10/07/2016
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✒️ Institut National de la Littérature et de la Poésie - Page 2

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Tragédie
LAÉLIA

Jolan

***

Cette pièce est le fruit de mon Amour et de sa beauté.
Je la lui voue du premier au dernier vers.

***

PERSONNAGES
LAÉLIA Fiancée de Joël
JOLAN Confident de Laélia
ALICE Confident de Jolan
SHÉRINE Amante de Valentin
VALENTIN Ancien amant de Laélia
JOËL Fiancé de Laélia

***

ACTE PREMIER
Scène 1
Jolan et Alice

JOLAN
Ô ma si chère amie, savez-vous la nouvelle ?
Je l’apprends à l’instant, et elle est si cruelle
Que je ne puis pas retenir quelques pleurs.
Je le sentais déjà, mais connaissais l’humeur
De ma Laélia qui tantôt est rebelle
Et tantôt tyrannique… J’espérais au moins d’elle
Une réflexion poussée bien au-delà :
Elle qui prend son temps, elle ne le fit pas !
À quoi bon cultiver une réputation
Pour la briser encor par un jeu d’affection ?
Ne pourrait-elle pas tirer de son passé
Des leçons de morale et principes sacrés ?
ALICE
Pourquoi Diable juger aussi sévèrement
Ce qui semble je crois s’être vu de tout temps ?
JOLAN
Vous n’avez pas compris.
ALICE
Alors expliquez-moi
Et cessez donc un peu d’afficher tant d’émoi !
JOLAN
Si toujours elle s’est laissé abandonner
Aux facultés humaines et immondes soirées,
Entraînée sous les feux d’un monde sans pudeur,
Aujourd’hui c’en est trop, elle fait de mon cœur
Un incendie moral dont je suis prisonnier ;
Pour cet Amour secret je finis au bûcher :
Moi sorcier des mots, moi magicien des vers,
Son proche, son ami, son confident, son frère !
Depuis que je la vis je l’adore sans fin
Et voilà qu’aujourd’hui je péris de sa main !
Oui j’ai pu endurer l’observer dans les bras
D’hommes qui la voulaient mais qui ne l’aimaient pas,
Mais maintenant, Alice, cela est bien plus grave :
Elle renonce à tout en se voudrait esclave.
Mon cœur se noie, Alice, dans le flot de mes larmes ;
Je n’ai jamais pu vivre en ignorant ses charmes
Et voilà que demain je me réveillerai,
Ne l’admirerai plus : je la convoiterai
Dans les chaînes d’un autre.
ALICE
Allons bon, terminez !
JOLAN
Eh bien voilà, c’est dit : elle veut se marier.
ALICE
Diantre et quand cela ?
JOLAN
Cet après-midi même !
Comprenez donc l’effroi du seul être qui l’aime.
ALICE
Et que comptez-vous faire ?
JOLAN
Je ne puis plus rien
Sinon faire appeler mon ami Valentin
Pour lequel, j’en suis sûr, elle conçoit encore
L’innocente affection et la passion du corps.
Peut-être celui-ci la pourra plus que moi
Convaincre que l’hymen ne lui conviendrait pas.
ALICE
Mais chacun sait, Jolan, que lui-même est épris
De celle dont les dards navrent tant votre vie.
JOLAN
Mais je n’ai d’autre choix qui tende à mon salut.
S’il faut aimer un jour son rival déchu
Je le ferai cent fois, mille fois ou, qui sait Alice ?
Peut-être que l’Amour attend son sacrifice.
Je le lui donnerai si tel est mon destin
Pourvu que Laélia renonce à mon chagrin.

Scène 2
Alice
ALICE
Quelle miséricorde ! S’il existe un Dieu
Faites que mon ami trouve en un homme odieux
Le secours dont sa vie semble aujourd’hui dépendre.
Si sa joie à une autre ne sait que se suspendre
Il lui faudra beaucoup de courage et d’Amour
Pour survivre aux épreuves d’un monde qui l’entoure
En vouant le tuer. Il ne semble qu’aimer !
Il ne tient que son cœur pour moyen d’exister
Sinon de dépérir de transports qui l’écœurent.
Lui grand Romantique qui ne connaît qu’ardeur :
Sa peine est sincère, sans fin est son Amour,
Lui Tristan, Cyrano, Roméo, de Nemours…
Je le plains qui se perd aux douleurs insondables
D’une inclination et d’une fièvre coupable.
Et moi, sa confidente, je n’ai aucun pouvoir
Sur une âme sans but qui semble s’émouvoir
D’une relation qu’il sait mauvaise en tout
Et pourtant en son cœur, nulle place au courroux,
Contristé grandement d’un si sombre avenir
Causant des peines que lui seul sait pressentir.
Par son cœur affligé de chagrins infinis,
Il veut à Laélia éviter l’agonie
Que lui vaudrait l’hymen qui se prépare encore.
Pour lui c’est un Amour bien pire que la mort !
L’inclination ce n’est ni l’œuvre des richesses
Ni le fait peu moral des corps et de l’ivresse.
L’Amour c’est la folie d’un esprit éperdu :
Perdu à la splendeur d’une femme inconnue
Aux yeux noirs et profonds qui lui sont étrangers,
Aux cheveux maîtrisant un vent presque enragé !
L’Amour c’est la folie sous sa plus belle forme,
C’est la fatalité exprimée loin des normes
D’une affection portée au-delà des frontières
D’une réalité qui n’importe plus guère.
C’est tout cela l’Amour, et tout ce-dont jamais
Nul humain ne pourra achever le portrait.

