Interview: courte discussion avec Toru Sera, ex-Premier Ministre fujiwanAprès plusieurs années loin du pouvoirs, le Premier Ministre Toru Sera est souvent de passage au Negara Strana. S'exerçant au monde de la conférence, c'est à l'Université de Pradipta qu'il organise régulièrement des cours et des rencontres avec les étudiants afin de discuter des sujets contemporains ou de raconter son ancienne vie de dirigeant. Pourtant, dans la tempête de la vie active, nous avons pu avoir un peu de son temps pour une courte interview. Lorsque notre journaliste, Hana Wakamatsu, le rejoint dans son amphithéatre, Toru Sera l'attendait, café à la main et sourire aux lèvres. L'Homme, d'une séreinité remarquable, semble être un sage ne perdant point en capacité d'analyse. Patient et sympathique, l'ancien Premier Ministre nous a accordé cette interview, réalisée en fujiwan et traduite ci dessous. La rédaction de Dunia! le remercie à nouveau pour son temps libre.Hana Wakamatsu: Bonjour monsieur Sera, c’est un honneur de pouvoir vous interviewer. Après une longue carrière en politique, vous obtenez le poste de Premier Ministre pendant 5 ans. Votre mandat fut un mandat de changement, notamment sur les positions diplomatiques du Fujiwa. Si beaucoup vous connaissent, ici, au Negara Strana, c’est pour le rôle que vous avez joué dans la réconciliation entre nos nations qui, hormis les faibles échanges commerciaux, se détestaient et ne communiquaient pas. Qu’est ce que cela fait, pour vous, d’être le Premier Ministre à avoir engagé ce rapprochement ?Toru Sera: C’est une source de fierté pour moi. Personnellement, ce rapprochement incarne ma plus grande réalisation, ma satisfaction la plus profonde. Mon ambition était de réconcilier deux peuples qui, pour des raisons historiques légitimes, se sont longtemps haïs. Il est naturellement humain de ressentir de la haine envers son bourreau. Cependant, les êtres humains sont également capables de raisonner, de prendre du recul, de faire preuve de compassion et d’accorder leur pardon. Voilà ce qui me motivait. Stranéens et Fujiwans partagent un pan de l’histoire, qu’elle soit douloureuse ou glorieuse, ils sont indissociablement liés. Pour le bien de la région du Nazum, pour le bien de tous, et pour la dignité humaine, il était essentiel pour moi de catalyser ce rapprochement. Il ne s’agissait pas d’excuser les crimes de la colonisation, mais simplement de reconnaître unanimement les torts commis par les Aichi et tout ce qui en découle. Dire aux Stranéens que nous implorons leur pardon, non pas pour excuser l’inexcusable, mais pour nous permettre de regarder vers l’avenir. Après la destruction, reconstruisons ensemble. Car, en vérité, les Fujiwans chérissent cette culture stranéenne et tout ce qu’elle représente pour eux. Nous partageons des familles, du sang. C’est un fait que personne, ni Fujiwan ni Stranéen, ne peut nier.
Mais je tiens à souligner une nuance essentielle qui a permis de rapprocher le Fujiwa du Negara Strana. Et cette nuance, c’est votre peuple. C’est vous, qui avez eu la grandeur d’accepter le passé et la magnanimité de dire : “Les Fujiwans ont commis des atrocités qui ont laissé des cicatrices indélébiles dans notre histoire commune, mais ayons la sagesse de renouer avec eux.” C’est vous, peuple stranéen, qui avez rendu possible un tel rapprochement. Sans votre ouverture d’esprit, nous aurions pu continuer chacun sur notre chemin, nous lançant des insultes occasionnelles et perpétuant un cycle immature et destructeur. C’est pour cela que je considère le peuple Stranéen comme l’un des plus remarquables du monde, et je le pense avec toute la sincérité de mon cœur.
