12/07/2013
12:48:30
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Sommet Banairah-Liberalintern

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drapeau de l'Internationale Libertaire.


Raxington était en ébullition, plus que d'habitude. La ville et son Haut Château pour les Liaisons devait accueillir aujourd'hui sa première délégation étrangère au nom de l'alliance qu'ils avaient rejoint il y a peu. Le fait que le vote pour rejoindre la dite alliance avait été mené après que les diplomates glisois avaient par eux-mêmes engagé le pays avait créé une sorte de tension entre fonctionnaires, qui s'était vite résorbée quand le Purgatoire avait confirmé par une écrasante majorité leur participation. Aujourd'hui, pas de place pour le cafouillage, tout ce qui pouvait être préparé l'avait été. Les dignitaires étrangers avaient été escortés au coeur des rues labyrinthiques de la capitale glisoise, et à les entendre, le voyage n'avait pas été déplaisant pour les yeux. Si la majeure partie de la ville était engoncée dans ses énormes blocs carrés gris et sans saveur, la route entre l'aéroport récemment transformé en aéroport civil ouvert au public et le Haut Château aux Liaisons était remplie de surprises architecturales, multiples expériences menées par les esprits glisois.

Le Haut Château lui même était une oeuvre d'art, parfaitement isolé pour ne pas mourir de froid et décoré avec goût. Les négociations avaient lieu dans une petite salle aussi bleue à que le bâtiment où se tenaient les dignitaires des pays concernés: Le Grand Kah, Le Pharois Syndikaali et le Banairah. Peu de gens étaient présents dans la salle, par faute de place, et on soupçonnait les organisateurs d'avoir choisi exprès un cadre confortable, presque informel pour mener les négociations. Le message était clair: pas la peine de monter sur ses grands chevaux lorsqu'on venait en ami. Parmi les dignitaires, Siegfried Ardern, attaché diplomatique glisois pour le liberalintern. Il semblait être extrêmement satisfait de lui-même et arborait un sourire smug qui affichait ostensiblement sa satisfaction. Il y avait de quoi: c'était le premier qui avaient passé haut la main les tests de Molly Harris pour entrer dans le service diplomatique, et qui n'avait donc pas profité d'une quelconque sympathie de la part des chefs de l'endroit. Ardern était fier de ses compétences, et mettait toujours un point d'honneur à exiger le meilleur de lui même. Autant dire que ses patrons le respectaient, mais ne l'appréciaient pas particulièrement. Balai-dans-le-cul-et-trop-arrogant ou quelque chose comme ça, disait Dallas dans son dos..


Siegfried
Siegfried Ardern, pour vous servir.

Quand tout le monde fut installé dans les petits canapés bleu clair, Ardern posa son thé sur la petite table en verre avant d'entamer un petit discours d'ouverture avec son sourire colgate.

-Chers amis, je vous souhaite la bienvenue à ce sommet entre la très grande nation du Banairah et notre grande alliance libertaire. Je me nomme Siegfried Ardern, j'espère que vous avez fait bon voyage et que le climat ne vous a pas rebuté. Nous sommes ici, comme vous le savez, pour discuter de nos pays et organisations respectives dans le cadre du Haut Château aux Liaisons. Je vous propose de faire un tour de table en guise de présentations avant de passer aux questions que vous pourriez avoir à propos de notre organisation, chers invités.

Il se remit un peu en retrait dans son fauteuil, passant la balle aux autres représentants.
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drapeau de l'Internationale Libertaire.


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Lorsqu’on lui demandait des informations sur son parcours, et plus généralement sur sa vie, le Professeur Olli Severi répondait invariablement qu’il était né à Kanavaportti, au sud du Syndikaali, où il avait fait des études de lettres modernes et passé un diplôme spécialité relations internationales.
Son premier boulot avait fait suite à un stage en cabinet de conseils, où il avait notamment travaillé sur divers dossiers de jumelage entre villes pharoises et d'autres pays. Ne se laissant pas impressionner par les questions et procédures techniques, il avait fini par rejoindre la fonction publique comme consultant pour la commission Nazum du ministère des intérêts internationaux. Lentement, sans se presser, le Professeur Olli Severi avait gagné la confiance de ses supérieurs et grimpé les échelons. A l’âge de quarante, il s’était finalement dit que reprendre les études pourrait être une bonne chose et avait demandé un congé formation de trois ans pour passer un doctorat en lettre, qu’il obtient avant de retrouver son ancien travail. Sa thèse portait sur une comparaison des variations syntaxiques pré-révolution puis post-révolution dans la poésie pharoise et l'influence qu'avait eut cet évènement sur la prolifération des conjonctions de coordinations et de subordination comme révélateur d'un rapport triomphant et complexifié à la dialectique de l'histoire.

Célibataire endurci, on ne lui connait aucune relation conjugale à ce jour.

A la fondation du Liberalintern, il fait partie du contingent de bureaucrates dépêchés par le Pharois Syndikaali pour venir constituer, aux côtés des Glisois et des Kah-tanais, l’administration de l’alliance, dont il est promu au titre de contrôleur d’admission.

Voilà en somme le récit que faisait le Professeur Olli Severi de sa très banale existence, sans heurts et structurée autour d’une longue carrière en pentes douces.

Bien entendu, le Professeur Olli Severi était en réalité un agent des services secrets pharois, se prénommait Pentti Joku, appartenait à la cellule de gestion de crise terroriste de la C.A.R.P.E. et s’était illustré de manière notoire pour son habilité à désamorcer d’une seule main une bombe chimique tout en faisant un garrot de l’autre à un agent blessé, le tout sous un feu nourri de kalachnikov lors de la terrible prise d’otage du mardi sanglant. Il s'avérait également être un excellent joueur de trictrac.

