Quelque part sur une île gelée au nord de la Lutharovie
Si la plupart des types présents étaient tout concentrés sur le poisson au dessus duquel il se frottaient les moufles d'un air affamé, il en était deux qui s'étaient un peu éloigné du reste. L'un, tellement barbu que de grosses touffes de poils lui débordaient par tous les orifices de sa cagoule, faisait les cent pas. L'autre, pianotant roidement sur une tablette, devait avoir la moitié de son âge mais - à en croire les plaisanteries du camp - le double de ses neurones.
- Et t'es sûr que c'est pas des gars à nous ? demanda le type qui marchait.
- Certain.
- Parce que quand même...
- Certain.
- Bon.
Le cercle de pas qu'il faisait à force de tourner avait fini par creuser un profond sillon de boue dans le mélange de glace et de terre qui recouvrait le sol. Le second homme soupira avant de relever le nez de sa tablette.
- Tu comptes nous faire repérer depuis le ciel avec tes traces ? Arrête ça.
- Si je dis ça c'est pas pour faire chier, hein, c'est juste que vu qu'on n'a pas de système central, des fois ça arrive qu'on se confonde un peu les uns les autres...
- On va bien le savoir, les voila.
D'un geste, l'homme à la tablette venait de pointer son doigt en direction de la mer. Semblable à un reflet du soleil sur les vagues pour un œil non averti, les camarades de la Fraternité des mers du Nord avaient convenu de ce système de communication à courte distance qui permettait aux scaphandriers éclaireurs de faire parvenir des messages au ras de l'eau sans utiliser aucune onde radio. L'idée manquait parfois un peu de praticité mais l'une des premières prises de la cellule anarchiste ayant été ces très performantes tenues de plongée, il avait été unanimement décidé qu'il était dommage de ne pas les utiliser. Au vu des faibles moyens de leur organisation, les différents groupes fonctionnaient en relative autonomie et avaient été contraints d'adapter leurs stratégies en fonction du matériel disponible.
L'homme qui faisait les cent pas jura et partit en courant vers le reste des camarades. En l'espace de cinq minutes les sardines furent avalée à demi-cuites et tiré à la mer l'un des canot bâché - de bleu cette fois - qui servait à la Fraternité pour se déplacer le plus discrètement possible en mer. La plupart des hommes y prirent place, allongés à ras de la coque pour y paraitre moins nombreux qu'ils ne l'étaient, fusils d'assaut entre les mains des fois que ça tournerait mal, et un cageot de bouteilles de pif des fois que ça tournerait bien.
En fait, à la grande surprise de la Fraternité, ces types avaient tout l'air eux aussi de... pirates, en fait. Et d'anarchistes par dessus le marché. Sacré coïncidence qui passé la petite vexation de voir un second front de libération de l'humanité se former sur leurs plates bandes, éveilla leur curiosité pour organiser une entrevue. On avait donc contacté la bande par fréquence crypté avant de lui délivrer les coordonnées d'un petit ilot de la région où la cellule du camarade Miilo - c'était le nom de l'homme à la tablette - installait parfois ses quartiers.
Le canot avançait à faible allure, afin de ne pas laisser de traces dans la mer trop repérables depuis le ciel et vint s'approcher à porté de voix des étrangers.
- Salut camarades ! balança Miilo dans un anglais mâtiné d'accent pharois. Alors vous aussi vous êtes venu pêcher dans le coin ? On a pas mal de capitalistes et d'autoritaristes dans la région si ça vous dit.