Posté le : 23 fév. 2023 à 20:37:25
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L'économie shuhe pour les nuls (et les capitalistes)
Vous voulez proposer un produit super-incroyable à la population shuharrie, et vous vous dites "ça doit pas être bien différent de chez moi !", et vous vous retrouvez avec un seul acheteur, et c'est le gouvernement local d'un peuple dont vous avez jamais entendu parler. Ou alors, vous voulez "investir" aux Terres australes, fournir des emplois et de l'argent, répondre aux besoins des innovations de demain dans une synergie co-créatrice permettant de disrupter le marché si porteur du cracker au poisson fumé pour réussir le défi de la mondialisation ! Il est fortement probable que vous soyez perdu face à un monde où personne ne comprends vos termes. Il est peut-être temps de se lancer dans le monde étrange et mystérieux de l'économie l'Union des Terres australes.
Déjà, c'est une économie
Pour comprendre l'économie shuhe, il peut être utile de désapprendre beaucoup de choses sur le fonctionnement d'une économie. Shuharri, c'est un monde où personne ne parle d'emploi et de chômage, où le problème de financement se règle en demandant du bois à son voisin ou en imprimant du papier, où tu peux avoir le droit de cultiver une terre, mais où c'est des étrangers de ton pays mais d'une culture différente aux lois différentes qui peuvent y chasser... Tout ça parce qu'une bande de tribus qui voulaient arrêter de se taper dessus ont construit un système économique à l'écart du monde extérieur bien évidemment plus civilisé qui s'occidentalisait à toute vitesse.
Si vous voulez former une économie, il vous faut, en premier lieu, plusieurs personnes (humaines de préférence, d'autres organismes peuvent faire l'affaire, mais on appelle ça "écologie" parce que), qui ont des besoins qu'on ne trouve pas directement autour de nous (heureusement que sur notre belle planète, on a généralement pas besoin d'une économie pour respirer), du travail pour transformer le monde qui nous entoure (souvent fourni par les mêmes personnes équipées de toutes sortes d'outils), des recettes pour utiliser ce qu'on trouve pour les transformer en trucs qu'ils nous faut (les connaissances), et évidemment, les ingrédients (les ressources).
Donc, imaginons, vous êtes une tribu, vous voulez un poisson, il y en a dans l'océan, on sait le pêcher, et on le pêche, bravo, vous avez une économie. Mais tout le monde n'est pas prêt à investir les efforts pour obtenir des poissons qui les intéressent peu, certains veulent prendre plus de tel ou tel poisson, ou voulaient un poisson vivant et l'obtiennent mort, et que ce passe-t'il si on a pas assez de poisson pour tout le monde ? Il va donc falloir déterminer qui pêche, à quoi sert le poisson, qui en obtient le résultat, et comment on fait... Eh bien, il n'y a pas de recette miracle, c'est pour ça qu'il y a pleins de type d'économie.
On peut décider par exemple que dans un village, le Capitaine Haddock qui veut que des poissons soient pêchés puissent donner à des pêcheurs ce qu'ils veulent, en échange, ils iront pêcher une quantité importante de poissons qu'ils remettront à Haddock, qui aura le droit d'en faire ce qu'il veut, et par exemple, les échanger contre tout le reste des trucs du village, puis comme les gens ont besoin d'autres choses que du poisson pour vivre, ils iront pêcher pour le capitaine Haddock en échange de ce qu'il leur faut pour vivre. Ceci est une économie capitaliste, dans lequel on investit du poisson dans des trucs qui permettront de pêcher plus de poisson, surplus de poisson qui correspond à un profit.