Mais cela, c’est une histoire que nous raconterons plus tard.

La seule chose à retenir était que le Professeur Olli Severi se trouvait ce jour-là au Haut Chateau, mandaté par la délégation du Syndikaali comme son porte-parole et se tenait donc assis dans un fauteuil un peu trop grand pour lui, légèrement recroquevillé sur lui-même, sa barbe sculptée à la mode pharoise évoquant les tentacules d’une bête marine et ses chaussettes bleues pervenche dépassant de dessous son pantalon quand il croisait les jambes, venaient ajouter une touche de couleur bienvenue à son petit costume de satin noir. D’ordinaire il portait également un chapeau haut-de-forme, mais il l’avait retiré à l’intérieur.

Remerciant leur hôte Glisois d’un petit hochement de tête souriant et poli, il leva la main d’un geste timide lorsque ce-dernier les invita à se présenter lors d’un tour de table.

- « Eh bien, pour tout vous dire… »

Il parlait d’une petite voix un peu fluette, mais chaleureuse et transpirant de bonne humeur.

- « Je voudrai bien sûr remercier monsieur Anders et à travers lui les EAU qui nous ont fait si bon accueil, et aussi c’est évident, la délégation du Banairah pour sa présence, c’est un plaisir, un vrai plaisir de voir tant de gens de si bonne volonté réunis autour d’une table pour discuter de choses sérieuses. »

Il toussote un peu, croise les jambes et les recroises dans l’autre sens.

- « Je tâcherai hm d’être bref, pour ne pas vous embêter trop longtemps. Puisqu'il est question de savoir aujourd'hui si une nation a sa place au sein de notre modeste orchestre et si d'ailleurs elle souhaite ajouter sa voix à ce concert, je tiens à dire que mon pays, le Syndikaali, n’aime pas trop les doctrines ou les mots d’ordre. Les critères, de manière générale, en fait. Nous ne nous intéressons pas vraiment aux structures, voyez-vous, mais plutôt aux conséquences, dans un rapport presque… utilitariste. »

Il sourit.

- « Telle décision apportera-t-elle plus de paix au monde ? Plus d’émancipation ? Plus de diversité ? Voilà déjà un programme chargé. C’est le nôtre. Le Liberalintern n’est pas selon nous une alliance de nations mais avant tout une alliance de dynamiques, de volontés. Toute entité œuvrant à la poursuite de ces trois objectifs est notre amie de cœur. Toute entité œuvrant contre eh bien, nous l’aimons un peu moins. »

Il embrasse du regard chacun des délégués présents.

- « Nous sommes tous venus ici dans notre diversité, notre étrangeté. Par bien des aspects, nous ne suivons pas les mêmes lignes et nos ambitions diffèrent. Mais ce n’est pas grave ! L’humanité est ainsi, une infinité d’êtres humains pour une infinité de passions, de rêves. Il faut faire avec, toute alliance qui se penserait coercitive, nivellante, impérialiste en somme, ne pourrait être qu’un mal ajouté au monde. »

Il sourit plus spécifiquement aux envoyés du Banairah.

- « Voilà pourquoi nous pensons au Syndikaali que nos amis Banairais ont naturellement leur place au sein de cette assemblée. Non pas parce que nous nous ressemblons, mais parce que vous tracez votre petit chemin de petit peuple en tâchant à chaque pas d’apporter un peu plus de paix, un peu plus d’émancipation et un peu plus de diversité au monde, par la démocratie et la tolérance. Le Syndikaali est un petit pays aussi, une petite population, mais qui a à cœur quelques principes auxquels, je crois, nous ne dérogeons pas.

Tracer son chemin, tenir le cap, c’est chose simple et pourtant chose compliquée dans un monde en proie aux turbulences. Voilà pourquoi il est bon d’avoir des compagnons de route.
»
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Une attaque contre un est une attaque contre tous.


Le docteur Victoire Ustinov était, par bien des aspects, le plus pur produit de la société Kah-tanaise. Une femme sûre d'elle, d'apparence méthodique et composée, qui parlait bien, peut-être un peu trop et en des termes souvent très théoriques, et dont on imaginait mal qu'elle puisse s'être montrée, à une époque, autrement que sous l'apparence assurée d'une porteuse d'idéologie attentive et volontaire. C'était bien entendu sans compter sur la nature réelle de la culture Kah-tanaise, ou plus précisément de celle des communes d'Axis Mundis, dont les représentants étaient aussi efficaces en situations officielles que chaleureux et jouasses en situations informelles. Peut-être parce qu'Axis Mundis était la ville la plus peuplée de l'Union, peut-être parce que les ambassades étrangères et les administrations confédérales s'y trouvaient, mais une bonne partie de l'image que se faisait le monde du kah-tanais moyen en était issue. Cela évoluait un peu maintenant que le cinéma et les livres de l'Union s'exportaient massivement hors des frontières. Tout de même, en la matière, un anti-kah-tanais aurait pu critiquer Ustinov comme une agente froide, implacable et sociopathe d'un régime bolshévik déshumanisant ses ressortissants. Un pro-kah-tanais, pour sa part, aurait pu apprécier sa culture, son humour discret, son exceptionnelle empathie et sa rassurante efficacité, qui pouvait rappeler celle qu'une mère idéale présenterait face à fils. Ou peut-être plutôt celle d'une grande sœur. Cette image plaisait aux kah-tanais. L'Union était la Grande Sœur des Révolutions. La matrice des Libertés et, si elles avaient atteint leur maturité et volaient désormais de leurs propres ailes, il était toujours agréable de participer à quelques réunions de famille.

