Les Trois Grandes Familles
Famille Dalyoha
Connaissez vous l’histoire glorieuse et sanglante de l’illustre famille Dalyoha ? Réduite à peau de chagrin suite au décès du patriarche, Ambroise Dalyoha, c’est désormais sur les épaules de son unique héritier que repose la lourde responsabilité de faire survivre l’ancien nom de cette vieille dynastie. Blaise Dalyoha est un adolescent de seize ans et à cet âge déjà à la tête de la première fortune de Carnavale et de l'Empire économique hérité de ses ancêtres. Il entretient une relation avec Clothilde Choivrefeuille, rendue publique par la presse à scandale suite à des photos volées montrant les deux jeunes gens ensemble sur la plage privée du domaine. Une alliance qui pourrait rapprocher deux principaux groupes de la Principauté et est donc scrutée de près par les actionnaires et la concurrence. Pour l'heure néanmoins, Blaise Dalyoha semble souhaiter rester éloigné des affaires et profiter de sa jeunesse tant qu'il le peut, déléguant volontiers la direction du groupe à son conseil d'administration. Impétueux et grand amateur de technologie, il se passionne pour la mécanique et les courses automobiles, déplorant par ailleurs que la principauté ne produise pas de voitures de compétition sur son sol et multipliant les achats de bolides à l'étranger.
Blaise DalyohaLes premières traces de la famille Dalyoha remontent supposément à l’antiquité ce qui en fait officiellement l’une des lignées les plus anciennes de Carnavale. Largement mythifiés, les ancêtres Dalyoha sont supposés avoir régné en tant que Consuls du Viemont – l’entité politique précédent la Principauté – pendant les deux premiers siècles avant notre ère, et auraient combattu les princes de Vale lors de leur arrivée dans la région en autour de -52. Défaits glorieusement au champ d’honneur, Julius Dalyoha aurait remis les clefs de la Cité au Prince Anthonius de Vale lors d’une scène immortalisée au XVIIIème siècle par le peintre impressionniste Clémençon Crillère.
peintureBien que largement anachroniques, les tenues et les visages répondant clairement aux imaginaires fantasmées de l’époque du peintre, on peut y voir la famille Dalyoha incarnée par son patriarche offrir son épée en signe de soumission. Un tableau pompier dont l’objectif clairement politique était alors de rappeler aux grandes familles aristocratiques leurs serments de fidélité à la couronne de Vale dans une époque troublée.
Désormais exposé au Museum Carnvalium, il est le vestige d’une époque à présent révolue où la région tenait par l’autorité d’une unique famille.
Si les origines des Dalyoha restent un sujet à controverse, c’est qu’il existe de nombreuses pressions exercées sur les historiens pour ne pas en questionner les grandes figures antiques qui servent le roman familial. De fait, il est communément admis qu’après la création de la Principauté, les Dalyoha gravitèrent autour du pouvoir, généralement comme conseillers, tuteurs des dauphins et à plusieurs reprises régents.
Ainsi, l’histoire de la famille Dalyoha est intrinsèquement liée à celle de Carnavale. Jouant un rôle aussi bien de décideurs politiques que d’urbanistes et de mécènes, une grande partie de la typologie actuelle de la Cité et de ses environnements immédiats peuvent être directement imputés à l’action politique des Dalyoha, à commencer par la construction de Grand Hôpital, leur principale contribution au développement et à la prospérité de la région.
Au VIIème siècle, la présence du clan Dalyoha dans l’armée de Vale est démontrée grâce à un test ADN effectué sur des ossements retrouvés sur le site de la « bataille des Pouilleux », un évènement historique constitutif de la construction de la Principauté de Vale en tant qu’entité géopolitique indépendante et centralisée.
Au VIIIème siècle, d’autres traces attestent des responsabilités exercées par les Dalyoha puisque leurs noms se retrouvent sur plusieurs bâtiments d’époque ainsi que divers registres de comptes préservés à l’abri du temps dans des caves éboulées. Mais c’est principalement à partir du XIIème siècle et de la construction des Archives de Carnavale que le rôle des Dalyoha est plus clairement retraçable. Aristocrates liés par le sang au Princes de Vale, l’alliance politique des deux familles les incite à multiplier les mariages et contrats matrimoniaux. La famille Dalyoha se voit accorder de nombreux privilèges et exemptions d’impôts pour ses services, en échange de quoi elle soutient la Couronne par sa fortune et sa puissance militaire.
A la mort du Prince Gilberick II de Vale en 1415, son fils Armand de Vale âgé de trois ans est trop jeune pour régner. La régence est attribué à Gédéon Dalyoha, l’oncle du Prince, qui s’empresse de le fiancer à sa fille Mathilde qui se trouve en plus être la cousine d’Armand. Cet acte visant clairement à assurer la mainmise de la famille sur le pouvoir politique fait craindre à une partie de la noblesse que les Dalyoha ne cherchent à réaliser un coup d’Etat. C’est le début du siècle des Barons, une grave crise institutionnelle qui se poursuivra après la fin de la régence et la mort de Gédéon. Obligé dans un premier temps de fuir avec l’enfant-prince devant l’armée des nobles coalisés, les Dalyoha se réfugient dans leur domaine au sud de la principauté où ils rassemblent leurs forces. Une guerre de siège débute alors dans cette région escarpée d’Eurysie et qui a pour effet de voir grandir l’enfant auprès des Dalyoha ce qui leur assurera plus tard sa loyauté. Alors que le conflit s’enlise, des dissensions apparaissent au sein de la ligue des barons dont certains abandonnent la guerre pour rentrer chez eux.
Habile stratège et fin diplomate, Gédéon Dalyoha parvient à racheter l’allégeance de certains des rebelles en leur promettant terres et privilèges extorqués à leurs anciens alliés ou en les menaçants. La ligue des barons est de plus en plus en peine de tenir le siège alors que les défections se multiplient dans leurs rangs. C’est finalement après sept ans de conflits que cette fronde trouve sa première résolution : Armand de Vale, désormais âgé de dix ans, apparait monté et en armure au-devant de la cavalerie Dalyoha pour une sortie. Comprenant que le Prince a choisi son camp, de nombreux Barons font défection pour revenir ensuite à la charge briser la ligne de front de leurs anciens alliés. C’est la fin de la première guerre des Barons. Gilderick est de retour à Carnavale où il est couronné. Malgré le décès de Gédéon, emporté par la goutte, sa fille Mathilde assure la continuité de la mainmise des Dalyoha sur le pouvoir en la personne du jeune prince.