Scène 3
Jolan et Valentin
VALENTIN
Jolan est-ce bien vous ? Cela fait si longtemps !
Comment vous portez-vous ? Que me vaut votre temps ?
Oh et dites-moi donc : où en sont les Amours ?
JOLAN
Justement, ce ne sont les miennes qui m’amènent
Mais celles d’une amie commune dont l’hymen
Se fera tout à l’heure.
VALENTIN
Et quelle est cette amie ?
JOLAN
Un être qui m’est cher et qui vous l’est aussi
Quoi que nous l’aimions sous différents aspects
En aparté
Il ne sait que des deux mon Amour est le vrai
Croyant que je dis là qu’il l’aime davantage
Reprend
C’est de Laélia que sera le mariage.
VALENTIN
Comment ? C’est insensé ! Il me suffit d’aller
Voir ailleurs une fois : elle veut se marier.
JOLAN
Une fois ? Allons bon, nul besoin de mentir ;
Je vous sais, mon ami, vite enclin aux soupirs…
Mais laissons tout cela car bien au contraire
Je la voudrais à vous.
VALENTIN
Mais Diable pour quoi faire ?
JOLAN
Car je ne consens pas à toute platitude
Il y a quelque chose en son âpre attitude
Qui m’apparaît mauvais pour elle et pour son cœur.
Dois-je vous refaire le récit de ses pleurs ?
Mon très cher Valentin, j’appelle vos bontés :
Mettez aux services d’une cause en danger
Vos charmes dont, je crois, les preuves sont présentes
Et nous assurent ainsi la victoire imminente.
VALENTIN
Très cher Jolan je ne puis pas revenir
Alors qu’il y a peu je souhaitais partir.
Comment verriez-vous un homme qui ne peut
Se satisfaire ainsi de ses anciens vœux.
On me prendrait pour fou ou on m’insulterait !
On parlerait de moi en courtisan mauvais :
Non, non ! Je ne saurais de nouveau la vouloir,
Et bien que mon cœur tende à espérer la voir
Je ne m’égarerai à ces chemins branlants.
Je l’ai aimé, Jolan, et crois l’aimer encore :
Elle veut se marier, je dois faire un effort !
JOLAN
Vous ne connaissez donc pas l’élu de son cœur,
Ou vous céderiez déjà à la langueur.
C’est un jeune insouciant, qui la croyant acquise
Se permet mille mots, des mots que je méprise
Et qui trahissent bien l’imparfaite pensée
D’un homme qui voudrait sa femme dominer.
VALENTIN
Mais ainsi va le monde ! Qu’attendez-vous de moi ?
Qu’en ancien amant je condamne ses choix ?
Vous qui semblez pourtant attaché à son cœur,
Pourquoi ne peut-elle pas trouver son bonheur
Dans les bras d’un homme que vous trouvez infâme.
Si c’est celui qu’elle veut : qu’elle en soit la femme !
Je ne crois plus avoir aucun rôle à jouer
Dans les folles intrigues d’un cœur que j’ai aimé.
JOLAN
J’ai cru que vos mérites vous rendraient estimable,
Et que vos qualités, jadis indiscutables,
Vous feraient deviner la réponse adéquate.
Devant celle qu’avant sans borne vous aimâtes,
Par lâcheté ou peur de vous faire éconduire,
Par crainte illogique de ne savoir séduire
Vous vous dérobez à vos propres opinions.
Est-ce ce-dont l’enfant rêvait pour conviction ?
Laisser aux bras cruels d’un rival sans valeur
Un cœur jadis aimé : est-ce là votre honneur ?

Scène 4
Laélia

LAÉLIA
Plus que quelques heures et je serai mariée,
Quelques heures puis je l’aurai épousé.
Je lui donnerai tout ! Lui que j’aime et admire,
Plus que sa possession : mon cœur est son empire.
Mon César ! Ô Joël ! Tu ne sais combien
J’ai hâte de ce soir, en retenant ta main
Danser cent mille pas, te serrer contre moi
Et tu m’embrasseras, et je serai à toi
Et cet instant magique pour l’éternité
En ma mémoire ainsi que s’il était gravé
Restera en symbole de cet Amour poli
Dont toujours, en bel homme, tu usas sans folie.
Moi qui suis marginale et qui trouve en le monde
Un ennui sincère et une morale immonde,
J’admire en tes actions empreintes du classique
La grande retenue, l’Amour académique :
Je m’y suis pliée. Comment ? Je ne sais pas.
Je me levais un jour et vous étiez là,
Comme si vous saviez que, moi, j’y passerai
En cet instant précis où mon cœur vous touchaitq,
En cette étroite rue dont vous ignorez tout
Bien loin des boulevards où l’on vous voit partout :
Amour, près des dames aux robes impeccables,
Aux colliers de perles, fortunes incroyables,
Aux petits chiens bruyants et aux belles voitures ;
Vous m’avez préférée, ce malgré ma posture.
Homme riche, bourgeois, dans une rue sans rien
Vos yeux se sont posés doucement sur les miens
Et vous m’avez aimée. Si on me le disait
Je ne le croirais pas : pire je jouerais
Sur l’absurdité de ce que vous me portez.
Je ne suis pas riche, et j’aurais tant perdu !
De ce mariage : peu de gens y ont cru,
Ce jusqu’à ce que vous déclariez enfin
Cette réalité, ce rêve qui est mien.
Je change de monde ! On m’aimait pour mon corps
J’acceptais pour ma propre gloire – j’avais tort !
Et car je vous connais je connais un désir
Qui transforme la femme, qui navre, qui inspire
De plus doux sentiments que tout ressentiment,
Promettant à mon cœur une idylle constant.

***


ACTE DEUXIÈME
Scène 1
Valentin et Shérine

VALENTIN
Dame ? Cela est fait ! J’ai tout pu expliquer :
Mon cœur n’est plus fautif et n’est plus fiancé.
Livrons-nous, voulez-vous, à nos excitations :
J’ai attendu longtemps les fruits de nos passions !
Après je vous dirai une triste nouvelle
Mais qui ne changera, à notre Amour rebelle,
Pas grand-chose, Madame, et plus précisément
Absolument rien.
SHÉRINE
Dites donc maintenant !
Vous me donnez envie de savoir tout de suite
Ce dont vous me parliez, aussi je vous invite
À donner sans attendre ce que vous préserviez
À la fin des ébats qui semblent vous presser.
VALENTIN
Oh mais cela n’est rien. Venez, je vous attends !
Si vous le faites bien je dirai sûrement
Ce que votre insistance tend à dissimuler.
SHÉRINE
Excusez ma conduite : ma passion m’a poussé
À employer des verbes que je n’ose redire.
Mais Monsieur comprenez mes préoccupations :
S’il en est de ma vie ou de notre liaison
Je tiens absolument à en être avertie
Non par égoïsme mais bien pour prévenir
Tout chagrin altérant ce que nous partageons.
VALENTIN
Puisque vous insistez, Madame, oui parlons.
Je suis libre à présent, libre de vous aimer,
Libre de vous combler, libre de vous marier…
Toutefois un ami est revenu me voir.
Ses yeux, que je connais, disaient son désespoir !
Une ancienne aventure souhaiterait se marier
Or ma Laélia – si je puis la nommer –
N’a aucune raison d’accorder à cet homme
Une inclination. Certes il a une somme
En poche qui est, en effet, considérable,
Mais l’Amour pour l’argent : est-ce là honorable ?
C’est car je ne le crois qu’il me faut m’en aller
Qu’il me faut, Madame, lutter pour mes idées
Qui font de moi celui que vous admirez tant.
L’Amour – vous le savez – n’est dicté par l’argent :
Le désir est son verbe : aimer c’est l’indécent !
Oui aimer ce n’est pas prêcher la religion
Vouloir être fidèle… Un peu d’ambition !
L’Amour c’est l’aventure, et aimer c’est la guerre !
Aimer c’est voler pour sortir de la misère,
Dépuceler les belles, cocufier les croyants,
Arracher aux poètes et vers et sentiments !
L’Amour c’est une rage qui ne connaît de loi,
C’est une barbarie où le fort, dans son droit,
Triomphe sur les beaux et les intelligents.
Que vaut l’Amour qui a pour substrat l’élégant ?
Rien et par mon départ je m’en vais le prouver.
N’ayez crainte Madame, de mon cœur vous restez
La maîtresse absolue, tant que dès mon retour
Je vous promets chacun de vos rêves d’Amour.