C'était précisément cette idée qui avait fait germer l'idée de LibertalIntern, précisément cette idée qui avait poussé administration après administration à caresser la proposition de sa mise en place, et précisément cette idée, toujours et encore, désormais renforcée par l'apparition d'alliés par-delà les mers, et les récentes crises ayant forcé les défenseurs de la liberté à serrer les rangs, qui avait enfin poussé une certaine Actée à en proposer les termes à ses homologues étrangers, à organiser la paperasse nécessaire, et peut-être, aussi, convaincu les dits homologues à jouer le jeu, à accepter l'expérience. Et qu'elle expérience. C'était le produit d'un mélange. Celui d'un pragmatisme qui voulait avant tout la sécurité sans la compromission des idéales, et de l'autre un utopisme. Le Grand Kah était plutôt de la seconde catégorie. Fermement internationaliste, il était révolutionnaire depuis si longtemps, en dehors de toute notion de profit économique, extérieure à toute idée de fierté nationalisante, qu'il arrivait à considérer comme une victoire en propre toute action favorisant ses alliés ou ses idéaux plutôt que sa nation même. C'était probablement ce qui en faisait l'objet de tant de critiques, de tant d'attaques. C'était une anomalie. Une injure au capitalisme, au nationalisme, aux vieilles démocraties et, peut-être plus grave encore, à la notion banalisée de realpolitik. Le Grand Kah était un rêve d'idéologues qui se payait le luxe franchement déplacé de tenir les siècles.

Pire encore. Il se renouvelait.

Plus insultant, quand on le comparait aux dictatures socialisantes il riait et crachait son mépris des autocrates, quand on le traitait de démocratie il reniflait, amusé, avant de demander d'un ton las « Représentative ? Ben voyons », généralement accompagné d'un « Vous n'avez pas révisé vos fiches, n'est-ce pas ? » puis si le moment s'y prêtait, et en guise d'estoque finale, « Vous savez je pourrai vous conseiller de la bonne littérature à ce sujet ».

Car enfin, rien ne valait mieux qu'une critique construite, objective et intelligente. Le sage le sait : quand on le met en défaut il n'est pas vaincu. Bien au contraire, il ressort grandit de cet apprentissage. Et le Grand Kah ne demandait que ça, d'être remis à sa place. Hélas, ses critiques les plus virulents s'étaient jusque-là montrés égaux dans leur ineptitude. Heureusement, chaque citoyen de l'Union était un politicien en puissance, et eux, au moins, avaient l'éducation nécessaire pour attaquer précisément et efficacement le système. Que ferait-on sans les contestataires.

Ustinov n'était pas vraiment de ceux-là. Docteur en médecine, elle avait toujours eu des liens privilégiés avec le monde associatif. Membre de plusieurs opérations humanitaires, elle s'était mise en danger en soignant les blessés de différentes guerres, civils comme soldats, d'un camp comme de l'autre. Avait battit des écoles dans des pays d'Afarée, négociée avec des milices et des groupes terroristes, formée des chirurgiens au Nazum et, plus banale mais non-moins essentiel, donnée des conférences dans plusieurs pays. Elle avait d'ailleurs ses entrées dans plusieurs gouvernements. C'était pour ce parcours international, qui l'avait dotée d'une conscience excessivement précise des réalités des terrains et des applications concrètes de la lutte pour plus de liberté dans les régions les moins développées du monde, que le LiberalIntern lui avait proposé de rejoindre ses rangs. Depuis elle grenouillait dans ses services, notamment dans ceux chargés de la communication et collaboration avec les ONG et les partis politiques. On aurait pu s'étonner qu'elle ne soit pas une technocrate d'Axis Mundis ou une envoyée en mission de la Convention générale, mais enfin : elle était citoyenne de l'Union, avait participé à la vie de sa commune, de son université, à des forums publiques, et même fait son service (volontaire) au sein de la Protection Civile, bien qu'ayant refusée d'apprendre à utiliser les armes, et s'était contentée de tâches administratives et médicales. Chacun fait ce qu'il peut, à son niveau. Quoi qu'il en soit, cela faisait d'elle et au même titre que tout autre citoyen du Grand Kah, un membre de son administration. C'était la beauté des démocraties aussi directes et décentralisées. Quant à ses éventuels liens avec le gouvernement, elle assumait pleinement être en contact avec la Convention et quelques-uns de ses commissariats : au même titre qu'un bon tiers de l'Internationale : toute l'organisation avait accès à Axis Mundis, et inversement. Alors bon. Tout de même !

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Merci de nous accueillir, Siegfried. Les travaux ont bien avancés depuis la dernière fois.

C'était sa manière de dire quelle avait eu ses doutes sur l'apparence du bâtiment, mais qu'elle retirait maintenant toute objection.

J'ai déjà eu le plaisir de m'entretenir avec des représentants du Banairah , ayant été chargée de l'invitation ayant amenée à... Elle fit un petit geste de bras désignant l'ensemble des personnes présentes. Je ne vais peut-être pas répéter ce que j'ai déjà dis et ce qui a été très bien exprimé par le professeur. Le Banairah est indubitablement l'un des phares de démocratie dans le monde. Et c'est bien de ça dont il est question. Je vais incarner ici la position du Grand Kah puisqu'il faut bien le faire, mais je me permets moi aussi d'insister sur la nature profondément polymorphe et collaborative de l'Internationale. Il ne s'agit effectivement pas d'un pacte anti-bolshévik signé entre nations, ou d'une UnionAfaréenne rassemblant des puissances locales en vertus de leurs intérêts régionaux. Il ne s'agit pas d'allier des pays, d'unifier les forces de nations que quelques idées communes auraient rassemblées, par exemple. Le LiberalIntern est un vecteur, un nexus, ouvert à tous ceux et celles qui portent en eux un certain set de valeurs.