Cette paix forgée sous le sceau de la terreur et de la guerre est néanmoins précaire. La ligue des Barons n’attend qu’une occasion pour se reformer et définitivement écarter les Dalyoha du pouvoir. En 1437, un manquement au protocole leur donne prétexte pour réclamer l’emprisonnement de Mathilde Dalyoha, princesse de Vale et mère du Dauphin Ganeléon. Gilderick s’y oppose et Edinlbert, le frère de Mathilde et désormais chef de famille des Dalyoha, s’empresse de mobiliser ses troupes. C’est la pente glissante. Voyant l’armée de Vale se mobiliser, les Barons frondeurs se voient en danger et décident de passer à l’offensive. Carnavale est encerclée par l’ouest et par l’est, au nord la mer est le théâtre d’affrontements entre les forces princières et celle des barons. Le sud est toujours tenu par les Dalyoha. Gilderick ne peut supporter de voir la famille de sa femme ainsi accusée ais refuse également de quitter la ville, bien décidé à ne pas passer pour un lâche qui aurait fuit deux fois. Il tente une sortie comme celle qui avait mis fin au conflit vingt ans plus tôt et est tué d’un carreau d’arbalète dans la gorge. Le cours de la guerre est incertains, Carnavale fait l’objet du pillage des barons et Edinlbert n’a pas le talent diplomatique de son père. Mathilde fait couronner son fils Ganeléon pour tenter de réaffirmer la souveraineté des princes de Vale sur la région.
Au terme d’une escarmouche, Edinlbert est obligé de battre en retraite, cédant la place aux barons. Le palais des princes est capturé et Mathilde et son enfant son pris. Le Prince est traité avec égards, au contraire de sa mère, jugée traitresse. L’armée des Dalyoha est en déroute et doit reculer dans ses terres, c’est la période que l’on appellera « le drôle de règne » et qui durera douze ans jusqu’à ce que le Prince soit en mesure de prendre sa place sur le trône de Vale. Durant cette période Mathilde meurt en prison, provocant la colère des Dalyoha qui y voit le signe de mauvais traitements ou même d’une exécution illégale fomentée en secret. Les émissaires Dalyoha sont exécutés aux portes de Carnavale, la famille est tenue à l’écarte du cœur du pouvoir alors que ses terres subissent de nouveau le siège.
Ce sont finalement à nouveau les dissensions au sein de la ligue qui la mèneront à sa perte : une fois le pouvoir pris et les Dalyoha diminués, la plupart des objectifs initiaux de la ligue semblent accomplis. Une situation qui réveille les anciennes rivalités entre ces nobles puissants dont certains chercheront à s’attirer les faveurs du prince. Le Conseil de régence, composé des plus puissants barons, fait également l’objet de vives critiques de la part de ceux qui en sont écartés. Des contacts avec les Dalyoha se nouent alors que le prince de Vale se rapproche de ses quatorze ans, âge de son accession au trône, mais les conspirateurs n’osent pas passer à l’action malgré les tractations avec les Dalyoha. C’est finalement le jour du sacre, alors que le Conseil s’apprête à pénétrer dans la salle du trône pour renouveler ses hommages à Ganeléon Ier que ceux-ci sont abattus dans la cour du Palais. Le Prince n’est averti de rien et la cérémonie se déroule normalement en l’absence des massacrés. Dans l’ombre du jeune souverain les nobles se rencontrent et pour la première fois depuis plus de dix ans Edinlbert Dalyoha est autorisé revenir à la cour au nom de ses liens familiaux avec Ganeléon. Les nobles conspirateurs ne se méfient pas et alors qu’il se présente face à son neveu, Edinlbert accuse ses complices du meurtre des nobles du Conseil, ainsi que de celui de Mathilde, la mère du Prince. Le tour de force réussi, diminués par le massacre des principaux barons, les derniers représentants de la ligue sont arrêtés sur ordre de Ganeléon et seront exécutés à titre d’exemple. C’est la fin du siècle des barons, les Dalyoha retournent dans l’intimité du pouvoir.
La chute des grands barons ramène le calme dans le Vale et offre un boulevard aux Dalyoha pour réaffirmer leur emprise sur la couronne. Cette époque, en opérant une certaine épuration dans la Grande Noblesse, voit émerger de nouvelles figures dont la maison Obéron, vassale des Gentilhâmes aujourd’hui disparus.
La seconde moitié du XVème siècle correspond au début de l’âge d’or de la principauté. Rendue riche par le commerce et respectée par sa culture, elle met à contribution son opulence pour se lancer dans de grands projets architecturaux, du mécénat d’artistes venus de toute l’Eurysie ainsi que des œuvres caritatives censées faciliter le quotidien du petit peuple. En initiant ce mouvement, Ganeléon II de Vale dit « l’oie superbe » impose par son exemple à la Cour de Carnavale les dépenses d’apparat et de bienfaisance. Pour conserver une place stratégique auprès du pouvoir, les nobles sont incités à faire preuve de générosité et d’ambition pour la population. C’est à cette période que Anneliseron Dalyoha, héritière du titre et fille d’Edinlbert, rachète une grande partie des terres de l’île de Bourgléon dans l’idée d’en faire un lieu de villégiature. Cette entreprise sera poursuivie par son fils, Guilherme Dalyoha qui achève le rachat de Bourgléon et y lance les fondations d’une forteresse. Poussé par la frénésie caritative encouragée par Ganeléon II, Guilherme décide d’accorder la moitié de l’île aux pauvres et finance dans un premier temps la présence de congrégations religieuses en échange d’une mission de soins apportés à la population.
Grâce au mécénat des Dalyoha, l’île de Bourgléon devient un lieu central car excentré et donc épargné des conflits qui continuent de gangréner la capitale, siège de toutes les ambitions de la noblesse. Consciente qu’elle doit investir pour se ménager des espaces sécurisés au cas où le vent tournerait pour elle, la famille Dalyoha transfère une grande partie de sa richesse vers Bourgléon. Rapidement devenu un espace fortifié sur son versant nord, son port commercial s’enrichie fortement au cours de la première moitié du XVIème siècle notamment en pariant assez tôt sur les compagnies coloniales qui se développent en Aleucie et au Platoterra. Une prospérité qui attire les convoitise et la défiance de la dynastie du Vale que s’alièneront progressivement les Dalyoha suite à une série de mauvaises décisions diplomatiques.
Commence alors pour les Dalyoha une nouvelle période de troubles dû à la montée en puissance d’une nouvelle famille concurrente : les Obéron.
L’histoire des Dalyoha et celle des Obéron sont intimement liées et ce n’est certainement pas par hasard si ces deux puissantes dynasties se sont toutes deux retrouvées à la tête de la Principauté après la chute de la dynastie de Vale, se partageant le pouvoir.
Famille Obéron
A la tête de la puissante famille Obéron se trouve la matriarche Pervenche. Au sein de cette ancienne dynastie, la succession se fait selon des règles de primogéniture matrilinéaire ce qui n'a pas toujours été sans poser problème pour nouer des alliances grâce au mariage. Néanmoins, en fusionnant les familles par la voie des femmes, les Obéron se sont tout au long de leur histoire agrandi en s'unissant avec la petite noblesse de Vale dont ils ont su se faire des alliés fidèles.
