Posté le : 18 août 2024 à 17:24:12
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Typhon : Le Vent de la Liberté
[ACTUALITÉS NATIONALES]
14 mai 2014 – L’effondrement de la culture wanmirienne
Depuis plusieurs mois, une disparition culturelle semble avoir lieu au Wanmiri. Un phénomène dont nous parle bien Gunadja Rajavade, professeur éminent du CRENWA résidant au Jashuria, dans son article publié la semaine dernière. Il s’invite aujourd’hui à la radio de Typhon pour nous en parler en détail, dans des termes on l’espère un peu plus simples que ceux utilisés dans sa revue scientifique.
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Anguri Haradas – Bonjour monsieur Gunadja Rajavade, et bienvenue sur RadioTyphon, la radio qui fait bouger les choses !
Gunadja Rajavade – Bonjour monsieur Haradas. Je vous remercie pour votre invitation.
A.H. – Vous avez publié il y a maintenant quelques jours un article scientifique qui décrivait le phénomène d’effondrement culturel wanmirien. Pourriez-vous nous dire en détail ce que vous voulez dire par là ?
G.R. - Eh bien, il se trouve que depuis plusieurs années, on constate une diminution notable des phénomènes culturels dans notre pays. Cela s’observe par un nombre décroissant de cérémonies, notamment religieuses, de fêtes, un abandon croissant des rites religieux hindouistes, etc.
A.H. - Tout ceci est bien réel, je le vois tous les jours, mais je n’en comprends pas la raison. Pouvez-vous m’expliquer ce qui provoque cet effondrement ?
G.R. - Je commencerai, si vous le permettez, par un poème. Ou plutôt, par une simple strophe de ce poème, écrit il y a plusieurs années par un scribe impérial qui déplorait, en plein cœur de la guerre civile, l’absence de culture, la disparition de la beauté du monde. Il disait, je cite :
« Culture, ô glorieuse culture,
Pourquoi t’avons nous ainsi délaissée ?
- Car, dans l’euphorie de vos chants guerriers,
Vous m’avez prise – méprise ! - pour luxure. »
Pour rappeler tout le contexte, la cité dans laquelle se trouvait le scribe venait de tomber, et la plupart des monuments religieux et culturels avaient été mis à sac par l’armée révolutionnaire. Ceux-ci avaient été désignés comme symbole de la luxure impériale, et leur destruction avait été autorisée, ce que déplore le scribe. En réalité, ce phénomène a commencé bien avant la guerre, mais celle-ci en a été l’apogée.
A.H. – Et quand commence donc ce phénomène ?
G.R. - Il remonte en réalité à assez loin. Bien que les nombreuses destructions lors de la guerre compliquent les recherches, j’ai émis l’hypothèse que tout aurait commencé en 1985, lors de la Grande Purge.
A.H. - Et qu’est-ce qu’une répressions des opposants politiques aurait à voir avec la diminution du nombre de cérémonies ?
G.R. - A première vue, rien je vous l’accorde (rire). Mais cela est bien plus lié qu’on ne pourrait le croire. La plupart des personnes visées, des opposants politiques au régime, étaient des intellectuels, des membres de la bourgeoisie, voire des religieux qui reprochaient les égarements de l’empire. Or, en éliminant sauvagement ou en faisant fuir la majeure partie de son élite intellectuel, on tue son pays culturellement. Plus d’intellectuels, plus de réflexion, plus de meneurs religieux, etc. L’Empire du Viswani n’a jamais réussi à se remettre de cette perte, et est entré dans une longue phase de décadence
A.H. – Pourtant, de ce que l’on en sait, l’Empire a sur la fin dépensé des fortunes dans une débauche de luxure. N’y avait-il vraiment là aucune culture ?
G.R. - Oh, si, évidemment ! Mais, tandis qu’ils dépensaient des fortunes dans des constructions, des festins ou des parures plus clinquantes les unes que les autres, le peuple se mourait. Or, un peuple qui se meurt ne fait plus la fête, il n’organise plus de cérémonies, il ne perd plus de temps et d’argent à soutenir les artistes, qui se meurent !
A.H. - Et donc on assistait à l’apogée de l’art impérial d’une part, mais à la mort lente de la culture populaire, c’est bien ça ?
G.R. - Exactement ! Et ce phénomène a atteint son apogée lors de la guerre civile. En fait, on pourrait même dire qu’il l’a provoquée. Un peuple sans culture et sans argent est un peuples malheureux, et donc énervé, puis révolutionnaire. D’ailleurs, le phénomène de mort culturelle s’est accru durant la guerre. En effet, tous les moyens possibles étaient utilisés pour lutter. La culture, elle a totalement disparu, ou presque. Il en est resté quelques traces : la propagande.