Démocratie réelle, transparence, protection des plus faibles. Le progrès est un mot un peu creux. En tout cas il a été vidé de sa substance par quelques acteurs moins honnêtes, ou empêtrés dans des systèmes moins propices à l’honnêteté que nous.


Elle fait mine d'hésiter.

Mais si je l'utilise ici je crois que vous comprendrez tous où je veux en venir ? Car pour l'Union c'est bien de ça qu'il s'agit. Le LiberalIntern porte le progrès. Et accueille en son sein tous ceux qui désirent le porter. Dans toute leur diversité. Et de l'échelle la plus réduite à celle-là plus élevée. De la nation à l'association. Du collectif de quelques-uns à l'Union de millions. Une internationale doit, c'est dans le nom, composer avec diverses nations. Divers groupes humains et sociaux issues d'histoires et de cultures fondamentalement différentes. Le Grand Kah ne croit pas au modèle de la mondialisation libérale qui voudrait changer chaque citoyen en consommateur acculturé, pas plus qu'il ne croit en son contre-pied socialiste qui voudrait imposer une culture égale à tout un chacun. Chaque groupe peut – et doit – trouver sa propre voie pour la liberté. Au sein de l'Union il existe des dizaines, des centaines de courants. Notre système leur permet de s'exprimer. Le Liberalintern, de la même façon, permet l'échange d'idée, de bons procédés, de moyens. Nous apprenons de nos amis Pharois qui apprennent de nos amis Austraux qui apprennent de nous... Et inversement. Nous discutons, échangeons, et de nouvelles solutions émergent. Très concrètement la question est « Comment améliorer les conditions d'existence de l'humanité », et chaque rencontre fait émerger de nouvelles solutions.

Elle se pencha en avant pour humer son thé, et en avala une courte gorgée avant de conclure.

Les acquis sociaux-politiques peuvent se déliter. En nous serrant les coudes nous nous offrons une chance de les protéger, et de les consolider. Votre nation est une fleur rare. Nous avons l'idée, peut-être présomptueuse, qu'elle aimerait échanger avec nous de tout ce qui fait la beauté du genre humain, et travailler avec nous, à l'échelle qui lui conviendra, à la protection de cette beauté. J'avais lu une bannière, à Kotios, lors de la création de l'Internationale... Le Monde sera un Jardin ? Je crois que c'était ça ? Elle reposa sa tasse. Eh bien pour tout vous dire, c'est exactement le projet. Et dans un jardin, chaque semence apporte à l'ensemble.
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La ministre des Affaires Extérieures étant fortement occupée ces derniers temps à cause de divers dossiers nécessitant son expertise, l'Ambē n'avait eu de choix que d'envoyer une diplomate au Château Bleu. Néanmoins, ce n'était pas n'importe qui pour autant : Salid Al Massam était en charge notamment de l'étude de la proposition d'adhésion au Liberalintern et en général travaillait dans la préparation des accords diplomatiques. Son nom faisait ainsi partie de ceux que tous connaissaient au Ministère, et les cadres de ce dernier avait toute confiance en elle. L'Ambē avait été indécise quant à la posture à adopter, mais l'acceptation de l'invitation avait fini par l'emporter : gagner des alliés politiques complémentaires ne faisait aucun mal, loin de là, et si l'Alliance levait des doutes dans le monde libéral auquel le Banairah s'était rapproché ces derniers temps, elle bénéficiait de l'opinion positive du Grand Kah. Restait donc à lever, ou confirmer, les doutes : certains cadres se souciaient de l'approche agressive du Pharois Syndikalii, notamment par le biais du Pacte de Fraternité, ce à quoi d'autres avaient répondu que l'Alguarana et ses compagnons libéraux ne réhaussaient pas le niveau, en témoigneront les rescapés du Varanya. En un mot comme en cent, il fallait trancher, aussi bien Salid était-elle ravie de pouvoir enfin tirer les choses en clair, avec une tasse de thé de surcroît.

《Je voudrais tout d'abord vous remercier pour votre sollicitude et pour avoir organisé cette rencontre qui je suis sûr nous aidera dans notre décision, commença-t-elle. Le Banairah vit depuis celà des siècles pour le progrès scientifique et humain. Non pas un progrès matériel, brut, dénué d'âme, mais pour un progrès permettant à tous nos citoyens de réaliser le meilleur de soi-même dans des conditions optimales. Science sans conscience n'est que ruine dans l'âme, dirait-on. Ainsi la démocratie, la vraie, est quelque-chose qui nous tient à cœur. En plus de donner une voix à chaque personne apte à contribuer à l'édifice commun, celle-ci permet de rallier la politique à la vie de tous les jours, sans quoi nos décisions ne seraient que des coquilles vides privées de réalité. Du moins c'est ce que l'on espère, et le maintien d'un tel système n'est pas toujours facile, car il doit concilier efficacité et authenticité, pragmatisme et idéaux. Par le biais de cette organisation, ce rassemblement de volontés comme vous l'avez si bien dit, le Banairah espère trouver un renouveau et un soutien idéologique de confiance. Soutien qui, cela va de soi, s'associe avec l'ensemble de notre politique étrangère. 》
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Je crois chère amie que le Banairah sera donc très satisfait des réponses que vous allez pouvoir lui rapporter.

Victoire Ustinov se redressa imperceptiblement sur sa chaise.

C'est précisément pour toutes les qualités que vous avez mentionnés, cette recherche du potentiel de chacun humain, cette sincérité dans la gouvernance, cet espoir farouche dans le progrès humain et scientifique, que nous vous avons conviés. C'est parce que nous savons aussi comme nos systèmes sont difficiles à entretenir que nous nous sommes unifiés. Si vous me permettez la métaphore, les machines les plus belles sont aussi les plus complexes, et les plus complexes, celles demandant le plus de soin.

