21/02/2015
20:55:48
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Politique & jeu de cour

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Le climat politique a été sacrément mouvementé ces derniers temps, avec les troubles opérant en Chérchérie. Cette attention pour la région, jusque là tout aussi distante géographiquement que médiatiquement, a été brutalement exacerbée par l'implication assumée du Grand Kah, voisin direct avec qui des négociations en cours. De là émergea une masse de réaction, avec notamment Nathalie Sablier, comtesse au caractère acéré, exprima alors sa véhémence envers le Grand Kah et par extension la bourgeoisie qui souhaitait s'en approcher.

« Le Grand Kah s'ingère ouvertement dans cette révolution, en soutenant des rebelles et en s'attaquant aux forces militaires soutenant le régime en place ! Si la bourgeoisie avait commencé ses négociations avant cette exaction, elle est maintenant pleinement consciente du caractère du Kah et doit purement et simplement mettre fin à tout rapprochement ! La proximité d'une nation ainsi indigne de confiance nous exposerait sur de nombreux points et réduirait la confiance que nous accréditerait la communauté internationale ! »

Cette accusation était également un prétexte pour s'attaquer à la bourgeoisie, fondamentalement concurrente de la noblesse. Et Nathalie Sablier était connue pour leur tirer dans les pattes à la moindre occasion. Là, il y avait une opportunité de leur couper de juteux contrats et de les décrédibiliser auprès des assemblées parlementaires.
Il y eut ensuite tout naturellement en réponse un discours d'Ambre Récifjaune, qui s'invita dans une Haute Assemblée des Élus.

« Ce conflit ne concerne en rien le Duché de Sylva, et y prêter des commentaires serait non seulement mal venu, mais aurait la crédibilité d'un parvenu s'exprimant sur des sujets qu'il ne fait que découvrir. De plus le Grand Kah est notre voisin direct avec qui de nombreuses opportunités sont possibles, se mettre en mauvais terme d'emblée sur un sujet méconnu serait des plus maladroits et ne nous apporterait pas pour autant les faveurs de l'ONC. »

C'était une réponse naturelle d'une entrepreneuse défendant son commerce. Elle aurait tenu le même discours si le Grand Kah usait d'armes chimiques contre les citoyens chérchérins. Et à l'opposé de ces deux postures, Lucette Dumorne se positionna en bonne syndicaliste comme figure contestataire.

« Nous devrions tout de même étudier franchement la question. Les nouvelles qui nous arrivent sont les suivantes : la Chérchérie a émergé et s'est consolidé dans des conditions douteuses intrinsèquement liées à des affaires de conflits ethniques et de racisme. Maintenant des rebelles, composés de gens du peuple, se battent pour mettre fin à ce régime sanglant. Ledit régime n'a pas été soudainement blanchis parce que le dictateur est mystérieusement mort et que son fils successeur assure mettre ne place une véritable république, et chercher à réprimer par la force ces contestations est absolument intolérable.
Donc si la légitimité politique du Grand Kah est discutable, le sens moral de leur intervention est incontestable, tout autant qu'est condamnable la façon donc le régime chérchérin gère cette crise avec l'appuie de Loduarie ! »

Là encore, ce discours avec un fond sincère mais restait partiellement intéressé : il faudrait que les collectivistes soient aveugles pour ne voir que le Grand Kah est leur plus grande opportunité de prendre de l'ampleur, ne serait ce que pour faire émerger leurs coopératives dont les écrivains collectivistes vantent les bienfaits.
C'est dans cette cacophonie parlementaire que devait trancher la Duchesse Alexandra Boisderose et parvenir à concilier des opinions divergentes, avec des partis se mettant avec énergie et volonté en opposition aux autres.

« Encore une fois nous sommes confrontés à une situation complexe et multifactorielle, doublée d'une observation partielle avec un point de vue éloigné. Nous observons en un instant des conséquences de tout un processus s'étant étalé sur des années sous plusieurs influences, et devons exprimer une position légitime, morale, mais aussi, qui fasse valoir nos intérêts. Malgré tous l'idéalisme auquel nombre d'entre nous aspirons, il serait naïf d'imaginer que nous pouvons complètement nous permettre de mettre de côté les réalités de la géopolitique.
Les contestations des rebelles chérchérins sont légitimes mais leurs méthodes contestables, autant que celles du gouvernement qui ne peut prétendre à la moindre responsabilité de diriger lorsqu'il massacre son peuple. Quant au grand cas, en faisant fi de toutes les motivations intéressées et sous-jacentes à leur implication directe, on peut se permettre de questionner une intervention militaire direct niant purement et simplement la souveraineté de la Chérchérie.

C'est donc de ma propre voix que je ferais un communiqué public appelant à la fin des hostilités entre le gouvernement chérchérin et son peuple, à une ouverture au débat, et à la fin de l'agression kah-tanaise quelqu'en soit les justifications morales.
Par ailleurs, nous sommes maintenant pleinement conscient des luttes sanglantes qui opèrent en Chérchérie, et c'est pourquoi je vais aussi prendre contact avec le gouvernement en place pour proposer l'envoie d'une aide humanitaire. »

Elle avait pour ainsi dire cherché à contenter tout le monde, en appuyant le tout d'arguments à peu près crédibles, afin de ne vexer personne. C'est donc mollement que fut approuvé après vote l'envoie d'une aide humanitaire et la teneur de son communiqué public.
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La pièce était typique de l'architecture sylvoise, avec des murs, sols et plafonds soutenus par une structure de pierre et brique. Il en résultait une atmosphère apaisante et confortable. Assise à côté d'une baie vitrée donnant vers la forêt, la comtesse était en visioconférence. La vu était imprenable sur les vastes étendues boisées, au loin étaient visibles les montagne grisonnantes derrière la brumes, et il était possible d'observer la ville en regardant sur le côté.
Nathalie Sablier avait un nom qui lui allait à merveille, non pas en référence à l'outil de mesure du temps, mais à l'arbre, et quel arbre ! Il suffisait de le regarder pour comprendre pourquoi son second nom était « arbre à torture ». Il était intégralement recouvert d'épines, grosses et acérées, et Nathalie avait un caractère à cette image. Il ne lui manquait que de larges épaules pour parfaitement convenir à l'image de ce grand arbre.

-On ne t'entends pas autant au sujet de l'Okaristan que de la Chérchérie.

Son interlocutrice était Camille Labranche, une autre comtesse d'une région plus reculée de Sylva. Elle était donc naturellement moins présente à la cour, mais avait quand même eu l'occasion de se lier d'amitié avec Nathalie.

-Voyons, Ce n'est pas sur la Chérchérie qu'on m'a entendu, mais sur l'attitude du Grand Kah. Ce sont nos voisins directs, leur intervention sur le sol chérchérin était donc directement audible. Mais je comptais surtout envoyer un peu de plomb dans l'aile des bourgeois, qui se sont permis d'établir des échanges avec eux sans aucune concertation.

-Ils en ont le droit, répondit Camille, il n'y a aucune nécessité d'avoir une ambassade chez eux ou qui que ce soit d'autre pour demander l'autorisation de commercer.

-Déjà ce point porte à débat mais là n'est pas la question. Ce n'est pas qu'ils ont le droit ou non de le faire, mais qu'ils ont une intention derrière : se faire de l'argent sur la crise kah-tanaise et en profiter pour grandir.

-Et en réponse tu as décidé de leur rentrer dedans en frontal, aux bourgeois et au kah-tanais ? Soit dit en passant, j'ai eu l'occasion de voir passer ton journaliste dans les informations d'Axis Mundi. Il fallait le faire d'aller leur adresser un reproche aussi directe, il n'y a que toi pour le faire.

-Ce n'est pas mon journaliste ! Oui, je me suis arrangé pour qu'on le pousse un peu à aller poser ces questions mais ce n'est pas mon journaliste ni mon journal. Et oui je n'y suis pas passé par quatre chemin avec les bourgeois et kah-tanais. Ces derniers n'auront aucun problème à justifier leur opération, par contre je voulais forcer les bourgeois à rappeler encore une fois qu'ils ne pense qu'à leur profit.

-Qui ne pense pas qu'à son profit dans tous Sylva ? Les nobles pensent à leur position, les bourgeois à leur commerce, et les collectivistes à leur autonomie. Par contre ce qui me surprend, c'est que l'éditorialiste du Paltoterra-Sylva ait autorisé cet interview. Après tout ce journal appartient en effet de facto à la duchesse.

-Probablement voulait elle aussi avoir la réponse des kah-tanais pour mieux les cerner ? De toute façon il n'a jamais été question d'intervenir davantage que ça. Le Grand Kah est notre voisin direct et ces histoires en Eurysie sont loin de nous. Mon but est surtout de ne pas lâcher les bourgeois. Ne croit pas que je me fermerais moi même aux échanges avec le Grand Kah parce qu'il s'autorise des interventions armées. Je compte même commercer également avec eux une fois nos relations normalisées. Juste, je tiens à rappeler à la moindre occasion, jusqu'à l'inscrire dans tous les esprits, que la bourgeoisie sylvoise est la cible à abattre.
Mais rien de nouveau sous le soleil. Reparlons de l'Okaristan, a t'on davantage de nouvelles sur ce qu'il s'y passe ?

-J'en n'en sais pas plus que toi. On a vaguement entendu parler d'une guerre civile mais sans plus. C'est une région qui a l'air sacrément marqué par les conflits en tout genre. J'ai vaguement pris le temps de me renseigner en surface sur les nations alentours, c'est loin d'être aussi paisible que notre voisinage.

-Tu pense que la Duchesse s'exprimera sur ça ?

-Pourquoi faire ? C'est toi qui a lancé tous le débat sur la Chérchérie, autrement personne n'y aurait prêté la moindre attention dans tous Sylva. Alexandra Boisderoise a tenu un discours sur la question pour contenter tous le monde et a fait bonne figure avec sa proposition d'aide humanitaire, mais c'était pour la forme. Rien de plus. Par contre on est maintenant contraint de se rapprocher de Fortuna, vu que sans leurs îles pour faire escales, nous sommes incapable de rallier l'Eurysie et Afarée.

-Oui ! Il est très probable que l'on cherche à établir un véritable couloir aérien de leur côté. C'est une bonne chose, cela assurera un couloir aérien avec ces deux continents. Tu sais si c'est déjà exploité de cette façon ?

-Comment en saurais je davantage que toi ? En tout cas les fortunéens auront tout intérêt à développer cet aspect s'il s'avère qu'il y ait un marché à combler.

-Après ne mettons pas les charrues avant les bœufs, les mouvements de marchandises et personnels sont quasiment inexistants pour le moment, réduit à l'envoie d'aide humanitaire. Je doute que la Duchesse s'investisse dans toutes les crises d'Eurysie, et faute d'acheteur ou partenaires touristiques, on n'aura pas besoin d'établir un axe important. Ah ! Excuse moi je dois te laisser ! Bonne journée !

-Encore ton bucheron ?

-Mon buche… roooh ! Tu vas arrêter avec ça !

-Je te taquine ! Allez, bonne soirée à toi !
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Alexandra, Chloé et Léa Boisderose prenaient le thé dans le palais de la Duchesse. La discussion portait sur l'actualité, Chloé commentant notamment la réponse du Grand Kah au sujet des interrogations du journaliste Sylvois :

-Comme on s'y attendait, ils ont eut un raisonnement moral concernant la crise de Chérchérie. Là où je m'interroge, c'est sur la sincérité de cette entreprise. Est ce réellement une nation honnête qui défend des valeurs justes, ou est ce qu'il s'agit d'une affaire d'intérêts avec une justification pour la forme ? Ce qu'il se passe là bas déstabilise la région, il y a pas mal d'acteurs concernés, c'est un sujet passionnant.

-Le dirigeant Chérchérin a réussi à négocier un cessé le feu avec les rebelles, » enchaina la Duchesse, « mais des combats continue par ailleurs contre les loduariens de ce que j'ai compris. Moi qui m'étais pour la forme exprimé sur la question après le tintamarre avec le Grand Kah, je ne pensais pas que cela aurait de réelles répercussions. Maintenant on a des équipes de secouristes là bas. Cela contribuera peut être à l'avenir à nous donner une certaine crédibilité politique, avec un passif de médiateurs pacifiques et humanitaristes.

-Et à présent, quels sont les objectifs dans la région ? Va t'on essayer d'aller plus loin ?

-Que nenni, nous chercherons juste à bien nous faire voir des populations et gouvernements locaux. Pour tout dire, la finalité serait probablement davantage du côté de Fortuna. Ils ont de nombreuses positions géographiques très favorables, il suffit de constater le couloir aérien que l'on a pu mettre en place jusqu'au cœur de l'Eurysie juste en faisant escale par chez eux. Nous aurons surement à réitérer à l'avenir, et pour peut être des choses moins… morale, qu'apporter une aide humanitaire. Bref, une fois que nous auront établis des contacts favorables avec nos voisins de Paltoterra.

Là prit la parole la Maréchale.