Mais au fait ? Comment ce fait-il que le capitaine Haddock ait pu à lui tout seul, fournir ce dont les pêcheurs avaient besoin ? Et en quoi cela justifie-t'il qu'on lui remette le poisson ? Et pourquoi a-t'il décidé, en échange du poisson, qu'il voulait tous les objets du village ? Qu'est-ce que l'on gagne à accumuler du poisson ? On voit bien que ce qui permettrait l'émergence d'une telle économie n'est pas simplement le fait qu'il ait du poisson et des gens qui en ont besoin, mais aussi que le capitaine était en position de décider qui pêcherait et pourquoi, parce qu'il disposait du pouvoir sur des choses qui intéressaient les gens, et qu'en accumulant tous les objets du village, il recevrait une gratification, sociale par exemple. Si en fait, c'était le shaman qui pouvait décider si le capitaine pouvait donner des objets ou non aux pêcheurs, Haddock ne pourrait plus contrôler tous les objets du village sans contenter le shaman, qui peut donc lui aussi décider qui reçoit le poisson, la structure de pouvoir est très différente, et donne une société différente. On peut aussi se retrouver dans une société où l'accumulation d'objets n'est pas valorisé, et constitue plutôt un problème à gérer qu'une situation enviable, auquel cas, le capitaine se retrouverait à par exemple donner, ou détruire les objets qu'il aurait de trop. L'économie est organisé selon des valeurs et une organisation sociale, et il n'existe pas de système économique réellement inscrit dans le fonctionnement biologique des humains.
Mais en fait, ce n'est pas une économie, c'est plusieurs économies
Donc, qui répartit les ressources dans l'Union des Terres australes ? Qui organise l'économie, et pourquoi ? Eh bien, il n'y a pas réellement de réponse, car les Terres australes n'abritent pas une culture, mais des dizaines. Cela peut aller de l'administration shue tentaculaire, au communisme primitif des Thurannis qui mettent leur ressources en commun et chacun se sert, des coopératives des révolutionnaires hohhothaïens aux systèmes de troc et de dons réciproques connus des Majeqa. Mais cela pose un autre problème c'est que les différents peuples, avec leurs différents systèmes économique, utilisent des ressources communes pour leurs besoins, et que celles-ci sont en général en quantité limité, il faut alors savoir quel peuple obtiendra les ressources, sous quelle forme, quel peuple la produirait, qui peut décider des réponses à ces questions ? Ces questions sont issues de conflits entre des intérêts de différents groupes, qui doivent être régulés, émerge alors une économie interethnique capable de relier plusieurs systèmes économiques entre eux.
En général, les peuples peuvent accepter des accords bilatéraux, ou plurilatéraux mais rien ne les y oblige, et les accords peuvent être aisément rompus s'ils entrent en conflit avec les intérêts de l'une des parties, ce qui en limite l'efficacité pour précisément gérer des conflits, sauf si les deux partis on intérêt à gérer les conflits. La guerre est (entre autres) une façon relativement efficace de gérer une économie interethnique, mais a la fâcheuse tendance à... Pousser des peuples entiers à l'extinction, surtout quand le climat et la géologie du coin apprécient aussi le goût du sang. Différents accords interethniques, qui ont mené à l'Union des Terres australes ont donc été utilisés pour trouver un système économique permettant à tout le monde de résoudre des conflits sans que cela n'implique la mort de gens. Ça fait partie des questions que l'on discute à la Zone de rencontre et que le Vahal régule. Cela n'empêche pas aux peuples shuhs de s'entendre également sur des traités plurilatéraux, et même des institutions infraethniques comme la ville ou le clan peuvent avoir des accords économiques.
Donc, il y a une économie, composées de pleins d'économies, eux-mêmes composés de pleins d'économies, mais qui s'agrègent en pleins de groupes d'économies à la fois ? Exact, vous avez compris !
Si l'on ne va pas décrire ici l'économie de chacun des peuples, l'économie interethnique de l'Union des Terres australes à l'avantage de pouvoir être considéré comme UN système. Donc, accrochez vous, c'est là que l'on va entrer dans les détails concrets du fonctionnement de l'économie interethnique.