Scène 2
Shérine

SHÉRINE
Homme vivant encor en un siècle passé :
Ignorant et nigaud, inepte et dépassé.
Il ne comprend donc pas que la femme a un cœur,
Que ce dernier est libre et n’attend de sauveur.

Scène 3
Valentin et Laélia

LAÉLIA
Quel est cet inconnu que j’aperçois au loin ?
Son pas : je le connais, je le connais trop bien !
Et son petit regard, et ses beaux cheveux blonds,
Son collier, son sourire, sa voix : sa perfection…
Monsieur ! Êtes-vous celui que j’ai aimé ?
Oh ! Seigneur ! Vous me le rappelez…
VALENTIN
Oui, ma Laélia, et je reviens ici
Après que j’ai appris ce matin d’un ami
Que cet après-midi vous alliez vous marier.
Or, car je vous connais, et vous sais tourmentée,
Que votre jugement fut sans doute hâtif.
Nous nous sommes aimés d’un caprice lascif,
Certes, mais j’ai toujours gardé pour votre cœur
Un quelque emballement, une quelque fureur.
Madame, j’ai conscience que je reviens trop tard
Et je ne veux en rien détruire votre histoire.
Comprenez seulement le chagrin qui m’atteint
En apprenant ce jour que même un Valentin
Ne suffit à combler les aspirations
Sentimentales à qui mon inclination
Est acquise, et mon cœur entièrement conquis.
Ne dites rien Madame. C’est là mon ressenti,
Mon immense tristesse et unique affection,
La flamme d’une vie brûlant d’affliction.
LAÉLIA
Oh mon doux Valentin ! C’est après tant d’années
De mièvre relation que vous vous dévoilez…
Nous nous aimions pourtant vous fîtes, seul, ce choix
De vous tourner ailleurs, de partir loin de moi,
Comme si mon Amour n’était à votre cœur
Un présent assez fort et qu’il fallut mes pleurs.
Je n’ai oublié ni vos sublimes étreintes
Ni le goût des baisers, me laissant une empreinte
Brûlante aux lèvres et un air d’inachevé.
Mais il est bien trop tard : je m’en vais me marier.
Ce soir sera signé la mort de mes désirs
Comme l’espoir d’un beau jour vous redécouvrir.
Maintenant Valentin partez bien loin de moi.
VALENTIN
Comment donc le faire navré d’un tel émoi ?
LAÉLIA
Je ne puis refuser votre Amour et pourtant
Vous savez qu’il le faut : joue contre nous le temps !
VALENTIN
Est-ce donc là, Madame, votre ultime parole ?
Dois-je me contenter d’un remord si frivole
Que tout de cet Amour que vous dites porter
Me semble une invention pour ne point me blesser ?
Dois-je partir ainsi, sachant que nous aimons
Chacun l’autre mais que, par goût de l’abandon
Vous avez décidé d’ignorer mes transports
Et de mépriser votre Amour. Vous avez tort !
Madame ce n’est-là ma conception du cœur.
LAÉLIA
Je vous en prie, partez ! Comprenez ma douleur !
VALENTIN
C’est plus que la comprendre si je la partage !
Ne voyez-vous pas qu’il est de mauvais présage
D’aimer un homme autre que son propre mari,
Et cela même avant de lui avoir promis
Toute fidélité.
LAÉLIA
Mon très cher Valentin,
J’ai souffert avec vous. Vos plaisirs libertins
N’ont jamais de limite et causeront ma mort.
Je n’ai plus à la bouche qu’un mot que j’abhorre :
Partez. Monsieur partez aussi vite, aussi loin
Que vos pas vous sauront porter. Je ne veux point
D’un Amour insincère, de leçons de morale
Venue d’un homme qui tient sur un piédestal
L’Amour dans l’inconstance et dans la tromperie.
Partez, Valentin, je ne veux de cette vie.

Scène 4
Laélia

LAÉLIA
Quelle folle passion pénètre donc mon cœur ?
Une belle invention ? Quelle ignoble langueur !
D’un côté ma raison toute entière voudrait
Que j’épouse Joël et mon destin serait
D’avance désigné : nous serions heureux
Et infiniment riches, et toujours amoureux
Mais nous demeurerons ainsi que l’imagine
Un groupe face auquel ma conscience fulmine.
Et mon cœur… Ah mon cœur ! J’ignore s’il vivra !
Il est trop attaché à celui qui m’aima…
Que faire de cela ? C’est un combat mortel
Dont je ne triomphe. Dilemme criminel
Entre cœur et raison, une démence, une autre…
De ces absurdités dont je suis apôtre
L’Amour ne se cache jamais et il s’en vante.
Si je semble perdue et ma vie dans l’attente
D’un réveil soudain me tirant du chagrin,
C’est dans très peu de temps que les cloches d’airain
Acteront pour toujours une union dont j’hésite.
Pourquoi donc fallut-il que je me précipite
À vouloir me marier avec un inconnu ?
Je l’ai croisé un soir et car il m’était doux,
Car il était riche et moi-même sans un sou
Je lui donnai raison qui voulant m’épouser,
Et me voilà alors qui cesse de rêver.
Ma vie est cauchemar et le réel enfer !
Tout mon cœur accablé se morfond dans les fers
D’une proche échéance déterminant ma vie.
Qu’ai-je fait, ô Dieu, pour mériter ceci !

Scène 5
Laélia et Jolan

LAÉLIA
Ô Jolan soulagez un cœur qui d’un dilemme
Ne sait plus que souffrir : ne sait plus qui il aime !
Je m’étais promise au mariage avec Joël
Et je croyais l’aimer, non jusqu’au passionnel,
Au moins assez pour lui accorder ma vie.
Voilà que Valentin de son idolâtrie
Révèle la nature, m’implorant d’un Amour
Que j’ai offert ailleurs et pleurerai toujours.
On m’offre pour issue de perdre mon honneur
Ou, si je ne le fais, de négliger mon cœur.
Cruelle destiné qui s’oppose à mes joies !
JOLAN
Je comprends de vos mots l’immense désarroi
Qui lacère l’espoir de votre histoire d’Amour.
Regrettable, Madame, se trouve le retour
D’un être que jadis vous avez tant aimé,
Mais il vous faut savoir que de votre hyménée
Rien de bon n’aurait pu jamais en ressortir.
Si vous aimiez Joël, et ce sans vous mentir,
Jamais aucun retour d’un ancien amant
N’aurait mis en péril tous vos événements.
Mais enfin permettez que je vous dise au moins
Ce que je pense aussi de votre Valentin.
Se présentent à vous deux hommes différents :
L’un qui recherche en vous le triomphe indécent
D’un beau couple ordinaire en posture sociale ;
L’autre ne se voit pas vous demeurer féal
Et ne vous aime que comme objet érotique.
De l’Amour chacun a sa conception unique
Toutefois je ne puis qualifier les leurs
D’inclination au sens où l’Amour c’est le cœur
Qui s’exprime et non pas un cerveau ou phallus :
Vous marier serait une victoire à la Pyrrhus.
Que peut donc bien valoir un hymen dénué
De toute affection et de sincérité ?
LAÉLIA
Mais il me faut choisir et ne puis tarder.
JOLAN
Alors laissez Madame votre cœur vous guider.
Laissez-le dire tout ce qu’il murmure bas,
Ce que vous refusez comme votre combat
Mais qui pourtant reste le sein de votre vie.
Et car vos sentiments vous me les avez dits
Je puis m’exprimer comme vous le souhaitez.
C’est avec Valentin qu’il vous faut vous marier
Car je crains que lui seul vous puisse procurer
Un bonheur que vous seule semblez mériter.
Ne croyez pas, Madame, que je trouve un plaisir
À vous savoir toujours condamnée à souffrir.