A.H. - Oui, évidemment. Lorsque l’on est en guerre, il y a d’autres priorités que les églises ou les bibliothèques. On voit d’ailleurs qu’il a fallut reconstruire la Grande Bibliothèque Impériale…
G.R. - Laquelle a été renommée Grand Bibliothèque « Eddonna Tymeri » ! Et les travaux sont toujours en cours, vous avez raison, je suis passé devant en venant. Mais ne nous égarons pas.
A.H. - Exactement ! Mais, maintenant que la guerre civile est terminée, le phénomène devrait s’inverser, non ? Pourtant, vous écrivez dans votre article qu’il va continuer encore plusieurs années.
G.R. - Oui, c’est le cas. La première chose qui le laisse penser est le temps qu’a pris le processus. Quelque chose d’aussi long ne se résorbe pas aussi facilement : cela prend du temps, et ce n’est certainement pas naturel. Il faut impérativement que des actions soient mises en place pour que la culture redémarre. Or, ce n’est pas ce qui se passe aujourd’hui.
A.H. - Vous pensez donc que les actions menées par le gouvernement ne sont pas adaptées ? Qu’il faudrait davantage investir dans la culture ? Développer, je ne sais pas, les bibliothèques, les théâtres, les écoles de danse ?
G.R. - Oh, non, je ne dis pas que les choix du Daryl comme du Kys sont mauvais. Ils ont fait le choix de reconstruire avant tout. Et en cela, ils n’ont pas tort : notre pays est à terre, à genoux, ce n’est pas le moment de nous préoccuper de construire des écoles de danse. Oh, certes, il y en aura besoin, comme de beaucoup d’autres choses, mais la priorité est évidemment d’augmenter la qualité des conditions de vie de nos concitoyens, et de moderniser le Wanmiri. Je vous l’ai dit : un pays sans culture se meurt. Mais un pays sans argent ne peut pas avoir de la culture. Aussi, je pense que, pour l’instant, nous devrions concentrer les efforts sur la modernisation et les reconstructions, tout en ayant une vision à long terme. Et cela veut dire préparer la reconstruction culturelle.
A.H. - Et comment envisagez-vous cette reconstruction ? Vous parlez plusieurs fois dans votre article de l’exception talote, et de son rôle dans le retour de la culture au Wanmiri. Pouvez-vous nous détailler cela ?
G.R. - Commençons par l’exception talote, ce sera le plus simple. Comme vous le savez, la cité de Talo est enclavé au milieu de la chaîne des Adwani. De ce fait, elle a toujours été très bien protégée de toute invasion extérieure. D’ailleurs, étymologiquement, le nom « Adwani » signifie en Heam ancien « celles-qui-n’ont-pas-été-franchies-par-les-Wans » ou « celles-qui-ont-repoussé-les-Wans ». Peu importe la traduction que l’on choisit, il y a là une symbolique forte, celle de l’imprenabilité de la ville. On le retrouve d’ailleurs dans le surnom de Talo, « couronne de fer, couronne de pierre », qui désigne la muraille, laquelle s’étend tout à la fois sur terre et sur mer, et n’a jamais été franchie. En bref, Talo est une ville préservée de tout danger extérieur. Or, cela s'est révélé un avantage précieux. Lors de la guerre civile, alors que la plus grande partie du Wanmiri a été mise à feu et à sang, Talo n’a pas subi la moindre destruction. Ce qui fait que la culture y a grandement prospéré, et est encore très vivace, d’autant plus que la cité a toujours été un centre culturel d’importance, le peuple Heam étant très prolifique. Voilà pourquoi je parle de « l’exception talote », cette îlot de culture au milieu, si je puis dire, d’un monde grisâtre de brutes.
A.H. - Tout ceci est très intéressant, mais en quoi le fait que Talo ait été préservée va-t-il changer quoi que ce soit aux destructions qu’a subi le reste du territoire ?
G.R. - La survie de la culture Heam signifie que nous ne partons pas de rien pour la reconstruction culturelle. Nous ne sommes pas perdus, ignorant les us et coutumes de notre propre peuple. Il nous est possible de nous inspirer du modèle talote pour repartir sur une bonne base.
A.H. - Mais ne craignez-vous pas qu’en faisant cela, nous risquions d’acculturer complètement la population ? Wans, Diàp,… tous ne veulent pas devenir des Heam. Beaucoup sont fiers d’appartenir à leur peuple. Et ce ne sont pas les Diàp, après… et bien, ce qui leur est arrivé, qui vont accepter de disparaître culturellement. Ils considéreraient cela comme un affront, une victoire de l’Empire par-delà la mort.
