11/05/2017
22:18:18
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Activités intérieures en République de Mokhaï

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Rp n°1, l'amertume de la jeunesse provinciale

HRP a écrit :HRP : Ces écrits sont consignés dans un journal appartenant à Chu Maeo.

Bonjour, je m'appelle Chu Maeo, je suis né le 17 janvier 1988, dans le Nord-Est de mon pays, le Mokhaï, reculé dans les montagnes. J'ai donc 22 ans et je me suis récemment engagé dans les milices populaires lisent en place par l'État il y a peu.

Je viens d'une famille pauvre et nombreuse. J'ai quatre frères et trois sœurs et mes parents travaillaient dans une mine de charbon au nord-ouest de Pugapu. À eux deux, ils gagnaient peine 800$ sous la République, autant dire que nous ne vivions pas dans le luxe. Mes frères, mes sœurs et moi, ne mangions qu'un maigre repas par jour, le soir, et nos parents, pour que justement, nous puissions avoir ce repas, mangeaient qu'un jour sur deux. Pour subvenir à nos besoins, nous allions souvent en forêt pour ramasser tout ce qui était plus au moins comestibles : racines, plantes, fleurs, baies… Et encore, même avec cela, nous étions bien maigres.

Notre région est sans aucun doute la plus pauvre de tout le pays et notre village, très isolé. Tellement isolé que nous ne sommes pas allés à l'école, car elle avait fermé il y a 40 ans. J'ai appris à lire et à écrire sur le tas, il y a peu. Donc depuis nos neuf ans à peu près, nous travaillions tous dans les champs. Cela est en dehors de tout cadre légal et c'est interdit, mais nous sommes tant reclus que la justice républicaine ou impériale ne nous atteignaient pas. En salaire, le propriétaire nous donnait de quoi nous chauffer, des "habits" qui étaient de vieux haillons rafistolés et nous donnait 5$ par mois, ce qui, vous l'aurez deviné, était très peu.
Nous vivions alors dans la misère la plus totale.

Nous avons appris cinq jours après que notre pays était devenu indépendant. Ce fut une grande surprise pour nous et nous ne savions pas quoi en penser. Au départ, rien à vraiment changé pour nous. Nous vivions déjà dans une famine perpétuelle alors, nous n'avons rien ressenti. Cependant, lors des élections, nous avons placé beaucoup d'espoir en Aoki Saburo et avons tous votés pour lui dans le village. Nous avons appris sa défaite et avons continué notre train-train misérable.

Plusieurs semaines plus tard, après que Zhen Kun eu été pendu et qu'Aoki Saburo soit parti en exil, les membres du conseil municipal nous ont annoncés qu'une révolution allait bientôt avoir lieu. Saburo avait réactivé depuis l'étranger ses réseaux et l'Union de la Résistance. L'insurrection allait commencer et ils cherchaient des hommes motivés pour s'engager. Mon père et mon grand-frère s'engagèrent, mais moi, j'ai préféré rester aider le reste de ma famille. J'étais le garçon le plus âgé donc une grande tâche m'incombait. Nous redoutions affreusement que mon père et mon frère se fassent tuer...

Des policiers sont arrivés dans notre village pour arrêter des officiers de l'Union de la Résistance, mais ceux-ci étaient déjà partis. Dans un accès de rage, ils ont massacré les habitants du village, violés les femmes et les filles et torturer tout humains sur leur passage. Ma mère m'a demandé de fuir avec mes frères et sœurs, mais deux de mes frères ont insisté pour rester et ils m'ont imploré de partir avec mon dernier frère et mes sœurs pour les protéger. Nous sommes alors partis nous cacher encore plus loin dans la montagne et je suis redescendu trois jours plus tard pour savoir ce qu'il s'était passé. Les républicains avaient brulé le village et jeté les corps dans une grotte. J'y ai retrouvé le corps de ma mère et mes frères, mutilés comme tous les autres. Je suis immédiatement reparti chercher ce qu'y restait de ma famille et je l'ai est déposé chez des cousins.

Je me suis engagé à mon tour dans l'Union, 4 jours avant la victoire. C'était pour prendre des nouvelles de mon père et mon frère et pour venger mon village. J'ai demandé à des dizaines de personnes et j'ai finalement appris qu'ils étaient morts à la bataille de Yuang sans savoir qu'ils y étaient tous les deux. J'ai décidé de rester tout de même jusqu'à la fin. J'ai participé à la bataille de Ghaliya qui fut une bataille assez calme puisque les forces de l'ordre étaient extrêmement affaiblies. Elle fut prise sans problème.
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Vote municipal.


Il était 9 heures dans la salle appelée l'Assemblée dans la petite ville de Jetangan qui compte 3975 habitants. La ville a été désignée dans le traité entre le Negara Strana et le Mokhaï comme celle qui accueillerait la base militaire stranéenne en cas de ratification. Le vote d'aujourd'hui consitstait à cela.

Le maire, Đoàn Chí Dũng avait donc réuni les 40 députés municipaux pour la ratification du traité les concernant leur municipalité.

- Bonjour à tous, nous sommes réunis aujourd'hui pour un vote quant à l'établissement d'une base militaire dans notre village. En tant que maire du Parti Écologiste, je parle en mon nom aujourd'hui, bien que la majorité du parti soit en accord avec ma position. Si certains souhaitent une consigne de vote de ma part, la voici : je suis fermement contre ! Mais nous avons déjà eux l'occasion de débattre là-dessus et je laisse place au vote. Qui est pour ?

Plusieurs personnes levèrent la main et le maire les compta.

- Qui est contre ?

Le maire et plusieurs personnes levèrent aussi la main et il le compta également.

- Les résultats sont, 23 députés pour, 18 contre. Je n'appose pas mon veto, l'article est donc ratifié. La base militaire pourra donc être installée dans notre ville, dans sa périphérie et les mesures nécessaires seront entreprises à son établissement.
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Réunion du Conseil Exécutif de la Commune Autonome de Saya


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Dans la salle sombre, une grande table s'étendait de bout en bout. Personne ne parlait, les visages étaient graves, figés. Le silence fut remplacé petit à petit par des bruits de pas dans le couloir. Un des hommes autours de la table pris un mouchoir et tapota son front avant de remettre le tissu dans sa poche. La tension était palpable et les bruits de pas se rapprochaient de plus en plus. Un autre homme toussa dans sa main quand d'un coup sec la porte s'ouvrit, faisant sursauter certaines personnes. L'homme s'arrêta et les officiels autours de la table se levèrent. Il alla s'assoir sur sa chaise en bout de table et fit un geste de la main, permettant aux autres de s'assoir.

- Bon, on va récapituler. La population même de la ville manifeste depuis plusieurs semaines son souhait de s'éloigner du gouvernement central, jugé inefficace, et même de revenir dans le giron de l'Empire. Nous-mêmes sommes hostiles à cette Grande Déléguée qui prétend rassembler et réformer notre peuple. Duan Song nous a sommée de mettre fin aux manifestations. Cette demande antidémocratique et autoritaire était absolument inacceptable. Nous avons choisi d'ignorer cette demande. Aujourd'hui, puisque Ghaliya n'a pas la force, c'est le Grand-Kah qui nous menace. Les forces impérialistes kah-tanaises nous ont données un délai d'une heure pour nous soumettre.

Il fit une pause et versa dans son verre de l'alcool de riz, une boisson qu'il aimait particulièrement, mais qu'il buvait ici pour soutenir le poids de la situation. Sa main tremblait légèrement. Pas de peur, mais de colère. Il fit rouler un peu la boisson dans son verre et bu la moitié d'une traite puis repris.

Nous n'avons que peu de choix. La soumission, le combat ou la temporisation. L'assemblée de la commune m'a accordée sa confiance pour réagir alors, nous devons faire vite.


Un conseiller - La population de la ville est majoritairement hostile au gouvernement de Ghaliya et ce sentiment se propage vite et de manière conséquente dans nos périphéries. Le mécontentement atteint même Pugapu. Nous ne connaissons pas les forces du Grand-Kah en place. Il est fort probable que nous disposions de plus de troupes avec nos 7'000 hommes combinés, mais seuls 5'000 sont des soldats professionnels et nous ne disposons pas de l'avantage technologique. Nous disposons seulement de l'avantage de la défense et de la connaissance de la ville que le kah-tanais n'ont pas, fautes d'avoir été acceptés au sein de celle-ci. Nous disposons de moyens antiaériens légers, mais ce ne sera pas suffisant pour mettre hors-jeux les hélicoptères de la Confédération.

Un autre conseiller - Factuellement, nous avons très peu de chances de gagner un affrontement militaire frontal. Mais la reddition selon moi n'est pas une solution. La situation du pays est catastrophique et une plus grande autonomie voir un rattachement à l'Empire serait beaucoup plus bénéfique. Nous pouvons demander peut-être des pourparlers.

Une conseillère - Un plan avait commencé à être discuté. Le statut de ville libre sous protectorat nordiste ou alterné entre l'Empire et le Mokhaï. Mais c'est un bourbier administratif, juridique et nous voyons une proportion toujours plus grande de la population pensant que la vie était mieux du temps de l'Empire. De plus, celui-ci a vu s'opérer des avancées majeures concernant ses outres-mer qui bénéficient d'une autonomie modérée permettant une paix totale entre la métropole et ceux-ci. Les investissements économiques pour mettre fin à la dépendance économique des régions à leurs ressources naturelles, les infrastructures, tout est en cours d'amélioration et l'Empire est redevenu une puissance non négligeable qui serait capable de garantir la sécurité et le retour de la prospérité économique dans notre province.