Pervenche Obéron est aujourd'hui une femme âgée de 68 ans, mère de quatre enfant, grand mère de six petits-enfants. Pince-sans-rire, certains diraient acariâtre, elle a su s'imposer dans le paysage politique de la Principauté grâce à sa force de caractère et son esprit d'initiative. Dernier membre des trois familles à avoir connu de son vivant le Chaos de Carnavale, cet accomplissement à lui seul suffit à lui attirer un certain respect de la part des autres représentants de la noblesse, bien qu'elle n'était qu'un nourrisson à l'époque. Née dans le Chaos et l'hystérie, Pervenche aime à raconter que c'est dans l'adversité qu'elle s'est trempée le cœur et l'âme ce qui explique son intransigeance en affaires.
Pervenche ObéronLa lignée Obéron ne fait réellement son entrée dans l’histoire qu’au tournant du XVème siècle lors de la dissolution de la ligue des barons. Jusque là propriétaire d’une seigneurerie de second rang, la matriarche Gwendolange Obéron joue habilement ses cartes pendant la période troublée qui voit s’effondrer la plupart des dynasties de premier plan. Grâce à un stratégique jeu d’alliance et faisant valoir divers droits de successions, elle rallie à elle plusieurs terres appartenant à des familles en déclin et se constitue tout au long de la période un fief d’une taille honorable. Ces travaux se poursuivront tout au long du XVIème siècle où les Obéron profitent de ne pas être reconnus par leurs paires comme des seigneurs d’envergure pour échapper aux obligations de mécénat en vigueur à la Cour de Vale et fortifient leurs positions en investissant dans les mines de fer dont leurs collines sont pleines.
Rapidement devenus de puissants armuriers, les Obéron comprennent vite l’importance de la force brute comparée aux génuflexions courtisanes des autres familles et bâtissent leur puissance en se faisant premiers armuriers de Vale. Maniant habileté et sens des affaires, ils fournissent tour à tour piques, épées, canons et arquebuses aux familles rivales, faisant pencher là balance des guerres en modulant stratégiquement les prix pour désigner dans l’ombre des vainqueurs ou pour laisser deux grandes puissances s’entre-déchirer. Les seigneurs obligés de composés avec cette petite famille jugée parvenue et sans honneur voient d’un assez mauvais œil l’influence grandissante qu’exercent les Obéron sur la politique de Vale et plusieurs d’entre-deux tenteront de s’emparer par la force de leurs mines et industries. Malgré quelques défaites dans les premiers tant, l’habilité des matriarches Obéron, réunies en conseil et formées à la politique et à la stratégie militaire leur permet de défaire plusieurs seigneurs théoriquement largement plus puissants, en influençant sur leurs approvisionnements en matériaux et denrées ou en jouant d’alliances et d’inimités afin de multiplier les fronts. Une réputation de chefs de guerre qui parvient à leur assurer par la force une certaine légitimité au sein de la Cour de Vale et mettra fin aux ambitions prédatrices de leurs voisins au milieu du XVIème siècle avec la bataille des Deux Marais où les arquebusiers Obéron mettent en déroute la cavalerie légère du clan Stérol.
Malgré leur importance croissante sur la scène politique de Vale, les Obéron restent longtemps marginaux au sein de la noblesse dont ils font toujours figure de branche mineure. Un complexe d’infériorité qui structurera leur relation avec la puissante et illustre famille Dalyoha tout au long des siècles suivant, forgeant entre eux une rivalité ponctuée d’alliances de circonstances.
C’est justement au XVIème siècle que débute cette relation ambiguë. Les Dalyoha, gravitant depuis des décennies dans le cercle intime des Princes de Vale, sont alors dans une position complexe. Loin de ressembler à ce qu’il est aujourd’hui, leur empire financier tire encore principalement ses revenus de la terre que la famille possède en abondance et Bourgléon n’est alors qu’une forteresse certes puissante mais dédiée au repli plus qu’à l’exploitation de la région. Si les Obéron sont encore loin d’égaler les Dalyoha, leurs affaires sont prospères quand celle des Dalyoha déclinent. Ces-derniers dépensent d’ailleurs des fortunes colossales pour mater les nombreuses frondes de la noblesse qui continue de lui contester sa place privilégiée à la Cour. Également, Bourgléon s’avère pour l’heure un gouffre financier qui achète certes la popularité des princes de Vale et des seigneurs Dalyoha auprès du petit peuple mais cela à grands frais.
Voyant dans ces mésaventures une opportunité de gagner en légitimité, la famille Obéron tente de se rapprocher des Dalyoha afin de leur proposer une alliance matrimoniale. Ils visent toutefois trop haut et les hautains Dalyoha le leur refuse. Vexée, Architrude Obéron, cheffesse du clan, décide alors de financer la fronde qu’elle fournit en fer à bas prix. Ne tardant pas à s’en rendre compte, les Dalyoha multiplient les intimidations et jouent de leur influence auprès d’Adalbertin de Vale afin d’augmenter les taxes sur le minerais et d’imposer des réglementations contraignantes pour l’exploitation des mines. Une contre-attaque qui porte ses fruits en plaçant les Obéron en porte-à-faux de la Couronne, mais qui a également des conséquences sociales graves. Outre le fait d’appauvrir le pays en pénalisant son industrie naissante, la montée des prix du fer et du cuivre pose problème aux entrepreneurs ce qui impacte le niveau de vie général et appauvrit les bourgs autrefois prospères. Également, la raréfaction de l’extraction d’or ne tarde pas à créer de la déflation, situation inédite qui amène Adalbertin de Vale a retirer ses lois pénalisantes moins de quatre ans après les avoir signées.
Ce revirement de la Couronne est perçu de la Couronne est clairement perçu comme une victoire pour les petits Obéron sur les puissants Dalyoha et entérine cette idée nouvelle que plus que les impôts et les terres c’est l’industrie et le commerce qui fondent désormais la prospérité des terres. Lentement mais sûrement, la plupart des seigneurs de Vale de se convertir dans des productions rentables. La guerre prend alors un tour plus commercial ce qui paradoxalement ne contribue pas aux affaires des Obéron dont la prospérité se fondait jusque là sur l’exploitation du fer pour les armes utilisées par leurs voisins.
Le 21 janvier 1597, Victorin Obéron tue en duel Théojacques Dalyoha, dans le jardin princier. Une rivalité amoureuse en serait la cause, d’après la correspondance retrouvée par les historiens entre Victorin et Clémentine Mullinsart, une cousine du Prince Adalbertin. L’évènement fait scandale et semble mettre à jour les puissantes inimitées au sein de Vale qui se divise bientôt en deux camps. D’un côté celui de la fronde, essentiellement composé de seigneurs parvenus et commerçants et possédant des fiefs côtiers, de l’autre les anciennes familles tirant leurs revenus des impôts et de la terre qu’ils possèdent majoritairement. Adalbertin prend parti du côté de ces derniers mais sera tué d’une chute de chevale dans les deux mois suivants. On suspecte immédiatement un complot de la fronde et l’héritière d’Adalbertin, Cristelline de Vale, réclame vengeance. La Principauté repart en guerre mais de manière larvée, la plupart des seigneurs tirent désormais leur profit des exploitations des uns et des autres, formant un réseau commercial prospère et aucun n’a intérêt à mettre le pays à feu et à sang. De plus, les puissances sont largement asymétriques : les frondeurs ne tardent pas à imposer leur hégémonie en mer, coupant tout éventuel ravitaillement ou commerce sur les flots quand les vieilles familles principalement composés de seigneurs terriens lèvent des armées nombreuses et coupent les routes commerciales passant par la terre.