Et le fait que nous ayons réussi à mettre de côté nos idéologies et nos conflits, sans les oublier, car personne ne le peut, me confirme dans l’idée que les Fujiwans et les Stranéens partagent un destin commun. C’est peut-être un brin superstitieux, je l’admets, mais il y a des choses qui dépassent l’explication rationnelle. C’est une conviction qui résonne au plus profond de moi, une croyance que j’ai portée tout au long de ma vie: notre histoire doit se construire ensemble et se doit d’être belle. Oui, je dis bien une belle histoire, haha.
HW: Après avoir été démis de vos fonctions, vous décidez de faire un pas en arrière de la politique malgré votre belle aventure. Pendant près d’un an, vous organisez souvent des conférences à l’Université de Pradipta dans laquelle nous nous trouvons. Pourquoi avez-vous fait ce choix ? Qu’avez vous tiré de cette expérience ? TS: Effectivement, j’ai quitté la politique et mon poste au sein du parti de l’Aube en 2012. Pour être tout à fait franc, je sentais que mon rôle était accompli, bien que j’aurais pu en faire davantage. J’ai donc choisi de m’établir au Negara Strana, loin des tumultes de la scène politique fujiwane. En réalité, mon départ a aussi été motivé par une opportunité professionnelle offerte à ma femme, professeure de philosophie, à Pradipta, et je l’ai naturellement accompagnée. C’est elle qui m’a suggéré de donner des conférences à l’université. J’étais réticent au début, mais je ne pouvais décemment rester inactif. Poussé par la confiance que j’ai en elle, je me suis lancé.
Plutôt que de me tenir rigide sur une estrade, délivrant des discours stériles et égocentrés sur mes réussites, j’ai préféré transformer ces rencontres en débats ouverts. J’invitais le public, notamment les étudiants, à proposer des thèmes, et ensemble, nous explorions les réponses. Cela se transformait souvent en un jeu intellectuel pour tenter de démêler une problématique, ce qui, à mon grand plaisir, stimulait la curiosité des jeunes sur une multitude de sujets les concernant. Bien sûr, certaines conférences ont abordé mon mandat et mes expériences politiques — les jeunes ont toujours ce talent pour obtenir ce qu’ils veulent, n’est-ce pas? En fin de compte, j’apprécie véritablement ces échanges avec les Stranéens, découvrir comment ils perçoivent leur place dans le Nazum, leur histoire avec le Fujiwa, et bien d’autres choses. Ma curiosité innée a été le véritable moteur de cette aventure. Alors, pour résumer, je dirais que l’expérience est extrêmement positive. Ah, que c’est enrichissant !
HW: Entretemps, la gauche recule nettement dans votre pays. Au contraire, l’extrême droite et ses idées représentées par le Parti Saenuri, devenu Kōdō, ne font que grandir dans l’espace public et politique jusqu’à déteindre sur votre ancien parti, le Parti de l’Aube. D’un autre côté, les observateurs fujiwans et internationaux s’alarment sur la pente “fascisante” que prend le gouvernement et la société fujiwane. Comment en est-on arrivé là ? Quelles en sont les conséquences, et surtout, quelles solutions appliquer ? TS: Je crains que notre société fujiwane n’ait été submergée par la dynamique implacable de l’ouverture économique, par cette quête incessante de croissance et de profit, parce que l’on réduit souvent au simple terme d’argent. Le Fujiwa, dans sa course à l’enrichissement, a vu se diluer ses valeurs, sa culture, au profit d’une prospérité économique de façade. Mais en ce faisant, nous avons rompu un lien essentiel qui était le pilier de notre société: notre relation à la nature, à autrui. Cette ouverture, nous l’avons mal gérée. Cela nous a confrontés à un affront cruel: une redistribution des richesses quasi inexistante. Une majorité de la population commence à réaliser que, malgré les changements rapides du pays, leur condition ne s’améliore guère. Si l’on change le quotidien des gens en prétendant leur offrir du neuf, des biens prétendument bénéfiques, ils acceptent souvent, se résignant à l’idée que c’est ainsi, qu’on ne peut rien y changer. Mais cette fois, la pilule ne passe pas, et le terme qui surgit alors est celui de « fascisation ».