-En parlant de nos voisins, vous avez pu parler de choses sérieuses avec les péronasiens ? Nous avons une belle industrie aéronautique et peut être même le naval qui va suivre, mais niveau blindé et artillerie… il faut réellement pallier à ça. Nous devrons nous fournir auprès d'eux, et peut être du Grand Kah aussi.

-Pour les péronasiens, c'est certains, même si je préfère encore consolider nos relations. Pour le grand Kah… aucun échange officiel entre nos gouvernements, seulement avec la bourgeoisie. Et ils ont l'air d'avoir un passif politique bien plus important, je préfère ne pas me dépendre d'eux pour le moment, et surtout, ne pas me positionner de façon trop tranchée.

Chloé repris la discussion.

-Oui 'fin, ce sont nos voisins directs, nous finirons bien à un moment ou un autre par nous fournir auprès d'eux, et peut être même leur vendre des missiles. Et si c'est le positionnement auprès de notre pas si éloigné voisin l'Alguarena et par extension l'ONC qui vous inquiète, mère, alors prenez en compte les propos de Ricci. Il vous a lui même dit s'entendre très bien avec le Grand Kah tout en étant un exemplaire membre de l'ONC. D'ailleurs rien ne nous interdira de faire jouer la concurrence entre l'Alguarena et le Kah.

-Ce serait un jeu à double tranchant, jouer au funambule c'est soit maintenir un équilibre délicat, soit tomber. Je ne voudrais pas avoir une politique considérée comme malvenue qui amènerait à m'isoler.

-Hé bien pour ça, j'ai l'impression qu'il serait possible de ne même pas avoir à jouer au funambule pour être du côté des deux, puisqu'après tout, ils semblent partager une concurrence avec la Loduarie Communiste. Elle fait beaucoup parler d'elle, s'implique dans de nombreuses guerre, a l'air de les perdre à ce que j'entends. Bref, c'est une menace modérée, ennemi de tous. Commençons par nous positionner en opposition.

-Ça, ce ne sera pas pour maintenant. Je ne compte pas juste suivre le courant pour mendier les faveurs des grandes puissances (elle sirota son verre de ti-punch). Rien ne presse, aucune nation ne nous menacera prochainement et je ne me presserais pas à nous positionner sur l'échiquier géopolitique pour acheter un équipement pour le moment inutile, et surtout, qui risquerait de le devenir suite aux conséquences d'une position douteuse.

Chloé regarda avec de grands yeux confus en lançant une onomatopée inintelligible « Gné ? ». Léa lui répondit avec dédains.

-Nous pas besoin acheter arme. Nous donc pas besoin faire galipettes politiques pour avoir armes, surtout que galipettes égale risque d'être menacé et avoir besoin des armes.

-Roh mais change de ton !

-Calmez vous les filles, » lança la Duchesse, « même si Léa résumait plutôt bien ma position. Pour résumer, nous verrons ultérieurement la question de l'approvisionnement de l'armée de terre.

-Un autre point à prendre en compte, » reprit Chloé, « est l'importance de diversifier les fournisseurs. Il va falloir vendre des avions et missiles pour amortir les couts de développement, et ce sera plus facile d'en négocier avec des nations auprès de qui nous achetons. De là, ne doit pas se concentrer sur des fournisseurs trop avancés qui serait désintéressé par nos technologies, et maximiser les clients potentiels.

-Là encore, ce sera pour un second temps. Absolument personne n'a à l'heure actuelle à envier notre industrie. Nous allons surtout devoir développer le primaire pour le moment, et commercer sur cet axe là en attendant de le développer suffisamment pour mettre en place une solide industrie secondaire derrière. D'ailleurs, où en sont les prospections pétrolières ?

Léa loucha.

-Ça ? Notre industrie navale est à peine lancée, ce n'est pas maintenant que l'on va commencer la prospection, et je ne parle pas de l'extraction. Et ça, c'est en supposant que l'on trouvera des gisements intéressant. Sincèrement, le marché du pétrole a l'air déjà saturé, ce serait plus sûr de se fournir auprès d'exportateurs étrangers : pas d'investissements hasardeux, garantie de quantité, de prix. Bref, autant la prospection minière est une bonne idée, mais le pétrole ?

-N'exagérons rien, rien n'exclue l'importation, et les investissements sont pour le moment très raisonnable, et surtout, ils ne seront pas perdu. Imaginons nous mettons en place une industrie navale sans avoir de gisements, hé bien nous trouverons facilement d'autres utilités à cette industrie.

-D'autant que tu te plaignais de l'approvisionnement de l'armée de terre, » ajouta Chloé, « mais nous devions dans tous les cas lancer cette industrie. Nous avons fait le choix d'établir une importante industrie aéronautique, mais sans navire, elle sera limité. Porte-avions, navires et sous-marins lanceurs de missiles, une force navale nous donnera énormément de poids. Et en plus, cela représente un investissement mesurés comparé à celui de l'aéronautique.

-Bon, je vais devoir y aller », coupa court Alexandra, « il est déjà seize heure. » Elle siffla son fond de boisson. « Passez une bonne soirée les filles.

La discussion entre les deux cousines se poursuivit sur des sujets plus anodins.
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La Duchesse Alexandra Boisderose, sa fille Chloé et sa nièce Léa étaient installées dans l'arboretum du palais. Quantité d'espèces végétales y étaient exposées, avec de petits panneaux indicateurs informant de leur noms et caractéristiques notables.
La matriarche adossée contre un mahogany grattait l'écorce, tandis que Chloé toisait un mancenillier, comme si elle défiait la barrière qui en restreignait l'accès (et à raison, la toxicité de ses fruits égale les brulures provoquées par sa sève).

-Mais vas-tu cesser ?!

Elle s'était retournée en direction de sa mère en haussant le ton.

-Arrête de griffer ce pauvre arbre ! Tu me stresse !

Léa arriva d'un peu plus loin après avoir regretté les dégâts causés par les fourmis sur un sablier, tandis qu'Alexandra prit la parole d'un ton ferme.

-Désolé d'éprouver ta sérénité, mais je t'avoue que mis en perspective avec les questions que j'ai en tête, tes états d’âmes ne sont pas d'une importance majeure !

Chloé ferma les yeux, fronça les sourcils, et massa de son pouce et indexe le milieu du nez avant de reprendre avec patience.

-Excuse moi, je te comprends, mais nul utilité à ce que tu te tourmente ainsi. C'est toujours la question de Port-Hafen qui t'occupe l'esprit ?

-Peu d'autres choses auraient pu me stresser à ce point. Port-Hafen, c'est beaucoup de choses.

Il y eut un léger blanc, mais ni Chloé ni Léa ne répondirent, laissant à terme reprendre Alexandra.

-Déjà le premier, le plus flagrant et qui sert de cheval de bataille aux discussions que j'ai tenu jusqu'à présent, c'est l'aspect humanitaire. On parle d'une agression directe contre des civils. Mais honnêtement, et qu'on ne m'entende pas le dire, ça relève du discours. En fait, même la question de la légitimité de l'intervention, c'est tout un sujet de politique dont la conclusion se résumerait à chaque partie défendant ses intérêts : Alguarena ne voit pas de problème à cette opération puisqu'elle est indirectement dans ses intérêts, et nous, y voyons un problème parce qu'elle serait potentiellement contre les nôtres.

Elle soupira et reprit.

-J'ai l'impression de m'engager dans une trame géopolitique d'ampleur, aux tenants et aboutissants qui me dépassent. Il n'est pas simplement question de ce qui est objectivement immoral, à savoir un missile balistique sur un hôtel de ville. J'ai parlé de l'Alguarena, ce n'était pas à la légère, on s'engage sur un terrain glissant, et on va devoir courir.

-À ce point ? Demanda Léa, Était ce si nécessaire de s'y impliquer si les enjeux étaient aussi nombreux et incertains ?

Alexandra mit quelques secondes à répondre.

-Oui, non pas seulement que l'Empire Listonien représente une menace de par son attitude assumée, mais aussi parce qu'il va à l'encontre des intérêts de nations qui pourraient aller dans notre sens.

Chloé se raidit.

-Il y a deux bloques dans cette affaire, sur lesquels nous avions convenus d'être prudentes. As-tu pris l'initiative de trancher ?

-N’exagérons rien, on ne va pas déclarer la guerre à l'Alguarena, et on sera loin d'être seuls : plusieurs nations ont déjà publiquement condamné la Listonie. Non, nous allons nous positionner mais ne commettrons aucun excès.
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Les dîners à la cour des Boisderose sont choses courantes dans la noblesse. Cette caste forme sa propre petite communauté avec ses règles et ses mœurs, perdurant malgré les évolutions de l'histoire ayant amené au parlementarisme tel qu'il est connu aujourd'hui. Les jeux d'influence y sont nombreux et sur tous les plans. Les plus fréquents sont les courtisans cherchant à bien paraître pour amener à des mariages d'alliance. Plaire à la Duchesse est également une autre façon d'obtenir ses faveurs, que ce soit pour accéder à des postes aussi prestigieux que lucratifs, ou mener à bien ses projets. Et là est un point important du fonctionnement de la noblesse : aussi décentralisé que soit le Duché dans son modèle féodal et malgré toute l'autonomie dont disposent les comtés, ils sont affiliés à la Duchesse. Cela amène à une féroce concurrence entre les nobles, entretenue par la famille dirigeante pour s'assurer un certain contrôle.

Ce modèle absolument malsain est loin d'être inconnu, au contraire extrêmement médiatisé et même apprécié comme une espèce de spectacle malsain. C'est un véritable feuilleton pour les sujets sylvois, qui se délectent des joutes verbales rapportées. Aussi vulgaire puisse être cette façon de faire, il ne s'agit pas plus qu'une forme de “spectacle politique” pour gagner l'approbation et marquer les esprits en décrédibilisant un opposant. Toutefois, si ces confrontations sont vulgaires, elles sont loin d'être grossières. Le manque de subtilité est même un terrible défaut et seuls des mots fins sauraient aller au cœur, de la cible et des spectateurs.

Ce soir-là était organisée une soirée par Alexandra Boisderose qui profitait d'un répit entre deux rencontres diplomatiques. Elle était d'une forme magistrale, ressourcée d'être chez elle dans son milieu, en position de force, la matriarche de Sylva. Les discussions allaient de bon ton, toujours déviés à dessein vers des domaines ou certains souhaitaient se mettre en avant. Là notamment se mettait en avant Nathalie Sablier, femme aussi épineuse que l'arbre duquel elle tire son nom. Très sanguine, elle alternait entre des réponses cinglantes ou maladroites ce qui lui valait un succès variable. Mais malgré tout elle avait réussi à placer une de ses cousines à la tête du Pôle Pétrolier, domaine stratégique qui lui accordait une position solide. Elle avait également tenté de s'accaparer le prestige de Padure en y montant en toute autonomie une expédition, à la tête de laquelle était placé son frère cadet. Mais les contraintes logistiques la contraignirent malheureusement pour elle à élargir l'expédition à l'ensemble du Duché.

La comtesse Julia Despalmier était la plus véhémente concurrente de Nathalie Sablier après avoir perdu la compétition pour placer à la tête du Pôle Pétrolier un membre de son clan. Elle avait certes rattrapé le coup en ayant mis son cousin Xavier comme ambassadeur auprès de la Tcharnovie. C'était autant dire un maigre lot de consommation pour le moment, le pays n'ayant pas d'influence notable. Pire, il était connu pour son instabilité. Quand bien même était tenté quelque chose pour y accroître l'influence des Despalmiers avec une médiation, ce n'est pas ce qui ferait prendre en importance le comté.

Le moment était à un verre de rhum vieux après un très copieux repas, les invités étant conséquemment rassasiés et quelque peu éméchés. Nathalie Sablier se laissait aller en parlant des succès de Département Pétrolier Marin et de l'avenir de Sylva dans le secteur dans l'ensemble de Paltoterra à ce rythme. Elle avait un côté ostentatoire à toujours parler fort et l'alcool n'aidait en rien, ce qui ajoutait à l'irritation de Julia Despalmiers qui devait déjà supporter la vantardise sur le Pôle Pétrolier.
“Nos prototypes de forage portent leurs fruits et nos méthodes s'améliorent. Nous pourrons à ce rythme disposer rapidement de plusieurs puits et envisager les exportations auprès de nos voisins directs.” Disait Nathalie, ce à quoi Julia répondit d'un ton aimable : “Nul doute que cela saura arriver. Vous pourrez demander conseil à Ambre Récifjaune pour commercer à l'étranger, qu'elle vous prodiguera j'en suis certaine si vous offrez un verre... dans le bon sens.”
La pique n'était pas particulièrement élaborée et faisait surtout référence à un ancien incident où madame Sablier s'était laissé emporter avec la lobbyiste. C'était malgré tout une provocation rappelant frontalement le caractère soupe au lait de la concernée. Un silence se fit et les regards se tournèrent vers elle, y compris celui d’Alexandra Boisderose qui haussait un sourcil. Grinçant des dents, Nathalie commença à réfléchissant mentalement à sa réplique :

-Riche recommandation que vous me faites mais...

Quelques interminables secondes passaient alors que l'oratrice réfléchissait à toute vitesse une réponse. Plus de temps à réfléchir, trop attendre lui retirerait tout crédit.