Le conflit est larvé, et fait principalement d’escarmouches censées démoraliser l’adversaire plutôt que de véritables sièges ou incursions en territoires ennemis. Cette stratégie a l’avantage de préserver chaque camp mais provoque la colère de la paysannerie qui au bout de six ans de conflit exprime de plus en plus massivement son exaspération vis-à-vis de l’insécurité constante et des pillages réguliers qui l’oblige à abandonner régulièrement ses possessions pour fuir devant les bandes de soldats. Ici et là des jacqueries se déclarent et du côté Obéron, Victorin est tué dans un guet-append tendu par les Dalyoha. Ces derniers sentant le rapport de force aller en leur défaveur depuis des années et la centralisation du pouvoir princier de plus en plus faible face aux seigneurs commerçant, souhaite profiter de ce conflit pour réaffirmer l’ordre ancien et s’imposer à nouveau comme une puissance de premier plan.
Alors que le conflit s’enlise, en 1605 une offensive éclaire de la flotte Dalyoha, venue de Bourgléon, perce les rangs de l’armada Ulexandre et Stérol. Cette victoire majeure et imprévisible lui permet de prendre la citadelle Stérol – Chateauneuf – d’assaut et d’en capturer femmes et enfants qui sont pendus aux meurtrières. Cette offensive choquante radicalise une partie de la fronde qui choisit d’accélérer les hostilités quand certains seigneurs des deux camps commencent à douter. Les fronts se cristallisent autour de Dalyoha, Mullinsart, Murat, Collimart et Cloral du côté des vieilles familles, toujours soutenues par les princes de Vale. En face, Obéron, Ulexandre, Stérol, Climage, Vilepoche, Curvier ainsi qu’une alliance de familles bourgeoises finançant la guerre : Jocard, Gombotier, Magicmaque et Castelage. Le nombre des frondeurs peine toutefois à contenir la puissance militaire des vieilles familles et le retrait progressif des autres seigneurs du conflit permet aux « loyalistes » guidés par Théojacques Dalyoha de marcher plus sereinement sur ses ennemis sans craindre de coup dans le dos.
Celui-ci arrive toutefois. Lors d’un banquet de campagne, Théojacques est poignardé par Michelor Murat, immédiatement assassiné par les autres seigneurs présents. Le retournement des Murat brise l’offensive contre la fronde d’autant que le nouveau patriarche Edinlbert II Dalyoha réclame vengeance. L’armée se scinde entre les seigneurs souhaitant poursuivre l’offensive afin de clore la guerre et les soutiens des Dalyoha qui se joignent à eux pour marcher sur le château des Murat. Au final, Mullinsart et Dalyoha font demi-tour tandis que les Collimart et Cloral continue leur marche. Ces derniers donnent le siège à Fortfoyer, la demeure des Ulexandre mais sont pris en tenaille par un ennemi désormais supérieur en nombre. Le seigneur Cloral est capturé et mis au fer tandis que Collimart décède d’un coup de pique dans le gorgeront. L’offensive conjointe des Dalyoha et Mullinsart est plus fructueuse, les Murat sont défait à la bataille des plaines aux ours et leur seigneur se constitue prisonnier.
Alors que le conflit s’éternise depuis maintenant plus de dix ans, la situation est désormais à un carrefour. Les deux camps possèdent de puissants otages qu’il leur sera possible de rançonner pour se renforcer face aux autres familles ayant déserté le combat. A l’inverse, poursuivre les hostilités risque de saper leurs forces et de les affaiblir face aux autres. Victorin Obéron est mort, les Dalyoha consentent à mettre de côté leur rancœur et signent une paix blanche avec les frondeurs. Ces derniers sont amnistiés sans conditions et les terres et forteresses prises pendant la guerre sont restituées à leurs propriétaires d’origines si ceux-ci sont encore en vie. Faute d’héritier les possessions reviennent à la couronne ce qui pousse Cristelline de Vale à pardonner aux seigneurs rebelles. La rançon de Murat et de Cloral rapporte à chaque camp des sommes importantes qui épongent les frais de la guerre. La plupart des autres seigneurs, eux, sortent globalement perdant du conflit.
Désormais, Obéron et Dalyoha constituent deux pôles clairement identifiés et antagonistes à la Cour de Vale, ce qui leur permet d’affirmer chacun leur légitimité en réunissant autour d’eux des alliés aux intérêts contraires. La mort de Cristelline, bientôt suivie par celle de Théojacques, ouvre une nouvelle ère pour le Vale alors que l’héritier, Maximillion, n’est pas en âge de gouverner et met en place une régence.
Cette période permet aux seigneurs de se remplumer après dix ans de guerre. En 1624, Maximillion monte sur le trône à l’âge de quatorze ans. Contre toute attente, le jeune homme épouse alors par mariage d’amour et sans en avoir averti les Grands du Royaume la belle Charlotte Vilepoche, se rapprochant ainsi des anciennes familles frondeuses. Les Dalyoha sentent le pouvoir leur échapper alors qu’une part de leur puissance provenait de leur proximité avec la Couronne depuis plus d’un siècle. Malheureusement pour eux, le nouveau chef de famille Phillibert Dalyoha, ne se révèle pas grand stratège ni meneur d’homme, préférant résider à Bourgléon, loin de la Cour et de ses intrigues. Il modernise l’île et y implante plusieurs familles afin de cultiver les terres et d’exploiter les forêts mais sur le continent, les Obéron profitent de l’appel d’air laissé par leur puissant rival. Désormais pleinement reconnus comme une famille majeure tout à fait légitime à concurrence la vieille noblesse – le distinguo entre vieille et nouvelle noblesse s’efface d’ailleurs progressivement à cette époque – et jouent de leurs amitiés pour placer des membres de leurs familles à différents postes clefs du pays, notamment comme Maréchal de la Principauté et Connétable des finances. Là où la mainmise des Dalyoha sur le pays avait encouragé les grands investissements censés apaiser le peuple et éviter les jacqueries et par la même les impôts, notamment en finançant des infrastructures comme les monastères, l’implantation sur de nouvelles terres et la construction de routes et de ponts, les Obéron se concentrent beaucoup plus sur les infrastructures commerciales.
A cette époque, les villes deviennent des points névralgiques de l’économie de la Principauté grâce à leurs industries florissantes, leurs marchés et une politique tournée vers les exportations qui enrichissent considérablement le Vale et les seigneurs côtiers. Une politique observés avec suspicions par les propriétaires terriens qui voient leurs revenus s’effondrer notamment à cause d’un début de spéculation sur le grain réalisé par les marchands importateurs de denrées alimentaires depuis les pays alentours. Certaines familles finiront même complètement éclipsées comme les Collimart dont la dernière héritière mettra fin à la lignée en s’unifiant non matrilinéairement avec la désormais puissante dynastie Curvier.
