Staïglad, Palais présidentiel - 15 février 2009
Lorsqu’elle avait reçu l’invitation dans un pli cachetée du sceau du Royaume de Svobansk-Normanie, dans son cabinet, la première réaction de Magdalena Sireskaya fut l’incrédulité, mais supposait que la monarchie eurysienne voisine, à raison fort peu éloignée de la République Prodnovienne souhaitait établir des liens diplomatiques avec la jeune démocratie qui affichait au monde la réussite indéniable de sa transition pacifique à l’économie de marché, au vu du succès des investissements étrangers.
Elle déchira d’un geste délicat l’enveloppe, porta la lettre devant ses yeux , puis en lut le contenu avec attention. Une fois fait, elle se retourna devant la fenêtre de son bureau qui offrait une vue imprenable sur les jardins de l’ancienne demeure du dictateur, là où en place et lieu des exécutions publiques se tenaient désormais des jardiniers et des horticulteurs qui s’affairaient avec entrain à effacer les immondices et les souvenirs traumatisants de la période noire du Prodnov.
On disait que le sang et les cadavres en putréfaction étaient d’excellent fertilisants, c’est en tout cas un des postulats de la Thylacine Corporation, un des mécènes de la RLP. Quoiqu’il en soit, là où il y avait autrefois un sordide peloton d’exécution s’élèvent désormais des pergolas de roses blanches et de lys. Là où l’on entassait les corps sans vie des opposants, qu’ils fussent femmes ou enfants d’à peine 10 ans, fleurissent désormais des parterres et des massifs de bégonias, de pétunias et de myosotis. Plusieurs plaques et petits monuments commémoratifs avaient été érigés ci et là, entretenant le souvenir des victimes du communisme.
Mme Sireskaya soupira, difficile de s’imaginer qu’au même endroit de telles horreurs avaient pu se produire. La jeune présidente de 30 ans à peine demeurait perplexe, on l’invitait à une conférence où se trouveraient les pires régimes de la planète, et parmi eux des ennemis déclarés de la RLP qui avaient pris les armes contre son peuple. Pour quels objectifs réels ou officieux ? Ceux de satisfaire l’égo démesuré de puissants voisins belliqueux non mécontents de pouvoir s’afficher aux côtés de leurs petites nations marionnettes défilant tels des vassaux à la suite de leur seigneur ? Pour que les propagandistes prolifiques des régimes meurtriers du Kronos et de la Loduarie retrouvent l’inspiration pour leur projets de manipulations des masses ?
Certains des participants semblaient aussi tellement peu légitimes qu’ils réduisaient à néant la crédibilité de l’intérêt d’une telle réunion. Prepolov, Albigark, Kotios, Mahrenie, tant de dépendances dont la suzeraineté coloniale ne faisait guère de mystères pour personne mais qu’il fallait absolument travestir comme des états indépendants.
Une plaisanterie cynique et de bien mauvais goût pensait Magdalena…il ne manquerait plus que débarquent à l’improviste les cracheurs de feu et les unijambistes en monocycle pour compléter le tableau d’une conférence qui s’annonçait parodique et foireuse de bout en bout.
Le cirque au grand complet était prêt, le chapiteau était levé : on avait déjà confirmé la présence des clowns pour leur grand numéro.
Dans le rôle du lanceur de haches maladroit : le premier secrétaire général Lorenzo Geraert-Wojtkowiak, un dirigeant à la mentalité d’un gosse de 12 ans qui jouait avec des légos et des soldats de plomb qu’il déplaçait euphoriquement sur une carte factice en pensant très naïvement qu’il représentait une puissance de poids en Eurysie.
Dans le rôle de la brute épaisse avec son gourdin préhistorique : Son comparse et acolyte Baldassare Calabraise, le joker, un cas clinique de sociopathie, qui a érigé le meurtre de masse en style de vie et qui pousse tellement loin le culte de la personnalité qu’on se demandait combien ils étaient nombreux à se bousculer dans sa tête ?
Et qui avions nous en face ? Des pays s’étant déjà compromis et affichant ni plus ni moins que leur complicité passive/active avec la Loduarie notamment, dont le petit hobby consistait constamment à jeter de l’huile dans le brasier Eurysien.