Le premier conseiller ayant pris la parole - Cependant, politiquement, je ne suis pas certain que l'Empire du Nord soit prêt à nous accepter. Ce serait très mal vu par bon nombre de pays si l'ancienne métropole revenait dans ses colonies. C'est pourquoi l'idée de protectorat était évoquée. Je ne sais pas si le gouvernement impérial serait prêt à nous reprendre sous son aile.

Maire - Bien. La situation militaire ne nous permet pas de combattre, mais la situation sociale ne nous permet pas la soumission. Nous allons essayer d'engager des pourparlers. Ce sera tout.

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Maire de Saya sortant de la salle de conseil
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Dans la salle du conseil des ministres, le président Seo Yasunari griffonnait des notes sur plusieurs documents. Il regarda sa montre et remit sa manche de chemise correctement. On frappa à la porte et il se leva. Les ministres entrèrent et s'inclinèrent respectueusement devant le président qui fit de même. Il leur fit un signe de la main pour qu'ils prennent place et se rassit.

Seo Yasunari - Bonjour à tous mes chers collègues. On va pouvoir commencer puisque vous êtes tous là. Madame Hatomi, pouvez-vous nous donner l'ordre du jour ?

Hada Hatomi - L'ordre du jour porte sur la définition d'un calendrier pour nos politiques prioritaires, c'est-à-dire la reconstruction du pays.

Seo Yasunari - Très bien. Alors, il me semble que les préoccupations actuelles du peuple sont effectivement la reconstruction du pays. Après trois ans d'instabilité, de destructions et de guerre, beaucoup d'infrastructures ont été sérieusement endommagées. On estime à un tiers la portion de réseau ferroviaire détruite, sachant que celui-ci était déjà maigre, et également un tiers pour les principaux axes routiers, bien maigres également. Les réseaux électriques n'étaient pas non plus très développés et une partie a été endommagée, à cela s'ajoute notre faible capacité de production électrique. Une partie du pays, notamment le nord montagneux, des régions du Pegaha et la campagne et forêt du Yamatoro n'ont pas accès à l'eau courante. Je crois que madame Leela Banahatti, vous avez estimé, avec les ministres des Transports et de l'énergie des différents États et grâce aux rapports de l'ancien régime et l'aide des experts kah-tanais, un coût approximatif pour la reconstruction de 200 km de voie ferrée.

Leela Banahatti - Oui, monsieur le président. Il a été estimé que 200 km de voie ferrée était à reconstruire sur le réseau existant. Il n'est pas concevable pour nous de mettre en place des lignes à hautes vitesses ou des lignes extrêmement moderne. Cela coûterait dans les 680 millions de dollars. Pour ce qui est des principaux axes routiers, 240 km sont à refaire également pour un coût avoisinant les 700 millions de dollars. Si nous voulons refaire nos axes de communications ferroviaires et routiers, il nous faut mobiliser environ 1.4 milliard au minimum. Ces fonds ne seront pas tous ceux de la Fédération, mais pourront être en partie apportés par les États concernés, mais en tant que plus grande autorité de la Fédération, il est évident que nous devons en financer la majorité.

Fukui Tomohiko - La difficulté sera donc de trouver les finances pour cela. Il est impératif de faire l'État de nos finances et de déterminer le budget de la Fédération. Nous allons rentrer dans de longs débats sur la définition du taux d'impôts et sur quel impôt revient à quelle entité ? Fédération, État ou autre. Cela va être un duel qui s'annonce intense entre notre gouvernement et ceux des États fédérés.

(en cours d'écriture)
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Activer les mécanismes politiques populaires

Xuan Zexian, un jeune homme de 20 ans de taille moyenne et au physique somme toute assez banal et son amie d'enfance He Yimu du même âge, plus petite avec des cheveux d'un noir de jais tenant en un chignon, aux lèvres pulpeuses et rouge vif qui la faisait remarquer par les personnes la croisant, mais qui étaient devenus plus un e gêne qu'une qualité pour elle qui était exaspérée par ces regards, se baladaient dans les rues de Ghaliya, vêtus de chemises kaki en lin avec des rembourrages en laine et des pantalons de mêmes couleurs et de matières similaires. Sur leurs poitrines étaient accrochés les badges du Parti Communiste Ghaliyen. Leurs bottes en cuir noir claquaient sur le sol à un rythme tranquille. Zexian enleva sa casquette quelques secondes pour se gratter le crâne et Yimu se passa la main dans ses cheveux pour les remettre en place. Il était treize heures, le soleil était haut dans le ciel, mais l'air était d'un froid mordant. Le vent s'engouffrait partout et ils regrettaient de ne pas avoir pris leurs manteaux en quittant le local du parti. Ils étaient debout depuis sept heures et arpentaient les rues depuis huit heures, n'ayant fait qu'une pause pour manger.

Zexian - Tu n'as pas trop froid ? Dit-il en remettant son col pour se couvrir le cou.

Yimu - Ça va, mais heureusement qu'on marche pour ne pas être congelé sur place. Lui répondit-elle en souriant.

Ils continuaient à marcher, leurs sacoches pleines de tracts et leurs sacs contenant la colle et les racloirs se balançant régulièrement. Autours d'eux, tout était en mouvement. La ville était active de jour comme de nuit depuis les élections. Les partis s'efforçaient d'occuper l'espace publique autant que possible, mais le Parti Communiste Ghaliyen possédait visiblement les adhérents les plus motivés et les plus nombreux. Ceux-ci redoublaient chaque jour de créativité pour mettre en place des initiatives permettant au parti d'être actif partout. Zexian et Yimu étaient aujourd'hui de placarder des affiches, distribuer des tracts et renseigner les gens sur les endroits où trouver les installations du parti comme les soupes populaires, les clubs de débats, les cours d'initiation politique ou simplement les rassemblements de partisans qui se réunissent autours d'un poêle pour faire de la musique, dessiner et se réciter des poèmes.
Ils arrivèrent dans une rue plus large et s'arrêtèrent.

Yimu - On va pouvoir placer des affiches ici et puis c'est passant, on va pouvoir distribuer des tracts. Lança-t-elle en regardant tout autours.

Ils allèrent donc chacun de leur côté coller des affiches aux murs. Yimu à côté d'un compteur électrique, posa sa sacoche ainsi que son sac par terre. Elle se mit à genoux pour prendre une affiche, un pot de colle et le racloir et se redressa. Elle commença à en appliquer sur le mur avant de disposer l'affiche dessus et appliquer à nouveau de la colle. En se tournant pour regarder où était Zexian, elle remarqua une jeune femme de son âge qui était en train de peindre une poubelle en faisant un trompe-l'œil. Intriguée, elle s'approcha doucement pour la regarder faire. Elle était vêtue d'une blouse originellement blanche, mais maintenant bigarrée par les diverses taches de peintures. La jeune femme était si concentrée qu'elle ne remarqua pas tout de suite Yimu. Elle plissait les yeux et fronçaient les sourcils, faisant apparaître des sillons sur son front et elle se tenait accroupi. Elle avait les cheveux tirant sur le châtain et de grands yeux vert-gris. Lorsque Yimu trébucha, elle sursauta, faisant tomber de la peinture sur ses chaussures et la faisant basculer en arrière et manquant de renverser ses pots de peintures.
Les deux jeunes femmes assises par terre et un peu sonnée se regardèrent et rirent aux éclats. Yimu se releva et tendit sa main vers la jeune femme pour l'aider à se relever, et celle-ci une fois debout prit un morceau de tissu pour essuyer ses mains. Yimu dépoussiéra ses vêtements puis la regarda.

Yimu - Désolée de t'avoir fait peur, pas trop mal ?

??? - Non ça va merci. Plus de peur que de mal, je ne t'avais pas vu approcher.

Yimu - Je suis aussi discrète qu'un chat ! s'exclama-t-elle en riant doucement. Comment t'appelles-tu ?

??? - Rose et toi ?

Yimu - Rose ? Ce n'est plus très courant maintenant. Tu n'as pas voulu changer de nom ?

Rose - Non, je l'aimais bien, mais ma famille a pris son ancien nom, Qiu !

Yimu - Du coup, on dit Rose Qiu ou Qiu Rose ?

Rose - Haha, on me pose souvent la question. On a repris la forme traditionnelle, donc c'est Qiu Rose. Mais tu ne m'as pas répondue, comme tu t'appelles ?

Yimu - Moi c'est Yimu, He Yimu. Je suis venue coller des affiches et distribuer des tracts avec mon ami Zexian et puis je t'ai vu en train de peindre. J'ai voulu regarder, mais même en marchant aussi discrètement qu'un chat, je suis aussi maladroite qu'un éléphant dans un magasin de porcelaine.

Rose - Tu distribues pour le Parti Communiste Ghaliyen, je suppose ?