Scène 6
Shérine

SHÉRINE
Amour et solitude : ces mots forment ma vie.
J’aime un homme qui a pour unique défi
Le libertinage sans mesure ni loi.
Je dois avouer qu’en cela il me déçoit…
Mais j’attends son retour avec grande impatience,
Qu’enfin je profite d’un homme dont l’absence
N’a su que trop durer. J’ai été sa maîtresse,
Ne pouvant supporter celle dont la paresse
Charnelle rendait leur relation sans saveur.
Heureuse j’ai appris qu’il l’avait dû quitter
Mais je sais, tourmentée, que ce fut pour trouver
Celle dont autrefois il était tant épris…
Et il me laisse attendre ? Personnage maudit !
Valentin est ainsi : l’Amour n’est pas sacré.
Il n’est ni poétique, ni même attentionné ;
Il a pour unique conduite la luxure.
Et qu’ai-je à y redire ? C’est là une posture
Dont je profitais quand il trompait son épouse,
Mais aujourd’hui c’est moi qui dois être jalouse.
J’attendais follement un Amour convoité
Et alors qu’il m’arrive, je le vois écarté !
Non non ce n’est pas là la liaison que je veux
Et s’il ne souhaite pas prendre en compte mes vœux
Je trouverai bien un ultime moyen
Pour que mon amant daigne m’écouter enfin.

***


ACTE TROISIÈME
Scène 1
Jolan et Valentin
VALENTIN
Mon cher ami Jolan, si je suis revenu
Ce n’est que grâce à vous : vous m’avez convaincu
Que le mariage qui se prépare n’est
Pour ma Laélia ce qui lui conviendrait.
JOLAN
Par pitié ôtez moi l’article possessif
Devant un nom que vous voulez sortir des griffes
D’un mari dont les fers vous semblent trop violents.
Tâchez de point la remettre en des tourments
Tout à fait similaires à ceux dont on la garde !
Et ne vous croyez pas, sous des pensées ringardes,
Être le beau sauveur, sublime chevalier
D’une princesse qu’il vous fallut délivrer.
Car nous partagions de l’Amour la vision
Vous deviez parler de son inclination
À Laélia qui est un petit peu perdue.
Vous voulez qu’elle vous sacrifie sa vertu ?
VALENTIN
Je ressens en vos mots quelque animosité.
Jolan qu’ai-je pu faire qui vous put irriter ?
JOLAN
Alors que je voulais offrir à Laélia
Le temps de réfléchir et de trouver sa voie
J’ai requis votre aide pour venir lui parler
Et j’apprends à l’instant que vous la désirez.
L’objectif n’était pas d’influencer sa vie,
De blâmer un Amour ou changer ses envies,
Encore moins de faire naître en elle des peurs,
Des craintes et des doutes, des regrets et malheurs.
Moi qui espérais tant voir de votre sagesse
Des effets sur son cœur, véritables prouesses,
Jamais je n’en aurai même vu la couleur.
Aimez donc, mon ami : vous n’êtes son sauveur.

Scène 2
Jolan et Alice
JOLAN
J’ai tout perdu Alice, elle ne m’aime pas,
Demeurant sous les charmes d’un prétendant ingrat.
Que faire ?
ALICE
La laisser.
JOLAN
Vraiment ?
ALICE
Assurément.
JOLAN
Est-ce là ma morale ?
ALICE
C’est là votre tourment.
Acceptez le chemin que la fortune veut !
JOLAN
Mais comment voulez-vous que je demeure heureux
La sachant volontaire à toutes tortures
Que lui prépare encor un ignoble futur
Dont elle ignore tout.
ALICE
Mais ce fut là son choix !
JOLAN
Elle ignore que l’homme qu’elle épouse la croit
Destinée à vivre comme sa possession.
Ne pas l’en prévenir c’est tout un abandon
De celle que j’aime et de toutes mes valeurs.
ALICE
Alors courez, Jolan, écoutez votre cœur !
Dites à Laélia ce qui vous trouble tant,
Dites-lui la nature de tous les sentiments !
JOLAN
J’y cours, ma confidente ! Merci pour votre avis !
Je ne lui dirai rien sans qu’elle eût, de sa vie,
Tracé d’elle-même une destinée qu’elle veut.
Je lui dirai, Alice ! Lui dirai que mon vœu,
L’unique, singulier : ma seule volonté
Est de toujours la voir et de pouvoir l’aimer.

Scène 3
Valentin et Laélia

LAÉLIA
Mon très cher Valentin !
VALENTIN
Ma douce Laélia !
LAÉLIA
Je venais vous parler.
VALENTIN
Parlez donc : je suis là.
LAÉLIA
Je suis résolue à ne point me marier
Avec un homme qui songeait à m’épouser
Pour la gloire sociale de tenir en sa main…
VALENTIN coupe Laélia
Une femme indomptable ?
LAÉLIA
Voyons mon Valentin !
VALENTIN
Je ne puis vous dire que mon admiration.
Votre courage est grand, belle est la décision
Que vous prîtes, Madame. Laissez-moi demander
Si ce sont donc mes mots qui ont su arracher
À Joël une femme qu’il ne méritait pas.
LAÉLIA
De la franchise que j’ai pris pour habitude
Je ne puis m’affranchir : et si votre attitude
A su me séduire, ne croyez pas que je
Suis femme qui désire, prenant cela pour jeu.
Toutefois vos paroles ont su toucher mon cœur,
Révélant sa nature, sa véritable ardeur,
Que je conçois pour vous et non plus pour quiconque.
VALENTIN
Madame n’avez-vous peur de calomnies quelconques ?
LAÉLIA
Mes anciens amants se sont évertués
À salir mon honneur : je ne puis le laver.
Comprenez qu’en cela je ne risque plus rien :
Le monde déjà voit en moi une putain.
VALENTIN
Ne dites pas cela…
LAÉLIA
Comment le voulez-vous ?
Votre départ fut à l’origine de tout !
VALENTIN
Oui, je fus abruti mais ne me blâmez pas !
Vous fûtes mon amante, et ce fut votre choix !
LAÉLIA
Une amante espérant un jour vous épouser !
VALENTIN
Alors faites, Madame, ce souhait exaucé.
LAÉLIA
Le pensez-vous vraiment ?
VALENTIN
Assurément Madame.
Sachez que jamais ne s’est éteinte la flamme
Qui brûlait autrefois au regard de vos yeux.
Croyez-moi, mon Amour, je suis amoureux.
LAÉLIA
Valentin je vous crois.
VALENTIN
Par pitié acceptez
Un mariage.
LAÉLIA
Quand ? Où ?
VALENTIN
Mais sans plus patienter !
Le prête nous attend dans une heure à l’église.
Y serez-vous, Madame ?
LAÉLIA
Oui vous m’avez conquise.
Permettez seulement que j’aille méditer :
Je n’étais préparée à vous être mariée…
VALENTIN
Vous le serez pourtant, et cela dès ce soir !
Allez donc, Laélia.
LAÉLIA
Je vous dis au revoir.