Seule la présence remarquée de la République du Jashuria ré-haussait un tant soit peu le niveau et était apte à fournir un gage de sérieux minimum et d’une certaine forme de respectabilité à cet ersatz diplomatique. La première puissance de Nazum, qui était désormais à la tête de l’ONC, allait probablement faire en sorte que le sommet ne se transforme pas en cour de récréation, en promettant qu’il s’agisse d’autre chose qu’un simple buffet froid à volonté pour diplomates oisifs qui aiment à s’écouter parler.
La présidente avait donc réuni la Douma d'Etat en séance plénière extraordinaire, et s’était entretenue personnellement avec les différents chefs des partis. La plupart des députés déconseillaient fortement à la présidente de s’y rendre en personne.
“Mesdames, messieurs, chers camarades. Je vous ai réuni pour que l’on décide collectivement si nous devons ou non nous rendre à ce sommet. Je ne vous cacherais pas que les objectifs affichés sont vagues et brumeux, ils ressemblent davantage à des vœux pieux qu’autre chose, et nous savons mieux que quiconque à quoi nous attendre de la parole et des engagements faits par des communistes. Certains d’entre nous en porte encore aujourd’hui les stigmates. Toutefois, notre nation doit s’ouvrir au monde et répondre par respect au Royaume de Svobansk-Normanie, afin de témoigner de notre bonne volonté.”
Le KDV (Parti Conservateur) insista pour qu’
“une fin de non recevoir soit sans délai adressée au Premier Ministre de Svobansk-Normanie, qui n’a pas dénié faire beaucoup d’effort en matière diplomatique ces derniers temps pour nouer des liens avec la RLP. Nous ne sommes pas nés de la dernière pluie, cette monarchie souhaite tout simplement réaliser un coup marketing, et se faire un peu de publicité. Cela sert probablement les intérêts nationaux de politique interne du premier ministre. Franchement avez-vous vu qui y participe ? C’est simplement absurde, c’est un numéro de tragi-comédie ce sommet. Cela fait cher le déplacement pour assister à une représentation de la Comedia Dell’Arte !”Le LDP (Parti Libéral Démocrate) surenchérissait :
“ Chers collègues, ne vous y trompez pas, on va avoir droit à l’étalage impudique et habituel de l’arrogance des kah-tanais et de la condescendance des pharois. Ils n’ont eu de cesse de traiter le monde avec dédain et mépris, pourquoi en serait-il différent maintenant ? Pourquoi servir de marche-pied à leur séance d’auto-congratulation ? On sait déjà qu’ils soutiennent la Loduarie, et que c’est tout à leur intérêt que d'entretenir les germes de la discorde en Eurysie. Il n’y a rien de pire que des pays eurysiens qui pourraient s’entendent entre eux, ce n’est pas bon pour leur contrebande et leur business des armes ! Et est-ce que la question des Territoires Occupés de Prepolov sera abordée ? Avez vous la mémoire courte Madame la Présidente de ce qu'il nous en a coûté des "discussions" avec les rouges ? ”Le Mouvement Démocrate-Révolutionnaire, le DRD pensait au contraire que :
“Camarades-députés, la présence de chefs d’états est une bonne opportunité de faire avancer notre cause, oui certains sont des bourreaux que beaucoup d’autres leaders évitent de fréquenter, mais la diplomatie requiert et exige de pouvoir traiter et négocier avec tout le monde, qu’il s‘agisse d’opposants politiques comme de criminels de bas étage. Mes camarades, le temps du fusil et de la barricade a été salvateur et a permit de nous libérer de nos chaînes, mais le temps de la plume et des mots est lui aussi venu, laissons le faire ses preuves. Et libre à nous de quitter la conférence lorsqu’on le souhaite ! Qu’avons nous à perdre ? ”“Notre dignité !” “Le respect de nos électeurs !” “Nos électeurs veulent la paix, pas une confrontation permanente !” “Pas de compromis avec les pourris !”Rappel à l’ordre du Président de la Douma :
“Du calme, camarades députés, ou je serais contraint d’une interruption de séance, il ne s’agit pas d’une votation, chacun est libre d’exprimer son opinion mais doit en échange laisser parler les autres ! “L’avis des députés de l’Union Démocrate Socialiste, la DSS, différait également par leurs déclarations :
“Chers consoeurs et confrères, même si c’est sans intérêt à court terme et que les communistes auront le sentiment de se faire mousser et de croire que le monde leur porte un intérêt, et que cela n’est probablement qu’un outil de propagande, pourquoi n’en ferions nous pas de même ?