Cette période de prospérité n’est toutefois pas sans ombre puisque si les villes s’enrichissent et se développent, cela se fait en partie au détriment de la paysannerie traditionnelle qui peine à réaliser de véritables bénéfices et à renouveler sa manière de produire. Les exploitations familiales bénéficient peu de l’innovation venue du monde entier qui touche avant tout les manufactures et subit la concurrence du commerce international important de la nourriture exotique qui se popularise auprès des classes urbaines aisées.
Les Obéron profitent clairement de cet essor dont ils sont les initiateurs. Leurs politiques efficaces et parfois visionnaires leur permet de conserver leurs places et ils parviennent même à relever les taxes de la noblesse sur les revenus de la terre sous prétexte de grands travaux à Carnaval, renforçant d’autant plus la nouvelle hégémonie des seigneurs marchands. Confiant dans leurs puissances, les Obéron dont même bâtir un manoir fortifié dans Carnavale afin de se rapprocher du pouvoir. Cette demeure luxueuse et le fruit de l’imagination de plusieurs générations d’architectes reste encoure aujourd’hui un chef d’œuvre en termes de sculpture et de raffinement qui participe à imposer dans l’esprit de tous la puissance de la famille.
Il faut attendre 1667 avec la mort de Phillibert Dalyoha, terrassé par une mauvaise grippe, pour que la vieille famille revienne s’imposer dans le jeu politique et contrer les Obéron grâce à leur nouvelle matriarche : Simonisette Dalyoha. Voyant dans les Dalyoha les adversaires historiques des marchands, plusieurs familles désargentées se rallient à eux sans tarder en espérant leur retour au pouvoir. Malheureusement les Obéron, Curvier et Vilepoche sont devenus en quelques décennies des puissantes montantes dans la Principauté et occupent un grand nombre de postes de pouvoir, y compris jusqu’au lit conjugal du Prince Maximillion de Vale désormais âgé de cinquante-sept ans. Simonisette commence par conclure plusieurs alliances en mariant ses filles et ses fils à plusieurs membres de la noblesses, y compris des seigneurs marchands, sans se soucier du qu’en-dira-t-on. Les Dalyoha se lancent ensuite dans une habile stratégie de déstabilisation politique en s’appuyant en secret sur différentes familles de bourgeois prospères : les Purullis, Gombotier, Flipeage, Magicmaque, Crémelin et Castelage. Rencontrés à Bourgléon, les bourgeois concurrencés par la noblesse marchande qui bénéficie d’exemptions de taxes stratégiques se voient offrir par les Dalyoha divers futurs privilèges et monopoles s’ils se rallient au Dalyoha. La plupart acceptent et se coordonnent avec Simonisette afin spéculer sur le grain à leur tour. Rapidement, les revenus tirés de la vente de denrées alimentaires s’effondrent principalement dans les provinces côtières et une partie de la paysannerie éprouve de plus en plus de difficultés à subvenir à ses besoins primaires. Également, les seigneurs marchands sont piégés par leur avidité : en choisissant d’importer de la nourriture extrêmement peu chère, ils s’attirent la colère des paysans qui se sentent abandonnés face au jeu d’une concurrence injuste.
En 1669, les premières jacqueries refont leur apparition de manière extrêmement violentes. Des bandes armées de fermiers tombent dans la criminalité et certains châteaux iront même jusqu’à être pillés par les bandits. En proie à ces graves troubles internes, les Obéron et les principaux seigneurs marchands désertent la Cour de Vale pour tenter de régler des problèmes devenus désormais structurels et endémiques. Ceux qui restent à Carnavale sans agir ne réussissent qu’à aggraver encore plus la situation. En 1670, Maximillion meurt d’une intoxication alimentaire. Certains nobles soupçonnent un empoisonnement mais les accusations sont sans preuves. Ganeléon III monte sur le trône. Il a épousé une Curvier mais celle-ci se révèle incapable de lui donner des fils. Simonisette conspire et souffle sur les braises, susurrant à l’oreille du Prince que les malheurs de son pays et de sa vie conjugale ont une seule et même origine : les seigneurs marchands qui en s’enrichissant ont provoqué le désordre et la colère de Dieu. Ganeléon se révèle un souverain pieu et décide de prendre des mesures, il interdit la spéculation et envoie ses hommes d’arme fermer les bourses et lieux de changes. Il fonde également un ordre des chevaliers de l’usure, troupe armé chargée de surveiller les principaux marchés pour assurer le bon fonctionnement des règles économiques dictées par la Couronne. En quelques mois une grande part de l’Empire commercial des seigneurs marchands s’effondre et la lucrativité du commerce est de plus en plus faible. A la tête des chevaliers de l’usure, Simonisette parvient à placer l’un de ses petits-fils : Ambroise Dalyoha qui impose l’autorité princière d’une main de fer.
Néanmoins, ces mesures ne parviennent que partiellement à enrayer la crise. Sur l’ordre de Simonisette, les bourgeois cessent la spéculation ce qui permet à la paysannerie de respirer mais celle-ci peine à se restructurer après des années de fragilisation. Les terres sont en friches et des territoires autrefois luxuriants et peuplés ont été laissés à l’abandon au profit des villes. L’économie fait yoyo et après la baisse du prix des aliments, celui-ci explose du fait des mesures protectionnistes commandées par la Couronne. La famine s’installe, faute de produits et Ganeléon III tarde à engager des mesures pour inciter les paysans à retourner dans les champs.
De cette nouvelle crise, les Dalyoha comme les Obéron sortent grandis. Les deux familles ont eu chacune l’intelligence de réinvestir depuis longtemps leurs profits sur leurs fiefs ce qui en assure une certaine stabilité. Bourgléon est désormais une île peuplée et complètement acquise aux Dalyoha. Plusieurs congrégations religieuses prospères en assurent les services à la paysannerie ce qui lui permet d’amortir les crises conjoncturelles et assure sa loyauté au seigneur.
Du côté des Obéron, ces-derniers ont massivement investi dans l’industrie grâce aux mines ce qui les rend indispensable à la Principauté et assure des revenus continus lui permettant d’acheter le cas échéant la nourriture manquante. Alors que la crise s’installe dans cette fin de XVIIème siècle, Obéron et Dalyoha semblent plus que jamais les deux puissances incontournables de la Principauté.
Toutefois, à l’abri des regards, de nouveaux acteurs semblent entrer discrètement dans l’arène politique. Simonisette a tenu parole et diminué les privilèges de la noblesse marchande, rendant la bourgeoisie plus concurrentiel. C’est le début de l’essor d’une troisième famille majeure dans l’histoire de Carnavale : les Castelage.
Famille Castelage
Arthur Castelage a été nommé à la tête du clan par le conseil de famille. Ne descendant aucunement d’une lignée noble, les Castelage ne respectent pas les lois de la primogéniture et ont toujours désigné leurs patriarches de manière collégiale, au mérite. Ce fonctionnement a eu l’avantage de mettre des gens fort capables à la tête de la famille mais également de créer à plusieurs reprises des dissensions internes fragilisant l’unité du clan.