-... Tâchez de la partager également à votre cousin. Pendant qu'il s'est fait refuser à la médiation au sujet du Bas-Littanor, madame Récifjaune a déjà permis l'implantation d'une firme de jouets. Elle aura avec ça plus d'influence dans tout le nord de l'Eurysie pendant qu'à peine monsieur Xavier Despalmiers se fait entendre sur place.

Si la réponse avait mis du temps à arriver, elle était d'une certaine pertinence qui savait ravir compères et commères à l'écoute du moindre ragot. Son interlocutrice ne se laissa pas pour autant faire et répondit dans la foulée.

-De l'influence avec des jouets, vous semblez prendre l'échiquier politique pour un jeu d'enfant. Continuez avec cette vision immature qui vous va si bien, pendant que monsieur mon cousin se charge de discuter entre “grandes personnes”. La crise du Bas-Littanor débute tout juste et ce ne sont pas des soldats de plomb qui la résoudront !

Là intervint la baronne Alice Lécorce, qui rebondit sur la provocation.

-A voir comme un jeu d'enfant la politique, elle se comporte comme tel et fait des caprices quand les choses ne vont pas dans son sens.

Sur ce, elle mima le geste de jeter un verre d'eau. Elle cherchait à appuyer Julia Despalmier puisqu'elle convoitait le rang de vicomtesse de Baobab Ville actuellement tenu par sa rivale Sélénia Ebène. Il lui fallait pour cela les faveurs de Julia Despalmier qui dirigeait le comté auquel était affilié l'agglomération. Cela arracha quelques rires à l'assemblée et Alexandra elle-même se retenait d'afficher un sourire. Nathalie contenait difficilement sa rage mais ne se laissait pas impressionner. Elle attendait que les changements s'estompent tout en réfléchissant à une réplique cinglante. Elle osa le tout pour le tout.

-Le plomb ne résoudra pas plus le conflit que les soldats de plomb, par contre nous partons avec du plomb dans l'aile si monsieur Xavier partage votre vision aussi obtu de la politique. L'entreprise que profile Ambre fera tourner l'économie tcharnove et tanskienne, pendant que votre cousin se fait tourner en bourrique. Maintenant je crois que...” commença elle en se tournant vers la Baronne Lécorce “... Quel est votre nom ? Pardonnez ma mémoire très sélective, elle ne retient que ce qui a de l’importance.

Julia devint rouge de colère tandis qu'Alice était prise au dépourvue et ne savait pas quoi ajouter. Les rires commençaient à s'élever mais l'échange fut interrompu par la Duchesse qui fit tinter son verre à coups de cuillères. Elle dévia avec doigté le sujet pour éviter que ne dégénère en pugilat les échanges de provocation. Si Nathalie ne chercha pas à davantage occuper le terrain, elle se délecta malgré tout de sa petite victoire.
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Descendit de la voiture une femme en robe madras commune, avec un large chapeau de paille. Cette tenue suffisait pour que la comtesse Julia Despalmiers soit méconnaissable, alors qu'elle se rendait dans le lotissement de pierres et de briques. C'était un quartier populaire dédié aux habitants les moins fortunés, où elle allait chercher bonne fortune. Accompagné juste d'un garde du corps, lui aussi dans une tenue assez classique mais intégrant une petite radio, un pistolet et un bâton télescopique, elle frappa à la porte d'un appartement et y entra une fois invitée.

L'intérieur n'avait rien à voir avec l'extérieur. On passait d'un décor urbain assez austère malgré les efforts des sujets pour décorer les rues de plantes et peintures, à un véritable musée de sorcellerie. La pièce était sombre, éclairée de bougies uniquement alors que les fenêtres étaient fermées. La décoration était saturée de parchemins cloués aux murs, de masques et statues traditionnelles de bois, de talismans et gri-gri, et de fioles.
Au milieu de la pièce l'attendait un individu dans une large tunique avec un masque et une coiffe de plumes. L'atmosphère était étouffante entre la chaleur de la pièce mal aérée et les fumées d'encens qui brûlaient. Julia eut rapidement une migraine et fut prise d'un vertige, mais resta droite quand son interlocuteur prit la parole.

-Julia Despalmiers, tu es venu ici ici car tu as besoin d'aide. Retire tes chaussures. Quant à ton accompagnateur, qu'il reste dehors.

Elle s'exécuta et s'installa au signe de l'homme masqué.

-Que veux-tu ? Te venger ? Qu'une de tes entreprises réussisse ?

-Les deux ! Enfin, plus précisément je veux porter chance à mon cousin en Tcharnovie. Il est dans une négociation difficile et est confronté à des gens fermés à la discussion. Je veux qu'il puisse se faire entendre.

-Alors il lui faudra toute la sagesse des anciens" répondit le sorcier en tirant d'un sac une bruyante montre à gousset "Midi moins cinq, bientôt l'heure des morts.

Il sera leva et ouvrit un coffre dont émanait une odeur de moisi et de champignon dont il tira trois sachets de cuir et revint. Le premier sachet contenait du sel qu'il utilisa pour tracer un large pentacle à l'intérieur duquel il fit signe à la comtesse de s'assoir, du deuxième sachet il tira quelques substances qu'il jeta dans un des récipients brûlant de l'encens, puis il ouvrit et déposit le dernier sachet sans le vider. On pouvait voir dedans un crâne et des ossements. Là, il reparti dans une pièce voisine pour revenir avec un coq dans une cage tenue de la main droite, et une bougie posée dans une main embaumée tenue de son autre main. Là enfin il s'installa et procéda méthodiquement en regardant sa montre.

-Midi pile, c'est l'heure.

L'atmosphère était assommante avec les odeurs et Julia commençait à voir flou bien qu'elle restait consciente. Il posa ensuite dans le feu le crâne et les os "Ce sont des restes très anciens, ils attirent les esprits" puis alluma la bougie fixée à la paume de mains embaumée "C'est une main de gloire, elle facilite la communication avec eux" et finalement attrapa le coq. La bête se débattit en caquetant avant de se faire égorger, le sorcier répandant son sang dans le cercle "Et enfin du sang frais, ils adorent ça. N'oublie pas, de sors à aucun moment du cercle, il te protège d'eux, ils ne rentreront que s'ils y seront invités".
Les sens de la femme étaient en ébullition. Sa vu vacillait, elle voyait la pièce danser, les masques au mur lui faire des grimaces. Elle entendait une multitude de bruits, des ricanements secs et profonds, des craquement, du tonnerre. Elle entendit s'effondrer quelque chose sans pouvoir dire quoi. Le sorcier psalmodiait une formule dans un créole ancien.
Le spectacle dura une minute et une heure dans la tête de l'invitée. Elle ne reprit conscience que quand le kimbwa lui tendait une petite fiole remplie de cendres et attachée à un collier, ainsi qu'un petit parchemin.

-Les esprits ont été favorables. Ton cousin aura juste à mettre un de ses cheveux à l'intérieur de la fiole, la porter au poignet ou au cou et lire à voix haute cette inscription. Là, il aura le savoir et la sagesse des esprits.

Hébété, elle mit dans son sac les deux objets puis paya le sorcier d'une épaisse liasse de billets. Sa tête tournait affreusement et elle avait la gorge sèche. Elle fut particulièrement éblouie par la lumière en sortant de la pièce tandis qu'elle sommait à son garde du corps de la raccompagner à la voiture. Il lui fallut le reste de la journée pour récupérer de cette expérience, particulièrement sensorielle.

C'est dans la soirée qu'elle fit envoyer dans un colis expresse les artefacts à son cousin Xavier en Tcharnovie.
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Dîner du soir dans le palais des mahoganys, où se livrent à un festin la Duchesse avec sa cour de comtesse, agrémenté comme à l'accoutumé des plus nobles commérages. La table était agitée ce soir-là, autant que lors des premières crises de Tcharnovie avant que cela ne devienne courant. Il faut dire que la Duchesse avait le jour même tenu un discours condamnant la posture loduarienne vis à vis de la Nouvelle-Canaan.
Mais la discussion dévia, Nathalie Sablier introduisant son habituel piquant dans les palabres.

-Votre discours était poignant, majesté. Le Duché s'est exprimé avec force et raison malgré sa bien moindre influence que la Loduarie. Dommage que ce ne fut pas le cas avec ces manants de Communaterra...

La réaction fut instantanée et l'attention se porta automatiquement sur Alexandra et son interlocutrice. Il n'était pas rare que la Duchesse soit prise à partie, il était même au contraire très fréquent que des figures contestataires la confrontent et qu'elle y réponde. D'une voix clairement articulée elle dit.

-Explicitez votre idée, madame de Sablier.

Pas une seconde d'attente, Nathalie commença son élocution.

-Mais, c'est d'une évidence pourtant ! Nous avons toutes lu la prise de contact avec cet amas de révolutionnaires, et tout ce qui en ressort est hostilité et insultes à notre égard, au Duché, et... à vous !

Elle se leva et commença à marcher autour de la table.

-La présidente de Communatera a tenu une odieuse liste de rhétoriques partageant toutes la même finalité : nier la légitimité de notre position, et même, reconnaître Lucette Dumorne comme dirigeante de Sylva. Ce "pays", si tant est que l’on puisse qualifier de tel une région d'instabilité qu'est une révolution permanente, est par essence notre rival et se pose de lui-même à nos antipodes.

Achevant son tour de table, elle arriva à côté de la Duchesse encore assise. Elle la regardait de haut tout en poursuivant.

-Ils se rient de nous et planifient déjà on ne sait quelle manigance digne de leurs idées. Et qu'avons nous fait ? Nous leur répondons poliment ?
Déjà pourquoi leur avons-nous répondu dès lors qu'ils ont témoigné leur absence totale de civisme et de doigté diplomatique ? Ce sont des listoniens sans la puissance militaire !

Elle passa derrière la Duchesse qui lui laissait entretenir son monologue, retournant à sa place.

-Ils feront fuiter les missives qu'ils nous ont envoyées, pour clamer haut et fort les crachats qu'ils nous ont lancé à la figure et la politesse placide avec laquelle nous leur avons répondu. Qu'est ce qui peut donc motiver une telle passivité, une telle soumission face à ces comparaisons de "vestiges sociétaux" à notre égard ?
Est ce donc ça, la politique du Duché ?

Alexandra bouillonnait intérieurement mais se maitrisait d'une main de maître. C'était une exercice se reproduisant périodiquement et auquel elle excellait. Mieux, elle savait que la question serait abordée et y avait déjà bien réfléchi mentalement, d'autant plus aux habituelles attaques frontales de Nathalie.

-C'est en effet un peuple qui se dit en révolution constante. C'est leur essence même, fondamentalement opposée à la nôtre. Mais les paroles sont des paroles et ne tiennent pas lieu d'actes. Ce n'est que dialectique de leur part pour affirmer leur position et revendiquer leur nature, rien de plus, rien qui ne justifie plus.

Elle ne se leva pas mais, les mains bien à plat sur la table, droite et d'une voix parfaitement articulée, elle poursuivait en captivant l'attention de l'assemblée sans avoir besoin de se mettre debout.

-Qu'aurions nous fait pour répondre à leur insulte ? Tirer des missiles de croisière comme l'aurait fait la Listonie dont vous prenez exemple ? Les insultes ne sont pas un motif à cela, et y répliquer leur donnerait au contraire de la valeur.

Détournant son regard de Nathalie, elle enchaîna à destination de l'assemblée en générale.

-Nous ne devons pas rester dans la réaction, mais être dans l'anticipation. Qu'importe que ces révolutionnaires nient ma légitimité, ou la vôtre, elle est reconnue par les sujets de Sylva. Si des insultes suffiraient à déstabiliser notre position, c'est qu'il n'y aurait même pas besoin d'insultes pour nous renverser.
Non, nous devons regarder à l'avenir et cela passe dans ce cas si par la résolution d'une question : les missives de Communaterra tiennent t'elles juste de la dialectique et un rapprochement reste t'il malgré tout possible ?
Si cette présidente est parvenue à rester en place dans un modèle aussi changeant que celui d'une révolution permanente, c'est qu'elle n'est pas idiote et est capable d'un minimum d'instinct de survie et de préservation. Dès lors, quelle menace pourrait-elle ambitionner envers son voisin direct, qui en représenterait une bien plus grande pour elle et sa position ?

-Mais, répliqua Nathalie, qui dit que Communaterra serait une menace bête, directe, et grossière ? Nous regorgeons de collectivistes souhaitant s'émanciper de la noblesse, ils ne sont qu'une gigantesque cible pour des tentatives d'ingérence.