G.R. - Non, et ce n’est pas ce que j’ai proposé. Il me semble tout aussi problématique qu’à vous qu’il y ait un risque d’acculturation. Non, évidemment, aucun peuple ne voudrait renoncer à ce qu’il est pour en devenir un autre, et ce n’est pas ce que j’ai dit. Mais étudier le peuple Heam permettrait de disposer d’une première base, d’un départ. Certaines coutumes se ressemblent, et pourraient être reprises sans heurt. Et puis, comme je l’ai évoqué dans mon article, Talo n’est pas tout à fait seule.
A.H. - Ce que vous dites me rassure. Il serait dommage que des siècles d’histoire et de coutumes disparaissent à chaque guerre civile. Je suppose que vous parlez par ailleurs des îles ?
G.R. - C’est tout à fait cela. Les îles Isteal, de culture Wan rappelons-le, comme la majeure partie de notre pays, connaissent ces dernières années une forme de « renaissance culturelle ». En effet, elles ont été libérées du joug impérial en 2003, il s’agissait du premier territoire à être récupéré. Ainsi, elles sont celles qui ont le moins longtemps subi la domination du Viswani, et qui ont le plus de temps pour s’en remettre. Cela fait maintenant plus de dix années qu’elles ont été libérées, donc, et dix années qu’elles se reconstruisent et se développent. Alors, certes, la plupart des actions qui ont été entreprises durant longtemps n’ont visé qu’à soutenir l’effort de guerre, mais depuis 2009 maintenant, le territoire peut se développer librement. Et, après cinq ans, on constate que non seulement les Isteal sont la région la plus riche du Wanmiri, mais aussi la seule qui voit le nombre de cérémonies religieuses, de mariages, de représentations théâtrales, etc augmenter. On assiste donc à une « renaissance » de la culture Wan, qui pourrait également guider celle qui devra inévitablement avoir lieu dans le reste du pays.
A.H. - Certes, mais il y a une limite.
G.R. - Oui, et je l’évoque dans mon article. Il s’agit des influences étrangères. Typiquement, là où Talo est enclavée, et subit assez peu ce genre de choses – bien que la cité s’ouvre au commerce international et se modernise, mais ce n’est pas le débat – donc, Talo subit assez peu l’influence de nations étrangères, alors que les Isteal y sont extrêmement soumises. Elles représentent une force commerciale impressionnante, et sont de ce fait en contact permanent avec d’autres cultures, lesquelles, évidemment, déteignent, et risquent d’acculturer la région.
A.H. - Vous préféreriez donc que nous fermions le pays le temps de nous reconstruire, afin que notre culture ne disparaisse pas ?
G.R. - Ah, non, sûrement pas ! Cela serait une mesure bien trop extrême. Et nous avons besoin du commerce international pour nous reconstruire justement. Mais, je fais simplement remarquer qu’il est possible que la renaissance culturelle, et bien, ne nous ramène pas tout à fait à notre culture d’origine, à cause d’emprunts extérieurs. Enfin, cela arrive dans n’importe quelle pays. Mais, tenez, pas plus tard qu’il y a deux semaines, de nombreux navires velsniens venant de Tavaani sont arrivés à Jalitaya, où ils ont laissé de nombreux présents. Je ne doute pas que cela influencera certainement l’opinion publique, et que l’on trouvera bientôt des gens adoptant les coutumes velsniennes… Voire voulant aller y habiter ! Si j’étais tatillon, je dirais que toute cette affaire sens le cheval de Troie à plein nez.
A.H. - Ah ah ! Et vous avez sans doute raison, les velsniens sont les pires fourbes que l’on puisse trouver ! Je suis désolé, mais il va me falloir vous laisser, notre émission touche à sa fin. Merci d’être venu sur ce plateau !
G.R. - Et merci à vous de m’y avoir invité ! Au plaisir de vous revoir !
Vive la liberté ! Mort à l'Empereur et à toute forme de dictature ! Vive la liberté !
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Note aux lecteursCeci est un extrait d'un article du journal "Typhon : Le Vent de la Liberté" tel qu'entendu lors d'une radiodiffusion publique à Sivagundi. Contrairement aux articles habituels, celui-ci n’est disponible que sous format numérique ou en radiodiffusion. Aucun exemplaire papier n’a été produit pour le moment, bien qu’il soit prévu qu’un tirage soit fait dans la semaine à venir.