La porte des différents groupes était poussée à toute heure par des représentants prenant leur pause, venant remplacer leurs semblables, des badauds venus avec des plaintes, des recommandations, des pétitions de la société civile, de nouveaux élus perdu dans les bureaux du majestueux bâtiment qui avait jusqu'à récemment abrité le cœur de l'administration listonienne dans la province... L'assemblée était divisée entre discussions d'un extrême sérieux et d'un niveau de précision tout à fait satisfaisant sur les questions vitales de la Commune – protection de son territoire, refonte du système judiciaire, création d'une commission chargée d'enquêter sur les crimes coloniaux, questionnement existentiel sur les voies d'approvisionnement en biens, vivres médicaments – et d'autres qui tournaient à vide. Échanges théoriques, considérations religieuses, chants patriotiques en tout genre, minutes de silence exigées par les uns et les autres en l'honneur de tel ou tel individu déclaré martyr pour avoir eux la mauvaise idée de tomber d'un toit en pleine révolution, ainsi de suite.
En bref, le gros du travail, en tout cas celui qui pouvait prétendre à un certain degrés de professionnalisme, était réalisé en comité un peu plus réduit par les représentants sélectionnés dans la grande constituante pour remplir telle ou telle mission.
Le Comité pour l'Avenir était l'un de ceux là. Son intitulé un peu obscure cachait une instance d'un très haut degrés d'importance puisqu'elle servait de pendant officiel au soutien que les puissances banairaise et kah-tanaise apportaient à la région. On l'avait installé dans un ancien salon diplomatique employé par les listoniens pour accueillir les représentants de leur empereur, à l'époque. Un endroit de taille assez conséquente, pensé pour les longues réunions de travail, richement décoré et, peut-être plus important encore, doté d'un très impressionnant cabinet à liqueur que les affres du Coup révolutionnaire avaient épargnés. Certes, une large majorité de la population était musulmane et ne consommait pas d'alcool, mais Fazel Hosseini, lui, ne l'était pas. En fait il était même de cette frange révolutionnaire qui considérait toute forme de mysticisme comme du gâchis d'énergie, et toute religion comme oppressive et réactionnaire par essence. Il avait cependant appris à tempérer ses positions sur la question, quand-bien même son zèle progressiste lui avait valu de rejoindre – brièvement – le groupe de travail féministe qui cherchait à établir des bases moins patriarcales pour la nouvelle société de la province. Groupe qu'il avait quitté avec tous les autres hommes le composant pour laisser aux femmes la possibilité d'établir elles-mêmes un diagnostic de la situation et d'ensuite seulement faire appel à des hommes si elles considéraient avoir besoin de l'expertises ou des contacts d'untel ou untel. Maintenant il était au Comité pour l'Avenir, et son lien privilégié avec le Grand Kah n'y était pas pour rien.
Il initia cette nouvelle séance en tapant ses mains l'une contre l'autre.
– Camarades, je crois que Jadida fait face à une occasion qui ne s'était pas vue depuis Kotios. Et nous, au moins, n'avons pas de voisin envahissant pour nous menacer. Tâchons d'en profiter. Nous sommes ici pour émettre des recommandations sur lesquelles la Commune Constituante pourra baser son travail. Des recommandations de l'ordre du système économique et politique qui conviendrait le mieux à Jadida, d'abord, mais aussi de la position diplomatique que doit entretenir notre territoire - devons nous demeurer neutre, prendre parti pour nos protecteurs ? De la place que ces derniers doivent avoir dans notre société et notre province, de si notre diplomatie doit et peut être indépendante, ou de si nous devons accepter de profiter des services de puissances alliées en la matière. Ainsi de suite.
Si quelqu'un a quelque-chose à ajouter, ou souhaiterait commencer, je le laisse faire.