En ce qui concerne Arthur, c’est un homme silencieux et austère, un ancien militaire qui compense sa méconnaissance du commerce en s’appuyant sur ses oncles et cousins et grâce à une vision clair et assumée de l’avenir de l’entreprise. Troisième fils de l’ancien patriarche, celui-ci met au monde un premier enfant handicapé qui sera exclu de la ligne de succession par le conseil. Son second enfant, une fille, se révèle d’un caractère capricieux et indiscipliné, fuyant ses responsabilités et se rêvant de la noblesse mondaine. Elle sera également éloignée de la tête du clan. C’est donc à Arthur, le benjamin qu’échoie la responsabilité de faire prospérer l’entreprise face aux deux autres piliers de Carnavale : les Dalyoha et les Obéron.
Arthur CastelageLes Castelage, contrairement à ces derniers, ne peuvent se prévaloir d’une lignée glorieuse et ancienne. Leur nom, lié avant tout à la petite ville de Castelage dont ils ont sans doute dû être natif un jour, n’inspire aucune passion aux historiens du roman national. Avant toute chose, les Castelage sont des marchands embourgeoisés grâce à l’ouverture du commerce international au XVIème et XVIIème où ils bâtissent un prospère empire maritime. Longtemps bloqués par la concurrence des seigneurs marchands et de leurs nombreux privilèges, l’annulation de plusieurs de ces derniers concernant le commerce par Ganeléon III de Vale permet à la bourgeoisie d’enfin se développer convenablement.
Plus habituée au commerce que les seigneurs marchands et moins empêtrée dans des considérations politiques et la gestion des troupes et de la paysannerie, la bourgeoisie de la Principauté connait un véritable essor au XVIIIème siècle où elle assure les importations et les exportations du pays grâce à de vastes flottes commerciales. C’est cette stratégie que suivront les membres du clan tout au long du siècle, ne produisant rien mais pariant tout sur l’import-export et le dégagement de marges à travers plusieurs continents. A l’époque toutefois et malgré quelques sollicitations épisodiques par les factions nobles pour servir leurs intérêts, rien ne prédestinait les Castelage plus que d’autres familles de la bourgeoisie commerçante à émerger comme une puissance de premier plan. Le tiers-état fortuné se réunissait depuis longtemps en congrégations afin de discuter collectivement de leurs intérêts et gérer les parts de marché disponibles sans trop de conflit et les Castelage se sont globalement contenté de suivre le mouvement et les stratégies collectives sans agir à contre-courant.
C’est donc à partir du début du XVIIIème siècle que les commerçants prendront une importance de premier plan dans le champ économique de la Principauté. Même si les Dalyoha s’imposent politiquement en reprenant la main sur la Couronne de Vale contre les seigneurs marchands, la multiplication des conflits au sein de la noblesse et la nouvelle concurrence exercée par la bourgeoisie sur des marchés de plus en plus rentables contribue à affaiblir les seigneurs dans leur ensemble. Sans s’en rendre compte, mesurant toujours leur influence sur le pays en termes de troupes et de terres contrôlées, la noblesse perd peu à peu la main sur le véritable nerf de la prospérité : l’usure. Or c’est précisément dans ce domaine là que la banque Castelage se développe. Grâce au profit du commerce, elle finance à des taux particulièrement bas les seigneurs désireux d’effectuer de grands investissements sur leurs fiefs. Cette stratégie est d’autant plus a propos que renouant avec la tradition philanthropique et catholique de Vale, Ganeléon III suivi de son fils Ganeléon IV encouragent les démonstrations de charité pour obtenir des places à la Cour. Les Dalyoha poursuive la construction de Grand Hôpital où conjointement avec la Couronne ils ouvrent l’Académie Princière de Philosophie Naturelle de Vale qui deviendra plus tard de Médecine et de Biologie. Cette université majeure dans la région assure rapidement à la Principauté une médecine avant-gardiste et pose certaines bases de la démarche scientifique avec des résultats parfois mitigés. Les Obéron pour leur part peuvent se permettre le financement de deux cathédrales grâce aux revenus importants que continuent de générer leurs industries.
Toutefois, le reste de la noblesse moins argenté et qui a besoin de grosses sommes d’argent immédiates pour lancer des projets de mécénat découvre petit à petit l’intérêt des prêts. Les banques fleurissent à l’époque mais la plus importante de toutes est alors celle des Castelage qui finance les plus puissantes familles nobles de la Principauté en échange d’un taux de remboursement bien plus bas que ses concurrentes. C’est cette stratégie qui s’avère cruciale puisque le XVIIIème siècle est marqué par des crises météorologiques et militaires conjoncturelles qui déstabilisent fréquemment le tissu économique du pays. Le pays entre notamment en guerre contre ses voisins ce qui conduit à plusieurs hausses de taxes notamment sur le prospère commerce. En prêtant, même à un taux très bas, les Castelage s’assure de posséder toujours des débiteurs qui viennent renflouer leurs caisses de manière régulières et échappent ainsi aux impôts sur leur trésorerie que les autres banques doivent payer.
C’est à cette époque toutefois que l’Armada de Vale conquiert le sud des îles Saint-Marin à ses voisins. Une avancée dans l’océan qui assure une meilleure protection des voies commerciales avec le nouveau monde. A l’initiative de la prise des îles, les Obéron se voient accordés le titre de « seigneurs de Saint-Marin et grands amiraux de Vale » contre la responsabilité de construire et financer un fort sur place, sans originalité nommé Fort-Marin. Le financement de cette couteuse entreprise est en partie réalisé par des prêts accordés par les Castelage qui se voient offert en échange une levée de leurs taxes de passage. Ces évènements conjoints font des Castelage l’une des première fortune bourgeoise du pays et rapidement une famille incontournable dans la vie économique du pays. Néanmoins, la noblesse reste méfiante voire méprisante de ces petits marchands sans titres ni terres. Comme autrefois les Obéron l’avaient été, les vieilles familles continuent de sous-estimer le poids économique réel des nouveaux arrivants dans la course pour le pouvoir et leur place centrale dans les rouages de la Principauté.
Le XVIIIème siècle est décidément le siècle de la guerre. Pour la première fois depuis longtemps la noblesse de Vale semble se tenir tranquille, complètement inféodée aux grandes puissances du siècles et à prospérer grâce au commerce. Une tranquillité qui n’est cependant pas sans conséquences : les deuxièmes ou troisièmes nés s’impatientent, dans une société dont les lois de l’héritage sont celles de la primogéniture. La noblesse s’encanaille, les disputes se multiplient et menacent de plonger le pays malgré lui dans un nouveau conflit fratricide. Anticipant ces troubles, Christinian Ier, fils de Ganeléon IV, décide de monter une armée pour satisfaire l’esprit de conquête des plus jeunes nés. Pour la première fois depuis longtemps, le Vale tourne son regard vers l’extérieur et son premier voisin : l’Iwwerdon. La nation celtique s’est imposée par colonialisme dans cette partie francophone du monde et le Prince Christinian y voit un excellent prétexte pour se faire surnommer « le conquérant » ou « le libérateur ». Hors de question de laisser ces populations au joug d’une nation étrangère et prédatrice.