Madame la Présidente soulève une vérité indéniable : La RLP est désormais un état officiel, reconnue par l’ONC. Montons donc sur l’estrade de la scène internationale, distinguons nous comme vous le dites dans ce cirque médiatique en affichant le visage d’une nation unie, resplendissante et renaissante, forte et prête à faire valoir ses intérêts auprès des puissants. Et peut-être que la paix en Eurysie est-elle au bout du chemin en fin de compte ?”.“Pas de paix avec des criminels ! “ “Un bon communiste est un communiste mort !” “Les socialistes sont tous des traîtres !” “ Venez donc me le dire en face” “La mort ? Que savez-vous de la mort ? Moi j’étais dans les camps de Kuklin Viktor !”.
Un brouhaha dans la Douma s’élève, de nombreux députés se levèrent de leurs sièges et se mirent à s’invectiver les uns les autres, d’autres levèrent les bras au ciel, certains même brandirent des portraits de proches ou de membres de leurs familles disparus ou tués.
L'exercice de la démocratie n'était pas une coutume au Prodnov, et les souvenirs de la tyrannie rejaillissaient en chacun aussi vivement que s'ils venaient de se produire. Le président de l’assemblée tenta de ramener le calme dans l’hémicycle tant bien que mal :
“Il suffit ! Mesdames, Messieurs ! Rasseyez-vous je vous en conjure ou j’interromps la séance immédiatement ! Silence camarades députés, silence dans l’assemblée s’il vous plaît ! Notre Douma est un lieu d'expression libre, respectez les avis de chaque représentant ! Montrez vous digne de la charge que nos concitoyens vous ont remis. La Présidente va désormais s’exprimer. Madame la Présidente, c’est à vous : ”
Magdalena s’offrit quelques minutes de réflexion puis trancha :
“Je comprends votre réaction, pour être honnête, le même sentiment m’a traversé ! Cependant, après concertation et mûre réflexion, je déclare que nous irons à ce sommet, et que je serais accompagnée des leaders des trois partis les plus importants de notre république : le KDV, le DSS, et le DRD. J’adhère à l’argument selon lequel, nous nous devons de parler avec tout le monde, même si cela nous coûte et nous révulse, et faire entendre notre voix. Nous avons certes le soutien indéfectible de l’ONC, mais ce dernier n’est pas éternel, et je sais par expérience que la guerre en Eurysie n’est jamais loin. Il faut donc voir à long terme, et tenter toutes les constructions possibles. Un pont de singe, constitué de planches vermoulues vaut toujours mieux que pas de pont du tout, croyez moi ! Je sais où je m’aventure, il y aura des lignes rouges à ne pas franchir, j’en suis bien consciente et je compte sur vous également pour me conseiller et me guider.
J’ai participé à une révolution, je pense que je devrais sortir vivante de ce panier de crabes, ne pensez-vous pas camarades députés ?”
Salve d’applaudissements dans la salle.Ainsi c’était décidé, Magdalena et la délégation composée des partis les plus importants de la Douma se rendrait à ce sommet pour la paix, qui serait selon toute vraisemblance un échec, mais qui avait d’autres buts en tête.
Leylo, Svobansk-Normanie - 01 mars 2009
Comme un pied de nez au gouvernement Loduarien, les Prodnoviens arrivèrent et atterrirent à Leylo à bord d’un des avions de ligne loduarien capturés par la chasse de l’ONC et remis en service dans l’aéronautique civile, repeint bien entendu aux couleurs de la compagnie aérienne Air Prodnov.
Mais les peintres facétieux avaient laissé, bien que discret mais néanmoins encore visible, les armes et le logo de la Loduarie Communiste sur la partie inférieure du fuselage comme pour marquer leur anciens propriétaires. Ces derniers furent bien entendus mis en évidence par les journalistes et les photographes locaux.
Un des délégués prit quelques instants pour adresser et glisser quelques mots auprès des journalistes : “Dieu merci nous sommes arrivés entiers, je pense que nous adresserons des remerciements de rigueur aux Loduariens pour leur généreux don d’avions qui contre toute attente tiennent la route. Voyez, ils volent et atterrissent, et les ailes sont toujours là ! D’ailleurs il paraît qu’ils sont venus à Leylo en porte-hélicoptères. Ca en dit long sur leur volonté manifeste de paix.