Mes pairs me reprendront si nécessaire, ou compléteront mes propos. Le soutien idéologique, vous l'avez déjà que vous soyez ou non partie prenante de notre organisation. Notre soutien va à tous les vrais libertaires, authentiques démocrates, à celles et ceux qui croient dans le potentiel humain et dans l'intérêt de la liberté optimale ainsi que dans l'égalité. En ce qui concerne votre politique étrangère c'est un sujet autrement plus complexe mais je vais vous répondre de façon synthétique.

Le LiberalIntern s'organise autour de nombreuses initiatives d'entre-aide. Économiques, politiques, militaires et diplomatiques. Dans l'ensemble ces mesures sont négociées de Gouvernement à Gouvernement, l'Internationale ne servant que de cadre pour ces discussions. Ce qui permet à chaque membre de s'inscrire dans une configuration convenant au mieux à ses besoins et réalités stratégiques. Le soutien diplomatique que vous demandez sera acquis par simple vertu de votre adhésion et pourra être clairement défini avec les différentes nations membres. Le seul point d'exception et l'aspect militaire de la chose. Dans l'ensemble cette formule modulaire rend le LibertalIntern non-contraignant à l'exception des décisions du Haut Bureau pour la Sécurité : lorsqu'un conflit militaire impliquant l'un des membres de l'alliance a lieu, des débats peuvent être appelés à se tenir au sein de cette instance pour déterminer si oui ou non l'alliance doit intervenir. Ce qui veut dire par exemple que si un rival régional venait à vous attaquer le LiberalIntern pourrait venir à votre aide. Nous savons que le Banairah est une nation apaisée et ne comptant pas d'ennemis. Sur de nombreux aspects cette structure est en fait dissuasive : elle vise à montrer notre unité au monde et à clairement faire comprendre à nos potentiels ennemis que pour citer notre devise, une attaque contre un est une attaque contre tous.
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Salid ayant pesé maintes fois le pour et le contre, les échanges au sein du château bleu ne firent que confirmer sa décision : le Banairah avait toute sa place dans l'organisation, et si celle-ci prenait un mauvais tournant à l'avenir, il serait plus facile de l'aider à reprendre le bon cap en y siégeant. Après tout, il s'agissait bien de la première organisation internationale de cette ampleur qui se souciait réellement des particularismes de ses membres et de l'épanouissement humain. L'adhésion venait également recalibrer la position du Banairah alors uniquement engagé dans des traités en majorité commerciaux, et ce malgré toute la frange idéologique de son paysage politique qui demandait inexorablement la promotion des systèmes démocratiques à travers un monde loin de l'idéalité. Un choix aussi politique à cet égard : l'Ambe devait la conservation de ses pouvoirs à la confiance des Benbhè, et si une proportion importante des citoyens ne se retrouvaient pas un minimum dans les décisions internationales du gouvernement, celle-ci pourrait proposer une motion de censure envers le ministère. Comme quoi, même dans les modèles politiques de bonne volonté, on trouvait de bas calculs stratégiques : après tout, n'était-ce pas une démonstration de sagesse que d'accepter ces faiblesses humaines comme partie inhérente de toute société ? L'accès à des géants économiques comme le Grand Kah et le Pharois avait aussi ses avantages : cela signifiait moins de dépendance envers la première puissance mondiale et ses alliés de l'ONC, qui en cas de différences idéologiques ou stratégiques majeures pourraient être plus facilement mises de côté en faveur d'un réseau mondial alternatif plus convenable.

La réponse affirmative étant donnée, ne restait plus que la confirmation du Liberalintern.
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Pendant les derniers échanges, le Professeur Olli Severi avait semblé beaucoup regardé ses pieds qui, dans son grand fauteuil, n’atteignaient la moquette que du bout de la pointe de ses chaussures bleu pervenche, donnant l’impression qu’il s’agissait d’un petit enfant. En vérité il n’était pas si petit, mais recroquevillé et le mobilier avait été mal ajusté – ou trop bien ?

Laissant la parole aux kah-tanais qui faisaient toujours de bons diplomates, il acquiesça à l’unisson des autres ambassadeurs lorsque Salid Al Massam, le dignitaire Banairais, confirma son intérêt à rejoindre l’organisation. Si la chose se faisait, la République Directe de Banairah serait le cinquième Etat – si l’on pouvait qualifier Kotios d’Etat – à rejoindre officiellement l’Internationale Libertaire. Une adhésion toutefois qui demandait encore d’éclaircir certains points de… détails, avant de s’officialiser.

- « Madame, vous nous honorez. Une chose cependant… »

Olli Severi prit le temps de rajuster ses lunettes, moins pour l’effet de suspens que cela procurait que parce qu’il était véritablement myope et que mal voir son interlocuteur lui rendait difficile de suivre la discussion.

- « Quant à la crise du Prodnov. Le gouvernement Pharois m’a demandé de mettre au clair certains engagements de la part de votre nation avant de rendre sa décision. »

Il esquissa un sourire poli, presque désolé d’aborder un sujet qui fâche.

- « Même si, grâce soit rendue aux bonnes volontés, la crise semble prendre un tournant favorable aujourd’hui, vous ne pouvez ignorer que quelques semaines plus tôt encore nos deux flottes étaient à couteaux tirés au large des côtes de ce malheureux pays. Cela, vous le comprendrez aisément, interroge sur plusieurs plans. Le premier est évidement de savoir où, une fois intégré au Liberalintern, irait la loyauté du Barairah si d’aventure, et les dieux savent que je ne le souhaite pas, un conflit similaire devait se reproduire. »

- « Les statuts de défense du liberalintern implique un vote de tous ses partis quant à l’entrée en guerre de l’organisation, pour des motifs défensifs, soyons clairs, mais en nous rejoignant, vous intégrez d’office ce pacte, vous assurant notre protection, mais vous engageant en retour. De fait, votre soutien aux plans de l’ONC entre en contradiction avec ce volet de notre alliance. »

Il tousse un peu, semble légèrement mal à l’aise.