Scène 4
Laélia

LAÉLIA
Ô Jolan, qu’ai-je fait ? Moi-même je m’oblige
À un mariage que mon bien-aimé exige.
Et s’il me faut l’aimer comme je le voudrais,
A-t-on réellement un quelconque intérêt
À sceller un pacte, un accord plus social
Et plus sexuel que vraiment sentimental ?
Pourtant – j’en ai conscience – si je ne le fais pas
Pour sûr, comme jadis, il m’abandonnera.
Peut-être de l’Amour est-ce un prix à payer
Bien que je n’y trouve nulle félicité.
Ô pourquoi fallut-il que je sois à ce point
Amoureuse d’un homme qui ne veut que ma main ?
Je ne puis pour autant retenir mes sourires
En sachant qu’il voudrait à jamais nous unir,
Comme si de nos vies ne restait qu’un dessein ;
Celui de nous aimer d’une affection sans fin.
Quelle étrange impression que celle d’endurer
Le bonheur d’un hymen que je n’ai pas souhaité.
Valentin car de vous je me fais une image
Que ni mon confident ni mes proches partagent
J’espère avoir compris en vous des qualités
Et non de vos défauts m’être, seule, aveuglée.
Comprenez-le sans peine : j’ai de la réticence
À nous voir nous marier malgré votre inconstance
Mais car mon cœur vous doit une confiance entière,
J’accepte sans réserve et malgré vos travers.
Le mariage auquel vous semblez attaché
M’intrigue, et je dois dire, par un air amusé,
Qu’il me plaît de savoir que ces engagements
Qui nous sont nouveaux, vous somment au dévouement.
Non que je doute encore de votre loyauté,
De votre bel Amour que vous me consacrez
Ou de la volonté d’assumer notre union.
Sachez mon Valentin toute l’admiration
D’une femme que vous sauvez du sacrifice.
Je m’étais à jamais condamnée au supplice
D’un hymen dont la fièvre serait vite tombée.
Si j’ai cru de son cœur pouvoir m’accommoder
En pensant me complaire m’affichant à son bras :
Je n’avais pas compris que l’affection n’est pas
Résultat d’une histoire faite à la société.
Et car je ne l’aimais en voulant l’épouser
Sans comprendre ce qui posait ici problème,
Je me rends compte qu’on ne choisit ceux qu’on aime,
Qu’il est vain d’espérer s’éprendre des meilleurs
N’ayant point de logique en les ordres du cœur.
Il me faut, maintenant, pleinement assumer
Ce magnifique Amour et ce proche hyménée
Qui déplairont sans doute à tout mon entourage,
Mais je n’ai que faire de leurs gloses ; un courage
S’est levé en mon sein, m’animant désormais
Et je puis leur avouer qui j’épouserai.

***


ACTE QUATRIÈME
Scène 1
Jolan et Laélia
LAÉLIA
Il me faut vous le dire, cela avant tout autre :
J’ai fait le curieux choix, et celui qui fut vôtre,
De suivre mon instinct et d’écouter mon cœur.
Celui-ci me soufflait, plein de joie et d’ardeur,
D’épouser Valentin en repoussant Joël.
J’ai fait dire au dernier, sans lui chercher querelle
L’annulation de ce mariage que je hais
Et qui pour mon inclination symbolisait
La prison d’une vie guidée par le mensonge.
J’y aurais cru, pourtant, à ce miséreux songe
Qui me promettait tant : la richesse et la gloire.
Au Diable les rumeurs : calomnies dérisoires !
J’aime sincèrement un homme qui toujours
M’a conçu tendrement le plus beau des Amours.
Valentin, lui aussi, sait toute ma pensée ;
Il nous est convenu d’aller nous marier.
JOLAN en aparté
Comment donc lui dire tout ce-dont j’ai conscience
Mais que son cœur, aveugle, omet par innocence ?
La ferais-je douter ? Et serait-ce donc mal
Que de lui rappeler ce que cet animal
Voit en elle à laquelle je tiens si fortement ?
Un objet Laélia, et du reste il vous ment !
Comment pouvez-vous donc ignorer les travers
D’un homme qui jadis causa votre misère
Et vous abandonna pour aller voir ailleurs ?
Apprenez donc, Amour, de vos vieilles erreurs !
LAÉLIA
Mon très cher confident, vous me semblez pensif,
Vous qui à l’ordinaire êtes si expressif !
JOLAN
À vous le dire vrai : je n’étais préparée
Au fait, si promptement, de vous voir succomber
Aux mots d’un homme qui ne vous est qu’inconnu,
Car celui que jadis vous aimiez n’est plus.
C’en est un différent qui revient dans vos bras,
Et s’il en est un autre, je ne blâmerai pas
Ses valeurs qui pourtant ne sont pas les miennes.
LAÉLIA
Cela n’a pas de sens ! Et pourquoi tant de haine ?
JOLAN
Au contraire, Madame, vous n’avez pas compris
en aparté
Que d’un sinistre Amour de vous je suis épris,
reprend
Que je cherche avant tout juste votre bonheur.
Je ferai mille fois confiance en votre cœur,
Et s’il dit être sûr de vouloir se donner,
Je ne puis, Madame, pas l’en dissuader.
Quand aura donc lieu votre cérémonie ?
LAÉLIA
Je le retrouverai, seul, cet après-midi.
Il n’y aura que le prêtre lui et moi
Car nous n’avons le temps, les moyens et la foi
D’organiser encor un nouvel hyménée :
J’en veux être à jamais enfin débarrassée…
JOLAN
On ne dansera pas ?
LAÉLIA
Quand le voudriez-vous ?
JOLAN
Je ne le sais pas mais j’imaginais que vous
Tiendriez à cela qui semblait tant vous plaire.
LAÉLIA
Mon ami, quand cela ? J’aurais aimé le faire…
JOLAN
Faisons-le maintenant !
LAÉLIA
Mais que voulez-vous dire ?
JOLAN
Attelons-nous-y donc, si c’est votre désir !
M’accorderiez-vous, Madame, cette danse ?
Il la prend contre lui.
Suivez-moi, chaque pas, et valsons en silence.
Oubliez un instant qu’une réalité
Existe : nous avons su nous en écarter.
Car je sens contre moi vos deux mains qui me brûlent,
Et votre cœur qui bat, vos charmes qui m’acculent
À ne plus oublier cet immense plaisir
Que vous pûtes jusqu’au mariage m’offrir.
Madame, comprenez ! C’est que j’ai peur pour vous…
J’ai peur que Votre Amour et éperdu et fou
Vous empêche de voir qu’il veut que votre corps
Soit sa possession.
LAÉLIA
Mais…
JOLAN en la repoussant
Oui je l’abhorre
Et ne vous l’ai point dit pour rien influencer.
LAÉLIA
Mais maintenant, Jolan, je me suis engagée
À le voir sans attendre pour lui dire l’Amour
Que je ressens encore !
JOLAN
J’envie votre bravoure :
Vous en aurez besoin pour toute votre vie.
Revenez donc me voir quand vous lui aurez dit.