L’armée de Vale est mobilisée et pour la première fois depuis plusieurs siècles, elle marche unie. Le pays a beau être de petite taille, il est étonnement riche et fertile et parvient à lever sans malle une armée de cinquante mille homme. Le sud montagneux du pays fournit un rempart naturel qui peut néanmoins être passé en tenaille de chaque côté, l’armée de scinde et pénètre en territoire ennemi. Du côté de la politique intérieure, cette guerre unanime a des effets désastreux pour la petite noblesse. Il était jusque là coutume de prétexter des obligations locales ou un conflit de loyauté lorsqu’un seigneur souhaitait échapper à un conflit couteux, mais à présent que toute la noblesse est mobilisée, difficile de tirer au flanc. Les plus petites bourses s’endettent donc pour payer armes et équipements et éponger la parte financière liée au départ de ses paysans pour le combat. La banque Castelage finance largement la guerre et reçoit à cette époque le titre de « Banque Princière » accordé par Christinian pour services rendus aux intérêts de la couronne.
Dans un premier temps, les choses se déroulent bien pour le Vale. Pris par surprise, Iwwerdon ne parvient pas à défendre le goulot d’étranglement que représente son bras de mer. C’est toutefois cette topologie particulière qui signe la perte de la Principauté. Alors que sa flotte progresse de chaque côté pour soutenir et ravitaille les troupes, elle est naturellement obligée de se scinder en deux afin d’éviter un débarquement à revers par les forces celtiques. Une stratégie qui divise ses forces et la rend vulnérable. Le 15 juin 1769, la flotte d’Iwwerdon rencontre celle de Vale assiégeant Coriverton. Leur formation brisée, les Valais sont découverts sur leur flanc ouest et décident de fondre sur la capitale, Stavanger, en espérant obtenir ainsi une victoire rapide. Malheureusement et malgré le soutien de la flotte de l’Est, le siège de Stavanger tourne court : sans défense à l’ouest, les celtiques peuvent débarquer des troupes par derrière et viennent encercler l’armée Valaise. Celle-ci est finalement défaite aux portes de la ville et Christinian rend les armes.
En plus de retourner le territoire conquis, la Principauté se fait imposer de lourdes réparations en tant qu’agresseurs, sans compter le coût de restauration de sa flotte amputé de moitié. Une fois de plus, les Castelage sont mis à profits. Ces-derniers ne semblent jamais manquer de fonds et n’hésitent pas à s’endetter à peu de frais hors du pays pour prêter l’argent à la Couronne avec de biens meilleurs taux, faisant ainsi un profit immédiat sans aucuns risques. La stratégie est payante pour la famille qui devient en quelques années l’une des premières fortunes du pays. Un peu partout, la petite noblesse ruinée par la défaite et les impôts de guerre brade ses possessions pour payer ses dettes. La bourgeoisie s’enrichit sur le dos des seigneurs bien en peine de financer leurs troupes.
Christinian décède finalement le 9 mars 1773, de chagrin et de faiblesse de cœur dit-on. Son fils, Ganeléon V, reprend le flambeau et engage des réformes drastiques en commençant par rétablir les privilèges commerciaux accordés à la noblesse et que la famille Dalyoha avait annulé pour s’attirer l’alliance avec la bourgeoisie. Cette dernière est furieuse : à l’apogée de sa richesse elle se voit de nouveau rabaissée au profit des nobles désargentés. Théogilles Dalyoha, le chef de famille, voit dans cette colère un moyen d’avancer ses intérêts. Il contacte plusieurs maîtres de guildes et grands commerçants, dont les Castelage, pour leur assurer son plein et entier soutien et promet d’en discuter avec Ganeléon V. A ce dernier toutefois, il chuchote de poursuivre ses réformes et même d’aller de plus en plus loin. La tension atteint rapidement son maximum, faisant craindre une nouvelle fronde venue des bourgs. Les Obéron, eux, soutiennent le Prince ouvertement face au désordre causé par le petit peuple.
Le 15 avril 1776, c’est la conspiration des volets. Ganeléon découvre dans ses appartements deux tueurs cachés derrière ses fenêtres qui tentent de l’assassiner au couteau. Maîtrisés par les gardes du Palais, le Prince entre dans une grande fureur et exige des coupables. Les Obéron y voit un moyen de se débarrasser de leurs puissants rivaux et désignent les Dalyoha et les Castelage, assurant avoir des preuves de leur implication. Devant de telles accusations, Théogilles Dalyoha provoque Maturin Obéron en duel pour laver son honneur, mais Ganeléon l’interdit et commande une enquête. Maturin est finalement assassiné dans une ruelle, la matriarche Fleugénie prend la tête de la lignée. Les grandes familles sont à couteaux tirés et une escalade de violence est de plus en plus à craindre. Une nouvelle conspiration se met alors en place : Dalyoha et Obéron sont invités à un dîner chez Marion Ulexandre, sans que les uns soient prévenus de la venue des autres. Grâce à ce stratagème, la jeune femme parvient à les faire discuter. Le plan est simple : charger les banquiers Castelage de toutes les accusations et ainsi mettre main basse sur leur fortune, en plus d’annuler toutes les dettes qu’ils détiennent. Une proposition séduisante pour la noblesse et qui parvient à réconcilier les deux rivaux un temps.
L’enquête commandée par Ganeléon V aboutit rapidement à des conclusions évidentes : les Castelage sont seuls responsables de la tentative de régicide. Ganeléon exige que les principaux membres du conseil de famille Castelage se livrent aux autorités afin de comparaitre à leur procès. Sentant venir le coupe gorge, les Castelage n’envoient que leur patriarche : Simoléon, un vieil homme âgé de 98 ans et clairement en fin de vie. Ce dernier n’a toutefois rien perdu de son esprit et consent à prendre le risque de se présenter au Palais de Carnavale afin de s’expliquer. Ganeléon V interprète comme une preuve de félonie que seul se présente à lui un vieillard mais ce-dernier réclame la parole et entend présenter des preuves irréfutables de son innocence. Théogilles invite le Prince à ne pas écouter l’homme et le mettre aux fers sans attendre mais Ganeléon consent à entendre ce qu’il a à dire. Simoléon sort un document de sa poche et annonce à la cantonade qu’il s’agit des registres de comptes de la banque Castelage révélant de sombres affaires de corruption et de conspiration au sein du royaume. Ganeléon réclame le papier mais plusieurs nobles s’interposent. Le Prince réalise que le pouvoir lui échappe, Simoléon est tué sous ses yeux. Théogilles Dalyoha et ses hommes protègent le Prince avant de lui sommer de s’enfuir, Fleugénie Obéron engage le combat contre son rival, décidée à venger l’assassinat de Maturin.