Pourtant, je répugne à utiliser ce mot. Je ne crois pas qu’il représente fidèlement la population, car en vérité, ni moi, ni aucun expert — à l’exception peut-être des sociologues — ne peut prétendre saisir ce que pense réellement le peuple. Le vote a plusieurs dimensions. Certains votent par conviction, par adhésion à des valeurs, tandis que d’autres sont motivés par leur situation financière personnelle, ou d’autres raisons encore. Voter pour Saenuri, pour l’Aube ou pour le Cercle Socialiste ne devrait pas être interprété de manière si tranchée. Ce n’est pas parce que l’on connaît le parti pour lequel une personne vote que l’on comprend ses pensées. Et moi, je pense qu’il est crucial de nuancer tout cela.
Ainsi, on peut se demander si c’est le gouvernement qui façonne la population, ou si c’est la population qui influence le gouvernement. Doit-on considérer que ce sont les institutions et les structures sociales qui définissent principalement comment les Fujiwans agissent et réagissent? Ou plutôt, devrions-nous souligner le rôle des individus dans la création et la transformation de ces institutions sociales? Pour saisir les dynamiques de la société fujiwane, c’est précisément là qu’il faut chercher. En observant le virage, ou plutôt la dérive du Parti de l’Aube, qui semble dorénavant emprunter une voie plus proche de celle des nationalistes que de celle des valeurs démocratiques qui ont fondé cette famille politique, on ne peut qu’être alarmé.
D’ailleurs, je suis personnellement surpris. Dans un cadre de référence gauche-droite, juste pour situer grossièrement les positions sur l’échiquier politique, je savais qu’en quittant le parti, il n’y avait pas de relève pour la branche gauche du Parti de l’Aube. Mais de là à voir la branche droite se jeter ainsi dans les bras des nationalistes, c’était inattendu. Et pourtant, Yoshi Kojima, que je considère comme un ami et avec qui j’ai longuement collaboré — il fut l’un de mes secrétaires généraux alors que j’étais Premier ministre —, était connu pour sa capacité à faire des compromis et pour son positionnement centriste. Mais il y a quelque chose de suspect qui se trame en coulisse. À l’écouter récemment, on ne sait plus où il se dirige. Il semble avoir complètement perdu pied, et cela fait indéniablement le jeu des nationalistes.
La résolution de ces problèmes n’est guère simple. Si je devais céder à la facilité, je vous dirais qu’il faudrait mettre fin à cette course effrénée vers une prospérité qui ne sert pas l’intérêt général, celle qui favorise des projets déconnectés des réalités du peuple. Dire que c’est toujours la faute de l’autre si les choses tournent mal. Mais, chercher un coupable, cela ne mène nulle part ; votre voisin, le voisin de votre voisin, ne sont pas les véritables responsables. Les vrais décideurs se trouvent en haut de la pyramide. Haha, et voilà que je sonne comme l’ancien homme politique repu qui, après avoir profité du système, se découvre une passion pour la révolution, pour le changement radical — l’hypocrite qui n’a rien changé lorsqu’il était aux commandes. Quoiqu’il en soit, si un mouvement capable de véritablement bousculer les choses devait émerger des profondeurs de notre société, je serais prêt à plonger de nouveau dans l’arène, à remettre les pieds dans le plat.