-Et qui dit que, là encore, nous ne serions capables de répliquer et de représenter une bien plus grande menace ? Ces courants collectivistes contestataires n'ont rien de nouveau et sont déjà aussi bien suivis que connus. Une influence de leur côté qui les pousserait soudainement à prendre les armes serait visible et nous y apporterions la réponse requise.
Et cette révolution constante est, elle, le terreau parfait pour les rivalités internes et la course à l'extrémisme. Combien de fanatiques prêts à crier plus fort que l'actuelle présidente doivent engorger les rangs de ces marginaux ? Une guerre civile serait d'une terrible facilité à provoquer chez eux.
Mais, là encore, ça sous-entend que nous aurions une raison d'initier une telle entreprise. L'avons-nous ? Communaterra l’a-t-elle ? Non. Si nous voulons le soutien de nos alliés de l'OND, nous devons rester dans notre bon droit, et réciproquement Communaterra doit l'être pour espérer que l'on ne reçoive aucune assistance.

Buvant une gorgée de planteur, elle reprit.

-Donc non, nous n'avons rien fait en réponse aux insultes de cette présidente dont j'ai oublié le nom, parce que ce ne sont rien de plus que des inconséquentes insultes et que ce pays ne représente pas même la plus infime des menaces.

La joute verbale s’achevait, mais aussi convaincante que soit la Duchesse, cette élocution n’avait pas éclipser l’intégralité des doutes.
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Petite séance de chasse en Sylva, dans le domaine ducal. Accompagnée de partenaires de choix, la Duchesse chasse le perroquet sous la très méthodique surveillance de sa garde rapprochée. Composée de chevaliers issus de la noblesse, ce sont des experts en leurs domaines, mais surtout, des individus d'une fiabilité inégalée sélectionnée selon le savoir-faire hérité de générations de conspirations et guerres de succession. Il s'agit d'individus loyaux, familier à la noblesse, avec tout l'intérêt qu'elle se maintienne, et dont l'organisation de leurs services leur interdit par divers procédés toutes formes d'avenir pérenne en cas d'échec de leur fonction.

Ils sont loin de se contenter de se surveiller entre eux, prêt à recevoir de généreuses récompenses s'ils déjouaient un complot, ni de se satisfaire de cet endoctrinement constant dans lequel ils baignent perpétuellement. Non, ils ont qui plus est la certitude que la mort de la Duchesse, ou n'importe quel noble sous leur protection, ferait d'eux les cibles de persécution de la part des proches si on pouvait leur imputer même la plus lointaine des responsabilité dans la chose. Cela avait déjà été observé à plusieurs reprises, que des chevaliers furent accusés de complicité quand, sous leur prétendue incompétence, des jugements expéditifs furent tenus de façon à prévenir toutes formes de profits ou récompenses qu'ils auraient pu tirer de tels méfaits. Passaient alors du prestige et confort de la fonction (bien qu'éprouvante psychologiquement sous l'enchevêtrement de continuelle paranoïa et pression) bien des chevaliers à des postes plus ingrats, humiliants, bref, bien moins intéressant que la fonction de chevalier.

Et c'était sans prendre en compte un autre processus employé en Sylva, toujours avec la riche expérience en manigances politiques. Il s'agissait de régulièrement soumettre les fonctionnaires dont les gardes à de fausses tentatives de corruptions gérées par un service dédié. Que ce soit contre de généreuses rémunérations, des menaces envers les proches, ou le chantage avec des dossiers compromettant, il était demandé des services illégaux aux fonctionnaires. L'acceptation amenait à une prétendue enquête les inculpant par la suite, donnant l'impression de l'impossibilité de se laisser corrompre sans être pris. Et à côté des contreparties étaient mises en place pour les fonctionnaires dénonçant et coopérant pour déjouer les complots derrières ces corruptions : le droit de garder l'éventuelle rémunération en plus d'une récompense, un service dédié à protéger les proches en cas de menace avérée, ou un jugement bien moins sévère à l'égard des dossiers compromettant.

En un mots comme en cent, Sylva s'était constitué par ces diverses méthodes des agents fiables et imperméables à la corruption, confortés dans leur travail et avec toutes les raisons de souhaiter le maintien de leur environnement. Et les chevaliers représentaient le pinacle de cette rigueur et fiabilité inébranlable. Il n'y avait donc pas de risques qu'ils laissent passer la moindre tentative d'assassinat durant ces parties de chasse.

D'une petite détonation, l'arme de la Duchesse cracha une gerbe de chevrotines spécialement dédiée aux petits oiseaux. L'arme légère et précise ne fit malgré tout pas tout le travail et son utilisatrice manqua sa cible.

-Manqué, de peu.

Alexandra soupira. Les traditions exigeantes de la noblesse faisaient que la moindre occasion était bonne pour flatter, ou rabaisser. Étant Nathalie Sablier qui avait fait la remarque et déjà bien pris l'attention de son ton fort et grave, elle savait déjà qu'est ce qui allait se passer, et quelle serait le sujet.

-Un peu comme sur la question de Communaterra.

Sans répondre, la matriarche posa son arme dans l'étui harnachée à un lama, tenu en longe par un valet. La petite troupe se remit en marche. Alexandra en avait parfois marre de cette pression permanente, ces petites entrevues ne pouvaient donc pas être franche et bonne enfant ? Fallait il nécessairement que se mêlent des concurrences.

-Je ne parle pas de l'interruption des lettres. C'était prévisible que rien ne naîtrait de tels échanges avec cette ersatz de révolutionnaire. Je parle de l'actualité à l'étranger, avec un dignitaire important pris en otage dans un lointain pays à la jonction de l'Eurysie et Afarée. C'est une ancienne meneuse des révolutions en Communaterra. Un éminent et influent membre de notre pays voisin mène des prises d'otage.

Il y eut quelques banalités échangées par d'autres nobles, avant que n'intervienne la "grande patronne"

-Je concède que ce pays représente alors une plus importante menace que je ne l'imaginais. Si Communaterra n'a pas encore revendiqué la chose, et ne le fera pas si sa présidente avait une once de pragmatisme, il est impossible de ne pas faire le lien.

-Nous devons prendre des mesures immédiates" enchaîna madame Sablier, "Nous devons filtrer sévèrement les ressortissants de ce semblant de nation. Il est formellement démontré qu'ils peuvent être une source de danger et qu'il est entièrement légitime de s'en méfier.

Contemplant ses chevaliers richement parés de tuniques et de grandes vestes colorées, Alexandra doutait que le même processus puisse se répéter en Sylva. Les collectivistes étaient des contestataires farouches mais ils fuyaient la révolution au profit de méthodes non dissimulées, radicales, mais loin d'être condamnables : simplement concurrencer et se défaire de l'industrie bourgeoise ou aristocratique avec des coopératives possédées par le peuple. C'était ouvertement une forme de concurrence de la noblesse, autant que le modèle libéral de la bourgeoisie. Juste que l'un était d'un penchant communiste et l'autre diamétralement à l'opposé. L'hypothèse qu'ils adoptent de tels méthodes et se placent en conséquence en ennemi formel était moindre, d'autant que cela légitimerait leur démantèlement violent. Même la bourgeoisie soutiendra la chose dans une certaine mesure, elle qui est également victime de l'opposition systématique des collectivistes. Et pour ce qui est de corrompre des gardes... issus de la noblesse, bénéficiant de ce modèle et milieu, avec une multitudes de processus pour éviter la chose... Le risque était infime.
Elle leva les yeux en entendant le lointain bourdonnement d'un des hélicoptères qui patrouillaient la zone, élément supplémentaire du dispositif de sécurité.

-Quel serait l'état final recherché ?

Nathalie haussa un sourcil à cette soudaine question. Elle s'attendait à une aussi cinglante que mesurée réponse de sa suzeraine. Où cherchait-elle donc à aller avec cette question.

-Quel... heu... état final recherché ?

-Celui des preneurs d'otage pardi. Ont-ils revendiqués quelque chose ?

Négation générale des accompagnatrices, ou plutôt signe qu'elle l'ignorait. Nathalie supposa tout de même.

-Ce sont des terroristes, qui veulent faire leur office, à savoir terroriser. Leur ennemi est le capitalisme... ou plutôt tout ce qui n'est pas fondamentalement communiste, non, LEUR communisme. Donc ils veulent terrifier leurs représentants, dans ce cas ci impériaux." Sous le regard de la Duchesse qui faisait signe de continuer, elle s'exécuta. "Après il y avait déjà un mouvement initial de rébellion si j'ai bien suivi. C'est distant donc je n'ai pas les détails, mais il semble que les représentants de Communaterra apprécient se jeter sur les opportunités de répandre leur soi-disant modèle de chaos permanent qu'ils qualifient gentiment de révolution.

Julia Despalmiers qui n'avait encore pas eu l'occasion d'avoir sa revanche envers Nathalie depuis leur dernière joute verbale, prit la parole.

-Mais quel intérêt à faire peur dans ce cas si ? Déstabiliser le pouvoir en place ? Il leur donne surtout des prétextes pour appliquer une politique plus sévère et traquer ces rebelles. Les actes de terrorismes dont j'ai entendu parler ont toujours l'effet inverse : ressouder le commun des citoyens au peuple via une volonté de stabilité et sécurité.

Prétexte pour le gouvernement en place ? Cette idée fit sourire Nathalie qui pinça son menton pendant sa réflexion, comme si elle tirait une invisible barbichette. Une idée avait germé dans son esprit et elle la garda pour plus tard.

-Cela dépend. Si ces actions terroristes restent sous un relatif contrôle, alors ils ne seront en effet pas très efficaces pour déstabiliser. Mais là nous parlons d'un membre même du gouvernement qui se fait arrêter. C'est une humiliation pour lui, qui passe pour faible, incapable de faire régner l'ordre. Quelle crédibilité a t'il à gouverner ? Donc oui, le peuple souhaitera la sécurité, mais pensera t'il que que cet empire soit capable de le fournir ? Vers qui pourra t'il se tourner ? Après tout, ce mouvement rebelle est t'il mal vu par la population ?

Cette fois-ci c'est Alexandra qui afficha un sourire en coin, une idée émergeant à son tour chez elle. Elle qui s'attendait à une nouvelle pugilat oratoire, voilà qu'une intéressante discussion avait lieu. Elle prit la parole.

-Bien, nous allons opérer de la même façon que ce fut le cas avec la Listonie et feront un pied de nez à ces aspirants révolutionnaires. Nous devons clairement faire passer le message que ce genre d'exaction ne saurait être toléré ni aboutir à quoique ce soit. Terminons cette chasse, j'ai à faire !

Si quelques autres piques d'usage furent échangées par la suite, la partie de chasse s'acheva sans heurt notable. Alexandra se rattrapa même en abattant un magnifique perroquet, avant qu'elle ne prenne congé.
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Lucette Dumorne était en compagnie de sa collaboratrice Annabelle Pottier dans une des salles de conférence du parti collectiviste actuellement inoccupée. La pièce était dans l'ensemble sobre avec seulement quelques décorations, d'un style très mounakaz : masques de bois et argile, sagais, bouclier, gri-gri et amulettes, peintures d'artistes créoles, tout transpirait la culture autochtone.

-Et... ils t'invitent chez eux pour une rencontre ? Ils t'ont qualifié de présidente légitime de Sylva ?

-Oui, et le reste du message est sur le même que les bribes qui nous sont parvenus des échanges entre la ministre Matilde Boisderise et leur présidente.

-C'est très direct dis donc, les komunteranos ne semblent pas s'encombrer de la subtilité. C'est une sacrée opportunité ça, une nation voisine avec les mêmes idées.

-Attention malgré tout, la noblesse attend la moindre excuse pour nous tomber dessus. Nathalie Sablier est très agressive sur la scène politique en ce moment, et il faudrait éviter les faux pas... et... à propos de ça, quel sera le sujet de l'invitation à ton avis ?

-Hein ? Sans doute des discussions idéologiques, voire même un soutien à notre cause.

-Justement, quel genre de soutien ? Il est bien dit dans la lettre qu'il me reconnaisse comme LA présidente légitime de Sylva et on un discours très engagé à l'encontre de la noblesse. Non pas pour me déplaire mais... Tu penses qu'il m'inviterait sans aucun scrupule pour organiser une révolution ?

Annabelle rigola avant de répondre à la question.

-J'en doute, ce serait ridiculement grossier de vouloir opérer de cette façon. Genre... leur présidente à de ce qu'on a compris, généreusement insulté la noblesse et dit te reconnaître toi et toi seule comme légitime dirigeante. Ce serait la PIRE façon de vouloir initier une révolution. Et puis, franchement, le Duché est très loin d'être un monstre économique ou militaire, mais Communaterra a un peu de retard sur ce plan et ne représenterait pas de si tôt une menace.
Franchement, mets toi à la place de la présidente, à la tête (si tant est qu'on puisse dire selon leurs critères de démocratie directe qu'elle soit à leur tête) d'un pays en opposition idéologique farouche avec quasiment TOUS ses voisins. Alors évidemment, elle cherche à s'affirmer, se rapprocher davantage de qui l'est déjà. Bon, le ton de leur diplomatie reste étrange mais, hé, on ignore quelle est leur culture diplomatique. Peut être que c'est normal chez eux et qu'ils se parlent comme ça ?

Souriant, Lucette parla à son tour.

-En effet, j'aurais sûrement juste à faire à quelques invitations à des débats sur le sujet et qu'ils essayeront de nous orienter sur la question.

Restant silencieuse, elle reprit.

-Que pense-tu de leur... véganisme ?