- « Je me dois également de vous signifier que plusieurs de nos diplomates se demandent encore ce qu’un pays comme le votre est ‘venu faire dans cette galère’ pour les citer dans le texte et pourquoi, au lieu de rejoindre la voix pacifiste et raisonnable de Saint-Marquise, votre pays s’est engagé au côté des bellicistes de l’ONC, dans une action clairement impérialiste qui, soyons honnête, a été interprétée sans ambiguïté comme une tentative de démonstration de force directement dans la sphère d’influence pharoise, soufflant sur les braises d’un conflit que notre pays venait d’éteindre. »

- « Le Liberalintern se veut anti-autoritaire et dénonce tout acte impérialiste quel qu’il soit, madame l’ambassadrice, comprenez donc que votre implication au côté d’Etats peu fiables tels que l’Alguarena, à plusieurs reprises dénoncées notamment pour avoir vendu des armes de destruction massive à l’Empire Latin Francisquien, avec le résultat que l’on connaît à Baidhenor, tout cela nous inquiète. »

A nouveau, une esquisse de sourire.

- « Le gouvernement pharois que je représente aimerait vous entendre développer votre position à ce sujet, si cela ne vous dérange pas. Ne voyez cependant surtout pas cela comme un interrogatoire, juste une part d’ombre qu’il convient d’éclairer un peu. Une fois cela fait, j’aurai d’ailleurs à ce sujet une proposition à vous faire. »
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Les discussions d'usage sur l'organisation étant terminées, les dossiers plus compliqués revenaient à la surface, et il est inutile de dire que la désormais dénommée "crise du Prodnov" avait fait passé des nuits blanche à plus d'un au sein du Ministère des Armées. Si l'engagement militaire et logistique était minime, il restait symbolique. En s'engageant auprès de l'ONC, le Banairah laissait supposer sa complète adhésion aux opérations menées en Loduarie, opérations jugées comme impérialistes par une partie de la communauté internationale. Aussi bien, la question n'avait pas surpris Salid.
La difficulté du dossier résidait en la dissension qui régnait au sein même du conseil ministériel. Ce dernier avait été de longue date partagé entre différents points de vue et prises de position à l'international, mais la relative fermeture à l'international des années 90 à début 2000 avait évité de montrer ces querelles au plein jour. S'ouvrant peu à peu aux échanges internationaux en 2004 et durant les années suivantes, le Banairah avait réussi à soutenir une vision cohérente promouvant la démocratie et le commerce international, une vision appréciée par ses partenaires qui reconnaissaient le Banairah comme un état responsable et digne de confiance. L'ouverture de relations avec des pays au positionnement stratégique comme l'Izcalie, Novigrad ou encore le Jashuria avait permis dès lors de garantir les routes commerciales équatoriales si prisées par les acteurs économiques de la nation. Vis-à-vis du continent afaréen, les résultats avaient été bien moins convaincants. Le début de relations avec l'Althalj avait été un succès, et avait permis de pouvoir compter sur un partenaire fiable en Afarée occidentale. Néanmoins, les relations avec la Cémétie, première puissance afaréenne partageant la région est-afaréenne avec la République étaient au point mort, victimes de plusieurs retards administratifs et changements politiques à la fois dans les ministères banairais que dans l'hémicycle cémétéen. Quant aux deux sommets afaréens, ceux-ci avaient été une catastrophe qui avait sali l'image du continent par leur manque total d'organisation et de convergence politique et par les conflits dont ils se firent le théâtre. Le ministère accusait également d'un retard dans sa diplomatie, ne disposant pas par exemple de liaison avec Axis Mundis, la capitale de facto du Grand Kah, aux idéaux et problématiques pourtant similaires. Les détracteurs de l'administration Amza pointaient également l'ouverture de relations diplomatiques avec des pays pourtant oligarchiques comme le feu-régime des grandes familles des Eglises Australes Unies, une rencontre qui laissait un léger malaise considérant l'ironie du sort, le Banairah retrouvant le gouvernement révolutionnaire sur le sol austral à propos d'une organisation libertaire. La contestation avait de surcroît encore du grain à moudre avec l'adhésion à l'Organisation des Nations Commercantes. Les arguments en effet ne manquaient pas. Le Lofoten, concurrent direct du Banairah sur le marché du pétrole, connu pour son interventionnisme dangereux, n'était pas le seul à être critiqué par l'opposition. L'agressivité des lobbys novigradiens, notamment dans les secteurs concédés non sans protestations après signature d'un pacte avec le Banairah, faisait grincer, la mesure n'étant passée que de peu, surtout du fait du monopole du pétrole et des produits pharmaceutiques donnés en échange, une décision qui remonte les protectionnistes et les autonomistes. Ces deux courants par ailleurs bénéficient d'un nombre relativement important parmi la population et pourraient monter en puissance avec les événements. Parmi leurs potentiels alliés, les mouvements conservateurs (ou proches) qui dénoncent un pacte "comme à l'époque des colonies antiques de Novi" pourraient fournir des cartouches à la potentielle coalition qui pourrait se former à l'encontre du ministère. La Fédération d'Alguarana n'était pas non plus en reste dans le vaste capharnaüm qui agitait la société banairaise, au point qu'une écrasante majorité de l'opinion s'accordait à dire que ce pays n'était pas digne de confiance. Les exemples étaient multiples et certains concernaient directement le Banairah : la guerre civile varanyenne qui avait abouti sur la constitution d'une république aux relations peu claires avec la Fédération, l'invasion du Pontarbello et la mise en place par Aserjuco d'une dictature militaire, et encore plus récemment des soupçons vis-à-vis du gouvernement de participer à la désinformation au sujet d'exactions commises au Vinheimur via des journaux nationaux aux allégeances politiques suspicieuses. Pour couronner le tout, la vente -fait désormais connu et vérifié- de missiles à l'état francisquien avait défrayé la chronique, ces missiles ayant été à l'origine du massacre perpétré par l'empire via la destruction d'un aéroport international à Baidhenor, occasionnant entre autres la mort de 5 Banairais.
L'administration Amza et ses partisans quant à eux se défendaient en pointant du doigt l'impérialisme grandissant du géant pharois qui malgré son parti pris pour la démocratie et l'anti-autoritarisme usaient de stratégies similaires pour asseoir sa domination. Parmi ses plans peu appréciés : l'usurpation de territoires maritimes listoniens en contre-partie d'armes au service de la politique internationale instable et dangereuse de la couronne, ce sans compter le risque d'attaque pirate sur les convois maritimes banairais depuis une base de repli dans l'enclave de Jadida, des convois pourtant essentiels à l'économie banairaise, notamment pour son exportation de produits pétroliers ou ses importations de minerais et de produits agroalimentaires. Le Grand Kah quant à lui bénéficiait d'une bonne appréciation malgré des incompréhensions culturelles, mais connaissait un tel succès économique du fait de son grand territoire fertile et peuplé, deux facteurs cruciaux pour une économie et dont ne disposait pas le Banairah, qui n'a jamais eu autre chose que ses idées et ses ressources du sol à exporter. Les Eglises Australes Unies se rapprochaient des contraintes expérimentées par la société civile banairaise, mais étaient probablement fortement dépendantes d'importations massives depuis Paltoterra où elles pouvaient de facto compter de multiples alliés fiables. L'adhésion à l'ONC était également un moyen de concilier cette nécessité d'importation via sa facilitation au niveau mondial, et la volonté de la protection de la démocratie, celle-ci étant à la base ancrée dans les principes de l'organisation. Entrer au sein de l'ONC signifiait également contrôler ses dérives, chose qui n'avait manifestement pas été réussi, via le droit de veto ou du moins une protestation en bonne et due forme d'un membre qui malgré sa relative importance comptait pour son positionnement et ses ressources. L'adhésion au Liberalintern était par ailleurs une façon d'équilibrer la politique extérieure du Banairah, car si les deux organisations constrastaient pour le moins dire, elles répondaient à une demande duelle de la population : la protection de l'idéal banairais et de l'avenir économique du pays.

