Posté le : 21 déc. 2022 à 18:16:56
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Les questions étaient nombreuses et pertinentes, et cela rassurait Aarifa el-Safar qui savait pouvoir compter sur des équipes motivées et appliquées. Peu importe les barrières linguistiques et culturelles, l'Institut réussirait à trouver son bonheur grâce aux travaux communs à venir. Il s'agissait même d'une partie prenante du projet : en s'appuyant sur des chercheurs étrangers approches différentes, l'Institut s'affranchirait de ses habitudes et donc peut-être des blocages qui en découlent. La pente serait enfin remontée et l'avenir de la ville de nouveau sécurisé.
Ce qu'Aarifa n'avait pas explicitement souligné, et qui peut-être devrait être dit dans la suite de la conférence, c'était l'importance de la politique gouvernementale et locale : certains dans les institutions préféraient concevoir une autonomie alimentaire nationale plutôt que locale car tout simplement, regrouper les moyens de production rendait le processus global plus efficace, tandis que d'autres pensaient qu'en tant qu'entité administrative autonome, Al Kara se devait de pourvoir à ses propres besoins au lieu d'importer le nécessaire des régions voisines ou pire, de l'étranger. C'était également une affaire d'attractivité régionale : une ville autonome est bien plus rassurante du point de vue des Banairais qu'une ville qui dépend du reste du pays et qui par conséquent est perçue comme irresponsable. Percevant l'utilité de ce point, la porte-parole se décida à l'expliquer de manière factuelle. Ayant apporté ces informations, elle enchaîna sur la question de Yabuqa :
"Les Banairais chérissent leur indépendance, et ce malgré leur tradition mercantile. C'est pour cela que la politique locale comme nationale tourne souvent autour de notre autonomie, qu'elle soit militaire, économique ou tout simplement vis-à-vis de nos besoins primordiaux : l'alimentation, l'eau, l'énergie, les médicaments...Il est donc inenvisageable d'utiliser des produits qui pourraient, à terme, polluer les sols. Je ne parle pas là de pollution à l'azote du fait de mauvais dosages d'engrais par exemple, mais de pollution des sols par des produits phytosanitaires nuisibles à la santé humaine, et causant donc des retombées pérennes sur la santé des habitants, et ce d'autant plus que les parcelles agricoles sont rares dans la région concernée. La philosophie n'est donc pas de refuser les innovations technologiques mais d'éviter de créer des systèmes non renouvelables qui ne sont donc que des solutions à court terme.
Il est effectivement important de préciser ce que la loi banairaise définit comme engrais, pesticide ou fongicide de synthèse, car le terme porte à confusion. Est considéré comme "de synthèse" tout produit, des trois dont nous parlons, qui est crée par l'industrie à partir de ressources non renouvelables. La question qui s'ensuit est donc : les produits des ressources finies ne passant par l'industrie sont-ils autorisés ? La réponse est oui, mais il s'agit d'une faille légale.
Pour tout vous dire, la loi en question, ainsi que le corpus dont elle fait partie, a été imaginée dans un contexte d'abus de l'agriculture dite conventionnelle en Eurysie, et dont les pratiques avaient été copiées au Banairah durant la première moitié du XXème siècle dans l'espoir de produire de larges quantités de nourriture grâce à l'importation massive de produits chimiques et de matière organique notamment. Suite à des études sur la pollution des nappes par des molécules qui ont été plus tard prouvées comme toxiques, la tendance s'est essoufflée et les produits ont été progressivement interdits. C'est d'ailleurs du fait de l'origine eurysienne de la tendance qu'il existe des termes tels que "engrais de synthèse" et donc les confusions qui vont avec.