Surprise d'Annabelle, qui écarquilla en réponse ses yeux, laissant répondre la présidente d'Assemblée.

-Ils sont farouchement antispécistes, considèrent comme égaux les animaux. Penses-tu qu'ils vont essayer de façon active de nous orienter vers ces cultures ? Je prends l'exemple du véganisme, mais il existe entre Communaterra et les mouvements mounakaz de nombreuses divergences idéologiques malgré notre proximité sur la question du collectivisme.

-Oh ! Heu... probablement. Reste à savoir à quel point ils vont activement essayer de le faire.

Fronçant les sourcils, Lucette déclara finalement :

-Bon, c'est décidé, je répondrais favorablement à leur invitation, ne serait ce que pour savoir où ils veulent en venir. Pis au moins ça fera jaser aux informations.




Quelques jours passèrent et la présidente de la Haute Assemblée Lucette Dumorne se rendit en Communaterra après invitation du gouvernement des lieux, faisant sans surprise parlé avec une exubérance notoire mais loin d'être exceptionnelle. Il s'agissait en fait essentiellement d'attaques assez classiques sur le sujet, portées avant tout par la comtesse Nathalie Sablier, à un stade où même les médias publics (donc détenus par la noblesses) se contentèrent de qualifier la chose "d’habituel acte de contestation de madame Durmorne, avec une tout aussi habituelle réponse de l'une de ses ferventes opposantes, la comtesse Sablier".

Par contre les habituelles invectives médiatiques n'empêchèrent pas un débat sérieux sur la question, comme il en ressortait régulièrement dans ce genre de ragots politiques : Jusqu'à où peut être tolérer ce genre de façons, où une autorité subalterne se fait inviter par une nation ayant refusé de reconnaître la légitimité du gouvernement en place, nation allant jusqu'à clamer reconnaître ladite autorité subalterne comme légitime dirigeante ?
Furent en effet rendues publiques (difficile de dire si c'était volontaire ou non de la part de la noblesse) les échanges écrits et, nul place au doute sur le ton adopté par la présidente de Communaterra.

Ne souhaitant pas nourrir ce qu'elle estimait être un débat stérile, Alexandra se contenta d'exprimer sa pleine compréhension des enjeux, ainsi qu'un rendez-vous avec la présidente Lucelle Dumorne dès son retour afin de clarifier les choses sur la situation. Elle insista sur l'absence d'une quelconque volonté d'intimidation, mais simplement un rappel sur l'organisation du Duché, ses façons de faire, et la cohésion de la nation.
Elle s'est par ailleurs montrée rassurante sur un point : Les services de renseignement de Sylva portent attention à intercepter toutes formes d'ingérences envers le Duché, et aucune menace ne saurait porter ses fruits quelqu'en soit l'auteur. Il aurait même été affirmé que Communaterra était la dernière source envisageable de menace du genre, d'autres nations bien plus importantes ayant fait montre d'un bellicisme allant au-delà du manque de courtoisie diplomatique.
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Il ne fallut que peu de temps pour que la présidente de la Haute Assemblée, Lucette Dumorne, soit convoquée officiellement suite à son dernier écart. Il n'y avait en soit rien eu de formellement illégal (si ce n'est que le statut de la libre circulation entre Sylva et Communaterra était flou) mais le contexte posait à question. C'est en compagnie de quelques conseillers et représentants de comtés, dans un élégant bureau du palais de la Haute Assemblée, que se déroula l'entretien. La Duchesse prit l'initiative après les conventionnelles formules de politesse.

-Bien, inutile de tourner autour du pot. Vous comprendrez que votre dernière escapade préoccupe à raison. Rappelons que Communaterra, issue d'une révolution par ailleurs censée être permanente, a refusé de reconnaître le gouvernement de Sylva pour vous reconnaître sous prétexte que vous êtes la plus haute autorité élue. C'est dans la continuité de cette déclaration que vous y êtes invité, et accepté sans expliciter le sujet de ladite invitation. Ajoutons qu'un éminent membre de la révolution de Communaterra s'est manifesté à l'autre bout du monde en Amythie dans une affaire d'insurrection.
Il est, et vous conviendrez que c'est incontestable, dès lors légitime d'exprimer des suspicions quant à cette invitation, n'est ce pas ?

Ayant fièrement porté la voie de la contestation depuis bien des années, Lucette était loin de se laisser impressionner. Elle savait que son interlocutrice en était parfaitement consciente, et que tout allait se jouer avec un argumentaire.

-Tout à fait... je reconnais que vos arguments ne dérogent pas à l'habituelle paranoïa de la noblesse quand est prise la moindre initiative n'émanant pas d'elle. Mais encore une fois il ne s'agit que d'une tempête dans un verre d'eau. Il s'agissait simplement d'une invitation à un séminaire sur la question collectiviste, rien qui ne dépasse les habituelles revendications entretenues déjà bien longtemps par mon parti.

La Duchesse soupira à peine, familière à ces provocations de la présidente. Elle avait été forgée par un milieu politique empreint d'une concurrence, voir même détestation, dans lequel elle était loin d'avoir un pouvoir absolu. Du moins, elle avait beaucoup de pouvoir, mais elle le perdrait très rapidement si elle se laissait aller à l'extrémisme dans un milieu où il se fait naturellement évincer au profit du compromis. Un mal pour un bien faut il dire.

-Un séminaire sur la question collectiviste, vous dites ? Pouvez vous élaborer ?

-Hé bien, il s'agissait plus précisément du fonctionnement des coopératives à l'échelle locale et nationale, comment cela s'agençait en un tout cohérent, intriqué à diverses notions communistes, individuelles, rien de nouveau comme je vous le dis. Ce sera d'une grande aide pour les mouvements collectivistes de Sylva, à qui j'apporterais pas mal d'informations très intéressantes.

-Tout naturellement. Et strictement aucunes autres questions n'ont été abordées ?

-Si, bien sûr. Il y avait aussi des discussions sur le véganisme et antispécisme, sur l'épanouissement et l'accomplissement en plus du rapport à la consommation, de la gestion décentralisée. Mais tout cela s'inscrivait dans la question de départ. Ce sont des points étudiés depuis longtemps en Sylva. J'insiste, mais cette affaire est une énième tempête dans un verre d'eau.

Alexandra s'adossa profondément dans son siège en buvant quelques gorgées de thé.

-Quelle est votre position sur la légitimité qu'ils vous accordent, en Communaterra ? C'est là une chose douteuse, en violation avec la souveraineté de Sylva, de ne pas reconnaître son gouvernement, n'est ce pas ?

Reprenant une gorgée, elle poursuivit.

-Même les collectivistes de Sylva n'ont encore jamais nié l'autorité de la noblesse. N'est ce pas malvenu ?

-Je ne pense pas grand chose à ce sujet, les positions de la présidente Xaiomara sur la question ne regardent qu'elle.

-Non, ne faites pas semblant.

Le ton de la Duchesse était devenu sur ces quelques mots particulièrement sec, avant qu'elle ne reprenne avec une articulation plus apaisée.

-Aussi décentralisé que soit Communaterra, la présidente Xaiomara en est la figure, la représentante. Et c'est justement parce que son pouvoir n'est pas si large que nous pouvons avoir la certitude que si elle ne reconnaît pas la noblesse, ne me reconnaît pas comme légitime à gouverner, c'est que les assemblés, conseils, et populations de Communaterra ont approuvé sa déclaration et vous reconnaissent, vous, comme présidente légitime.
Donc non, ce n'est pas un détail qui ne regarde qu'elle, ou eux, c'est un sujet d'importance pour les relations de nos deux nations.
Donc maintenant, répondez avec sérieux à ma question : quel est votre position sur le titre de dirigeante de Sylva que Communaterra s'autorise à vous accorder ? Approuvez-vous ou non ?

Se mordant les lèvres quelques secondes, sentant son sang ne faire qu'un tour face à l'attitude autoritaire, presque de professeur faisant la leçon à son élève, Lucette répondit après quelques secondes.

-Il va de soi que je ne m'enorgueillirais pas d'une telle déclaration, et ne pourrait l'utiliser comme prétexte pour m'accorder davantage d'autorité. Et il va de soi que j'ai des affinités avec les komunteranos dont leur présidente de par notre proximité idéologique. Mais non, ce n'est pas pour autant que j'approuve leur remarque, ni qu'ils peuvent me mettre à ce poste. Seule l'approbation du peuple sylvois le pourrait et, à l'heure actuelle, il ne l'approuverait pas à l'unanimité.

Quelques secondes de silence avant que la Duchesse ne reprenne, interrompant quelques murmures qui avaient pris dans la pièce.

-J'aimerais clarifier quelque chose au sujet de cette convocation. Il ne s'agit pas d'une réprimande, mais d'une sincère volonté de comprendre, et aussi de rappeler l'importance de l'unité en Sylva. Si les komunteranos ne reconnaissent pas Sylva comme une démocratie, il y a malgré tout ici une très grande liberté d'opinion et de revendication politique. Se côtoient après tout des partis promouvant la nationalisation, privatisation, ou mise en commun de toutes les entreprises. Cela se fait sans heurt et jusqu'à présent, les prises de décision se sont toujours faites de façon à assurer les intérêts de chacun au mieux. Il suffit de voir la question du réseau de l'énergie, où les collectivistes ont tout le loisir de s'opposer à une centralisation totale des moyens de production au profit de dispositifs plus dispersés tel que l'éolien, solaire, ou centrales à gaz.
Et c'est là toute l'inquiétude qui se porte actuellement, que la politique connaisse un basculement d'une volonté d'entente commune à une autre de... bafouement de l'autre ? Excusez le terme un peu grossier.

-En effet, pouvez vous expliciter ? En l'état, je ne suis pas sûr de saisir en quoi un séminaire sur le collectivisme, loin d'être aussi extrémiste que le programme politique du parti communiste sylvois, pourrait amener à "bafouer" certains individus.

-J'entends par là que jamais n'a été cherché le compromis en Communaterra. D'abord, c'était des sociétés matriarcales nomades très prospères et enviables, avant que les voisins conservateurs ne cherchent à les génocider et que les femmes guerrières se retrouvent à se battre pour leur survie. On constate par la suite une colonisation avec les intérêts d'une seule caste, celle des colons eurysien, qui sont atteints, les indigènes sont elles soumises. Et très récemment a eu lieu la révolution. A t'elle amenée à une entente générale ? Non, les opposants ont été massacrés et un autre dogme a été mis en place, celui du communisme.

-Auriez vous préférez que l'Empire précédent maintienne son règne avilissant ?

-Non, du tout. Mais il y a un pas entre destituer un Empire pour se tourner vers un modèle plus démocratique comme on l'a observé en Sylva, et purement procéder à une purge. Je rappelle qu'un parti capitaliste promouvant la liberté d'entreprendre en Communaterra ne saurait perdurer, entre les pressions sociales et les limites presque légales. Le patronat n'est t'il pas considéré là bas comme... un crime contre l'humanité ?

-L'exploitation en général, que ce soit envers les humains ou même le reste du règne animal.

Au fait de l'antispécisme en Communaterra et du caractère "spéciste" qui y est reconnu envers le terme même animal, Alexandra remarqua que Lucette, dans sa phrase, faisant en fait un usage assez "sain" du terme "règne animal" en y incluant l'Homme. Détail ceci dit, elle reprit.

-Quoiqu'il en soit, là est le problème. Communatera a toujours fonctionné avec un rapport de domination d'une majorité sur une minorité. Aussi démocratique que ses habitants s'enorgueillissent d'être, ils sont en opposition totale des principes d'entente commune et compromis que l'on a en Sylva. Quelques soient les arguments avancés pour reprocher les méfaits du capitalisme, de l'endoctrinement des citoyens pour consommer et travailler, la cruauté dont relève l'exploitation, ou même justifier leur "dictature prolétaire" qu'elle tient de la volonté du peuple, ou que sais je d'autre... Il n'en reste pas moins que Communaterra est diamétralement opposée à Sylva non pas parce qu'elle est communiste, mais parce qu'il y a une absence de pluralité.

-Une absence de pluralité ? N'exagérons rien, tous les komunteranos sont libres d'exprimer leurs opinions.

-Leur révolution s'est achevée il y a à peine un an, et a imposé un dogme actuel. Ne me dites pas que c'est faux, des purges ont en effet eu lieux pour exécuter prêtres et propriétaires. Les courants de pensée vont donc assez naturellement dans le sens de cette révolution pour le moment, d'autant qu'elle s'est faite en réponse à des répressions dont voulaient s'opposer le peuple. Mais après ? Quand les différentes communes de Communaterra souhaiteront adopter leurs propres règles, qui trancheront avec les standards de leur nation, le pourront-elles ?

-Bien sûr qu'elles le pourront, elles le peuvent déjà. Une commune souhaitant autoriser la consommation de viande le pourra, quoiqu'en dise les médias sylvois.

-Donc si une commune côtière développe, je ne sais pas, un artisanat sur les bijoux de coquillage et qu'il se démocratise avec une véritable institution artisanale sur la question. Seront libres d'entreprendre cet artisanat les habitants, quand bien même cela relèverait d'une pratique capitaliste de produire des biens inutiles, à monnayer ?