Yimu - Exact ! Ça t'intéresserait de venir ce soir au rassemblement près de la maison de la radio ? Il y a pleins d'artistes et c'est l'occasion de faire connaissance.

Rose - Pourquoi pas. J'y serais à 20 heures !

Yimu - Pas besoin de manger avant, on cuisine tous ensemble là-bas. Il y aura sûrement de la distribution de nourritures à ceux qui le demandent si tu veux nous aider. À ce soir alors !

Elle continua de coller ses affiches et distribua des tracts aux passants qui les regardaient.

Yimu - Bonjour monsieur ! Vous voulez un tract ? Le Parti Communiste Ghaliyen recrute des adhérents, est-ce que ça vous intéresserait de participer à nos initiatives et de le rejoindre ?

Passant - Oh, vous savez, je ne serai pas très utile. Je n'ai jamais fait de politique et j'ai pas encore trouvé de travail, je préfère me concentrer là-dessus.

Yimu - Justement monsieur ! À nos bureaux, nous avons des membres formés pour vous aider. Nous pouvons vous aider dans vos recherches, car nous sommes en liens avec les futurs Comités, nous pouvons vous orienter. On a des formations et des cours sur plein de sujets et proposons des repas. Comme ça vos recherches iraient plus vite, vous auriez de la compagnie et vous pourrez découvrir des choses. Tenez, prenez ma carte et dirigez-vous vers notre site le plus proche, vous avez l'adresse sur le papier.

Passant - D'accord, je vais y aller. Merci beaucoup jeune fille !

Et cela continua jusqu'à environ 19 heures. Grâce à des adhérents motivés comme Zexian et Yimu, le PCG recrutait à tour de bras et maintenant ses initiatives. La vie de la ville commençait à graviter autours de cette force politique extrêmemnt active.
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Compte Rendu - Comité Central de Coordination Syndicale de Ghaliya (CCCSG) - Session Extraordinaire

Classification : Confidentiel - Diffusion Interne Limitée aux Membres du Comité Central
Lieu : Salle de réunion n°3, Maison du Peuple, Ghaliya
Participants :

  • Président du CCCSG : Camarade Lin Fang (Syndicat Métallurgie)
  • Secrétaire aux Affaires Inter-États : Camarade Huo Shan (Syndicat Docks et Transports)
  • Trésorière : Camarade Mei Ling (Syndicat Textile)
  • Responsable Formation & Éducation : Camarade Jiang Wei (Syndicat Éducation Populaire)
  • + 8 autres membres représentant les secteurs clés.

1. Ouverture de la Séance :
La séance est ouverte à 19h05 par le camarade Lin Fang. L'atmosphère dans la salle N°3, éclairée par des néons froids, est sérieuse. Le président rappelle l'ordre du jour unique et exceptionnel : "Évaluation de la dégradation des conditions de vie et de travail de nos camarades prolétaires dans les États fédérés de Pegaha et de Sunjin, et définition d'une ligne d'action solidaire du CCCSG." Il souligne l'urgence de la situation, citant des rapports alarmants qui convergent depuis plusieurs semaines et la nécessité d'une réponse "fraternelle mais réfléchie".

2. Rapport de Situation (Présenté par le Camarade Huo Shan) :
Le camarade Huo Shan prend la parole, ajustant ses lunettes sur son nez. Son exposé est précis, s'appuyant sur une synthèse d'informations variées.

Rapport Huo Shan a écrit :Camarades, la situation dans les États voisins, particulièrement Pegaha et Sunjin, est préoccupante. Les articles récents du Communard, bien que parfois accusés de partialité par nos détracteurs, ne font que confirmer les échos qui nous parviennent par des canaux plus discrets : contacts sporadiques avec des militants locaux embryonnaires, témoignages de voyageurs ghaliyens revenant de missions commerciales ou familiales...

Le constat est sans appel : un fossé se creuse. Tandis qu'ici, à Ghaliya, et dans une moindre mesure à Yamatoro, nos mécanismes communaux et nos acquis sociaux parviennent tant bien que mal à amortir l'inflation post-reconstruction, nos frères et sœurs de Pegaha et Sunjin subissent de plein fouet la logique brutale du marché dérégulé et du nationalisme étriqué. Les prix des denrées de base – riz, lentilles, huile, combustible – ont connu des augmentations de 15 à 20% en moins d'un an dans certains districts de Pahati et Saya.

Parallèlement, les salaires stagnent. Des camarades des mines de Pegaha nous rapportent des cadences infernales pour des salaires bloqués depuis la fin de la guerre civile. À Saya, la 'flexibilité' vantée par le gouvernement libéral se traduit par une précarité généralisée pour les dockers et les employés des services, soumis aux contrats à la journée et à la pression constante à la baisse des rémunérations.

Pire encore, toute tentative d'organisation syndicale est vue d'un mauvais œil, voire activement réprimée. Des licenciements pour 'faute grave' de militants connus à Pegaha, des intimidations policières lors de simples distributions de tracts à Saya... Le terrain est miné pour nos camarades.

Cette situation engendre une colère sourde, un sentiment d'injustice palpable, mais aussi un profond désarroi face à l'absence de structures capables de canaliser et d'organiser cette résistance. Si nous ne faisons rien, camarades, nous risquons non seulement de voir nos frères et sœurs sombrer dans la misère, mais aussi de voir le projet fédéral lui-même se discréditer, laissant le champ libre aux forces réactionnaires et séparatistes. L'heure n'est plus à l'observation passive.

3. Discussion et Débat du Comité :
La camarade Mei Ling, trésorière du CCCSG, prend la parole la première, exprimant une inquiétude partagée par beaucoup.

Mei Ling a écrit :Camarade Président, camarades, le rapport de Huo Shan est glaçant. Notre devoir de solidarité est évident, mais quelles sont nos capacités réelles ? Nos propres ressources ne sont pas infinies. Engager des fonds et des formateurs à l'extérieur, même discrètement, comporte des risques financiers et politiques. Comment garantir que nos efforts ne seront pas vains, ou pire, qu'ils ne mettront pas en danger ceux que nous voulons aider et nos propres structures ici ?
Le camarade Jiang Wei, responsable de la Formation, lui répond.

Jiang Wei a écrit :La question n'est pas de savoir si nous pouvons nous le permettre, camarade Mei Ling, mais si nous pouvons nous permettre de ne pas le faire ! L'internationalisme prolétarien n'est pas une option, c'est un principe fondateur ! Laisser nos camarades de Pegaha et Sunjin seuls face à l'exploitation et à la répression, c'est trahir notre propre lutte. C'est accepter que le Mokhaï reste divisé, faible, à la merci des capitalistes et des nationalistes. Leur défaite serait aussi la nôtre à terme. Quant aux risques, ils existent, bien sûr. Mais le plus grand risque, c'est l'inaction.
Un représentant du secteur de la construction, le camarade Chen Bo, intervient.

Chen Bo a écrit :Le camarade Jiang Wei a raison sur le fond. Mais la camarade Mei Ling soulève un point crucial : la méthode. Une aide directe serait trop visible, trop facilement interceptable ou détournée. Il faut privilégier le savoir-faire, la formation organisationnelle. Apprendre à nos camarades là-bas à pêcher, plutôt que de leur donner du poisson. C'est plus durable, et surtout, plus discret.
Le débat s'oriente alors sur les modalités pratiques. Le camarade Huo Shan reprend la parole.

Huo Shan a écrit :La discrétion doit être notre maître-mot. Pas d'envois officiels, pas de déclarations publiques. Nous devons identifier des points de contact fiables – quelques militants isolés, des travailleurs particulièrement remontés, peut-être même des membres dissidents de partis locaux qui partagent certaines de nos analyses. Les secteurs prioritaires me semblent être, comme je l'ai dit, les mines et l'automobile à Pegaha, où la concentration ouvrière est forte, et les docks de Saya, un nœud stratégique évident.
Le consensus se forme autour de l'idée d'envoyer des formateurs aguerris, des camarades ayant l'expérience des luttes syndicales passées à Ghaliya, mais capables de s'effacer, de conseiller sans diriger, de transmettre des outils sans imposer un modèle unique.

Lin Fang a écrit :Il ne s'agit pas d'exporter la révolution ghaliyenne clé en main, camarades. Chaque État a ses spécificités. Notre rôle est de fournir les outils intellectuels et organisationnels pour que les travailleurs de Pegaha et Sunjin construisent leur propre résistance, leur propre pouvoir.
L'idée d'inciter directement à la violence est unanimement rejetée à ce stade. La priorité est à la structuration, à la prise de conscience, à la création de réseaux solides et clandestins.