En un mot comme en cent, la situation était tendue au sein du ministère, et les débats y faisaient rage. Alors lorsque Novigard avait annoncé la tenue d'exercices coordonnés en mer leucytaléenne, l'atmosphère était loin d'être favorable, tant et si bien que la demande avait failli aboutir à une fin de non-recevoir, et qu'au final la mauvaise communication vis-à-vis des réels objectifs de la manœuvre avait entraîné un quiproquo à l'origine de l'appui de la marine nationale aux côtés de celles des membres de l'ONC, premièrement en Leucytalée, et deuxièmement au Prodnov. L'affaire était fâcheuse, et même si les décisions prises avaient paru justifiées, elles donnaient désormais envie à l'exécutif de prendre le tournant de la neutralité pure et dure.

C'est en ce contexte délicat que Salid devait sauver l'honneur, à savoir expliquer la décision de l'exécutif tout en ne s'humiliant pas et en gardant la confiance de ses prochains alliés.
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"Aucune raison de vous en inquiéter, professeur Severi, la question mérite d'être posée afin de nourrir des rapports sains via l'organisation, et ce pour les années à l'avenir. Vous ne serez pas surpris, je l'imagine, d'apprendre que les tensions au Prodnov et la proposition de l'ONC ait remué le ministère. En notre époque, les conflits d'intérêt semblent monter en puissance avec une rapidité peu compatible avec celle de nos institutions. Le Prodnov est, enfin était, connu pour sa violence étatique envers ses citoyens, et souffrait, on peut le dire, d'une très mauvaise réputation chez nous comme à l'international. Les luttes de factions qui agitaient et probablement agitent encore le pays ont achevé de secouer cet état aux pieds fragiles. L'assassinat du chef d'état de l'époque a pour ainsi dire précipité les choses. On ne pouvait qu'imaginer les atrocités qui allaient s'y dérouler, un véritable chaos propre à l'apparition de régimes parfois bien pires que ceux qui les ont précédé. Le ministère avait connu la crise damann, qui aurait pu déboucher sur la mise en place d'une théocratie obscurantiste des plus infâmes. Comprenez donc que la survenue d'un ultimatum à destination du Prodnov et sa division en zones d'occupation en a fait blêmir plus d'un. Autant la forme que le projet ressemblaient bien à une nouvelle source de conflits, une cristallisation des de la situation. Quelque-chose qui en quelque-sorte ajoutait de l'huile sur le feu au lieu de l'éteindre, d'autant plus que cette intervention, sauf votre respect professeur, constituait également une porte ouverte à toute sorte d'impérialisme pour les états membres de l'Union Albienne ou du Conseil de Sécurité des Mers du Nord. C'est en cette période d'indécision et de perplexité que nous est parvenu la proposition émanant du conseil de sécurité des états de l'ONC, à savoir des exercices militaires en leucytalée pour envoyer un message de protestation. Ensuite, le coup d'état des forces révolutionnaires de Staïglad a forcé l'ONC à réagir afin de protéger la jeune république de l'annihilation. La république certes avait la légitimité de celle naissant dans des contextes de guerre, mais elle ne pouvait être ainsi laissée seule, il fallait la protéger le temps que de premières élections se déroulent une fois la paix rétablie. C'est de nouveau en signe de protestation vis-à-vis de la méthode employée par l'Union et le Conseil que la division de flotte banairaise a rejoint la flotte de l'ONC, avec l'interdiction formelle d'ouvrir le feu. Cela reste, je le comprends bien, un acte d'intervention, et les hommes et femmes du métier pourront attester des accidents qui peuvent se dérouler à partir d'une simple mé-compréhension. Néanmoins j'aimerai rappeler que le Banairah, malgré la division de ses institutions sur l'affaire, n'a jamais envoyé d'équipement ou de soldats au Prodnov, et les demandes du Banairah durant les négociations ont été claires et cohérentes avec l'objectif fixé depuis le début. Nous avons demandé la désescalade et d'aider la population à entamer une transition démocratique tenant compte de leurs traditions, culture et besoins, chose qui a d'ailleurs fait consensus pour nombre de participants, des plus aux moins impliqués.
Tout cette affaire prouve en tout cas l'ambiguïté des deux camps. Ne nous leurrons point, chaque partie prenante avait en son sein des individus qui comptaient bien profiter de la situation pour agrandir leur influence de par le monde. Les événements se sont passés rapidement, et la diplomatie a été négligée parce qu'impropre à donner une réponse dans les délais, et je le concède volontiers, il s'agit là d'une erreur.