Haussant un sourcil, Lucette répondit :

-Demandez-leur, mais il y a comme vous le dites si bien, un pas entre troquer des bijoux de coquillage artisanaux, et établir une industrie d'ampleur avec des rapports d'exploitation et de hiérarchie entre bourgeois et prolétaires.

-Un pas qui se franchit systématiquement. Il existe nombre de petits plaisirs inutiles auxquels se livrent pourtant l'humain. Se parer de bijoux, consommer de l'alcool, des amuses-gueules en dehors des repas, jouer aux dominos. Tout ça amène naturellement à des activités économiques saines. Et pourtant, cela serait-il autorisé en Communaterra ?

-C'est sur des spéculations que se base votre discours là, et hors sujet qui plus est. Pouvons nous clairement définir l'objectif de cette entrevue qui s'éternise ?

-Ne changez pas de sujet, vous savez très bien pourquoi j'aborde ces questions. Mais si vous tenez à mettre fin à la discussion, alors répondez vous juste à cette question : la pluralité est-elle possible en Communaterra ? Serait il possible d'y avoir une liberté d'expression politique au moins égale à la nôtre en promouvant par exemple la constitution d'un état centralisé et la nationalisation de toutes les industries ? Ou est ce que la société komunteranos est systémiquement agencée pour tendre vers un dogme communiste ?

-Non, si. Ce serait possible de le promouvoir, juste que les habitants ne l'écouteront pas et auront toute la liberté qu'il soit de critiquer ces discours, autant qu'en Sylva.

-En êtes vous certaines ?

-Oui, décidément !

-Alors soit.

Refermant le carnet de notes qu'elle avait devant elle, Alexandra poursuivit.

-Alors cette entrevue est terminée. Vous pouvez retourner vaquer à vos fonctions.
9502
Petite réception entre noble dans Baobab Ville pour fêter le mariage d'une nièce de la vicomtesse des lieux. C'était un évènement somme toute modérément important avec seulement quelques comtesses présentent, parmi lesquelles ne se comptait pas la Duchesse. Et alors qu'allait de bon ton les discussion sur des sujets divers, fusa sans le moindre avertissement une parole assassine de Nathalie Sablier à l'égard de la comtesse Julia Despalmier :

"Les élections approchent en Tcharnovie, et fort heureusement se compte Albert de Bennesbourg parmi les candidats en tête pour le second tour. Il souhaite notamment un rapprochement avec la monarchie sylvoise, espérons qu'il soit élu, puisqu'il a l'air parti pour oeuvrer davantage au rapprochement de nos deux nations que l'ambassadeur monsieur Despalmiers."

C'était parti d'un coup, de façon complètement naturelle et sans aucune raison. L'hôtesse des lieux s'interposa vainement :

-Mesdames, réglez vos différends plus tard, nous sommes là pour ma nièce et son conjoint !

-N'avez vous donc pas un autre discours paniqué à faire au sujet des communistes au sud de nos forêts plutôt que de déblatérer vos provocations ici ?! Répondit avec hargne Julia sans écouter madame de Baobab.

Puis par le plus grand des hasard, revint dans la pièce la nièce célébrée qui s'était absenté un instant, smartphone en main.

-Les résultats sont tombés à l'instant, c'est Constantin Périclède qui a été élu un Tcharnovie.

Julia devint encore plus rouge alors que Nathalie laissa échapper un rire moqueur, fort et aigu tout en narguant sa rivale.

-Trop tard, vous aviez une opportunité en or, offerte sur un plateau d'argent. Il y avait juste à la saisir et... vous avez laissé passer un chroniqueur d'extrême droite déguisé en gourou.

Julia était rouge, ça en était trop, elle s'écria en serrant de ses poings la nappe :

-Silence salope ! Tu salis la salle avec tes simagrées synonymes de stupidité !

Là s'interrompit Nathalie.

-Pardon ?! Heu... Sinistre sotte, synthèse de toute la... ! Oh et merde, je te défis en duel... à l'épée ! Et n'essaye pas de te défiler !

-Allons, allons, intervint madame de Baobab, n'exagérons rien. On a pris du ti-punch, on est en juin et il pleut tout le temps, ça rend moro...

-Mais je ne me défile pas pétasse ! Interrompit Julia à son tour, Demain 8 heures ! Premier sang !

Et s'enchaina une volée d'insultes de moins en moins classe avant que ne s'absente l'un après l'autre les invités, dont la nièce en pleurs qu'on s’invective ainsi pendant un si bon évènement.


7h57. Nathalie attendait de pied ferme avec son gambison. La pluie avait cessé et il y avait un gros soleil, ce qui signifiait que l'humidité emmagasinée dans le sol s'évaporait dans l'air. Il faisait chaud, il faisait lourd, on étouffait, et les tenues de combat n'aidaient pas.

"Bon sang on est en Juin, pourquoi le soleil est aussi chaud ? Pensa Nathalie, Et l'autre pintade qui me pose un lapin. Si cette bécasse ne vient pas, toute la cour saura qu'elle s'est pissée dessus !"

7h59, Julia arrive toute rouge, en sueur et essoufflée. Elle avait couru pour ne pas arriver en retard et était maintenant en train de marcher pour donner l'illusion qu'elle ne se pressait pas et était détendue... mais même sans le stresse, elle était en souffrance avec la chaleur. Nathalie n'était pas mieux, soufflant fort du nez... En fait, elle se mit même à saigner du nez tellement il faisait chaud. Cela redonna un soudain élan d'énergie et courage à Julia qui éclata de rire comme par vengeance de la soirée, elle se mit à scander :

"Premier sang ! Premier sang ! Cette trouillarde se pisse dessus... du sang ! Hahaha !!"

Sa rivale devient encore plus rouge, presque autant que le filet de sang qui perlait sur ses lèvres. Elle essaya de l'essuyer de son gant de cuir mais elle s'en barbouilla juste encore plus sur la figure.

-LOUIIIIIIIS !!! Hurla Nathalie, Un mouchoir !! Vite !

Un jeune page de tout juste dix ans s'exécuta, à deux doigts de se faire dessus lui aussi.

-Oui... oui madame, voilà.

Arrachant des mains le mouchoir et s'essuyant le visage, elle regarda l'heure.

-8h02 ! On est en retard là ! Arbitre !

Ledit notaire, formellement apte à légiférer les duels légaux, était exaspéré. Il souffrait moins de la chaleur avec sa légère tunique de coton et son large chapeau de paille, mais il en souffrait quand même. Et l'irascible caractère de ses deux clientes ne l'aidait pas plus que ça. "Les comtesse, aussi charmantes qu'élégantes, et c'est à deux jeunettes que j'aurais à faire, belle journée qui s'annonce" avait t-il pensé en se levant. Quelle erreur, se dit t-il maintenant, je suis bien loin de la réalité !

-Bien, mesdames, je suis Mathieu Tailleur, je suis le notaire accrédi...

-On sait ! Abrège là, il fait chaud !

Bien que vexé, il obéit.

-Le combat s'arrête au premier versement de sang provoqué par vos épées, l'hémorragie nasale tel quel ne compte pas. La courtoisie veut que l'on évite les coups bas. Mesdames, empoignez vos épées !

Malgré toute la détestation qu'elles se vouaient, les deux comtesse effectuèrent malgré tout un salut avec leurs épées, la tenant de deux mains et apposant le plat de la lame contre leur nez avec de la pointer au sol avec un mouvement intermédiaire. Elle se jaugeait déjà, avec une provocation du regard des plus explicités. Le nez de Nathalie empestait le sang, Julia avait envie d'uriner, et les deux avaient la gorge sèche et brûlante. Et tout le monde autour avait sans exception une migraine et des vertiges à cause de la chaleur, madame de Baobab était d'ailleurs assise sur une chaise dans un état presque inerte : lendemain de soirée arrosée au soleil chaud passé cinquante ans, quelle idée.

Les deux lames claquèrent avec force. Le bruit était simple, sans extravagance, juste le bruit de deux pièces de métal qui se heurtent bien loin des fantaisies cinématographiques. Mais ce bruit résonnait malgré tout d'une force, celui de la réalité, celui de la violence pure sans artifice, de la plus grande simplicité visuelle et pourtant des plus poignantes.
Les détonations s'enchainèrent, les deux comtesses s'étant jetées l'une sur l'autre, nourries par le brasier de rage qui coulait dans leurs veines.

"Je me suis levé pour ça ? À quand date leur dernière leçon ? Qu'est ce que c'est que cette prise là ? Et ces appuis, ils sont où, je l'aurais déjà fait tombé moi. Et pourquoi elles frappent leurs épées comme ça là ? C'est du spectacle, aucune ne cherche à toucher l'autre, ça se voit qu'elles ont peur de l'épée..." se dépitait l’arbitre face à ce décevant spectacle.

Le duel n'était en effet pas glorieux. Chacune frappait vaguement à son tour en réfléchissant à peine, l'autre paraît simplement puis ripostait, elle se déplaçait d'avant en arrière, latéralement en pas chassé. Prise d'un élan, Julia contraignit même à la retraite Nathalie sur dix bons pas en direction du public, le forçant à se disperser en couinant.

-Mesdames, respectez le cercle je vous prie ! Vous allez blesser tout le monde sauf vous deux !

Elles ne l'entendaient pas. Seule leur furie résonnait dans leurs oreilles assourdies par l'émotion. Le duel sembla durer une éternité avant qu'elles ne se séparent finalement un instant pour reprendre leur souffle. Nathalie avait les bras lourds et les lèvres pleines de sang alors qu'elle haletait, En garde, d'un furtif coup d'œil elle observa sa montre... 8h04 ?!? Le duel avait à peine commencé et elle n'en pouvait déjà plus. Dernier soupir de rage, elle chargea, Julia aussi, aucune n'esquiva et elles croisèrent leurs lames. Trop peu habituées à l'escrime, les deux bridaient leurs offensives d'une posture trop défensive, craignant la lame de leur concurrente plus qu'elles ne voulaient l'étriper, et ça elles refusaient de se l'admettre.

Chacune bloquée par les quillons de l'autre, les épées étaient croisées et les duellistes se poussaient. Elles étaient serrées, presque enlacées et leurs poitrines se seraient touchées si elles n'étaient pas protégées par les épaisseurs matelassées de leurs gambisons.

"On aurait dit un couple de chiens coincés. Non mais vraiment, il y a trois façons de défaire l'autre en une demi seconde, comme elles peuvent rester comme ça ?" Continuait de commenter intérieurement le notaire, quand bien même pour rien au monde il ne l'aurait exprimé même en murmurant.

C'est dans un sursaut d'effort que la comtesse de Sablier poussa un hurlement brisée, la voie sèche, grave. Elle fit un moulinet dans son épée, déviant de ses quillons la lame de Julia et frappant à sa tête. Cette dernière s'effondra, son petit chapeau feutré coupé en deux. Du sang coula abondamment de son cuir chevelu, largement entaillé. Nathalie se racla la gorge en vain, dans une désespérée tentative de chercher de lui cracher dessus. Dépitée, elle se contenta d'une bruyante onomatopée qui aurait été fort comique en dehors du contexte actuel. Les médecins se précipitaient quant à eux, composante intégrante de ces duels d'honneurs plus très fréquents mais pas rares pour autant.

La blessure de Julia Despalmiers n'était pas grave en soi bien que très moche. Elle devra peut-être à l'avenir bien choisir ses coiffures mais sans plus. Au travers des flaques rouges teintant ses cheveux noirs, on put voir l'entaille et même le crâne à nu dans un dégradé ivoire et écarlate. La victorieuse en devint blême. Tout lui retombait dessus : la gueule de bois, chaleur, soif, effort, et maintenant ça. Elle avança en titubant tout en jetant son épée vers son page qui, lui, manqua d'être sévèrement amoché. Le notaire commença à parler alors qu'elle sentit le mal de cœur. Elle lui fit des signes circulaires de la main pour lui dire d'accélérer mais il continuait de tenir son discours à rallonge. Elle voulait l'insulter mais ne pouvait pas sans vider son estomac. Elle ne voulait pas, pas devant Julia, pas juste après avoir remporté ce duel. Les médecins commençaient à emporter Julia tout en lui appliquant des compresses sur le crâne mais... Elle refusait de se lever. Que ce soit par chichi ou réellement par mauvais état, elle prenait en tout cas tout son temps tandis qu'on la mettait sur un brancard faute de mieux.
Il fallut dix bonnes minutes, ni plus ni moins, pour que son ambulance disparaisse pour de bon au coin de la rue. L'arbitre toujours tourné vers Nathalie ponctua finalement son discours achevé d'un franc sourire :

-Bravo madame, vous avez remportez ce duel et votre honneur est sauf.

-Ta gueuaargwl.