4. Proposition Formelle (par le Camarade Lin Fang) :
Après une heure de débat intense mais constructif, le Président Lin Fang synthétise les points d'accord et soumet une proposition formelle au Comité :

Proposition Lin Fang a écrit :Camarades, je propose donc au vote les résolutions suivantes :

Premièrement : La création immédiate d'un fonds spécial dit "Solidarité Fraternelle", doté initialement de 500 000 Épis Communaux, financé par une contribution exceptionnelle des caisses centrales des syndicats membres du CCCSG. Ce fonds sera géré conjointement par la trésorière Mei Ling et le secrétaire Huo Shan, avec une transparence interne totale mais une opacité absolue vis-à-vis de l'extérieur.
Deuxièmement : La constitution d'une "Brigade de Formation Itinérante" (BFI), composée dans un premier temps de six camarades volontaires, sélectionnés pour leur expérience syndicale, leur connaissance des langues (pashgaar, hangok, linglois si possible) et surtout, leur capacité à opérer dans la plus grande discrétion. Le camarade Jiang Wei supervisera leur sélection et leur préparation.
Troisièmement : Le mandat strict de la BFI sera d'établir des contacts sécurisés, d'animer des sessions de formation clandestines sur l'organisation syndicale (structuration de sections, techniques de négociation de base, gestion de caisses de solidarité, communication sécurisée) et de faciliter la mise en réseau des noyaux militants locaux. L'objectif est l'autonomisation, non la prise de contrôle. Toute incitation prématurée à l'action directe est proscrite.
Quatrièmement : Le déploiement initial se fera comme suit : deux camarades se rendront dans la région minière de Pahati (Pegaha), un camarade ciblera le port de Saya (Sunjin). Les trois autres resteront en réserve à Ghaliya, prêts à être déployés ou à servir de relais logistique et de communication. Les missions seront courtes (quelques semaines maximum) et rotatives pour minimiser les risques.
Cinquièmement : L'ensemble de l'opération "Solidarité Transfrontalière" sera placée sous la supervision directe des camarades Huo Shan et Jiang Wei, qui rendront compte uniquement oralement et en personne au Comité Central restreint (Président, Secrétaire, Trésorier) chaque semaine. Le secret absolu est impératif pour la sécurité de nos camarades et de ceux que nous allons aider.

Lin Fang regarde les membres du comité. "Y a-t-il des objections ou des demandes d'amendement ?"

5. Vote et Décision :
Après un court silence, la camarade Mei Ling, la trésorière, lève la main.

Mei Ling a écrit :Camarade Président, je comprends la nécessité et la noblesse de cette entreprise. Cependant, je tiens à ce que soit consigné dans ce compte-rendu, pour la décharge de ma responsabilité, que le risque financier, bien que modeste au départ, pourrait s'accroître si l'opération devait s'intensifier ou se prolonger. Nous devrons faire preuve d'une gestion rigoureuse de ce fonds de "Solidarité Fraternelle".
Le camarade Lin Fang acquiesce gravement.

Lin Fang a écrit :Votre prudence est légitime, camarade Mei Ling, et elle sera consignée. La gestion rigoureuse de ces fonds sera une priorité absolue. D'autres remarques ?
Aucun autre membre ne manifestant d'objection majeure, la proposition est mise aux voix à main levée. Le résultat est sans appel : onze voix pour, une seule abstention (celle de la camarade Mei Ling, par principe de prudence financière plus que par désaccord sur le fond).

La proposition est donc adoptée.

6. Clôture de la Séance :

Le camarade Lin Fang se lève, imité par les autres membres du Comité Central.

Lin Fang a écrit :Camarades, la décision que nous venons de prendre est lourde de conséquences, mais elle est juste. Elle s'inscrit dans la plus pure tradition de la solidarité ouvrière qui a toujours été le moteur de notre mouvement ici à Ghaliya. La discrétion, la prudence, mais aussi la détermination devront guider chaque étape de cette opération "Solidarité Transfrontalière". La flamme de la conscience de classe ne doit pas s'éteindre au-delà de nos frontières communales.

Les camarades Huo Shan et Jiang Wei commenceront dès demain le processus de sélection des membres de la Brigade de Formation Itinérante. Une première évaluation de la situation et des contacts établis nous sera présentée lors de notre prochaine session ordinaire dans un mois.

Je vous remercie pour votre engagement. N'oubliez jamais : leur combat est notre combat. L'avenir du Mokhaï se joue aussi dans les mines de Pegaha et sur les docks de Saya.

La séance est levée à 21h40. Les membres quittent la salle de réunion en petits groupes.

Fin du Compte-Rendu.
Pour le Comité Central de Coordination Syndicale de Ghaliya,
Camarade Lu Wei, Secrétaire aux Archives du CCCSG (par délégation du Président Lin Fang)
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Des échos dans la vallée

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Printemps 2015. La poussière des grands bouleversements politiques retombait à peine sur le Mokhaï, laissant place à un paysage incertain, où les promesses de reconstruction se heurtaient aux réalités tenaces du quotidien. Dans les campagnes, loin des rhétoriques des capitales fédérées, une autre forme d'évolution, plus silencieuse, plus organique, commençait à germer.


La commune de Xinyang, nichée au creux d'une vallée fertile de la République socialiste du Yamatoro, respirait une vitalité nouvelle. Le soleil matinal caressait les jeunes pousses de riz qui tapissaient les parcelles fraîchement irriguées, leur vert tendre tranchant avec le brun riche de la terre remuée. Ici et là, de petits canaux creusés avec soin serpentaient, apportant l'eau précieuse là où elle manquait autrefois. Près des maisons aux toits de tuiles traditionnelles, des tas de compost fumants, d'un noir profond, témoignaient de l'adoption récente de techniques que les anciens auraient, il n'y a pas si longtemps, regardées avec suspicion. Les habitants s'activaient dans les champs, les chants de travail se mêlant au murmure du vent dans les bambous. Il y avait de la fatigue sur les visages, certes, mais aussi une lueur d'espoir retrouvé, la satisfaction du travail qui porte enfin ses fruits de manière plus tangible.

Ce soir-là, comme souvent depuis que les brochures techniques distribuées par les cadres du Parti Socialiste du Renouveau local – adaptations des enseignements venus du lointain Grand Kah et du Negara Strana – avaient commencé à circuler, une dizaine de membres du conseil communal informel s'étaient réunis sous le grand banian au centre du village. Autour de Vieille An, la matriarche respectée de Xinyang dont les mains noueuses avaient connu plus de cycles de semailles et de récoltes que quiconque ici, la discussion allait bon train. On parlait des surplus, encore modestes, de la dernière récolte, une première depuis des années. On évoquait la qualité du grain, plus lourd, plus nourricier.

"Ces méthodes des grands frères socialistes, comme ils disent," lança Chen, un voisin dont le dos voûté témoignait d'une vie de labeur, "je n'y croyais pas au début. Trop de papiers, trop de mots. Mais il faut reconnaître que la terre, elle, ne ment pas."

Un murmure d'approbation parcourut l'assemblée. Le jeune Li, petit-fils d'An, prit la parole. Li avait à peine vingt ans, mais son enthousiasme et sa capacité à déchiffrer les schémas complexes des manuels d'agronomie lui avaient valu un certain respect de la part des anciens. C'était lui qui, avec une patience infinie, avait expliqué comment enrichir le compost, comment optimiser l'usage de l'eau, comment espacer les plants pour qu'ils respirent mieux.

"Grand-mère, honorables anciens," commença-t-il d'une voix claire, "si ce savoir nous a été bénéfique, si nos greniers sont un peu moins vides et nos enfants un peu mieux nourris, ne serait-il pas juste, ne serait-il pas de notre devoir de le partager ? Je pense à nos voisins, de l'autre côté de la colline, là où commence la terre de Pegaha. Leurs champs sont poussiéreux, leurs récoltes maigres. J'ai vu leurs visages au marché de la passe. Ils souffrent."

Un silence suivit ses paroles. L'idée était audacieuse, presque subversive. Chen fronça les sourcils. "Les Pegahiens ? Ceux qui nous regardent de haut depuis Pahati, avec leur gouvernement qui parle de fierté pashgaar et qui nous traite, nous les Yamats, comme des citoyens de seconde zone ? Partager avec eux ? Et si leurs milices viennent ensuite nous prendre le peu que nous avons, sous prétexte que nous sommes des socialistes dangereux ?"

Les souvenirs des tensions inter-étatiques, même apaisés par la nouvelle fédération, restaient vivaces et la tension était palpable. An, qui avait observé son petit-fils avec attention, prit la parole, sa voix rauque mais ferme emplissant le crépuscule.

"La faim n'a pas de parti, ni d'ethnie. La terre, quand elle est affamée, elle crie de la même manière ici qu'à Devigarh. Un ventre vide à Pahati ressemble à un ventre vide à Xinyang. Et un voisin dont le grenier est plein est moins enclin à regarder par-dessus la clôture avec des yeux mauvais. Li a raison. Nous n'irons pas là-bas faire de la politique, ni chanter les louanges du Parti. Nous irons parler de riz, de terre, d'eau. De paysan à paysan. Discrètement. Le savoir, camarades, est comme une graine : plus on le sème, plus il fructifie."

Alors c'était décidé.

Le marché de la Passe se tenait deux fois par semaine, un lieu ancien où l'on échangeait des épices du Yamatoro contre des tissus pashgaars, des graines, des parfums, quelques produits manufacturés. Ce n'était pas une frontière officielle, gardée et délimitée, mais plutôt une zone de contact, une de ces coutures naturelles entre deux mondes que les décrets administratifs peinaient à effacer. Des sentiers de chèvres et d'anciens chemins muletiers serpentaient à travers les collines boisées, permettant depuis toujours aux habitants des vallées voisines d'échanger discrètement biens et nouvelles.

