Posté le : 23 juin 2021 à 13:25:09
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Le Capitaine Maino s'était emparé de la tasse de café avec un enthousiasme digne d'un enfant à qui on aurait offert une sucette. En toute chose, le ministre semblait ravi, comme si oubliant ses fonctions la simple découverte de ce pays étranger suffisait à son bonheur. Néanmoins, il retrouva instantanément des airs de roublards dès lors que les négociations se mirent à débuter, joignant les doigts dans une position attentive et pensive en écoutant son homologue exposer ses propositions.
Il hocha à plusieurs reprises la tête en écoutant parler van Manlor parler de défense et de lutte contre la piraterie. C'était là un sujet plus que sensible, le premier ministre maktois ne pouvait ignorer ou au moins ne pas soupçonner que le Pharois Syndikaali avait depuis longtemps appris à s’accommoder avec la piraterie, en en tirant même des bénéfices. Jusqu'où allaient ses soupçons cependant, c'était difficile à dire, la Libre Entente avait toujours entretenu volontairement un certain flou autour de ses activités, assurant ouvertement à qui voulait l'entendre qu'elle travaillait activement à lutter contre toute forme de piraterie dans ses eaux. Ce qui en soit n'était pas complètement faux, simplement ce qu'elle réprimait d'une main, elle l'encourageait de l'autre, arrêtant les petits contrebandiers qui ne jouaient pas le jeu ou les pirates trop fous pour être laissés en liberté ce qui de fait laissait respirer des gens plus... raisonnables.
Evidemment que Makt souhaite mettre activement son nez dans ces affaires n'était pas une très bonne nouvelle, et l'idée de voir des navires militaires étrangers dans les eaux du Syndikaali avait quelque chose d'inquiétant, au moins d'exceptionnel. Un tel traité était rare, inédit même au regard de ce qui se faisait ailleurs dans le monde, mais ouvrait la porte à des opportunités.
Quand van Manlor cessa de parler, Maino hocha la tête à nouveau, souffla sur son café, en bu une gorgée puis se racla la gorge avant de répondre :
- C'est un pas important que vous nous demandez de sauter, mon cher ami. Et une concession plus que significative à nos souverainetés territoriales respectives ainsi qu'à notre défense nationale. D'un autre côté... comme dirait un bon contrebandier, les frontières sont là pour être franchies, n'est-ce pas ?
Il eut un petit rire.
- Je plaisante, humour pharois. L'idée a quelque chose de séduisant parce qu'elle est ambitieuse, et en même temps, terrifiante, pour les mêmes raisons. Evidement c'est un accord qui nécessiterait d'être ratifié par nos Parlements vous vous en doutez, et négocié ligne par ligne, toutefois, j'ai une autre proposition à vous faire allant dans ce sens et qui - je pense - sera plus facilement accepté le temps que nous négocions votre proposition d'ouverture de nos frontières. Que diriez vous de fonder la première agence internationale de lutte contre la criminalité ? Elle possèderait un budget commun et permettrait de synchroniser nos forces de police respectives dans le but de partager des informations, d'informer l'autre si un individu recherché venait à passer les frontières, nous pourrions même harmoniser certaines lois ? De plus, en accueillant peut-être de nouveaux pays dans la région, nous pourrions de manière efficace tisser un réseau de renseignement et de collaboration à grande échelle qui facilitera la traque et le suivi des criminels qui, eux, n'ont pas de frontières. Ce serait un acte politique majeur, sans compter qu'en tant que fondateurs, nous pourrions nous accorder quelques prorogatives particulières qui se révèleront stratégiques dans le futur, qu'en pensez-vous ?
Il rebut un peu de café avant de reprendre.
- Concernant le volet économique, je suis plus enthousiaste. Les droits de douanes n'ont pas d'utilité entre pays si proches et partageant les mêmes ressources stratégiques. Au contraire même je pense que nous devrions resserrer notre collaboration autour de nos avantages comparatifs par rapport au reste du monde. Après tout nous faire une guerre des prix serait ridicule, alors que nous entendre préalablement nous assurerait une poids économique certains sur les marchés du gaz, du poisson, des métaux et des hydrocarbures. Etendons donc la suppression des taxes à ces secteurs, à la seule condition toutefois d'un accord préalable sur les techniques de pêche. C'est un sujet sensible au Syndikaali et une part de notre marque de fabrique vient de l'excellence de nos méthodes, mais il serait stupide de prétendre qu'entre le poisson maktois ou pharois, il y ait une différence. Les bancs circulent.
Il hocha la tête.
- En ce qui concerne Gaznov et la Merenelävät, je n'y vois aucun inconvénient non plus. Nous possédons nous-mêmes des plateformes offshore dans le nord mais avec le savoir-faire maktois et une bonne coordination au niveau de l'acheminement, tout le monde ferait de grandes économies. Il faudrait à ce propos créer un syndicat du gaz commun entre nos deux pays, afin d'assurer les intérêt de la filière et en faire une puissance régionale incontournable.Concernant le mouillage et la baisse des droits, considérez-les comme accordés. Nous avons respectivement tout à y gagner, je soumettrai cette proposition au gouvernement immédiatement.
Reposant la tasse de café vide, Maino eut un petit sourire.
- A vrai dire, il existe déjà un canal à Kanavaportti, mais seulement de plaisance, il date du XVIIIème siècle. L'idée est séduisante en effet, notre ministère des investissements publiques l'avait déjà envisagée dans le temps. Des obstructions parlementaires ont toutefois empêché sa réalisation. Je peine toutefois à comprendre l'intérêt de Makt dans un tel projet, le Détroit reste indiscutablement plus pratique pour vos navires, il me semble ? J'ai également des propositions à vous faire, mais mettons nous d'abord d'accord sur les vôtres, ce sera plus simple je pense, et ce projet de collaboration internationale me semble déjà un chantier particulièrement ambitieux.