Elle venait de lâcher, non, de projeter un jet de vomi infâme dans lequel dansaient grains de riz, haricots et morceaux de viandes... sur la tunique brodée de son interlocuteur qui en devint presque vert. Ses traits se déformèrent alors qu'il s'exclama. Nathalie l'ignora, soulagée d'un poids après avoir évacué la pression et arraché des mains de son page une gourde d'eau qu'elle siffla. L'arbitre scandait, madame de Baobab émergeait tout juste en demandant ce qui se passait, une spectatrice était tombée dans les pommes... à cause de la chaleur, juste avant le dénouement. En fait elle avait même accaparée l'attention de la moitié du public qui avait constaté avec stupeur le crâne ensanglanté de Julia.

C'était terminé, la journée pouvait maintenant commencer.

Combat Nathalie & Julia
Représentation du moulinet décisif de Nathalie Sablier sur Julia Despalmiers
5743
Lucas Récifjaune était le grand frère d'Ambre, grande représentante des lobbys et grands groupes privés. Il n'était jamais parvenu à se mettre autant au devant de la scène ni à s'attribuer les mêmes mérites, et donc rémunération. Il se contentait malgré tout de ce poste de lieutenant, exécutant avec sa sœur les directives des grosses fortunes de Sylva que ce soit au sein même du Duché, ou à l'étranger comme cela a été vu récemment et ce notamment en Tcharnovie. Il la rejoignait d'ailleurs dans ses bureaux pour le prochain contrat, un autre d'envergure comme ils en avaient l'habitude. Les commissions qu'ils avaient tirés étaient largement suffisantes pour prendre une confortable retraite (y compris pour Lucas, raison pour laquelle ses rétributions moindres le satisfaisaient malgré tout), mais la passion pour ces missions et leur train de vie terriblement coûteux les faisaient continuer.
À peine arriva t'il dans le bureau que sa sœur l'interpella.

-Ah, Lucas. Tu es en avance, tant mieux on a un contrat épineux là, de la BMS.

-La Bourse Minière ? Ils souhaitent que l'on aille prospecter des minerais ?

-Oui, mais en particulier, ils nous demandent pour le lithium komunteranos.

Le frère haussa un sourcil. Communaterra ? Les frontières étaient fermées, les relations catastrophiques, et la nation formellement anticapitaliste. Que viendraient faire les deux auprès d'eux ? C'est donc naturellement qu'il demanda.

-Pourquoi ne pas se tourner vers d'autres fournisseurs ?

-Parce qu'il n'y a pas besoin de leur demander à eux, ils viennent naturellement vers la BMS. Communaterra par contre, refusera.

Cette fois ci il fronça les sourcils.

-Et donc nous devrons trouver un moyen d'aller le chercher ?

-Exactement, j'ai déjà pu négocier 1,7% des bénéfices de ce marché, et cent millions de cuivrettes d'avance. Autant dire que l'on doit assurer ! As-tu déjà des axes d'idées ?

Roulant des yeux, Lucas visualisait mentalement un schéma puis le transposa sur un tableau à disposition.

-On devra se tourner vers des partenaires communs à Sylva et Communaterra. Là, je vois essentiellement le Grand Kah mais j'ignore s'il acceptera de se rendre complice d'une telle manœuvre. Non, définitivement pas eux à moins qu'on ne leur trouve une excellente raison.

-En avons nous ?

-La noblesse pourrait, mais pas nous.

-Donc non pour le moment, trouvons un autre axe.

-La complexité au sein de Communaterra est difficilement envisageable, hormis si on leur livrait des armes peut-être. La BMS s'y prêterait ?

-J'en doute, le Duché fait partie des actionnaires... Tu te doutes qu'il n'est d'ailleurs pas trop au courant de ces plans.

-Soit. Hmm... la seule nation qui me vient à l'esprit est le Negara Strana qui commerce avec nous et semble s'entendre avec Communaterra. Pense tu que ce serait suffisant ?

-Ce serait envisageable, mais loin d'être certain. Je vais préparer le nécessaire pour faire une reconnaissance sur place, savoir qui contacter, comment, et de quoi j'aurais besoin pour le convaincre. Les besoins en lithium du Duché vont exploser à terme et nous devons multiplier les fournisseurs pour éviter que les prix ne suivent... mais la BMS sera prête à le mettre, le prix, pour avoir du lithium. Rien n'est garanti malgré tout, il nous faut d'autres alternatives.

-Et que dirais tu d'un réseau de contrebandier ? Le constituer ou faire appel à un réseau déjà existant.

-Non, on parle de besoins à l'échelle industrielle, pas d'une famille qui creuse un trou à ses heures perdues. Communaterra devra exploiter dans cette optique ses gisements et ce ne sont une équipe de contrebandiers qui sauront les convaincre.

-Qu'est ce qu'ils importent en Communaterra, hormis des missives contrariées ? De quoi ont-ils besoin ?

-De peu, raison pour laquelle le commerce sera d'autant plus difficile et que nous avons cette mission. Pire, leurs citoyens sont des fainéants qui travaillent vingt-cinq heures par dizaine de journée. C'est pas comme ça qu'on les fera extraire grand chose.

Lucas se frottait le front. C'était là une performance qu'on leur demandait. Il aurait même été plus facile d'acheter du fer à la Loduarie tout en ayant une guerre entre elle et Sylva. Même la Listonie devrait représenter un partenaire plus aisé, sur lequel les deux avaient d'ailleurs des vues tant le contexte géopolitique actuel interdisait toutes transactions directes entre Sylva et cet Empire coloniale.

-Et en les droguant ? En rendant addict ces punch pour contraindre les citoyens à bosser dans les mines de lithium ?

-... Ces punch ?

-Oui, le punch coco, tu sais... coco... bon.

-Roh mais bon, non de toute façon. Ce serait une opération lourde, incertaine dans sa réussite, et le modèle socialiste ferait juste traiter "gratuitement" (elle avait insisté sur ce mot, les deux considérant que dès lors que des gens devront y travailler, même dans un monde sans argent, alors cela coûtera du temps de travail qui aurait pu être alloué ailleurs) les toxicos. Et ce serait supposé qu'ils acceptent l'idée d'essayer la drogue.

-Bon, dans ce cas j'ai pour le moment peu d'autres idées. On va devoir se tourner vers le Negara Strana et espérer que cela fonctionne. Peut être pourrons nous leur proposer des services en tout genre ou que sais je.

-Soit, demain on planchera sur eux alors et comment les approcher avec tact.

-Et le Grand Kah, peut être pourrions nous trouver quelques acteurs peu scrupuleux dans le lot.

-Aussi mais en dernier recours. Continuons de réfléchir, par quels autres moyens détournés pourrions nous opérer.

Lucas ouvrit grand ses yeux d’un coup.

-Les collectivistes ! Mais oui les collectivistes ! Là, on pourra établir notre réseau en jouant sur les collectivistes ! Intégrer un groupe un peu plus corruptible, y’a des rapiats partout, on en trouvera bien chez eux. Il suffira de trouver un prétexte pour le lithium, comme le développement d’une industrie dédiée derrière laquelle pourrait se trouver la BMS. Il y a moyen de faire quelque chose, sous la forme d’un réseau de contrebande.

-Tu es sûr avec ta contrebande ? Encore une fois, on est à l’échelle industrielle, c’est pas trois pick-up qui suffiront.

-C’est le principal détail à résoudre. Passer outre les douanes est une chose, mais faire de même avec de GROSSES quantités en est une autre.

-Bon, tu te chargeras de faire l’étude de cet axe là, je m’occupe du Negara Strana. Et essaye de ne pas te griller, y’a vraiment un gros lot à la fin et je me suis légalement engagé à rembourser l’avance si non réussite du contrat.

-Légalement ? Tout cela est officiel ?

-Non, enfin, disons que le contrat ne mentionne pas le lithium komunteranos mais il est bien question de tenir des engagements. Ni la BMS ni nous n’avons intérêt à ce que la réalité derrière ce marché soit connu.

-Soit, bon, il reste d’autres points à aborder ?

-Non, tu connais le nouveau restaurant sur la rue Amélie-Aimée ? …
4945
Alexandra contemplait la vue depuis l'un des petits salons de son palais à côté de sa chambre. Une large baie vitrée intégrée dans le bâtiment de pierre et bois donnait sur la mer, faisant une superposition de strates de forêt puis d'eau. "L'inverse du drapeau" pensa t-elle. Entra dans la pièce son homme, George Boisderose. Il gardait malgré ses cinquante neuf ans une stature athlétique et une posture énergique, alors qu'il abusait de la nourriture et du rhum comme tout bon sylvois. Il joignit sa compagne en posant ses mains sur ses épaules pour les masser doucement.

Pas un mot, les deux profitaient silencieusement de cet instant. Ils se connaissaient suffisamment pour échanger sans parler. S'asseyant à côté d'elle, il lui prit la main, caressant de son pouce le dos. D'une voix basse et apaisante il brisa le silence :

-Qu'est ce qui te tracasse ?

Elle prit quelques secondes pour répondre, ordonnant son esprit et savourant ce petit moment avec lui. Il s'occupait de la capitale, elle du pays, elle tenait à profiter d'un moment de paix entre humains, avant de parler du "travail".

-L'actualité, doudou, l'actualité. Si ce n'était que les komunateranos, ça irait. Mais ma... décision hâtive, a amené à cette rencontre avec le Grand Kah et le représentant Pharois. Dans quelques jours aura lieu la médiation entre l'Empire du Nord et la Loduarie. Cela fait un peu beaucoup d'un coup pour moi.

-C'est normal, l'actualité est chargée. Il y a aussi le Valkoïnenland en plus, tu dois donner de l'esprit de partout.

-Le Valkoïnenland (elle articula bien le nom du pays, pour corriger son conjoint qui l'avait mal prononcé) n'est pas un souci. L'initiative est gérée par l'OND dans son ensemble et je n'ai pas de gestion directe de la chose. Tout est délégué et se déroule sans encombre.
Par contre les deux points précédents, je suis en première ligne.

Elle se frotta le front puis les paupières de sa main droite, tout en tenant avec la gauche celle de George.

-Il y a la rencontre avec l'Alguarena aussi. C'est là un jeu d'équilibriste qu'il faut faire avec de l'autre côté le Grand Kah. Ils le voient d'ailleurs, ils m'ont fait des remarques sur le sujet. Il serait idiot de ne pas profiter de la proximité avec deux super puissance malgré leur rivalité, mais c'est prenant.

-Pourquoi tu ne délègue pas ça ?

-C'est prévu mais, la première rencontre avec l'Alguarena nécessitait de mettre les formes et signifier, avec ma présence et celle de Lucette, l'importance qu'on accordait à cette coopération. Et celle avec le Kah pour l'interception... pareillement, il fallait montrer qu'on prenait très au sérieux la chose. Mais les prochaines affaires courantes seront à la charge d'ambassadeurs attitrés.
Ah, et en parlant de Lucette Dumorne, elle est de plus en plus difficile à supporter. Cela demande des efforts croissants de coopérer pour faire avancer le pays.

Nouveau silence, petit moment de paix. Elle profita malgré tout de son époux pour partager ses fardeaux.

-La rencontre avec le Kah et le Pharois s'est somme toute bien passée. Je n'ai pas été parfaite et le précédent n'aidait pas, mais il n'y aura pas de conséquences négatives, au contraire. La médiation et l'intermédiaire qu'offrira le Grand Kah seront d'une grande aide pour stabiliser l'actualité en Paltoterra. Par contre, toujours au sujet de médiation, j'appréhende celle concernant la Loduarie.

George ne put s'empêcher de ricaner doucement.

-Si la chose n'était pas aussi sérieuse, je t'aurais demandé de filmer cette rencontre qui promet d'être mémorable. Essayer de ne pas exploser l'ambassade.

Elle lâcha sa main pour lui mettre une tape affectueuse sur l'épaule.

-Ne te moque pas. Plus l'échéance approche, plus je regrette ce qui sera systématiquement un fiasco au mieux, voir un bain de sang.

-Pense à interdire les armes dans la rencontre.

Elle ne put retenir un petit rire cristallin.

-Plus sérieusement. La situation ne sera pas pire en sortant. Le résultat le moins favorable serait que chacun exprime trop directement l'état d'esprit de son pays. Mais je ne vois pas comment se fragiliseraient les relations avec l'OND, et s'altéreraient celles avec la Loduarie qui sont bien entamée.
C'est surtout les teylais qui devraient s'inquiéter, ils sont juste à côté.

-Je doute qu'ils aient réellement quelque chose à craindre. Le secrétaire de la Loduarie, Lorenzo (elle n'essaya même pas de prononcer son nom) est impulsif et violent, mais de là à se jeter dans une guerre totale, seule contre une alliance ? Il risquerait trop, son armée qui le maintient au pouvoir et lui. Après il est alcoolique à ce que l'on dit, cela pourrait le rendre réellement spontané... d'autant que son état major a l'air de l'être aussi.

-Ne t'inquiètes pas, ça va aller. Aborde les choses rationnellement, identifiez clairement les points de tension, les solutions, et les choses vont soit se résoudre, soit ne pas changer.

-Tu semble sous estimer les enjeux là. Au-delà des résultats même de la rencontre, j'y ai engagé la responsabilité de Sylva.