C'est là que le Li, accompagné de deux autres jeunes volontaires de Xinyang, se rendit plusieurs semaines de suite, sous prétexte de vendre quelques surplus de légumes racines et d'acheter du sel gemme réputé de Pegaha. Leur véritable objectif était ailleurs. Ils observaient, écoutaient. Les paysans pegahiens arrivaient souvent en petits groupes, leurs charrettes tirées par des bœufs efflanqués, leurs visages marqués par le soleil et les soucis. Leurs étals étaient moins garnis que ceux du côté yamatoro, les produits plus chétifs. Les discussions tournaient souvent autour de la sécheresse qui avait encore frappé, de la maladie qui avait décimé les poulets, des prix dérisoires offerts par les collecteurs venus de Pahati, du rachat des terres par les nouvelles entreprises d’État.

Li choisit son moment avec soin. Patel était un homme d'une cinquantaine d'années, la peau tannée comme du vieux cuir, les mains calleuses. Il vendait des sacs de millet et des épices dont l'arôme puissant ne parvenait pas à masquer la petitesse des quantités. Sa fille, Devi, une jeune femme vive d'une vingtaine d'années aux yeux brillants d'une intelligence curieuse, l'aidait, interpellant les rares acheteurs potentiels.

"Le temps est capricieux cette saison, n'est-ce pas, vénérable ?" lança Li en s'approchant de l'étal de Patel, après avoir acheté une poignée de cardamome.

Patel grogna, méfiant. "Le temps est comme les dieux le veulent. Et comme nos dirigeants l'oublient."

"Chez nous, à Xinyang," continua Li, faussement désinvolte, "nous avons essayé de nouvelles manières de préparer la terre. Un compost qui garde mieux l'humidité. Nos anciens étaient sceptiques, mais les jeunes pousses semblent plus fortes cette année."

Patel le dévisagea. "Vos méthodes socialistes... Ouais. Elles affament le peuple pour nourrir l'État."

Devi intervint doucement, posant une main sur le bras de son père. "Les récoltes sont meilleures de l'autre côté de la vallée, depuis qu'ils ont changé leurs façons de faire."

Li sourit intérieurement. La curiosité de la jeune femme était une alliée précieuse. "Nous ne prétendons pas détenir la vérité, l'ami. Mais nos greniers sont un peu moins vides, c'est un fait. Si le cœur vous en dit, à vous et à quelques-uns de vos voisins de Devigarh, venez donc voir par vous-mêmes à Xinyang. Juste pour jeter un œil. On partage le thé, on discute. Vous pourrez toujours voir pour vous-même."

Patel resta silencieux un long moment, grattant sa barbe avant de hausser les épaules. L'offre était inhabituelle, presque suspecte dans ce climat de méfiance inter-étatique entretenu par les discours officiels. Mais la perspective de meilleurs rendements, la pression silencieuse de sa fille dont le regard suppliant ne le quittait pas, et peut-être aussi une lassitude profonde face à des années de labeur ingrat, finirent par ébranler ses réserves.

"Mouais. Voir." maugréa-t-il enfin. "Voir ne coûte rien. Mais que ce soit clair, jeune homme, nous ne venons pas pour entendre vos sermons."

"Seulement pour parler de terre et d'eau, Patel," assura Li avec un sourire sincère.

"Seulement de cela."

Quelques jours plus tard, un petit groupe d'une dizaine de paysans de Devigarh, dont Patel, les traits toujours fermés mais les yeux attentifs, et Devi, visiblement excitée, franchit les sentiers discrets qui menaient à la commune de Xinyang. La "frontière" n'était qu'une ligne imaginaire, mais le changement de paysage, une fois arrivés dans la vallée yamatoro, fut frappant. Les parcelles semblaient mieux entretenues, l'eau circulait avec une logique nouvelle dans de petits canaux bordés de pierres, et l'odeur âcre mais fertile du compost actif flottait dans l'air. Les investissements kah-tanais, massifs et acceptés par l’État, avaient fait des miracles.

An les accueillit elle-même, sans faste ni grands discours. Elle les invita sous le grand banian, leur offrit du thé chaud et des galettes de riz sucrées. La conversation s'engagea naturellement, d'abord sur les pluies tardives, puis sur les variétés de semences, les maladies des bêtes. Les mots "socialisme" ou "PPP" ne furent jamais prononcés. L'ancienne parlait de "voisinage", de "l'entraide entre ceux qui nourrissent la terre", une tradition, disait-elle, "plus ancienne que toutes nos républiques et nos drapeaux, eux qui changent si souvent."

Puis vint le temps des démonstrations. Li, qui avait du mal à cacher son excitation, expliqua, gestes à l'appui, la fabrication du compost "amélioré" : les couches successives de déchets végétaux, de fumier, de terre riche, maintenues humides et retournées régulièrement. Il montra les petits barrages de pierres qu'ils avaient construits pour retenir l'eau des pluies et la diriger vers les parcelles les plus assoiffées. D'autres jeunes de Xinyang expliquèrent la sélection minutieuse des grains de riz les plus robustes pour les semailles futures, la rotation des cultures qui laissait reposer la terre. Parfois, un des agronomes discrets envoyés par les instances du PSR local, mais se présentant comme un "paysan expérimenté d'une commune voisine", intervenait pour donner un conseil technique plus pointu, toujours dans un langage simple, émaillé d'exemples concrets tirés de leur propre expérience.

Les paysans de Devigarh écoutaient, touchaient la terre enrichie du compost, examinaient les canaux. Devi prenait frénétiquement des notes dans un petit carnet usé. Patel, toujours aussi taiseux, observait chaque détail, comparant mentalement avec ses propres méthodes, celles de ses ancêtres. Les résultats visibles sur les parcelles de Xinyang parlaient d'eux-mêmes. Il voyait bien que le riz y était plus dru, les légumes plus colorés.

Au-delà des techniques agricoles, les visiteurs furent aussi témoins, presque malgré eux, du fonctionnement de la vie communale à Xinyang. Les outils agricoles importants étaient partagés, les décisions concernant l'attribution de l'eau ou la réparation d'un chemin étaient prises collectivement lors des réunions du soir. Il n'y avait pas de "grand propriétaire" à Devigarh qui s'accaparait les meilleures terres et l'eau la plus abondante, laissant les autres se débrouiller. Cette organisation, bien que différente de leur système plus individualiste et parfois hiérarchique, suscitait une curiosité non feinte, surtout chez les plus jeunes des visiteurs pegahiens.

Au moment du départ, alors que le soleil déclinait derrière les collines, les paysans de Devigarh ne repartirent pas les mains vides. La commune de Xinyang leur offrit plusieurs sacs de semences de riz améliorées, quelques plants de légumes robustes, et des croquis détaillés des systèmes d'irrigation et de compostage. "Prenez, essayez," leur dit An avec un sourire chaleureux. "Ce que la terre donne généreusement, il faut le partager généreusement. Et revenez nous voir quand vous le souhaitez. Nos portes vous sont toujours ouvertes."

Aucun engagement politique n'avait été demandé, aucune adhésion à une quelconque idéologie. Seulement un échange de savoirs, une main tendue par-dessus une frontière administrative qui semblait, ce soir-là, bien dérisoire face aux défis communs du labeur de la terre. Patel, en serrant la main noueuse de l'ancienne, se surprit à esquisser un vague sourire.

De retour à Devigarh, le silence prudent de Patel se mua en une activité discrète mais déterminée. Poussé par l'enthousiasme contagieux de Devi, qui avait recopié et simplifié les croquis du jeune Li, il choisit une petite parcelle un peu à l'écart, celle que le soleil boudait le moins, et commença à mettre en pratique ce qu'il avait vu. D'abord, le compost. Il suivit les instructions, rassemblant les déchets végétaux, le fumier de ses maigres bêtes, mélangeant le tout avec une application presque religieuse. Ses voisins le regardaient faire avec un mélange de curiosité et de scepticisme goguenard. "Le vieux Patel est devenu fou," chuchotaient certains au lavoir communal. "Il écoute les sornettes des socialistes du Yamatoro maintenant."

Mais Devi ne se laissait pas démonter. Elle aidait son père, expliquait avec patience aux plus curieux ce qu'ils faisaient, la logique derrière ces "nouvelles" méthodes qui, en réalité, puisaient souvent dans un savoir paysan ancestral que l'urgence et la misère avaient fait oublier. Quelques autres familles, celles dont les terres étaient les plus ingrates et les ventres les plus creux, acceptèrent, après moult hésitations, de tenter l'expérience sur un coin de leur lopin.

Les premières semaines furent une attente anxieuse. Puis, lentement, les résultats commencèrent à apparaître. La parcelle de Patel, nourrie au compost "à la mode de Xinyang", montrait des pousses de millet plus vigoureuses, d'un vert plus profond. Les quelques légumes plantés avec les semences du Yamatoro semblaient résister mieux à la chaleur écrasante de la fin du printemps. Lorsque survint une brève période de sécheresse, les petits canaux d'irrigation bricolés par Devi et quelques jeunes du village permirent à leurs cultures de tenir bon, tandis que celles des voisins plus conservateurs commençaient à jaunir.