Pour ce qui est de la loyauté du Banairah, celle-ci ira de toute évidence en faveur des membres du Liberalintern si son assemblée décide de la nécessité d'une intervention. Les récentes tensions entre le Kah et l'Alguarana nous inquiètent au plus haut point, et même si l'ONC nous oblige de par sa charte à ne pas intervenir directement en conflit avec la Fédération, le Banairah pourra user de sa position stratégique dans l'organisation pour faire pression, et faire appel à son industrie militaire et ses services de renseignement pour aider l'Union."
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« Je comprends vos arguments, madame Al Massam et je préciserai d’ailleurs que si je représente dans cette assemblée la voix du Pharois Syndikaali, il ne m’appartient pas d’en défendre la position, du moins pas sans mandat. Je ne ferai donc pas de commentaire quant à la décision d’envoyer un ultimatum au Prodnov, ce qui est fait est fait.

Je préciserai néanmoins que le Liberalintern n’exclue pas, si des frères en humanité venaient à être massacrés par leurs gouvernements, d’intervenir parfois le cas échéant. Peut-on parler d’impérialisme quand le sang coule à flot et que la machine doit être arrêtée, au risque de causer plus de drames encore ? Nous n’avons jamais souhaité imposer quoi que ce soit au Prodnov, d’où l’importance de le découper en partie, chacune étant l’expression d’une volonté idéologique souveraine particulière. Nous ne sommes pas des missionnaires armées, mais de fervents supporters de l’humanité dans sa diversité et son droit d’exister.

Passons cependant.

Je suis heureux de savoir que vous aviez ordre de ne pas ouvrir le feu, de fait bien entendu vous comprendrez qu’on s’interroge sur l’utilité de brandir un canon, même en assurant qu’on ne s’en servira pas. »

On pu noter une infime pointe d’ironie dans son propos, rapidement ravalée dans ses moustaches.

« Votre position, toutefois, est de nature à nous rassurer. En tant qu’humanistes, nous savons la part d’élégance inhérente à notre espèce mais qui ne va pas sans une part toute proportionnelle d’ombres. Le Pharois, le Kah, les Eglises, personne n’est un saint en ce bas monde, le Liberalintern essaye toutefois de s’arranger de ce paradoxe que des nations différentes et aux ambitions certaines, peuvent s’unir malgré tout autour d’un objectif commun : se mettre au service de la diversité et de la liberté des hommes, dans leur complexité.

Assurément le Prodnov fut un enfer moral et logistique, mettant à mal les convictions de tous. Souhaitons que l’orage passe à présent. Une chose était sûr cependant, on a tué à Staïglad. La faute originelle étant celle du boucher prodnovien, mais l’ONC fit également couler le sang, même si celui-ci coula au nom de la liberté.

C’est un souvenir que tout homme doit avoir à l’esprit, nous y compris lorsque nous nous quitterons tout à l’heure bons amis et rentrerons dormir dans nos lits douillets avec le sentiment trompeur d’avoir la morale dans notre camp. Au risque d’ouvrir des portes ouvertes, l’enfer est pavé de bonnes intentions et les bonnes intentions faillirent mener à un massacre. »

Il sourit et hocha la tête.

« Je ne vois rien qui s’oppose à l’adhésion du Banairah au Liberalintern, pour ma part. Je ferai savoir ma décision au Bureau des Adhésions.

A vrai dire, le fait que votre nation porte la double casquette a autant été une crainte pour nous qu’un intérêt. Les bellicistes de l’ONC sont plus minoritaires qu’ils ne le pensent et j’ai bon espoir que la crise du Prodnov, en manquant de déboucher sur un conflit généralisé, aura fait revoir leur copie à nombre d’adhérants.

Si l’ONC se contente de commercer, nous n’aurons avec elle que de purs différents commerciaux, mais c’est ce qui fait le sel du monde. Nous avons tout à gagner à faire entendre la voix de la paix au sein de ce groupe. Après tout, nous ne serions pas humanistes si nous ne croyions pas qu’il soit toujours possible de raisonner, même les voyous de la pire espèce. »
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