La nuit battait son plein sur Pharot, cité bétonnée et industrielle dont les deux ports ouvraient comme des bouches sur l’océan du nord. Même à cette heure la mer était recouverte de lumières ballottées par les flots mauvais. Le Pharois. Terre inhospitalière depuis la nuit des temps, cailloux marécageux sur lequel un peuple de pirate avait vu le jour pour partir à la conquête du monde. Le vent battait les quais du port sud, pourtant le plus abrité des deux et c’est les cheveux en bataille, écharpes au vent que la délégation pirate se présenta à Xaïomara, présidente du Comité de Bon Gouvernement et de la Zone de Gojiga, au Communaterra.
- Madame. Camarade, la salua un homme, la quarantaine entamée, le visage marqué par le sel. On espère pas vous avoir trop fait attendre. Le Capitaine Hymveri nous fait dire qu’il est navré de pas avoir fait le déplacement, mais vous savez… la guerre… »
La guerre au Prodnov, reprise avec fracas au cœur gelé de l’océan du nord. L’armada noire, du moins une partie de celle-ci, stationnait toujours au large de Peprolov-port, sa base de retranchement. Hymveri et ses pirates rouge était sur place, lui aussi. La charge de premier sous-marinier du Pharois allait avec quelques privilèges, mais aussi des responsabilités. Ceci dit, le jeune homme avait fait de la lutte contre les capitalistes sa cause première, sa bataille éternelle. Le front du Prodnov où s’affrontaient les derniers soldats de l’ONC face aux forces de la République Sociale alliée aux stations libres lui allait comme un gant. Si on exceptait le climat.
- Si vous voulez bien nous suivre ? Y fait gros temps, faut pas trop traîner si on veut s’éviter les tempêtes qui descendent du nord.
L’homme s’écarta d’un pas puis se retourna vers les quais. Plusieurs navires barbottaient là, beaucoup de pirates à voir les pavillons, et les gueules abîmées qui montaient la garde sur les ponts, à moitiés dissimulées sous des bâches en plastique pour se protéger du crachin, le nez vissé au-dessus d’un réchaud où bouillonnait quelque bouillon.
Le bateau qu’avait envoyé Hymveri se révéla cependant l’un des plus grand du port. Pas assez encore pour concurrencer la taille pharaonique des navires diplomatiques qu’utilisait à l’occasion le Pharois pour faire démonstration de sa richesse, mais un beau navire tout de même, fin et élancé, de confection moderne, rapide à coup sûr et surtout, armé.
- C’est l'Aamunkoitto. Ça veut dire Aube. Un de nos derniers patrouilleurs sorti des usines, expliqua l’homme, vous avez du bol, c’est du haut-de-gamme, on va le tester au large du Prodnov. Il y a pas vraiment de combats sur l’eau mais comme faut sécuriser le coin c’est ce qui ressemble le plus à la guerre. Au fait, je suis le capitaine Natanael, premier lieutenant d’Hymveri.
Ils n’étaient plus si nombreux, les vétérans des pirates rouges, ceux qui avaient en leur temps pris la mer pour la première fois avec Hymveri. Beaucoup étaient morts, quelques-uns sous les balles, la plupart de maladies quand, immergé des mois, le sous-marin rouge avait manqué de tout à commencer par des médicaments, et des fruits frais. Il y avait eu des désertions aussi. Plus tard, beaucoup les avaient rejoint en cour de route, des Damann pour pas mal, puis des Kotioïtes et encore des Pharois, mais ceux qui tenaient depuis le début, ceux-là étaient rares, et respectés.
A peine furent-ils sur le pont du navire que celui-ci prit le large. Pas vraiment de temps à perdre, il leur restait quelques heures encore de voyage avant d’atteindre la côte prodnovienne. Déjà au loin, le Pharois s’éloignait avec toutes ses lumières, cédant la place au noir du ciel et de l’océan, indissociables par temps couvert.
- Vous devriez aller vous reposer, expliqua Natanael, il va plus se passer grand-chose d’ici qu’on atteigne la flotte noire.
Un étage était accordé à la délégation du Communaterra, pour leur intimité. Le confort était militaire, mais les cabines aménagées pour accueillir des personnes qui ne partageaient pas forcément le goût des soldats pour les lits en fer. Les hublots ne montraient rien sinon l’obscurité, parfois crevée par des éclats d’éclaboussures lorsque les vagues venaient s’écraser haut contre la coque.
Le temps demeura mauvais, mais on évita la tempête.
Il fallut compter une poignée d’heure pour que Natanael se présente à nouveau à ses hôtes.
- On arrive.
En remontant sur le pont, le paysage avait changé. La mer était plus calme ici, et surtout au loin se distinguaient de grands navires de guerre battant pavillon noir. La côte en revanche demeurait invisible.
- Les sous-marins se rapprochent pas trop de la terre et Hymveri a la bougeotte, la pleine mer c'est plus sûr.
Manière élégant de dire que le capitaine des pirates rouge n’avait pas complétement perdu de sa paranoïa et, même réhabilité par le Pharois, demeurait méfiant. Des années de traque par les exécuteurs du Syndikaali avaient laissé des traces.
Tout le monde reçu un gilet de sauvetage puis Natanael passa plusieurs minutes à la radio avant de revenir vers les Komunteranos.
- Ils arrivent, j’ai eu Mae Crannach, ils remontent.
A une quarantaine de mètres du navires, l’eau de la mer avait commencé à se soulever alors que, dans l’obscurité profonde de la mer se distinguait soudain des lumières rouges clignotantes. Puis émergea le sous-marin. Long, noir – et non rouge – il avait des allures de serpent de mer, ou de monstre lacustre dont seul le dos émergeait des eaux. Au sommet, une écoutille s’ouvrit lentement tandis que, du côté du navire, on mettait un canot à la mer et invitait Xaïomara à y monter. Natanael les accompagnait, ainsi qu’un pilote, ce qui laissait de la place pour quatre ou cinq personnes en se serrant à bord.
Le moteur vrombit. Lorsqu’ils atteignirent le sous-marin, Hymveri se trouvait dessus. Les deux jambes campées sur le dos du monstre, vêtu d’une livrée damann. Le jeune homme ne souriait pas mais il tendit la main aux Komunteranos pour les aider à se hisser à bord.
- Salut Xaïomara. Bienvenue au Prodnov, terre de révolution. Désolé pour le petit contre-temps, quoique si vous avez déjà connu la clandestinité vous connaissez le topo.
Il frappa l’écoutille du pied.
- Rentrons là-dedans, je préfère ne pas rester émergé trop longtemps, on sait jamais quand les radars détectent quelque chose. Natanael ramenez l’Aamunkoitto à l’amiral Tuomas puis débarquez à Peprolov-port, on vous récupère là-bas avec le reste de l’équipage.
Le Pharois hocha la tête, mutique, avant de s’en retourner à son canot.
Hymveri croisa le regard de Xaïomara. « Je vous séquestre pas là-dedans, flippez pas, demain matin on est censé retrouver le gros de l’armada noire pour faire un point, je vous lâcherai avec eux, ça vous fera rencontrer le gratin des officiers si l’idée vous plait. Sinon vous aurez qu’à les ignorer, personne se vexera. »