Une énième provocation et la preuve de leur totale incapacité à appréhender les subtilités et les codes de la diplomatie. Sérieusement, venir à une conférence pour la paix à bord d’un navire de guerre, qui peut croire à leur sérieux et à leur crédibilité ? Pourquoi ne pas carrément se rendre jusque dans la salle des débats en char d’assaut avec un fusil mitrailleur en bandoulière !”
Magdalena Sireskaya, quant à elle, s’abstint de tout commentaire, fit quelques gestes de la main à l’endroit de la presse, et prit ensuite le convoi avec ses coreligionnaires sur le lieu où devait se dérouler la conférence.
Lorsque les délégués se présentèrent les uns les autres, et que ce fut au tour de la délégation prodnovienne, la jeune femme prit la parole, d’un ton ferme et assuré :
“Très chers délégués, très chers représentants et diplomates, bonjour à toutes et à tous, je suis Magdalena Sireskaya, présidente de transition de la République Libre du Prodnov, élue par mes pairs à la suite de la glorieuse Révolution d’Octobre. Je remercie tout d’abord l’honorable Premier Ministre Bálint Nemeth et les autorités du Royaume de Svobansk Normanie d‘avoir permis cette rencontre. Je suis accompagnée par les chefs des principaux partis des instances représentatives et démocratiques de la Douma du Prodnov. M Viktor Borisovich., du Parti KDV, M. Alexeï Antoninov du Parti DSS, et Mme Katia Romanovna du Parti DRD et je souhaite de tout cœur la réussite et la bonne tenue des débats à venir. Rechercher la paix n'est pas une chose aisée, elle ne peut se faire qu'avec toutes les bonnes volontés du monde et des personnes disposées à entretenir des discussions sereines et apaisées ”...aussi désagréables et incommodantes soient elles conclue t elle dans sa tête.
Une fois ces présentations et remerciements de convenance très protocolaires effectués, la délégation prodnovienne tint à saluer personnellement les diplomates Jashuriens, Normaniens, et Cantais. De très brèves salutations symbolisées par de très furtives poignées de main, aux représentants Pharois et Kah-tanais, par pure courtoisie, car contrairement à certains, les Prodnoviens avaient de l’éducation. Sourires de façade bien hypocrites, ronds de jambes savamment exécutés, la présidente prodnovienne eut un comportement irréprochable et ne commit aucun impair.
« Mes salutations monsieur l’ambassadeur… » « Mes hommages madame la représentante …» furent distribués à la pelle comme il se doit, même si clairement ce sommet semblait n’avoir été convié que des rustres et des grattes papiers avides,.
En revanche une attention particulière fut apportée d’ignorer et d’éviter totalement ceux des territoires occupés de Prepolov, dont la souveraineté n’était à ce jour non reconnue ni par la RLP, ni par l’ONC. C’était la ligne rouge à ne pas franchir imposée par la Douma d'Etat de Staïglad. Il fallait donc laisser les marionnettistes agiter les bras des pantins désarticulés pour leur propre amusement. Les Loduariens étaient là pour amuser la galerie, visiblement ils tiendraient bien le rôle.
Les Kronosiens étaient tellement inamicaux que tout le monde cherchait à tout prix d’éviter d’être vus en leur compagnie. Après tout, hors des débats officiels, nul n’était tenu de faire la conversation, qui de toute manière serait fort limitée avec certains. Mais quelques représentants de la délégation du Prodnov allèrent tout de même leur adresser des salutations de rigueur. Le minimum syndical quoi, les communistes seraient bien capables de déclencher des hostilités juste parce que untel ne leur a pas dit bonjour.
Puis vint le moment où les délégations prodnoviennes et jashuriennes se rencontrèrent et s’échangèrent des amabilités sincères.
“Madame Lalana Preecha, c’est un réel plaisir que de voir un visage amical et bienveillant, je ne saurais vous dire ô combien la confirmation de votre présence a été un facteur important dans la prise de décision de notre venue. Car pour tout vous avouer, j’étais inquiète à l’idée de me retrouver seule contre tous, bien que je ne sois pas si facilement impressionnable.
Oh, mais avant que j’oublie, je tiens à solennellement adresser toutes les félicitations de la RLP à la République de Jashuria pour votre élection à la tête de l’ONC. D’ailleurs je ne sais si c’est à ce titre, ou en qualité de représentante de la Troisième République que vous participer à ceci, mais quoiqu’il en soit, vous me voyez ravie d’avoir une alliée de poids et à la parole mesurée et écoutée telle que la vôtre entre ces murs.”