Le succès, même modeste, de Patel et des quelques familles pionnières, ne tarda pas à faire parler. Devi, fière et volubile, ne manquait jamais une occasion, au marché ou lors des fêtes de village, de raconter leur "voyage au Yamatoro" et les "petits miracles" qu'ils y avaient découverts. L'histoire des "méthodes yamats" se répandit comme une traînée de poudre, de colline en colline, de vallée en vallée, dans cette région rurale de Pegaha où l'information circulait surtout par le bouche-à-oreille. Bientôt, ce ne furent plus seulement les habitants de Devigarh qui s'intéressèrent, mais ceux des villages voisins, puis d'autres encore, plus éloignés, mais ayant entendu parler de la situation.

Le chemin vers Xinyang, autrefois un sentier discret, vit passer de plus en plus de petits groupes de paysans pegahiens, venus quérir conseils et semences. Vieille An et les habitants de Xinyang, fidèles à leur promesse, les accueillaient toujours avec la même simplicité et la même générosité, partageant leur savoir sans jamais exiger de contrepartie politique. D'autres communes yamatoro, ayant elles aussi adopté les techniques améliorées, commencèrent à leur tour à recevoir des "délégations" pegahiennes. Un réseau informel d'entraide paysanne était en train de se tisser, maille après maille, par-delà les discours officiels et les méfiances entretenues.

Cette influence grandissante ne manqua pas d'alerter les autorités locales du Parti Populaire Pashgaar. Lorsque les fonctionnaires du ministère de l'Agriculture pegahien venaient dans les villages pour promouvoir les "semences nationales certifiées", issues de compagnies d’État, ils se heurtaient de plus en plus à une inertie polie, voire à une résistance passive. Les semences yamats vinrent rapidement présenter, aux yeux de l'administration, un problème latent et d'autant plus inextricable qu'il était difficile de justifier le caractère idéologisé de graines. Pire encore, car au-delà des techniques, de timides échanges de biens commencèrent à s'organiser. Si Xinyang avait un surplus de riz, et Devigarh quelques légumes nouveaux que les Yamats ne cultivaient pas, pourquoi ne pas troquer ? Les marchés frontaliers devinrent des lieux d'échanges plus animés, où la méfiance initiale laissait place à une forme de complicité pragmatique. Les monnaies officielles étaient rares, mais le troc, lui, avait toujours existé.

Ce qui n'était au départ que des visites ponctuelles et des échanges de bons procédés se transforma insensiblement en quelque chose de plus structuré, bien que toujours informel. Les rencontres des vallées, comme on commença à les appeler, devinrent des rendez-vous plus ou moins réguliers, organisés tantôt à Xinyang, tantôt dans une clairière discrète côté pegahien. On y venait de plusieurs communes pour partager les nouvelles, échanger les meilleures semences, discuter des solutions aux problèmes communs : une nouvelle maladie des cultures, un parasite particulièrement vorace, la meilleure façon de creuser un puits ou de réparer un outil.

Ces rencontres cimentaient des liens de solidarité concrets. Lorsqu'une sécheresse plus sévère frappa une partie de Pegaha, plusieurs communes yamatoro, mieux préparées grâce à leurs systèmes d'irrigation, organisèrent discrètement une collecte "fraternelle" et firent parvenir quelques sacs de grain aux familles les plus touchées de Devigarh et des villages alentour. Un geste qui marqua profondément les esprits, bien plus que tous les discours sur l'unité nationale pashgaar.

Lentement, une conscience nouvelle émergeait chez ces paysans des deux États. Malgré les drapeaux différents, malgré les langues et les dieux parfois distincts, ils partageaient les mêmes ciels, les mêmes pluies, les mêmes espoirs de récoltes abondantes et les mêmes craintes face aux aléas de la nature et aux décisions lointaines des gouvernements. L'entraide pragmatique se révélait plus nourrissante que les discours enflammés des politiciens de Pahati ou de Yuanwei.

Cette coopération technique et cette solidarité matérielle n'étaient pas sans conséquences sur les esprits. Les paysans pegahiens, en visitant Xinyang ou d'autres communes yamatoro, observaient avec une curiosité grandissante le fonctionnement des conseils communaux, et des autres structures instaurées durant la brève expérimentation communaliste. Ils voyaient comment les outils les plus importants étaient mis en commun, comment les terres étaient réparties sans propriétaires ou compagnies lointaines. Sans qu'aucun discours politique direct ne soit prononcé, sans qu'aucune brochure du PSR ne circule ouvertement, le modèle socialiste du Yamatoro, dans sa version la plus concrète et la plus locale, commençait à infuser par l'exemple.

Les récits de ces communes yamats où l'on vivait supposément mieux et où, manifestement, personne ne mourrait de faim, ces territoires où il ne se trouvait pas de riches pour accaparer les terres, se mirent à circuler de plus en plus largement dans les campagnes de Pegaha. Elles contrastaient durement avec la réalité quotidienne de beaucoup, où les promesses de grandeur pashgaar du PPP peinaient à se traduire en améliorations concrètes du niveau de vie pour le plus grand nombre. Une autre voie semblait possible.

Cette effervescence paysanne, cette circulation des savoirs et des solidarités par-delà les lignes administratives, ne tarda cependant pas à attirer l'attention soupçonneuse des autorités de l'État de Pegaha. Les fonctionnaires locaux du Parti Populaire Pashgaar, initialement dédaigneux face à ce qu'ils considéraient comme des "regroupements de paysans rétifs influencés par les yamats", commencèrent à s'inquiéter de cette autonomie croissante et de cette influence étrangère, échappant de fait au contrôle du parti. Les rapports remontant à Pahati avaient évolués dans leur rhétorique, faisant maintenant état de "réseaux informels échappant à la vigilance de l'État" et d'une "diffusion d'idées potentiellement subversives" sous couvert d'échanges agricoles.

La réaction ne se fit pas attendre. Les contrôles aux abords des marchés frontaliers furent discrètement renforcés. Des conseillers agricoles officiels, dépêchés par le ministère pegahien, multiplièrent les visites dans les villages, vantant les mérites exclusifs des méthodes nationales pashgaars et dénigrant, à mots couverts, les "pratiques douteuses" venues d'ailleurs. Des pressions furent exercées sur les chefs de village les plus ouverts aux échanges avec le Yamatoro, certains se voyant menacés de perdre leurs maigres subventions étatiques s'ils persistaient à "fraterniser" avec des éléments "potentiellement hostiles à la grandeur pashgaar".

Loin d'étouffer le mouvement, cette méfiance officielle ne fit que les pousser vers la clandestinité. Les rencontres des vallées se firent discrètes, organisées dans des lieux plus reculés, à la nuit tombante. La nécessité de protéger leurs échanges, de défendre leur droit à partager et à apprendre, devint une évidence pour les communes impliquées. Une solidarité nouvelle, teintée cette fois d'une dimension politique, naissait de cette adversité. Les paysans de Devigarh et de Xinyang, autrefois séparés par des préjugés et des discours officiels, se découvraient unis par un intérêt commun face à une autorité perçue comme de plus en plus intrusive.

C'est dans ce contexte de résistance larvée que les premiers contacts furent noués, presque naturellement, entre ces réseaux paysans pegahiens et les embryons de syndicats qui commençaient à peine à s'organiser dans les zones minières et industrielles de l'État, souvent avec l'aide discrète des formateurs envoyés par le Comité Central de Coordination Syndicale de Ghaliya. Les problématiques n'étaient pas les mêmes – les mineurs luttaient pour des salaires et la sécurité, les paysans pour de meilleurs rendements et l'autonomie – mais la méthode d'organisation collective, la nécessité de faire front commun face à un pouvoir qui semblait sourd à leurs revendications, trouvaient un écho puissant. Des paysans de Devigarh, venus vendre leurs maigres surplus à Pahati, rencontrèrent des ouvriers grévistes, partageant un thé et des histoires de lutte. Des idées circulaient, des stratégies s'ébauchaient.

Tout changeait.

Le soleil se couchait sur la vallée, teintant de rose et d'or les rizières de Xinyang et les champs plus épars de Devigarh. Devi et Li se tenaient au sommet d'une colline qui marquait, traditionnellement, la lisière entre leurs deux mondes. Devant eux, une parcelle de maïs à Devigarh, plantée selon les conseils de Xinyang, se dressait. Prometteuse, contrastant avec les champs voisins, plus clairsemés.

"Regarde," dit Devi, un sourire plaqué sur le visage. "Cette année, nous aurons peut-être assez pour ne plus avoir faim cet hiver. Et même un peu à vendre au marché, pour acheter du tissu. Tu sais, pour Aina et sa machine à coudre."

Li acquiesça. Il avait effectivement entendu parler du projet de la jeune sœur de son amie. "Ce n'est que le début, Devi. Il reste beaucoup à faire."

La frontière administrative, une ligne arbitraire tracée sur des cartes coloniales, semblait ce soir-là avoir perdu une grande partie de son sens. Dans les mains calleuses des paysans, dans les discussions animées des conseils communaux improvisés, un autre Mokhaï était en train de naître. Un Mokhaï où la solidarité entre travailleurs transcendait les divisions ethniques et les calculs politiciens. Il sourit.

"Mais tu sais quoi ? C'est déjà pas mal."
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L’émissaire des luttes à venir


Le citoyen Chandler descendit du taxi et paya le chauffeur malgré l’insistance de ce dernier, qui semblait vouloir lui offrir la course. Devant lui s’étendait le décor curieusement familier du port de Saya, engoncé dans une chaleur de fin d’après-midi, lente et attentive.