En un instant, le pays est retombé dans la guerre civile. Théogilles est tué par les soldats Obéron et Ganeléon est capturé, sous prétexte de le mettre en sécurité. Il sera finalement précipité par une fenêtre, les Obéron accusent leurs ennemis de l’avoir tué, ces-derniers leur retournent l’accusation. Le chaos est total, on chercher l’héritier dans tout le Palais. En province, plusieurs nobles marchent sur les possessions Castelage dans le but de faire appliquer le jugement de feu le Prince et également de détruire d’éventuels documents compromettants et mettre la main sur la fortune des banquiers. Ceux-ci opposent toutefois une surprenante résistance : alliant derrière eux une grande part de la bourgeoisie révoltée, les ferment leurs portes et engagent des mercenaires pour venir compléter leurs gardes. Plusieurs nobles sont défaits pour s’être trop précipités et il faut presque un mois aux seigneurs pour s’organiser et donner le siège des places fortes des bourgeois. A Carnavale, Timéorion Dalyoha s’empare du Prince héritier, Antoinin II de Vale et parvient à le faire embarquer pour Bourgléon. Les Obéron et leurs alliés s’emparent du Palais Princier et de Carnavale tandis que la noblesse s’entredéchire et peine à trouver un mot d’ordre cohérent, chaque camp se réclamant de la couronne et se présentant comme loyaliste en accusant les autres de forfaitures.
Le pays semble profondément irréconciliable, emporté dans une série de vendettas et sa lutte pour les symboles du pouvoir. Prenant acte du jeune âge du Prince, Timéorion Dalyoha craint que la guerre civile ne se prolonge pendant des années. Il entreprend donc dès le début du conflit de préparer le règne à venir et décide de se lancer en pleine guerre dans la construction d’un palais à Bourgléon : le Palais d’Hiver. Celui-ci doit abriter le Prince et lui offrir une résidence secondaire en plein cœur du domaine Dalyoha, de sorte d’assurer à ces derniers le contrôle de la couronne. Si posséder l’héritier est indiscutablement un grand avantage pour ces-derniers, les Obéron tiennent toujours Carnavale et les lieux de commandement de la capitale. Décidés à prendre d’assaut Bourgléon et auto-proclamée « régente », Fleugénie débloque des fonds pour la reconstruction d’une flotte de guerre capable d’assiéger l’île.
Dans les terres, les Castelage avancent prudemment, se savant désormais déclarés « ennemis de la couronne » et devant gérer une armée coalisée de nobles décidés à s’emparer de leur argent. Ils peuvent toutefois compter sur des fonds importants et une flotte commerciale transformée en urgence et grâce à l’embauche de mercenaires en armada militaire. Ayant conscience qu’ils ne peuvent affronter les Obéron et les Dalyoha réunis, les Castelage cherchent à les maintenir divisés tout en rachetant leur pardon par d’importantes donations. Aux Obéron, ils accordent des financements pour la reconstruction de la flotte princière à Castelage. Aux Dalyoha ils promettent leur aide en cas d’offensive navale de leurs rivaux. En échange de quoi, leur nom et leur entreprise sont réhabilités.
Toutefois, la bourgeoisie continue de fronder et si certains nobles choisissent de rentrer chez eux, ils restent nombreux à tenter de s’emparer des bourgs dont certains commencent à tomber. La situation est critique pour le Vale mais la lenteur des préparatifs de chacun et le bourbier des sièges laisse filer plus de trois ans sans qu’aucun camp ne parvienne véritablement à prendre l’avantage. La situation se débloque toutefois au printemps 1779 lorsque la flotte Obéron, finalement achevée, tente de prendre par surprise Bourgléon. Une partie de l’armada attire l’attention des défenseurs sur la côte fortifiée quand le gros de l’armée est supposé débarquer à revers sur des plages moins défendues. Cette offensive déclenche un large engrenage de pièges : la flotte Dalyoha et une partie des navires bourgeois prennent l’armada à revers et sans parvenir à la détruire complètement lui coupe se retraite en l’isolant dans une crique. Les forces Obéron se retrouvent soudainement isolées sur Bourgléon sans possibilité de ravitaillement. Contraintes, elles progressent donc dans les terres vers le palais d’Hiver toujours en construction et la forteresse des Dalyoha.
Sur le continent, les Castelage ont pris soin de ne pas s’impliquer directement dans l’offensive contre l’armada Obéron mais les soupçons pèsent lourdement sur eux. Y voyant une occasion de réaffirmer leurs prétentions à abattre les puissants banquiers une grande part de la noblesse jusque-là sans obédience se rallie aux Obéron en espérant qu’une fois ceux-ci au pouvoir ils confirmeront la chute des Castelage. Ces derniers sont donc en mauvaise posture, les rentrées d’argent sont bien moindre avec une flotte utilisée pour la guerre et une partie de leurs alliés bourgeois sont éparpillés en mer ou maintiennent l’armada de Carnavale bloquée à Bourgléon. D’autant que de plus en plus de bourgs tombent amenant leurs lots de réfugiés désireux de fuir les pillages et autant de nouvelles bouches à nourrir.
A Bourgléon, les Dalyoha jouent la force brute : en détruisant l’armée de leurs rivaux sur l’île ils l’empêcheront de fuir et pourront l’anéantir totalement pour ensuite s’emparer de sa flotte. Les Obéron se savent désormais en danger à Carnavale qui n’a pas les moyens de repousser un débarquement de grande ampleur. Eux aussi cherchent l’affrontement, espérant mettre fin à la guerre d’un seul coup violent. Les deux armées se rencontrent à quelques kilomètres du Palais d’Hiver, à l’orée d’une forêt. Pouvant compter sur leur connaissance du terrain, les forces Dalyoha prennent l’avantage rapidement mais se voient opposer une résistance farouche : les soldats Obéron se savent condamnés s’ils perdent la bataille et redoublent donc d’efforts. L’affrontement restera célèbre sous le nom de « bataille de l’orée ». Finalement, malgré leur courage, les forces Obéron sont repoussés dans le lac central où un grand nombre se noie. Le reste est fait prisonnier, les Dalyoha marchent désormais à travers l’île pour s’emparer de l’Armada toujours bloquée par leur flotte.
Les Obérons rappellent leurs alliés à Carnavale mais un grand nombre refusent : trop d’hommes et d’argent ont été dépensés pour tenir les sièges de bourgs, abandonner maintenant signifierait avoir fait tout cela pour rien. La capitale se prépare donc à devoir repousser l’assaut imminent des Dalyoha avec trop peu d’hommes. Pourtant, l’assaut se fait attendre. A Bourgléon, une partie de la flotte bourgeoise vient de changer de camp et lever le blocus sur l’armada Obéron. Que ce soit pour des faits de corruption ou pour retourner protéger les villes assiégées, une partie significative de la flotte désert pendant la nuit, permettant à l’armada Obéron de pourfendre les navires Dalyoha et rejoindre Carnavale. Les deux géants sont mortellement blessés : les Obéron ont perdu leur armée, les Dalyoha n’ont plus de flotte et se trouvent donc piégés à Bourgléon. Une situation qui ne manque pas d’attirer les convoitises des autres familles.