Scène 2
Jolan et Valentin

JOLAN
Mon très cher Valentin je vous dois avouer
La complainte d'un cœur, le fond de ma pensée
Qui, je crois, vous fera sans peine me haïr.
Ne croyez pas, Monsieur, que je veuille trahir
Un ancien ami que j'estime toujours.
Pour votre Laélia j'éprouve tout l'Amour
Que le monde puisse porter à une femme.
Sachez au moins qu'elle ne sait de quelle flamme
Mon cœur brûle pour elle. Non, ne dites rien !
Si elle vous aime et que votre destin
Est d'exister ensemble, il en sera ainsi
Et je ne me ferai avocat que mes maux
Je ne chercherai à planter dans votre dos
La dague d'un Amour que je pleure sans cesse.
Car elle voit en vous une quelque noblesse
Que j'ai peine, j'avoue, à me représenter
Je vous dois mon respect et mon honnêteté.
C'est donc en cet esprit que j'ai voulu vous dire
Que pour Laélia je suis prêt à mourir.
VALENTIN
Ainsi pour la promise vous vous faites capable
D'achever votre vie. Ce n'est point expiable !
Allons, mon bon Monsieur, venez me le prouver :
Sortez de son fourreau votre vieille épée.
Valentin tire la sienne.
JOLAN
Non Monsieur je ne crois que cela soit souhaitable.
Je vous ai fait récit d'un désir qui m'accable
Et m'en vais heureux de m'en être pu confier.
VALENTIN en lui bloquant le passage
Non Monsieur ! Vous pensiez vraiment que je pourrais
Accepter que votre cœur adore en secret
Celle qui, dès ce soir, me sera mariée ?
Regrettez donc, Jolan, votre naïveté !
JOLAN
Non Valentin je ne puis vous reconnaître
Quand vous me menacez et que vous semblez être
Celui que jamais je n'avais vu en vous.
Renoncez, mon ami, à de pareils courroux !
Je refuse pour vous, indiscutablement,
De sortir une arme que je méprise tant.
Pour unique arsenal je préfère mon verbe
Et si vous n'en voulez, voyez votre superbe
Comme le grand défaut qui vous fera périr.
Aussi vous quitté-je pour éviter le pire.

Scène 3
Jolan et Laélia

JOLAN
Quand nous aurons parlé je ne suis pas certain
Que de nous il reste le plaisir enfantin
D'une belle amitié détruite par mon cœur.
Car les mots ont un sens, pour mon plus grand malheur,
Il convient que je cesse de m'en affranchir
Et que je renonce aux malicieux désirs
D'ambiguës rhétoriques et euphémisations
De ce que vous dois : mon admiration.
Laélia je vous aime, aime d'une affection
Qui ne connaît de borne, cruelle passion :
D'une inclination encore inachevée.
Comprenez en l'Amour ce qui peut me blesser,
Ce qui peut me peiner, me désole et me navre,
Ce qui pourfend mon cœur, moi ignoble cadavre
En sursis par tous vos charmes irrésistibles.
Tout cela vous déçoit ? Ma folie est risible...
Moi simple confident qui vous aime sans fin
Et qui pire : ose encore espérer votre main !
L'Amour c'est donc aussi ce qu'il a de commun,
De bête et régulier, d'affreux et quotidien,
Soit un ridicule qui titille vos lèvres
D'un rire moqueur quand moi j'en subis la fièvre.
Comprenez donc au moins que c'est moi qui subis
Le fait d'être de vous à ce point-là épris.
N'attendez de ma part aucune explication :
L'Amour est insondable, ne connaît de raison
Et intrigue dès les faibles lueurs d'espoir
Premiers éclats d'affect, prologues d'un déboire
À un sombre déclin, un infâme déni.
Est-ce aussi de l'Amour votre philosophie ?
De sa grande lettre, de son A capital,
De ses vieux traits hautains et son air impérial
Il m’observe, attentif à chacun de mes gestes
Et semble me railler. C’en est un coup, dam, peste !
Pire qu’un châtiment : une malédiction
Qui s’abat tristement ; plein de fascination
Je la contemple ainsi qu’un tableau sans couleur
Sans me rendre compte que j’en suis l’auteur
Et l’objet, la victime, le mort : je ne sais plus.
Et que valent ensemble ces Amours éperdues ?
Rien. Rien qu’une douleur qui déchire mon âme
Qui pèse à mes épaules. Ô Amour que je blâme,
Vous qui m’êtes un Dieu qui ne connaît de paix :
Acceptez de mon cœur les honnêtes regrets,
Acceptez de mon cœur la belle confidence
D’une inclination qui ne vous fait offense !
J’aime avec un plaisir qui vous doit faire honneur,
D’une jolie démence, d’une sincère ardeur.
Ainsi je serais fou ? Tout cela m’est égal
Tant que je puis aimer j’atteins mon idéal
Quoique pleurant un sort qui ne m’est favorable
Et qui offre à d’autres la femme formidable
Que j’aime, chéris et ai pour unique rêve.
Sachez qu’en mon esprit il n’y a point de trêve :
La nuit comme le jour elle hante ma vie.
Qu’est-ce sinon l’Amour, sinon cette folie
Que d’entendre en tout son celui de sa voix.
Laélia, je vous aime sans en avoir le choix !
LAÉLIA
Mais mon très cher ami, pourquoi vous être tu
Pendant bien des années ? Lorsque j’étais perdue
Vous fûtes ma lumière contre l’obscurité.
Lorsque j’aimais vous fîtes tout pour m’encourager.
Et si j’ai pu vous dire toutes mes confidences,
C’est que je vous offrais la pleine ma confiance.
Pensez-vous que je blâme ainsi vos sentiments ?
Non je regrette que vous ne m’ayez avant
Témoigné cet Amour qui cause votre peine.
Que pûtes-vous donc craindre ? Ma tristesse ? Ma haine ?
Je suis blessé que vous me pensiez ainsi,
Comme si tout cela changeait ce que je suis,
Ce que vous êtes et ce qu’ensemble nous formons.
Si j’osais espérer que dans nos relations
La sincérité fut le sein de nos échanges,
Je constate, attristée d’une émotion étrange,
Que jamais rien de tout cela fut réciproque.
JOLAN
Laélia je comprends la manière équivoque
Dont alors vous pouvez interpréter mes faits,
Mais toujours près de vous j’agis sans intérêt.
C’est car je suis épris que je tiens tant à vous !
C’est car tristement je vous aime plus que tout
Qu’il m’est nécessaire d’assurer tous vos soins.
Si parfois j’ai voulu préserver votre main,
Jamais je n’ai rêvé la garder contre moi.
Non, ma Laélia, je veux votre bonheur
Et sais pertinemment avec quelle langueur
Valentin souhaitera retrouver ses anciennes amantes.
LAÉLIA en serrant Jolan dans ses bras
Vous ne savez combien je redoute qu’il mente,
Combien je m’inquiète de ses choix à venir.
Je l’ai déjà connu, je l’ai déjà aimé,
Et je crains grandement qu’il n’ait jamais changé.
La blague qu’il mettra tout à l’heure à mon doigt
Sera ma prison de ce jour à mon trépas.
Ô Jolan, serrez-moi tant que vous le pouvez !
C’est vous depuis toujours que j’aurais dû aimer,
Mais vous savez qu’on ne peut jamais à l’Amour
Ordonner un chemin, et pour chaque détour
Il vous en fait payer un prix bien trop amer.
JOLAN
Pour vous j’aurais donné jusque dans la misère…
LAÉLIA
J’en suis désolé.
JOLAN
Non ne le soyez pas.
Il se dégage de l’étreinte de Laélia.
Il vous faut y aller. Adieu Laélia !
LAÉLIA
C’est le cœur tourmenté que je vais loin de vous !
Sachez que de ma vie vous fûtes presque tout.

