Posté le : 09 août 2022 à 19:43:11
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Les discussions d'usage sur l'organisation étant terminées, les dossiers plus compliqués revenaient à la surface, et il est inutile de dire que la désormais dénommée "crise du Prodnov" avait fait passé des nuits blanche à plus d'un au sein du Ministère des Armées. Si l'engagement militaire et logistique était minime, il restait symbolique. En s'engageant auprès de l'ONC, le Banairah laissait supposer sa complète adhésion aux opérations menées en Loduarie, opérations jugées comme impérialistes par une partie de la communauté internationale. Aussi bien, la question n'avait pas surpris Salid.
La difficulté du dossier résidait en la dissension qui régnait au sein même du conseil ministériel. Ce dernier avait été de longue date partagé entre différents points de vue et prises de position à l'international, mais la relative fermeture à l'international des années 90 à début 2000 avait évité de montrer ces querelles au plein jour. S'ouvrant peu à peu aux échanges internationaux en 2004 et durant les années suivantes, le Banairah avait réussi à soutenir une vision cohérente promouvant la démocratie et le commerce international, une vision appréciée par ses partenaires qui reconnaissaient le Banairah comme un état responsable et digne de confiance. L'ouverture de relations avec des pays au positionnement stratégique comme l'Izcalie, Novigrad ou encore le Jashuria avait permis dès lors de garantir les routes commerciales équatoriales si prisées par les acteurs économiques de la nation. Vis-à-vis du continent afaréen, les résultats avaient été bien moins convaincants. Le début de relations avec l'Althalj avait été un succès, et avait permis de pouvoir compter sur un partenaire fiable en Afarée occidentale. Néanmoins, les relations avec la Cémétie, première puissance afaréenne partageant la région est-afaréenne avec la République étaient au point mort, victimes de plusieurs retards administratifs et changements politiques à la fois dans les ministères banairais que dans l'hémicycle cémétéen. Quant aux deux sommets afaréens, ceux-ci avaient été une catastrophe qui avait sali l'image du continent par leur manque total d'organisation et de convergence politique et par les conflits dont ils se firent le théâtre. Le ministère accusait également d'un retard dans sa diplomatie, ne disposant pas par exemple de liaison avec Axis Mundis, la capitale de facto du Grand Kah, aux idéaux et problématiques pourtant similaires. Les détracteurs de l'administration Amza pointaient également l'ouverture de relations diplomatiques avec des pays pourtant oligarchiques comme le feu-régime des grandes familles des Eglises Australes Unies, une rencontre qui laissait un léger malaise considérant l'ironie du sort, le Banairah retrouvant le gouvernement révolutionnaire sur le sol austral à propos d'une organisation libertaire. La contestation avait de surcroît encore du grain à moudre avec l'adhésion à l'Organisation des Nations Commercantes. Les arguments en effet ne manquaient pas. Le Lofoten, concurrent direct du Banairah sur le marché du pétrole, connu pour son interventionnisme dangereux, n'était pas le seul à être critiqué par l'opposition. L'agressivité des lobbys novigradiens, notamment dans les secteurs concédés non sans protestations après signature d'un pacte avec le Banairah, faisait grincer, la mesure n'étant passée que de peu, surtout du fait du monopole du pétrole et des produits pharmaceutiques donnés en échange, une décision qui remonte les protectionnistes et les autonomistes. Ces deux courants par ailleurs bénéficient d'un nombre relativement important parmi la population et pourraient monter en puissance avec les événements. Parmi leurs potentiels alliés, les mouvements conservateurs (ou proches) qui dénoncent un pacte "comme à l'époque des colonies antiques de Novi" pourraient fournir des cartouches à la potentielle coalition qui pourrait se former à l'encontre du ministère. La Fédération d'Alguarana n'était pas non plus en reste dans le vaste capharnaüm qui agitait la société banairaise, au point qu'une écrasante majorité de l'opinion s'accordait à dire que ce pays n'était pas digne de confiance. Les exemples étaient multiples et certains concernaient directement le Banairah : la guerre civile varanyenne qui avait abouti sur la constitution d'une république aux relations peu claires avec la Fédération, l'invasion du Pontarbello et la mise en place par Aserjuco d'une dictature militaire, et encore plus récemment des soupçons vis-à-vis du gouvernement de participer à la désinformation au sujet d'exactions commises au Vinheimur via des journaux nationaux aux allégeances politiques suspicieuses. Pour couronner le tout, la vente -fait désormais connu et vérifié- de missiles à l'état francisquien avait défrayé la chronique, ces missiles ayant été à l'origine du massacre perpétré par l'empire via la destruction d'un aéroport international à Baidhenor, occasionnant entre autres la mort de 5 Banairais.
L'administration Amza et ses partisans quant à eux se défendaient en pointant du doigt l'impérialisme grandissant du géant pharois qui malgré son parti pris pour la démocratie et l'anti-autoritarisme usaient de stratégies similaires pour asseoir sa domination. Parmi ses plans peu appréciés : l'usurpation de territoires maritimes listoniens en contre-partie d'armes au service de la politique internationale instable et dangereuse de la couronne, ce sans compter le risque d'attaque pirate sur les convois maritimes banairais depuis une base de repli dans l'enclave de Jadida, des convois pourtant essentiels à l'économie banairaise, notamment pour son exportation de produits pétroliers ou ses importations de minerais et de produits agroalimentaires. Le Grand Kah quant à lui bénéficiait d'une bonne appréciation malgré des incompréhensions culturelles, mais connaissait un tel succès économique du fait de son grand territoire fertile et peuplé, deux facteurs cruciaux pour une économie et dont ne disposait pas le Banairah, qui n'a jamais eu autre chose que ses idées et ses ressources du sol à exporter. Les Eglises Australes Unies se rapprochaient des contraintes expérimentées par la société civile banairaise, mais étaient probablement fortement dépendantes d'importations massives depuis Paltoterra où elles pouvaient de facto compter de multiples alliés fiables. L'adhésion à l'ONC était également un moyen de concilier cette nécessité d'importation via sa facilitation au niveau mondial, et la volonté de la protection de la démocratie, celle-ci étant à la base ancrée dans les principes de l'organisation. Entrer au sein de l'ONC signifiait également contrôler ses dérives, chose qui n'avait manifestement pas été réussi, via le droit de veto ou du moins une protestation en bonne et due forme d'un membre qui malgré sa relative importance comptait pour son positionnement et ses ressources. L'adhésion au Liberalintern était par ailleurs une façon d'équilibrer la politique extérieure du Banairah, car si les deux organisations constrastaient pour le moins dire, elles répondaient à une demande duelle de la population : la protection de l'idéal banairais et de l'avenir économique du pays.
En un mot comme en cent, la situation était tendue au sein du ministère, et les débats y faisaient rage. Alors lorsque Novigard avait annoncé la tenue d'exercices coordonnés en mer leucytaléenne, l'atmosphère était loin d'être favorable, tant et si bien que la demande avait failli aboutir à une fin de non-recevoir, et qu'au final la mauvaise communication vis-à-vis des réels objectifs de la manœuvre avait entraîné un quiproquo à l'origine de l'appui de la marine nationale aux côtés de celles des membres de l'ONC, premièrement en Leucytalée, et deuxièmement au Prodnov. L'affaire était fâcheuse, et même si les décisions prises avaient paru justifiées, elles donnaient désormais envie à l'exécutif de prendre le tournant de la neutralité pure et dure.
C'est en ce contexte délicat que Salid devait sauver l'honneur, à savoir expliquer la décision de l'exécutif tout en ne s'humiliant pas et en gardant la confiance de ses prochains alliés.