-Sylva n'est pas responsable des insultes que se lancent les dirigeants. Nous serons au pire "de naïfs optimistes", mais personne ne nous, et ne te, reprochera d'avoir entrepris cette démarche. C'est louable, objectivement. Et sont toujours bien vus ceux qui se risquent au dialogue. N'est ce pas d'ailleurs ce qui nous est reproché dernièrement avec nos voisins ?

-Vrai, mais bon.

Elle continua de regarder la vue. Si elle n'était pas complètement soulagée par les évènements, les mots de son conjoint lui avaient malgré tout apporté un certain réconfort, encouragement.

-Tu pourras te libérer après la médiation ? Juste un week end, histoire qu'on prenne un petit congé en forêt.

-Je suis en pleine négociation pour les nouvelles pistes cyclables ou dédiées aux transports publics. Les automobilistes sont aussi têtus que Dumorne. Mais oui, je devrais pouvoir.

-Merci.
5367
Suite à la rencontre improvisée au Grand Kah entre Sylva et le Pharois durant l'affaire des missiles, avaient été faites plusieurs propositions qu'il était question d'étudier durant cette séance à la Haute-Assemblée. De par le caractère confidentiel de l'une d'entre elles, à savoir l'ouverture d'un port franc pharois, elle se fit en huis clos. Seule une partie sera communiqué aux journalistes.

Les premières propositions étaient celles faites par le Kah, relatives aux garanties concernant les craintes d'invasion potentielle de Sylva ayant motivé toute cette affaire :
-L'engagement du Kah à soutenir militairement Sylva si elle se faisait attaquer,
-L'implantation de bases kah-tanaise en Sylva pour assister cette défense.

Deux conclusions diamétralement opposées furent tirées des propositions. La seconde au sujet de l'implantation de bases fut refusée à l'unanimité par l'intégralité des partis, avec une moyenne de 2/10 pour, et 8/10 contre. Cette proposition était critiquée sur trois points :
-Cela relèverait d'un important engagement auprès du Kah, quand Sylva souhaitait ne prendre aucun partis et rester neutre vis-à-vis de la rivalité avec l'Alguarena.
-C'était aussi un message très pessimiste envers l'OND, alliance défensive reléguée en second plan dans une espèce de témoignage de son incapacité à défendre Sylva.
-Et il y avait la question de la souveraineté et autonomie, à accueillir ainsi des bases étrangères. Quel message cela renvoyait-il de Sylva, qui se vantait pourtant de sa croissance aussi bien économique que militaire ?

La première proposition au sujet du soutien plus générale du Kah fut au contraire positivement accueillie, avec une moyenne de 7/10 pour et 4/10 contre. Il y avait toujours les questionnements sur l'image renvoyée du rapport à l'OND, principale critique relevée notamment par Nathalie Sablier qui reprochait fortement la confiance accordée à une puissance soutenant ouvertement une nation scandant la destruction du Duché. Lucette soutenait une thèse à la fois semblable et inverse, rechignant l'aide puisqu'elle signifiait la nécessité de se prémunir d'une offensive. Elle plaidait la panique politique au sujet de l'hostilité des voisins, qui n'avait nullement lieu d'être et était au final nourri par cette mesure. Pour ce qui est du reste, c'était vu comme une garantie de la part d'un État jusque-là transparent, ne présentant somme toute aucune contrepartie réellement pénalisante pour le Duché.

La troisième proposition du Kah fut par rapport au traité de Tiarmina, et reçu une très importante approbation avec une note de 9/10 pour et 4/10 contre. Ce résultat particulier montrait que si les représentants étaient très favorables à cette proposition, ils n'étaient pas pour autant fondamentalement défavorable à son refus. Le traité avait en effet pour avantage de remettre sur une ligne politique neutre le Duché tout en élargissant la coopération. Toutefois, certains ne masquaient pas leur inquiétude à l'idée de l'image renvoyée à l'Alguarena : il ne fallait absolument pas que la chose paraisse pour un éloignement, et pire encore, comme un rapprochement avec le Grand Kah aux yeux de la première puissance mondiale. Tous insistaient sur l'importance de s'inscrire hors de cette rivalité.

Vint ensuite le traitement de la proposition pharoise : accorder un port franc aux contrebandiers. Ce fut un très vif sujet de débat avec une importante masse d'arguments. En contre, on retrouvait la perte de souveraineté d'un territoire, l'aide que cela apporterait à des délinquants (voir criminels) qui chercheraient potentiellement à nuire aux voisins, et la collaboration à des pirates sous leurs menaces.
Mais en pour étaient relayés les arguments pharois et kah-tanais : c'était l'occasion de "réguler" la contrebande inéluctable et de se protéger de la piraterie (qui allaient selon les dires du capitaine Jaana proliférer prochainement dans la région). Ce dernier point toutefois n'avait qu'une pertinence modérée, quand le Duché prévoyait de rejoindre le traité de Tiarmina.

Plusieurs interrogations furent par ailleurs émises sur la nature même des pirates : en étaient-ils réellement selon la définition commune ? Pillaient-ils vraiment des navires, rançonnant les équipages, ou se contentaient-ils de revendre sous le manteau divers produits ? La panique de nombre de représentants étaient après tout potentiellement injustifiée, motivée par un malentendu sur les intentions des pharois.

Il fut par ailleurs demandé comment devrait s'appliquer une telle décision. Nul doute qu'elle ne saurait être officielle, fou faudrait-il être pour se revendiquer allié des Pharois en étant voisin de l'Alguarena. Mais quel degré de l'administration devrait être informée de la chose, puisqu'il faudrait qu'une part le soit. Autrement, les services fournis aux contrebandiers devront-ils être entièrement décentralisés et laissées à la charge des groupes privés ?
Et là encore étaient posées des questions : était-ce un problème d'accepter officiellement cette offre ? Quel tort à tolérer des marchands dans un port, à laisser se former un sas (comme dit par Jaana) entre le Duché et la contrebande ?
Moult discours éloquent (ou plutôt simplement exubérant) furent tenus en réponses : c'était un acte politiquement trop décisif pour la neutralité voulue de Sylva, le partenaire qu'est l'Empire du Nord souffrait lui-même des pharois, ce serait une sédition à la menace de la piraterie, il n'y avait aucune raison d'accorder de dispositions spécifiques à ces "marchands" plutôt qu'à d'autres.

Fut finalement prise la décision entre trois choix :
- 7/10 de moyenne pour un refus pur et simple de l'offre de Jaana,
- 5/10 pour l'approbation officieuse de la proposition pirate, avec une gestion décentralisée,
- 2/10 pour un accord officiel et assumé du Duché vis-à-vis de l'établissement d'un port franc.

C'est sur cette décision que s'acheva cette séance de la Haute Assemblée, particulièrement chahutée. Un compte rendu officiel fut divulgué à auprès des médias, ne tenant compte que des premiers points concernant les accords passés avec le Kah. Hors de question de communiquer quoique ce soit sur l'offre du capitaine Jaana, quand bien même elle fut refusée.
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Ambre débarqua en trombe dans le bureau de son frère Lucas, jetant bruyamment un document.

-Qu'est-ce que c'est que ça ?!

L'ainé Récifjaune ramassait ses stylos et quelques feuilles, qu'il avait renversé en sursautant sous la soudaineté de sa sœur. Il se pencha sur le dossier.

-C'est le dernier rapport sur Communaterra, j'ai eu l'occasion de le feuilleter. Et ça n'a pas l'air bon pour nos affaires.

-Bien sûr que ça ne l'est pas ! On est certain de la fiabilité de ce rapport ?!

-Certain, certain, c'est un grand mot. Ce sont des relevés à partir de ce qui circule librement comme information chez eux. Disons plutôt que ce sont des indices assez flous. Quoi qu'il en soit, ces rapports semblent indiquer que les ressources emmagasinées ont été soudainement réinvesties dans l'économie. On observe un fort développement sur tous les points, hormis le culturel qui est un peu en berne.

-C'est très mauvais, vraiment ! Parmi leurs stocks se trouvaient les terres rares. C'était connu qu'elles étaient destinées à être troquées aux pharois contre l'achat d'un sous-marin ! Bon sang, nous n'aurions eu aucune difficulté à les leur racheter. L'annulation de la commande a été officialisée.

-Calme-toi, rien n'a été communiqué sur la question. Peut-être que la transaction a simplement été reporté, ou que ses modalités changées. Tous le monde sait qu'il n'est pas bon de laisser dormir l'argent, ou les ressources qu'elles quantifient, même les communistes. Alors possiblement, réinvestissent-ils de suite dans l'économie pour valoriser ces stocks, qu'ils reconstitueront à un rythme plus favorable.

-C'est très "boursier" comme façon de penser, pas du tout leur genre...

-C'est pourtant probable. L'achat tarde, on ignore s'il a même été définitivement validé. Certainement juste qu'il est retardé ou quoique ce soit d'autre. Dès lors, rien d'anormal à regarder avec regret se remplir des entrepôts à la sueur des efforts de travailleurs, sans que cela ne leur revienne. Du coup, ils réinvestissent et voila.
Il y a des bruits qui courent sur les domaines dans lesquels ils ont investi, mais de notre point de vue, c'est très flou.

Ambre faisait les cent pas dans le bureau. Elle était si énervée qu'elle en avait fait monter la température, au point où son frère ouvrait les fenêtres pour aérer un peu.

-écoute, reprit-elle, on s'est engagé à approvisionner à terme ces métaux stratégiques et terres rares. Le Pharois était un intermédiaire très prometteur. Nos plans sont compromis...

-Il y en a d'autres, d'intermédiaires. Déjà le Negara Strana lui-même a contacté la BMS et les bruits de couloir disent qu'il importera des minerais de notre voisin. Nous devrions pouvoir nous orienter vers cet axe. Cela demandera à ces ressources de faire le tour du globe, mais, hé, n'était-ce pas ce qui aurait été le cas avec le Pharois aussi ?

-Alors non, non seulement nous aurions pu nous arranger avec les contrebandiers pharois pour qu'ils desservent directement nos ports sans devoir rejoindre leur territoire boréal. Mais en plus ils sont ambigus et n'auraient aucunement été gênés de nous vendre ce lithium en sachant très bien la mésentente qui sépare Sylva et Communaterra. Pour ce qui est du Negara... nous n'en savons rien.

-Alors nous procéderons autrement. Nous ferons notre propre réseau de contrebande se faisant passer pour des collectivistes, non, mieux, pour des communistes radicaux. Nous trouverons une façon de justifier à quel point ces minerais développeraient leurs capacités et influence au sein du Duché. Peut-être même que dès lors, nous obtiendrons un prix fort plus avantageux qu'en passant par un intermédiaire stranéen ou pharois.

-C'est perché comme plan.

-L'intégralité de nos plans le sont. Combien de fois nous sommes passés par des cheminements tordus pour arriver à nos fins et faire venir par des moyens détournés des marchandises ? On a après tout même tenté de mêler à un terrible scandale un candidat tcharnove dont la tête ne nous revenait pas !

-Et on a échoué, puis les évènements se sont malgré tout déroulés de manière très favorable. D'ailleurs nous devrons aborder le cas de la Tcharnovie et de l'Eurysie centrale prochainement. Il faut faire un état des lieux sur place de nos investissements, et planifier nos prochains placements.

-Tout à fait, et puisque nous parlions des stranéens, nous devrons également commencer à étudier le marché au Nazum. J'ai déjà commencé à me pencher sur le Wanmiri, Negara Strana, Jashuria et Fujiwa. Il y a des opportunités de ce côté-là, qui irait dans le sens de ce qui se profile en Sylva.

-Oui, mais chaque chose en son temps. Là nous parlons de notre lithium.

-Hé bien je vais m'en occuper, on fera un réseau de contrebande communiste révolutionnaire sylvois et ça passera à merveille. Nous en ferons un de toute pièce, après tout ce mouvement radical est fragmenté et nous n'aurons aucune difficulté à en faire une façade crédible. Une fois fait, nous prendrons d'une façon ou de l'autre contact avec Communaterra, et là les choses se feront d'elles-mêmes.

-Tu es sûr de ton coup là ?

-Mais oui, comme sur des roulettes, de toute manière un fiasco signifierait juste un retour à la case départ : pas de lithium.

-Et tu penses que la noblesse te laissera t'en tirer après avoir orchestré une telle opération de contrebande.

Lucas afficha un large sourire malicieux.

-Si cette opération servait la BMS, et donc toute l'industrie de pointe sylvoise, bien sûr que je m'en sortirais. Je serais peut-être même félicité en privé mais passons. Est on d'accord ?

Restant silencieuse un instant, Ambre acquiesça finalement. La rencontre s'acheva et elle laissa son frère souffler un peu, après cette surprise durant laquelle il avait été mis sous pression : on attendait de lui des réponses adaptées et rapides, avec de grandes responsabilités en cas d'échecs. Ce genre d'imprévus était toujours stressant, mais il apprenait au fil du temps à canaliser cette angoisse et à prendre le recul nécessaire sur son travail et comment le mener.
Et puis, ce stress était évacué dans d'indécentes dépenses qu'il pouvait se permettre avec ses commissions.
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