***

ACTE CINQUIÈME
Scène 1
Shérine et Alice

SHÉRINE
Ne triomphent les mots dont ne suivent aucun fait,
Et car je l’ai aimé, l’ai chéri et pensais
Qu’un jour il reviendrait ainsi qu’il me le dit,
Je vois la mariée sous des traits ennemis.
J’ai appris le mariage dont l’Amour me revient…
J’ai appris que celui qu’on nomme Valentin
N’est en réalité des cœurs non pas un dieu
Mais une sorte, au plus, de démon vicieux
Qui la main dans le sang déchire les parois
D’un cœur qui, amoureux et plein de désarroi
Ne sait se protéger des griffes acérées
D’un homme dont la faim n’est jamais épuisée.
S’il faut mettre une fin à ce curieux théâtre,
Monde fou et abject où moi-même j’idolâtre
Un homme que pourtant je voudrais exécrer,
Dis-moi pourquoi, Amour, tu demeures indompté !
Dis-moi comment je puis supporter cette vie
Où le jour est pour moi synonyme de nuit,
Où la mort ne m’est plus qu’un remède idéal
Et le chagrin d’un cœur un sentiment banal.
Ô spleen ténébreux qui navre ma conscience,
Dure déréliction, impitoyable absence,
Acerbe solitude, affligeant abandon,
Pourquoi dois-je endurer autant d’affliction ?
J’aime depuis toujours d’une affection sincère,
J’ai été fidèle pendant ses adultères,
J’ai attendu longtemps qu’enfin l’honnêteté
Lui traverse l’esprit et qu’il daigne quitter
La femme dont la main était toujours la sienne.
Mais voilà que libre de ses obligations
Comme je l’ai souhaité ces années de liaison,
Il part à la conquête d’êtres qu’il a aimé.
Et moi, dans tout cela, je ne dois m’indigner ?
Car la force des mots n’a pas su raisonner
Un cœur dément, un corps enclin à la débauche,
Un esprit perverti qui n’a pour seule ébauche
Et pour unique fin que le stupre en discours.
J’ai dû me résoudre à cet ultime recours :
Détruire l’origine de tous mes sentiments,
Anéantir enfin l’objet de mes tourments,
Et venger mon Amour, et tuer l’être aimé.
ALICE
Mais que dites-vous là ? Cessez d’halluciner !
Valentin est parti et ne reviendra pas,
Vos paroles et vos actes s’inscrivent déjà vains.
Vous le voulez fidèle ? Vous n’y parviendrez point.
Il est un homme pour qui lasciveté fait foi.
Aimez donc un autre homme ou bien n’aimez pas.
SHÉRINE
Je puis plus me perdre ainsi en les chimères
D’un Amour inconnu que j’ai voulu sincère.
Non ! Cela je le fais pour adoucir ma peine
Pour faire s’exprimer mon chagrin et ma haine.
ALICE
Mais enfin, Madame, vous devez renoncer
À des tels desseins et des telles pensées.
À quoi bon s’acharner et vouloir le trépas
D’un homme qui jamais plus ne vous aimera.
SHÉRINE
Mais Diable pourquoi ? Il me l’avait promis,
Pourtant il n’en est rien.
ALICE
Car il vous a menti
Et n’a jamais compté revenir à vos bras.
Il scelle par l’hymen l’ardeur qu’il vous porta
S’empêchant ou bien de revenir vous voir,
Ou d’avoir une éthique tout en risquant sa gloire.
Il excelle en cela : briser les espérances
De tout cœur qui le croise, de tout regard qui passe :
On voit sur son passage que l’Amour y trépasse.
SHÉRINE
Vous pouvez essayer : rien ne raisonnera
Un cœur qui s’est perdu aux troubles de ses bras
Et qui demeure seul, et se voudrait vengeur
Un grand sourire aux lèvres et aux yeux des pleurs.

Scène 2
Alice et Jolan
ALICE
Mon ami ! Je vous dois prévenir maintenant
D’un fait dont j’ai été informée à l’instant.
Je vous dois rendre compte de tout ce que sais
Sans attendre. La vie de vos proches paraît
Menacée d’un courroux dont les agissements
Se veulent sanguinaires, cruels et imminents.
Il ne nous reste que quelques minutes pour
Déjouer le crime d’un vicieux Amour.
JOLAN
Comment ? Qu’avez-vous dit ? Madame, reprenez.
S’il est vrai que l’on veut à l’hymen attenter
Il nous faut agir vite.
ALICE
J’ai croisé à en venant
Au funeste mariage que vous abhorrez tant
Une demoiselle qui partageait aussi
La haine du rival qui détient votre amie
Mais entre vous il y a une différence :
Elle souhaite la mort comme une récompense.
Valentin fût longtemps tout l’Amour de sa vie,
Et elle, son amante, sans cesse l’attendit
Jusqu’à ce qu’elle apprenne qu’il allait se marier
Avec Laélia, et cela sans tarder.
C’est alors sous l’empire d’un deuil sentimental
Qu’elle prit pour dessein de venger tout son mal,
Et sans plus m’expliquer le fond de tous ses plans
Elle s’en est allée au lieu où à présent
On voudrait célébrer les noces pathétiques.
JOLAN
Pauvre Laélia : seule face au tragique
D’une situation qui dépasse sa vie !
Si on la blesse, Alice, et si elle périt
Ne cherchez en mon cœur nulle consolation.
Je serai moi aussi un enfant de Charon.