L'évolution de la loi dépendant des critères de santé et de minimisation globale de la dépendance des exploitations et la loi autorisant par dérogation les produits prouvés non dangereux pour la santé humaine ou la santé du sol; vous pouvez considéré comme produits autorisés l'ensemble des produits sûrs à la consommation intentionnée ou accidentelle via l'eau par exemple. Nous sommes conscients de devoir, en tant que citoyens, faire évoluer la loi pour favoriser la fabrication d'aliments au niveau national au lieu de reposer sur l'importation, et ce projet d'études collaboratif est à long terme, ne vous restreignez donc pas trop. Il se pourrait bien que des méthodes efficaces et plus fiables que la production étrangère, qui ne suit pas toujours nos standards, soient acceptées par décret ou entérinées à moyen terme dans la loi.
Pour plus de précisions, je me permets de faire une série d'exemples sûrs pour chaque catégorie :
Parmi les engrais, on trouve tous les types de compostage ainsi que des méthodes telles que la culture de végétaux fertilisants, des légumineuses entre autres. Les cendres dont vous parlez seraient également acceptées, et de souvenir cette technologie est peu voire pas développée.
Pour les pesticides et fongicides, des espèces sont parfois introduites après étude de risques pour effectuer de la prédation ou du parasitisme vis-à-vis des nuisibles. Le reste dépend de la toxicité des molécules principalement, vous pourrez trouver des registres à ce sujet dans nos bases de données partagées avec le ministère de l'agriculture.
Aarifa passa ensuite à la question suivante. Elle portait sur la délimitation des terres transformables pour les besoins de l'agriculture. Une question tout aussi cruciale pour la suite, puisque cela définissait par cela même les méthodes et les cultures qui devraient être privilégiées.
La délimitation est assez large et dépend surtout des besoins. L'aéroport pourrait être sujet à des limitations autour de son périmètre pour des raisons de sécurité, par exemple si des bâtiments sont construits. Le désert et la montagne peuvent être utilisés, la montagne devant être en partie laissée intacte pour les activités récréatives des habitants. Cela fait partie de l'identité de la ville après tout. Une partie des terrains est utilisée par les nomades qui y passent régulièrement, ces terrains ne sont donc pas concernés par le projet et ne font pas partie de l'espace juridique de la ville. Quant à la ville, cela dépend de l'espace disponible, mais on pourrait imaginer de la culture en cave par exemple. Je vous présenterai plus après une carte des lieux pour plus de clarté.
La mise en culture de terrains désertiques bien au-delà de la limite administrative d'Al Kara est envisageable, mais toujours compliquée judiciairement et légalement, puisqu'il faut réussir à trouver un terrain d'entente avec les occupants légitimes des territoires concernés et réécrire les cadastres. Cette partie-là s'avère souvent compliquée, à la vue du nombre -et de types- d'entités administratives au Banairah.
Question suivante : combien importe Al Kara en matière organique et quel est le devenir des déchets organiques et des eaux usées ?
Al Kara importe de larges quantités de nourriture et de carbone en général, c'est d'ailleurs pour cela que la majorité des citoyens désire changer, quitte à réviser la loi en autorisant l'exploitation de phosphore fossile, mais cela reste sujet à débat. Pour référence en termes d'importations alimentaires, nous pouvons nous baser sur les céréales. Al Kara importe via la société publique d'importation alimentaire du Banairah 0,6 millions de quintaux de céréales toutes confondues. A cette masse, il faut ajouter divers aliments tels que des légumes -pois, haricots, tomates- et des fruits. On trouve également des produits transformés ainsi que quelques produits carnés hallal et quelques produits laitiers. Parmi les céréales, on trouve de l'orge utilisée dans des élevages de moutons, de poules et de chameaux, le chameau étant la principale source de produits laitiers locaux. Les légumes sont approximativement dans le même ordre de grandeur que les céréales, le reste des produits étant d'importance relative comparée à celle des céréales et des légumes qui constituent la base du régime.
Pour ce qui est des déchets organiques, ils sont récupérés via des bacs de récupération domestiques puis envoyés en site de compostage. Du compost est crée sur le site et est épandu sur les terres agricoles des exploitants partenaires de la ville. Parmi ces terres, on trouve les terres que détient la ville, mais aussi des parcelles privées gérées par des communautés rurales avoisinantes. Ces partenaires sont tenus de vendre leur production à la ville en échange du compost produit. Etant associé judiciairement à la ville, la production de ces parcelles constitue celle de la ville, en plus des exploitations vivrières domestiques.
