a encore un bout de chemin. Vous verrez, ce sera plus agréable lorsqu’ils auront fini la route.
Le conducteur avait un fort accent Althaljir, mais parlait Français avec aisance.
Les experts Lofotèns regardaient avec intérêt les environs et les différences culturelles. Le bus, de marque Jashurienne, datait un peu, mais avait la réputation de durer et d’être de bonne facture. Dans l’Althalj, les véhicules étaient majoritairement du Nazum et du Banairah. Et ceci allait sans doute bientôt changer, car la Maktaba avait investi dans cette industrie dans l’optique de diminuer les émissions nocives et polluantes et trouver des solutions environnementales sur le long terme.
Dans cette Afarée sous développée, l’Althalj trônait avec le % de PIB le plus fort en matière de recherche & développement, aux côtés de l’Eurysienne Carnavale.
La Maktaba avait encore des ambitions d’augmenter les capacités R&D de l’Althalj pour rattraper des retards latents en recherche fondamentale et commerciale, mais surtout dans des domaines niches et d’importance toute relative outre-Althalj : la fibre basaltique, des automobiles moins polluantes, des concepts économico-sociétaux afin d’accompagner la croissance et redistribuer équitablement les fruits du succès de cette région Ouest Afaréenne ou orienter la consommation Althaljir vers une consommation raisonnable, dans les us et coutumes Althaljirs.
Et ici, au sein des montagnes, l’Althalj misait sur la production hydroélectrique.
Il n’était pas question de suréquipement ici, mais bien de la construction d’un nouveau barrage. Les études avaient été concluantes, la région, en aval vers l’Ouest de Tifuzzel, ne serait pas impactée négativement par cette nouvelle rétention.
Ils arrivèrent enfin vers un espace plus large de la route, où de nombreuses machines étaient garées. Des portacabines s’amoncelaient en un petit village, ou peut être tel un fortin postapocalyptique rangé en contrebas d’une masse rocheuse allant d’un pan de la montagne, surplombante et vertigineuse, vers le pan de sa sœur en face. Et en son centre, là où les deux montagnes s’entrelaçaient, les bras s’étaient déliés et un trou béant avait été creusé par un glacier autrefois massif et aujourd’hui disparu.
Le Tayaar Saghir (Alth : تيار صغير) était le nom de ce nouveau site de production hydroélectrique.
Pour les Lofotèns, il ne fut pas surprenant de voir qu'une usine de fabrication de béton avait été construite et brillait encore. De part et d’autre, le terrassement avait commencé et les pelleteuses et camions s’affairaient.
Les familles des experts étaient restées dans la ville principale à trois heures de route de là. Tifuzzel était la grande ville sur les Côtes Brisées.
Le vent séchait, l’humidité de l’océan rafraîchissait et l’herbe rase verte où paissaient les moutons, rappelaient certaines régions du Lofoten.
Dans des maisons récentes, les familles découvraient une société où la femme était omniprésente dans toutes les positions à responsabilités. Toutefois Tifuzzel était bien différente d’Asefsaf la traditionnelle et portait une attention toute particulière au concept de la « plénitude intérieure » ; à travers la religion, à travers la solidarité et l’écologie.
Les familles Lofotènes n’auraient pas accès à des hypermarchés ou aux malls de l’Aleucie, mais aux magasins d’un classicisme régressif avec l’once Afaréenne qui en faisaient les points de rencontre et de discussion des femmes, des hommes, des vieux et des jeunes :
La boulangerie et ses pains et pâtisseries sucrées à la pistache, la boucherie et l’agneau et le mouton ou la chèvre omniprésents,
L’épicier et ses conserves Tryloniennes et Banairaises et les bocaux Althaljirs et Fortunéens,
La lingerie et sa douce senteur locale d’une lessive Althaljir typique d’Asefsaf,
Le magasin de vêtements et les modes Pharoises pour les jeunes et traditionnelles et colorées Althajirs, de même que ses rouleaux de tissus et tapis à ne plus en finir, aux motifs nombreux et travaillés, ou les poteries blanches et bleues et des bijoux en argent à perte de vue,
Les terrasses paisibles ou des restaurants bruyants où les gens se retrouvaient autour d’une télévision à tube cathodique dans le coin en hauteur, diffusant un évènement sportif ou les nouvelles du monde et avec chance le dimanche les dessins animés pour les familles…
Et enfin l'Appel à la prière de la muezzine, qui vous fait frissonner d'humilité, du haut de la belle et ancienne mosquée.
La vie Althaljir était encore simple.