Scène 3
Jolan et Shérine

SHÉRINE
Oh Jolan, dites-moi : partageons-nous tous deux
Le désir absolu de ne les voir heureux ?
Pensez-vous comme moi que cet absurde hymen
Légitime mes peurs et excuse ma haine ?
Pendant plusieurs années j’ai été une amante
Et gentille, et aimante, et sincère, et patiente
Mais voilà qu’aujourd’hui j’apprends que Valentin
Dans mon cœur amoureux, par un plaisir mesquin
Plante la dague qu’est ce mariage insensé.
Que puis-je donc leur faire sinon me venger ?
JOLAN
Si vous l’aimez !
SHÉRINE
Je l’aime !
JOLAN
Aimez donc son bonheur !
SHÉRINE
Mais il s’oppose à tous et cause nos malheurs !
Vous aussi, je le sais, car Valentin l’a dit :
Vous aimez celle à qui je ravirai la vie.
JOLAN
Oubliez tous ces plans qui ne mènent à rien !
Acceptez, comme moi, votre triste destin
Qui vous veut à jamais le cœur désenchanté.
SHÉRINE
Je ne puis survivre le sachant se donner
À celle que vous-mêmes avez toujours chérie.
Ils se joueraient de nous ? Ils en paieront le prix !
JOLAN
Je vous en conjure, Madame, n’insistez.
SHÉRINE
Sinon quoi, Romantique, vous tireriez l’épée ?
JOLAN
Ce ne sont là des choses que je n’aime point faire…
SHÉRINE
Il le faudra pourtant !
JOLAN
On vous mettra aux fers !
SHÉRINE
Mais je n’ai pas le choix !
JOLAN
Vous l’avez, je le sais !
SHÉRINE
Non ! Cela est trop tard, car tout est déjà prêt :
L’explosion aura lieu dans un très court instant.
JOLAN
Je n’en crois pas un mot.
SHÉRINE
Votre raison vous ment.

Scène 4
Jolan, Shérine et Alice

ALICE
Venez vite ! On parle d’un bruit et grave et fort
Qui secoua l’église et nous causa trois morts !
SHÉRINE
Valentin est parti…
JOLAN
Laélia n’est plus…
SHÉRINE
Et je ne ressens rien…
JOLAN
Vous en êtes déçue ?
SHÉRINE
J’espérais par cet acte mettre fin aux tourments
Que j’endure depuis qu’il me fut un amant.
JOLAN
Vous aggravez les miens.
SHÉRINE
Eh bien je le regrette.
JOLAN
Partez loin ma main qui veut à votre tête
Dessiner un sourire que tout, même la mort,
Peinera à changer : mon épée m’est alors
L’unique réconfort que je trouve en ce monde.
De ces histoires d’Amour les issues sont immondes…
Partez loin, mes amies, l’affection n’a de trêve
Et j’aime n’aime aujourd’hui rien plus que mon glaive :
Je le voudrais qui vous pourfende tout le cœur,
Que vous sachiez ce que signifie la douleur.

Scène 5
Jolan

JOLAN
C’est le cœur endeuillé mais tout de même heureux
Que je sais les nombreux souvenirs de tes yeux
Faire cortège à ma vie jusque dans son linceul.
Je regrette tantôt de t’avoir laissée seule
Face à une douleur qui fit de ton passé
Une ode à des Amours viles et enfiellées,
Tantôt de n’avoir su te révéler mon cœur
Par sombre lâcheté et par hideuse peur.
Ô tourments difficiles ! Ô saturnienne absence !
Je te revois de loin les épaules qui dansent,
Les cheveux en brasier auxquels j’ai succombé…
La douceur de ta main sur ma peau est restée
Et l’odeur de ton corps, l’inflexion de tes pas,
Et ta fine silhouette suggèrent mon trépas
Tant je ne t’ai qu’aimé et chéris sans limite,
Tant je ne puis pas admettre que tu nous quitte :
C’est là tout un honneur de mourir près de toi.
Car je n’ai à la bouche qu’un nom : Laélia,
C’est par un suicide que je rends un dessein
À mon existence : mon cœur rejoint le tien.
C’est un fin sourire traversant mon visage
Que je m’en vais, aimant, et mon piètre passage
En ce monde d’où tu fus le plus beau poème
Ne sera résumé que par ces mots : je t’aime.

Scène 6
Alice

ALICE
En tout temps de son cœur il a subi la fièvre
Y rencontrant sans cesse une joie, quoique mièvre,
Dont il put constamment trouver satisfaction.
Car il ne fut aimé de cette dévotion
Qui caractérise un Amour tel que le sien,
Toute sa vie lui fut un langoureux chagrin.
Si jamais il ne fut habité d’un Espoir
Qui lui pu faire, à tort, penser à une victoire
D’un sentiment sincère qu’il éprouve pour elle,
Toujours épris d’une dévotion cruelle,
Toujours épris d’une splendide inclination
Il contemplait souvent l’œuvre sans illusion
D’un cœur qui s’attachait à ses mille tourments,
Qui n’avait jamais su qu’aimer secrètement.
L’affection le peina, la passion le tua,
Si bien que c’est l’Amour qui signa son trépas.
Jusqu’au dernier instant c’est amoureux qu’il fut !
Que lui rapporta donc cette ardeur éperdue ?
Rien que pût valoir tout son alanguissement :
Deux, trois étreintes au plus et un ressentiment
Qui se veut si profond qu’en ces tristes abîmes
Chuta tout son bonheur, et il reste victime
D’une vie que toujours il se dû de subir.
Il nous est aujourd’hui de l’Amour un martyr.
Apprenez de cela, ô futurs amoureux,
Qu’aimer secrètement c’est être miséreux ;
Qu’aimer sincèrement c’est mourir pour la vie
Sans qu’on l’ait décidé, sans qu’on en ait envie…
Et pourtant il faudra un jour – je vous l’espère –
Connaître le désir Romantique et amer
D’une inclination plus forte que vous-mêmes
Et alors votre cœur qui cirera qu’il aime.
Aussi connaîtrez-vous le plus grand des tourments :
Nul jamais ne triomphe sur de tels sentiments.

FIN
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