LA CANTINE DU PIAN : LE CONPlus les nuits sont longues, plus les repas sont savoureux... J'ai toujours beaucoup aimé cette phrase ; malheureusement elle ne vient pas de moi, elle est de mon père. Je l'ai même inscrite sur la devanture de son restaurant, enfin, de mon restaurant. Ah oui, au fait, si vous passez dans la capitale et êtes pris d'une petite faim au milieu de la nuit, passez donc à mon restaurant. Je suis sûr qu'il remplira votre estomac et votre cœur.
Pour information, il est ouvert de minuit à sept heures du matin... environ, oui, les clients sont parfois un peu chargés. Les gens l'appellent "La Cantine du Pian". Pour l'horaire et l'odeur à ce qu'il paraît... Et c'est l'animal, pas la maladie ; allez pas penser que, bref.
Quoi ? Si j'ai beaucoup de clients ? Ben figurez-vous qu'il y a pas mal de monde, ouais...
Ma carte se résume à ça :
- Menu bami au pécari : 500 ikkōs
- Cachiri (36 cl) : 450 ikkōs
- Rhum (au verre) : 350 ikkōs
Mais vous pouvez commander n'importe quel autre plat. Si j'ai de quoi vous le préparer, je vous le ferai.
Presque tous les matins, il y avait un type con... Enfin, quand je dis matin, il faisait encore nuit. Enfin bref ! Il était tellement con qu'il n'y avait rien à faire. Il n'était jamais arrivé à rien dans sa vie, rien de rien... Mais c'était un type tellement bien qu'y avait de quoi en pleurer et d'une certaine façon, je l'admirais. Un matin de pluie, il a pris sa vieille bécane pour aller voir la mer, et il n'est jamais revenu. Je pouvais pas l'accepter, non je pouvais pas... Le con, il était mort, seul.
Je n'ai pas réussi à dormir de la journée. C'est comme si j'avais perdu un membre de ma propre famille, à ce point là... Je me morfondais dans mon hamac, me retournant encore et encore. Je n'arrivais pas à savoir ce qui l'avait tué, l'alcool que je lui versais chaque nuit ou bien son incommensurable connerie.
Ce soir là, je suis tout de même allé travailler. Je ne sais trop pourquoi, j'étais intiment convaincu de pouvoir protéger les autres de la mort. Comme d'habitude ils étaient tous là, mais aucun d'eux ne semblait savoir pour le con. Quelle bande de cons...
On me demandait de l'acoupa, de la salade de papaye, du jus de maracouja, du cachiri, mais aucune nouvelle du con. Je crois avoir déjà entendu son véritable nom, mais j'ai dû oublier, comme des milliers de trucs. Enfin, on me demandait de mettre "Constellation FM", sans doute la meilleure radio de nuit ; mais ce n'était pas le moment. J'ai quand même allumé la radio. Je me souviendrais toujours de cet air d'accordéon...
La musique avait plongé les autres dans le silence. Je les observais, tout aussi silencieux. C'est à ce moment là que je comprenais, dans leurs regards, que tous savaient pour le con. Personne n'avait osé, mais tout le monde était venu. La musique... C'était comme son hymne au con...
Je me souvenais : Ceux qui viennent au restaurant, c'est ceux qui pleurent d'un chagrin d'amour, ceux qui dépriment de ne pas voir leurs rêves se réaliser, ceux qui ont oublié la joie du quotidien, ceux qui sont euphoriques tellement ils se sentent heureux, ceux qui boivent à la santé de leurs frères... Encore de mon père, malheureusement.
Il était huit heures moins le quart et ils commençaient seulement à partir. Leurs cravates enroulées autour de la tête, renversant le restant d'alcool sur le sol, ils chantaient tous cet air d'accordéon en sa mémoire. Le chagrin s'était envolé. L'aurore n'avait jamais été aussi beau.
Ici, tout le monde vient se remplir la panse, se remplir le cœur, et repart avec le sourire... de ce petit restaurant situé dans un recoin obscur de la ville... C'est de moi cette fois-ci. J'espère qu'il est fier.
Comment ? Vous voulez l'adresse ? Il suffit de demander "La Cantine du Pian" à n'importe quel passant, rien de plus.
À un autre soleil ! Ah, non. Du coup, non...
Hmm... Passez une bonne nuit où que vous soyez.