Au fond, les ports industriels tendaient à se ressembler. Il ne remarquerait les spécificités de celui-là que s’il restait assez longtemps pour le connaître. Or il n’était pas dit que cela arrive, son passage était prévu pour ne durer qu’un temps. Le contraire, il le savait, eut été politiquement malavisé.

Il s’élança sur la chaussée vide. Plus rien ne circulait depuis le début de la grève. Sans la rejoindre, les camionneurs avaient bien intégré qu’il était inutile d’essayer de passer. La route longeait la clôture du port, sur laquelle on avait dressé des banderoles et collé des affiches. Des gros textes blancs et noirs sur un fond rouge, des mots d’ordre simples mais évoquant immédiatement les grands mouvements d’il y a trois ans. Et des drapeaux qui pendaient en haut de certaines des grues du port, lesquelles se tenaient parfaitement immobiles, dominant un paysage vallonné de conteneurs empilés. On aurait presque pu croire que le mouvement était généralisé, qu’il ne s’agissait pas d’un oasis de résistance au cœur d’une ville sinon bien complaisante.

Quelques grévistes tenaient le piquet çà et là, la plupart étaient rassemblés de l’autre côté de la grille, sous des barnums et autour de feux. Et sinon ? Sinon personne. Chandler sourit. Il semblait que même ses amis des renseignements généraux avaient arrêté de le suivre. Il faut dire qu’ils n’avaient pas vraiment su comment réagir quand il s’était retourné pour leur poser des questions. Rien de méchant, il n’était qu’un reporter du Regard, publication modérée du Paltoterra, qui se demandait bien pourquoi ces types lui collaient les basques. Est-ce que la pourtant si libérale république du Sunjin faisait suivre tous les journalistes étrangers qui passaient dans le coin ? Au final, ils avaient dû considérer que cela ne valait pas le coup, ou estimer que sa destination était de toute façon assez claire pour ne pas nécessiter de l’y suivre. Quand un kah-tanais débarquae dans ce genre de contexte, on peut raisonnablement estimer que c’est pour s’y intéresser. Question de culture, ou d’habitude. Question de fierté nationale, aussi.

Encore que les kah-tanais, il y en avait un tas, au Mokhaï. Peuplant les bureaux des agences d’aide au développement, les structures coopératives et de formation, quelques quartiers d’expatriés où se rassemblaient travailleurs étrangers et monde culturel. Ils se faisaient simplement plus discrets ici et au nord, dans le Pegaha. Là où le gouvernement et la nouvelle bourgeoisie voyait leur présence d’un mauvais œil.

Les nationalistes étaient sélectifs dans leur xénophobie, et avaient organisé la surveillance de leur fief selon une hiérarchie nationale précise. Kah-tanais, danger. Stranéen, suspect. Jashurien, problématique. Fujiwan, tolérable. Personne ne trouvait grâce à leurs yeux, mais on pouvait bien s’appuyer sur les uns pour chasser les autres.

Au Sunjin, les choses étaient un peu différentes. Les acteurs de la nouvelle économie libérale et leurs alliés du gouvernement cherchaient encore sur quel pied danser, et acceptaient théoriquement toute population, sans discrimination de genre, d’origine, d’appartenance religieuse ou politique. Un pays qui se concevait comme une république d’agents économiques. Un rêve libéral qui voulait s’implanter dans un territoire qu’on avait pris soin de reconstruire à l’opposée de ces valeurs abstraites de liberté d’entreprendre et d’avoir faim.

Heureusement que ces types ne représentaient pas le peuple, se dit simplement le citoyen Chandler en arrivant devant le groupe de docker qui tenaient la porte. Des jeunes portant l’uniforme d’une université voisine leur apportaient des sacs dans lesquels il devina des bouteilles – sans doute de l’alcool de riz, à la forme – et des boîtes alimentaires. Il leva la main pour les saluer.

« Salut et fraternité ! Je suis le journaliste du Regard, ajouta-t-il comme si sa formule de salutation ne suffisait pas à l’identifier.
– Le kah-tanais ? »

Il acquiesça à l’intention du jeune docker, visage encore lisse et mains déjà calleuses, qui lui avait répondu. Les grévistes lui sourirent. Certains lui firent signe d’approcher. Le docker, surtout. Il lui mit une tape amicale sur l’épaule.

« Entre camarade !
– Des types me suivaient depuis mon hôtel.
– La police est à cran. »

Quelques acquiescements entendu. Personne ne semblait surpris, ou s’en alarmer. Ce n’était pas surprenant. Le Sunjin ne s’était jamais montre trop aventureux dans ses tentatives de contrôler le monde ouvrier. Pister un étranger dans la rue était encore "admissible", tant qu’il n’y avait pas eu de violences, de disparition forcée, d’acte incitant à la peur, ou à la colère. Son regard se porte sur les étudiants. Il devait y en avoir, peut-être pas eux, mais d’autres, qui jouaient ce même rôle tout en informant le gouvernement. Maintenant le monde universitaire fonctionnait de telle manière que des individus aux sympathies gouvernementales auraient de toute façon été identifiés de longue date par leurs camarades. Les étudiants le suivirent lorsqu’il passa la grille et pénétra dans le port à l’arrêt. Plutôt, ils prirent la même direction que lui.

« On nous dit que vous veniez, » dit l’un d’entre eux. Grand, lunettes sur le nez, un début de barbe. Une autre, taille moyenne, cheveux bouclés, celle qui tenait le sac de vivres, acquiesça.

« Tout le monde est content que vous vous impliquez. C’est vraiment super.
– Que nous nous impliquions ? »

Chandler sourit, et n’ajouta rien. Il cherchait du regard sa destination. Les étudiants étaient sans doute déjà venus, car ils semblaient savoir où ils allaient, soit vers des locaux en bordure de quais, semblant correspondre à ce qu’on lui avait indiqué. Il calqua son pas sur eux.

« Je suis juste un journaliste. Je viens rendre compte de ce qui se passe. Les raisons de la grève, le comportement du patronat local. »

L’étudiante lui sourit avec politesse.

« Je capte. »

Chandler était à peu près sûr qu’il ne les avait pas convaincu. De toute façon l’implication des kah-tanais dans le monde économique et syndical n’était un secret pour personne. L’économie bourgeoise qui se construisait dans certaines régions du Mokhaï, comme ici, ne se faisait pas sur les ruines d’une ancienne colonie, ou au profit d’une thérapie de choc post-dictature. Elle s’implantait, difficilement, dans un maillage déjà efficace de coopératives et de structures communales, en profitant d’importantes aides gouvernementales. Au fond, même le très libéral gouvernement de Sunjin en était réduit à un capitalisme d’État sans lequel la bourgeoisie en serait encore à panser ses plaies. Et les kah-tanais, en tant qu’ensemble abstrait et complexe, avaient leurs entrées dans le pays réel. L’économie du Mokhaï fonctionnait en composante notable du tissus commercial de l’Union des Communes, ce qui pouvait pousser à se demander pourquoi les libéraux s’entêtaient à agir comme ils le faisaient. N’avaient-ils pas conscience que leur combat était perdu d’avance ?

Non, pas d’avance. A vrai dire il leur restait bien un moyen d’arriver à leurs fins. Ils pouvaient toujours reconstruire une économie de privation et d’oligarchie, et compter sur le vote populaire pour entériner leurs choix. S’extraire des cercles libertaires et se mettre au service d’autres économies. Fujiwa, Jashuria, les candidats régionaux ne manquaient pas. Mais ça, évidemment, c’était sans compte sur les grèves.

Ils arrivaient devant le terminal portuaire occupé. Des travailleurs tenaient la ligne, plus nombreux qu’à l’entrée, discutant sous des tentes, quelques-uns jouaient de la musique. D’autres faisaient la queue devant un food truck associatif ; les restaurants participatifs soutenaient naturellement les grévistes. L’étudiante aux cheveux bouclés pivota vers Chandler.

« Et si nous nous réclamions du Kah, vous nous aideriez directement ? »

Lui avait retiré sa veste, qu’il portait par dessus son bras. Ici, au moins, l’air marin rafraîchissait un peu l’atmosphère. Il sourit à la jeune femme. Son tempérament aussi était rafraîchissant.

« Est-ce qu’on vous laisserait faire ?
– Ah, parce que vous refuseriez ? »

Il secoua la tête.

« Non, mais les pays voisins ? On dira que vous êtes nos vassaux, que vous n’avez pas eu le choix. Et si ça vous dessinait une cible dans le dos ?
– Pourquoi ils s’intéresseraient à nous ? On est pas si important que ça.
– En tout cas vous l’êtes assez pour qu’on vous aide. »

La réponse sembla la satisfaire. Les étudiants deux le saluèrent puis se dirigèrent vers le food truck. Laissé à lui-même, Chandler pris la direction des locaux, faisant comme s’il ne remarquait pas la manière qu’avaient les regards de s’attarder sur sa présence. Les questions muettes abandonnées sitôt formulées. Les gens comme lui représentaient un espoir, pour les gens comme eux. Une position qu’il n’appréciait pas particulièrement. Les travailleurs étaient leur propre espoir. Lui n’était qu’un facilitateur. Il aurait été particulièrement déplaisant de prétendre diriger un mouvement dont la nature même était organique.