Quand un conflit d'usage des ressources éclate entre deux tribus ou clans d'un même peuple, c'est le gouvernement local du peuple qui gère, c'est à dire, pas nécessairement un gouvernement central et incarné par des gens, mais un mécanisme de gestion des conflits propre au peuple (donc ça peut être un chef de horde... Ou un duel entre deux représentants, selon les pratiques), si deux groupes de deux peuples entrent en conflit, les gouvernements locaux peuvent régler le conflit. Si le conflit a lieu entre deux peuples, là, c'est plus compliqué, et c'est là qu'intervient l'Union des Terres de Shuharri. Les deux peuples vont discuter dans une steppe dédiée à ça, la Zone de rencontre, parfois avec l'aide d'autre intervenants, la décision prise sera rapporté au Vahal qui formalisera l'accord et veillera à son application. S'il n'y a pas d'accord, le Vahal a l'autorité pour trancher, décision que d'autres peuples peut remettre en cause.
Comment se traduit concrètement un accord entre deux peuples sur l'usage d'une ressource commune ? Les licences d’exploitation ! Elles déterminent qui peut utiliser une ressource, en quelle quantité, sous quelles conditions. Contrairement à un acte de propriété, une licence d'exploitation ne donne accès qu'à ce qui y est décrit, ne garantit pas que l'on puisse faire ce que l'on souhaite des ressources extraites, et peut être rediscutée y compris par l'autre parti, et n'est donc jamais acquise. Deux peuples peuvent également disposer chacun d'une licence d'exploitation similaire ou différente sur le même élément.
Chaque peuple et chaque institution interethnique peut créer sa monnaie et l'imprimer, la monnaie permet donc de fluidifier les échanges eu sein d'un peuple, mais ne constitue pas l'unité de base pour estimer la valeur de biens et de services, une grande part des services et des marchandises sont produites, puis distribuée sans que jamais un billet ou une pièce ne soit impliquée. Shuharri ne dispose pas d'une économie monétaire, mais pas non plus d'une économie de troc. Des biens et des services peuvent être échangés entre plusieurs personnes, groupes, ou peuples sans que rien ne soit livré en contrepartie, soit dans un but d'influence, soit dans une logique de soutien mutuel... On parlerait davantage d'une économie d'accords. Ce qui fait que l'on est prêt à céder ou non ce dont on dispose, c'est les accords que l'on passe avec un partenaire. "Nos voisins veulent du poisson, nous ne désirons rien, on se met d'accord pour leur donner du poisson et ils nous respectent beaucoup, et ils serons plus disposés à nous fournir des trucs si on veut". Le système se base en grande partie sur la capacité à développer des liens au-delà du commerce et à se faire confiance. Si l'on a pas confiance en un peuple, on refusera également sa monnaie et préfèrera un échange (car il n'est pas garanti que la monnaie garde sa valeur ou soit même acceptée au moment de l'achat d'un truc, mais c'est aussi le cas si on ne voit simplement pas ce que l'on pourrait échanger avec cette monnaie, donc demander un échanger est plutôt normal et n'est pas nécessairement un signe de méfiance de la part des Shuhs.
L'ensemble des peuples peuvent collaborer sur des projets communs, il s'agit autant de produire quelque chose dont l'ensemble peut avoir besoin (de la connaissance par exemple), que d'amener des gens très différents à coopérer sur les mêmes problèmes. Si certains travaux communs disposent d'une utilité évidente (le réseau ferroviaire par exemple), d'autres sont menées en premier lieu pour leur intérêt diplomatique (la recherche scientifique typiquement).
Le monde qui entoure un shuh n'est pas nécessairement considéré sous l'angle du bénéfice économique qu'il peut en retirer. Un lac, une montagne, une forêt, un volcan, peut avoir une dimension sociale, esthétique, spirituelle, patrimoniale, culturelle qui dépasse la simple extraction de ressources et de services. Le gisement de phosphore des Terres australes se trouve par exemple sous le mont Ikhtasenker, qui sert aussi de lieu de rencontre aux Arpenteurs des Glaces au Sud de l'Enclave. En général, l'ensemble des Terres australes est considéré, et par la plupart des peuples, comme disposant d'une valeur intrinsèque. Alors, c'est vrai partout, même en Eurysie, simplement, le village eurysien qui tient à sa forêt, ce n'est souvent pas lui qui décide quoi en faire. Les Shuhs se sont organisés pour garder ce pouvoir.