Les eaux usées sont traitées pour être consommables, ou au moins utilisables de nouveau par les industries, en revanche il n'existe pas de système efficace de réutilisation des boues d'épuration. Cela pourrait faire partie des axes de développement en ce qui concerne les apports en matière organique au champ.
Aarfia en profita pour répondre dans la foulée à la question suivante portant sur le compostage :
La croissance de la population urbaine néanmoins a posé problème aux politiques de récolte des déchets organiques domestiques qui ont eu du mal à suivre. Al Kara est une ville porteuse d'Histoire, et donc sa structure est très hétérogène avec un centre aux rues très étroites et des périphéries diverses. On trouve des axes routiers classiques où l'automobile peut se frayer un chemin, et donc sur lesquels on peut établir un circuit de camions collecteurs, et des quartiers piétons où la récolte s'avère plus compliquée. La peur de coûts trop importants a relégué l'initiative jusqu'aux trente dernières années, autant dire qu'avant, les habitants compostant leurs déchets verts étaient ceux qui cultivaient encore eux-mêmes, qu'ils soient des habitants intra muros ou non. L'utilisation la plus courante est l'épandage sur le sol cultivé. La pratique est donc récente.
S'ensuivait une question sur les vents dans la région, et notamment des tempêtes de sables.
Al Kara a un avantage indéniable, c'est sa protection des vents dans ses terres adjacentes aux montagnes, à savoir les terres les plus au nord. Malheureusement cela va de pair avec le blocage des nuages venant des côtes du nord du pays et donc une baisse drastique de la pluviométrie par rapport au nord. Au sud, les hauts plateaux offrent des paysages plats parsemés de petits buissons peu sujets aux tempêtes mais bien exposés aux vents du Sah'ra oriental. Les vents proviennent de l'ouest du continent, le Sah'ra couvrant la majeure partie du nord du continent afaréen. Plus au sud encore, on trouve des dunes de sable et des tempêtes de sable très fréquemment. Les rafales de vent sont courantes, brutales et très chaudes et sèches. Il n'est pas rare de trouver des températures avoisinant les 50°C à la pointe sud du pays, à savoir le point le plus au sud des hauts plateaux, et c'est en partie du fait de ces vents chauds. Ces vents apportent avec eux du sable également.
Aarifa parla ensuite des différences d'habitudes entre les catégories socio-économiques, entre les professionnels de différents secteurs, entre les catégories d'âges...qui montraient que l'agriculture vivrière était à la fois une question traditionnelle et économique. Les métiers ouvriers à temps plein laissent peu de temps pour la culture mais nécessitent leurs apports, ce qui implique des pratiques alimentaires allant à l'économique, ou des structures de coopération entre plusieurs familles dont les membres se relaient pour l'entretien de parcelles communes. Les métiers s'effectuant à domicile sont plus compatibles avec la vie au plus près des terres arables familiales, mais elles se révèlent moins nécessaires que pour les familles moins aisées et sont donc cultivées pour leur aspect traditionnel et récréatif. Il s'agit également de responsabilité individuelle quant aux terres arables, qui si elles étaient abandonnées, disparaitraient du patrimoine domestique des générations suivantes.
Et enfin l'industrialisation qui avait été prédominante dans la région depuis environ un siècle et qui avait été à l'origine de la croissance démographique de la ville. Fonderies, métallurgie, engins de transports, raffinage du pétrole, électronique...Les pollutions qui en découlaient étaient multiples mais les diagnostics étaient clairs : les parcelles déjà en cultures n'avaient pas été touchées, et le reste du paysage devait être échantillonné pour en avoir le coeur net, et ce surtout dans les terres historiquement cultivées mais abandonnées en faveur des nappes de pétrole qui s'y trouvaient en-dessous.