A l’intérieur, l’air était climatisé, et inodore. S’il n’avait pas particulièrement fait attention à l’odeur du port, le contraste lui fit réaliser sa puanteur. Odeur de fioul, de graisse, de poisson mort, de métal rouillé. Ici, l’odeur proprette de bureaux. L’espace de travail anodin et acculturé des cols-blancs. Des affiches étaient disposaient avec soin contre les murs, recrutement pour tel ou tel poste, communication sur des règles d’hygiène élémentaires et sur des évènements ayant lieu en ville. Une femme propre sur elle se trouvait derrière le comptoir de l’accueil. Elle sourit à son approche. Chandler nota qu’elle portait tout de même, sur le revers de sa veste, un pins orné du logo de l’intersyndicale.

« Les camarades sont à la salle de réunion du premier.
– Merci, citoyenne. »

Chandler monta l'escalier en moquette grise, notant le silence relatif des lieux. Le vrai cœur battant du port était dehors, avec les grévistes. Ici, c'était le centre névralgique, le cerveau qui tentait de coordonner les membres. La salle de réunion était vaste, une grande table ovale en imitation bois occupait le centre. Autour, une dizaine de personnes, hommes et femmes d'âges variés, certains portant encore leurs bleus de travail, d'autres en tenue plus administrative. Au mur, une carte du port de Saya, annotée de feutres de différentes couleurs, des zones encerclées, des flèches indiquant des flux. On leva les yeux à son entrée. Une femme d'une cinquantaine d'années, les cheveux gris coupés courts et un regard perçant, se leva.

« Chandler ? Je suis Myung-Hee, coordinatrice pour le syndicat des dockers de Saya. Bienvenue. Installes-toi, on t'attendait. »

Sa voix était posée, mais on y sentait une autorité naturelle. Chandler lui serra la main, puis salua l'assemblée d'un signe de tête avant de s'asseoir sur une chaise vide.

« Myung-Hee, citoyens, citoyennes. Merci de me recevoir. Le Regard suit avec la plus grande attention la situation ici à Saya. Ce que vous entreprenez est courageux. »

Myung-Hee eut un léger sourire.

« Courageux, ou désespéré. C'est peut-être la même chose. Tu as vu la situation, en arrivant. Nos camarades tiennent bon, mais pour combien de temps ? Le gouvernement et les patrons nous foutent la pression. Leurs journaux nous traitent d'agitateurs, de saboteurs... Ils font mine de ne pas comprendre. »

Un homme plus jeune, le visage émacié et les yeux cernés, prit la parole. C'était visiblement un des meneurs du piquet de grève à l'entrée.

« Ils comprennent très bien, Myung-Hee. Ils savent que si nous gagnons ici, à Saya, ce sera un exemple pour tout le Mokhaï. Un exemple que ni les libéraux de Sunjin, ni les nationalistes pashgaars de Pegaha, ni même les sociotraites du gouvernement fédéral ne veulent voir se propager. Ils ont peur que le peuple découvre qu'il peut se passer d'eux. »

Chandler écoutait attentivement, prenant quelques notes.

« Et quelle est votre analyse de la situation ? Au-delà des revendications immédiates sur les salaires et la précarité, quel est l'enjeu de cette grève pour vous ? »


Myung-Hee croisa les mains sur la table.

« L'enjeu, citoyen, est simple. Il s'agit de savoir qui contrôle le travail et ses fruits dans ce pays. Allons-nous continuer à enrichir une minorité de propriétaires, d'actionnaires étrangers ou locaux, qui se moquent bien du sort des travailleurs tant que les dividendes tombent ? Ou allons-nous enfin mettre en place les principes communalistes que la révolution de 2010, puis les grandes luttes de 2013, devaient instaurer ? Le gouvernement fédéral parle de reconstruction, de prospérité, mais cette prospérité, pour qui est-elle ? Pour les patrons des compagnies maritimes qui fixent les tarifs depuis leurs bureaux à l'étranger ? Pour les élites de Pegaha qui rêvent d'un État ethnique fort mais qui oublient de payer décemment leurs mineurs ? Pour nos amis du Fujiwa qui, sous couvert d'aide humanitaire, avancent leurs pions économiques et lorgnent sur nos ressources et nos infrastructures ? »

Son ton était monté d'un cran, empreint d'une colère froide.

« Tu sais, citoyen, » reprit-elle plus calmement, « beaucoup de nos camarades croient aux promesses du Grand Kah. Ils ont vu les coopératives se monter, les formations, l'aide au développement. C'était une bouffée d'air après des années de chaos et de dictature. Mais pour quelle résultat ? Cette reconstruction, cette communalisation partielle, est menacée. Menacée par des forces qui veulent nous ramener à une économie de prédation, où le travailleur est un serf. Menacée par un gouvernement fédéral qui semble paralysé, incapable d'imposer une vision progressiste à l'ensemble des États. C'était bien la peine de prendre notre indépendance de l'Empire. »

Chandler opina.

« L'Union des Communes observe en effet avec perplexité la tournure des événements. Vous menez une guerre contre le capital qui s'est réinstallé ici, ou qui n'a jamais vraiment disparu. Mais c'est un capital qui, au Mokhaï, est encore fragile. Il est parasitaire, dépendant des aides publiques et des largesses des États fédérés pour survivre et prospérer. La grève générale de 2013, qui a été déclenchée par la menace d'un rapprochement indigne avec l'ancien colonisateur, a manqué de le renverser complètement. Il est dommage, avec le recul, que nous ne soyons pas allés au bout du processus à ce moment-là. Sans doute le pays, et peut-être même nos propres structures kah-tanaises ici, n'étaient pas encore prêts pour une transformation aussi radicale à l'échelle de toute la Fédération. »

Il marqua une pause, laissant ses mots infuser. Les appels à la modération, il savait combien ils pouvaient être frustrants pour ceux qui étaient en première ligne de la lutte. Il insista pourtant, sur un ton qui se voulait celui d'un analyste, d'un observateur avisé plus que d'un donneur d'ordres.

« La situation politique et sociale est beaucoup plus claire aujourd'hui qu'en 2013, et les forces bourgeoises, libérales comme nationalistes, risquent de chercher à se consolider, à créer des faits accomplis, notamment en s'appuyant sur des partenaires extérieurs comme le Fujiwa, qui voient d'un mauvais œil toute alternative à leur modèle. Nous n'allons pas, et vous n'allez pas, laisser faire. Mais concrètement, Myung-Hee, citoyens, » dit-il en balayant l'assemblée du regard, « concrètement, quelle est votre stratégie à court et moyen terme ? Comment envisagez-vous de sortir de ce blocage ici à Saya, et plus largement, d'impulser un véritable changement au niveau fédéral ? »

Myung-Hee échangea un regard avec ses camarades avant de répondre.

« La grève générale de 2013, a manqué son but final mais elle nous a fait réaliser notre force. Le gouvernement fédéral a dû reculer sur la question de l'Empire du Nord. Il a entendu, du moins en partie, la voix du peuple. Mais les sociaux-démocrates de l'USR, même alliés aux socialistes du PSR, n'ont pas eu le courage, ou la volonté politique, de démanteler les structures d'exploitation qui perdurent à Pegaha et Sunjin. Ils n'ont pas su, ou pas voulu, imposer une véritable refédéralisation des armées qui mettrait fin aux milices privées des barons locaux. Ils n'ont pas empêché Pegaha de se jeter dans les bras du Fujiwa. »

Chandler croisa les bras et pris quelques instants pour réfléchir, avant d'enfin offrir sa réponse. En fait il savait déjà ce qu'il était venu dire, et entendre. Il était moins ici pour passer une information que pour officialiser ce dont on se doutait déjà.

« Alors nous disons que si les travailleurs du Mokhaï, de tous les États, de toutes les usines, de tous les ports et de toutes les mines, décident d'organiser une nouvelle grève générale, une grève qui ne se contentera pas de revendications sectorielles mais qui portera un projet politique clair – celui de la Charte de Ghaliya, celui du pouvoir aux travailleurs et aux communes – alors oui, le Grand Kah se tiendra prêt. Nous nous assurerons, cette fois, par tous les moyens nécessaires, qu'elle puisse aller jusqu'au bout. Qu'elle ne soit pas trahie. Que la volonté populaire ne soit pas une fois de plus confisquée par des manœuvres politiciennes ou des intérêts étrangers. Le moment n'est peut-être pas encore venu pour cet appel ultime, mais il approche. Chaque lutte comme la vôtre ici à Saya, chaque victoire, même partielle, nous en rapproche. L'Union des Communes ne dirigera pas votre lutte, ce serait une insulte à votre intelligence et à votre courage. Mais elle sera là pour la soutenir, pour la protéger, et pour garantir que, cette fois, le peuple du Mokhaï puisse enfin bâtir la société qu'il mérite. »

Le silence emplit la pièce. Chandler avait été clair. La balle était dans le camp des travailleurs du Mokhaï. La solidarité kah-tanaise était acquise, mais l'initiative, la décision finale, leur appartenait.
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