HW: Votre réponse met en avant l’absence d’une gauche maintenant disparue. Vous venez également d’évoquer l’émergence d’un mouvement venant des profondeurs de la société fujiwane. A côté de cela, une partie de la population semble se radicaliser au profit des courants communalistes kah-tanais ou bien socialistes stranéens. Pensez-vous que, dans le contexte actuel, la nouvelle gauche fujiwane pourrait se former autour d’une gauche radicale, voire révolutionnaire, au détriment de la gauche “de gouvernement” que vous portiez autrefois ? TS: Non, je n'y crois pas. La gauche est incarnée par le Cercle Socialiste, mais elle peine à convaincre en raison des radicaux qui dissuadent les électeurs. C'est pourquoi, lorsque j'entends parler d'un potentiel mouvement révolutionnaire prenant le contrôle du Fujiwa, cela me semble peu probable. Je ne suis pas opposé à une révolution, mais pas dans le contexte actuel. Les Fujiwans chérissent leur tranquillité et ne sont pas prêts à bouleverser leur vie pour un idéal incertain. Non, ce que je propose, c’est une révolution tranquille, une révolution qui gouverne. Les influences kah-tanaises ou stranéennes auraient du mal à prendre racine ici, à moins de promettre un changement pacifique. Le nationalisme gagne du terrain parce qu'il rappelle des époques historiques connues des Fujiwans ; rien n'est plus rassurant que de s'accrocher au passé, car il persiste cette idée que « c’était mieux avant ». Promettre une révolution socialiste, c'est ne rien promettre de rassurant, car ce pays n'a jamais vraiment expérimenté cela... Enfin si, on l’a connu durant la décolonisation du Negara Strana, mais cela évoque une image négative pour les citoyens, car c'était l'un des éléments déclencheurs de l'effondrement de leur régime, de leur vie quotidienne. Alors, vous voyez... c'est délicat.
HW: Enfin, parlons de Moon. La province jinséenne, symbole de la diversité fujiwane, subit des pressions constantes depuis l’arrivée au pouvoir de Yoshi Kojima. Celle-ci s’exerce rappelant les politiques répressives et impérialistes aichi à l’encontre des jinséens et stranéens. Aujourd’hui, l’état d’urgence est déclaré sur l’île engouffrée dans la violence permanente. Cette situation insupportable est l’une des raisons de votre retour sur la scène politique. Quelles sont vos revendications ?TS: Accorder l’autonomie, voire l’indépendance si nécessaire, n’a rien de compliqué. C’est précisément ce que réclament les Jinséens, que nous avons longtemps négligés. Durant mon mandat, j’ai tenté de soutenir leur cause, un dossier que je souhaitais véritablement faire avancer, mais c’était un sujet qui exacerbait les divisions, tant au sein de l’Aube que dans d’autres formations politiques. La crainte de perdre une province rappelle les douloureuses cicatrices laissées par Aichi. La perte du Negara Strana a engendré la peur d’un éclatement du Fujiwa, la crainte que d’autres réclament leur part du gâteau, que tout se disloque. Quand on évoque la possibilité pour une province de se détacher de Sokshō, les citoyens fujiwans redoutent le pire. Ils imaginent un scénario où chaque région ferait sécession de son côté, où les clans ressurgiraient de leurs cendres et où la guerre entre seigneurs pour le contrôle du pays reprendrait. Le Fujiwa, malgré les apparences, porte en lui des cicatrices profondes de son histoire nationale.
Je suis convaincu que les Jinséens, bien que faisant partie du Fujiwa, méritent de vivre avec leur propre identité, surtout si celle-ci est menacée. Si le Fujiwa respectait l’existence des Jinséens, il n’y aurait pas de demandes aussi pressantes pour une sécession.
J’ai repris la politique, j’ai participé aux manifestations à Moon, car il est essentiel que les Jinséens voient et comprennent que de nombreux concitoyens les soutiennent. J’ai pris position aux côtés de mon ami Koji Omura, qui aspire à insuffler un mouvement progressiste, un renouveau, une révolution tranquille. Je pourrais revenir au Fujiwa à ses côtés pour porter des ambitions politiques. C’est l’espoir que nous avons tenté de faire renaître chez les Fujiwans lors de notre discours à l’université de Sciences Po de Sokshō en septembre dernier. Autonomie pour les Jinséens, justice sociale, Accords de Sokshō, valorisation de la jeunesse… Ce sont là des revendications simples pour un pays qui les mérite.
HW: Je vous remercie monsieur Toru Sera, d'avoir pris le temps de répondre à mes questions et d'avoir préalablement accepter notre invitation. Nos lecteurs seront ravis de vous lire. Nous vous souhaitons bon courage en espérant vous revoir bientôt.Note HRPLe Dunia! est le journal "référence" du Negara Strana. Bien qu'il reste d'une certaine manière proche du pouvoir, le Dunia! reste officiellement un journal relativement neutre.