Les Terres australes (et Tumgao et Hohhothaï) ne disposent que d'un nombre limité de ressources minérales, et se retrouve en manque permanent de combustibles fossiles (charbon mis à part, mais difficile à extraire), de métaux (fer mis à part), de terres rares, et ainsi de suite, les tempêtes récurrentes rendent les voies commerciales maritimes comme aériennes peu fiables et produit un système économique très limité en ressources qui recycle absolument tout ce qu'il peut. Cela façonne une bonne partie des développements actuels des Terres australe, de la faible présence des armes à feu, même parmi les chasseurs, à la navigation à voile, en passant par les recherches en électronique organique et l'intérêt pour les biotechnologies.
La multitude de risques existentiels qui pèse sur l'ensemble des peuples on amené les peuples shuhs à constituer une véritable idéologie long-termiste. Son incarnation la plus évidente est l'Ahak, qui vise justement à concevoir des projets de long terme et à tester la pérennité de l'organisation qui maintient l'Union des Terres australes en place. Et quand on dit "à long terme" ici, on parle d'échelles se comptant en millénaires, voire plus. Cela a des effets importants sur la façon dont les Shuhs abordent leur économie : il refuseront se s'engager dans une activité qui leur causerait des problèmes à long terme. Par exemple, ils n'ont pas l'intention de s'engager dans l'exploitation industrielles de ressources non renouvelables comme le charbon ou le phosphore, dans la mesure où c'est une activité qui ne peut être maintenue que peu de temps. Les Shuhs font aussi très attention à l'état de leur écosystème car ils en dépendent pour survivre. Les populations animales et végétales sont rigoureusement suivies, et la fertilité des sols est régulièrement vérifiée dans un champ.
C'est pourquoi, c'est une économie, dans une économie, dans une économie, dans une économie...
Un peuple non lié au Vahal qui voudrait exploiter une ressource sur les Terres australes le pourrait, mais s'il y a conflit avec un peuple lié au Vahal, il se règlerait par les moyens traditionnels, accord bilatéraux, règles informelles, ou guerre. Cela est aussi vrai des pays étrangers. Une installation étrangère qui déplaît aux peuples des Terres australes peut purement et simplement être démontée. Un pays étranger, pour accéder à une ressource d'une terre, il faut soit passer un accord pour obtenir la ressource, soit s'entendre avec l'un des peuples pour partager l'accès à une ressource, on parle de partage de la licence d'exploitation. En général, un peuple qui va accepter de partager une licence d'exploitation le fera en échange d'un accord, généralement, la ressource ou le travail industriel se fera conjointement avec l'hôte, et l'invité pourra prendre sa part selon les conditions discutées en amont.
Globalement, la Gyasarr n'accepte de monnaie étrangère que s'ils pensent pouvoir l'échanger contre des choses dont les Terres australes ont besoin. L'argent n'est qu'une faible part de son économie, et cela se ressent dans ses accords commerciaux. Ils préfèrent généralement l'échange de ressource à l'exploitation conjointe, sauf s'ils vous font confiance (auquel cas, l'exploitation conjointe est un projet commun qui peut permettre des rapprochements).
Si le pays vient parler commerce avec vous, il essaiera de s'adapter à vos pratiques, sans nécessairement les maitriser toutefois, il est par contre également possible qu'il viennent échanger avec des membres de votre pays qui ne sont pas le gouvernement, ni des entreprises. Souvent, il s'agit de peuples autochtones, avec qui les Shuhs sont beaucoup plus à l'aise.
Si vous êtes arrivés là, félicitation, vous disposez de toutes les bases pour aborder plus ou moins sereinement vos futurs partenaires shuhs avec une offre commerciale que, j'en suis sûr, ils ne pourront pas refuser.