06/07/2017
18:40:42
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Activités étrangères en Kaulthie - Page 2

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Tout ça pour ça, aurait-on pu penser en visitant les villes de la Kaulthie meurtrie. Toutes ces années de conflits, de guerre, ces morts, ces disparus, ces torturés, ces familles brisées et ces divisions, toutes ces choses pour ça. Tout le pays s’érigeait comme un contre-exemple de l’idée selon laquelle on se battait pour gagner quelque chose : ici tout portait à croire qu’on s’était exclusivement battu pour y perdre. Une idée qui laissait Khan pensif. Contrairement aux apparences et à ce que son accent et une identité factice finement conçue laissaient penser, il n’était pas du coin. Pour autant il se l’était approprié, c’est qu’il avait été déployé presque trois ans auparavant, et avait observé de l’intérieur l’effondrement du régime impérial, la parenthèse fasciste, le retour maladroit de la monarchie. Coups, contre-coups, violences. Et qu’est-ce qui changeait, pour les gens du commun ?

S’il était tenté de dire « rien », le strict respect de la vérité l’obligeait à apporter plus de précisions : pas rien. Le PIB s’était effondré. L’économie du pays demeurait une espèce de ruine fumante que s’arrachaient les survivants des familles nobles. Les régions où s’était brièvement installée l’expérience valhémienne souffraient en particulier des séquelles de l’invasion, d’une dé-collectivisation mal pensée et du racisme d’un gouvernement central qui observait ses minorités hellénistes avec une haine toute germanique. Le niveau de vie moyen du kaulthe avait été divisé par cinq, du reste, et tout ce qui empêchait le régime de s’effondrer une seconde fois c’était ses nombreuses forces de police militarisées, véritables milices qu’un simple coup monarchiste ne suffirait pas à arracher aux tentations fascistes. Rien de tout ceci ne sentait bon. En fait, tout ceci ressemblait même à s’y méprendre à un échec de la part des autorités monarchistes.

Le drame humanitaire total et absolu que représentait ce pays était ce que l’on appelait, dans le langage si châtié du cabinet noir, une opportunité en or. C’était triste, dégoûtant à dire, mais assez indéniable. Tout ce que le pays comptait de démocrate était profondément traumatisé par la grande « victoire » des libéraux. Le régime monarchique avait perdu toute crédibilité auprès des gens du commun, les socialistes s’étaient cachés dans le maquis et attendaient silencieusement leur heure, de plus en plus sûrs que celle-là ne viendrait jamais... Pourtant, pourtant...

Khan n’avait pas chômé durant ces années. La parenthèse fasciste avait représenté un formidable foyer de radicalisation pour les kaulthes du commun et beaucoup de celles et ceux qui n’auraient jamais considéré s’engager dans une lutte politique avaient appris à comprendre qu’il s’agissait d’une lutte existentielle pour leur survie : on ne parlait pas ici de risquer sa vie pour une idéologie mais de faire un pari sur l’avenir : les risques que l’on pouvait prendre pour tenter d’améliorer nos conditions de vie dans un futur proche en valaient-ils la peine ? Ou, plus prosaïquement, quand les salaires diminuent cinq fois, quand nos proches se font enlever et tuer par des milices, quand le pays n’a ni économie, ni gouvernement, quand toutes les promesses de la couronne et de ses alliés se sont avérées mensongères, quand ceux qui combattaient le régime partent dans l’ombre, quand il ne reste plus rien pour espérer que les choses aillent mieux d’elles-mêmes, n’est-il pas dans notre intérêt vital d’enfin nous activer ?

Khan avait convaincu de nombreux individus que c’était exactement de ça qu’il s’agissait et, sans trop se mouiller, leur avait fait miroiter l’existence d’alliés extérieurs qui n’avaient pas oublié la kaulthie. Dans les faits il savait pourtant que l’Union avait d’autres priorités. La zone centre-Eurysienne était considérée comme trop instable pour représenter une zone d’influence valant le coup d’être maintenue. Cela ne signifiait pas que le mouvement international avait entièrement détourné les yeux, et il restait un certain nombre d’acteurs près à agir. Parmi lesquels ceux qui lui servaient déjà d’argument de vente principal : la Mährenie.

Il avait été compliqué de faire comprendre aux petits protégés de la capitaine-inquisitrice le fonctionnement des panopticons. Leur structure opaque et horizontale semblait quelque peu surprendre les officiers de l’égide et leurs alliés du premier gouvernement civil de Mährenie. Cependant ce dernier s’était montré d’une formidable flexibilité dès-lors qu’il avait compris que les kah-tanais en kaulthie envisageaient de favoriser l’accalmie des tensions régionales. Une façon extrêmement cordiale de dire que les kah-tanais envisageaient un moyen de faire renaître le Valheim de ses cendres, et qu’il considérait le compromis Mährenien comme un excellent point de départ dont le modèle républicain pourrait sans peine s’implanter dans une population qui avait eu, fut un temps pas si lointain, soif de représentativité.

La Mährenien, justement, semblait surpasser sa rivale impériale sur à peu près tout les points. Pendant que l’empire enchaînait les coups d’État, la jeune confédération se dotait d’une vie parlementaire stable. Pendant que les rues des grandes villes du pays s’enfonçaient chaque jour un peu plus dans la misère, la Mährenie s’enrichissait à vue d’œil. Tandis que la Kaulthie se murait dans le silence, la Mährenie développait ses productions culturelles et les envoyait briller dans des concours internationaux. Pour les kaulthes, l’expérience Mährenienne pouvait faire office de modèle. Et pourquoi pas, après tout ? La confédération et ses cantons arrivaient à tout ce que l’empire promettait sans le faire. Et n’étaient-ils pas kaulthes, eux aussi ?

Il aurait été difficile pour le gouvernement d’attiser la moindre jalousie pour ce morceau de territoire qui avait, en somme, bien joué ses cartes. La Mährenie avait toujours été une friche de l’empire. Un territoire lointain, soumis au règne de quelques réactionnaires arriérés. Ce n’était pas une région riche qui avait fait sécession mais une région pauvre, isolée qui, se retrouvant libre, avait été obligée de trouver des solutions rapides à ses nombreux problèmes. Et qui l’avait fait. On ne pouvait pas dire que les Mähreiens étaient des traîtres d’avoir si bien réussi. Mais on pouvait les envier. Plus important, on pouvait se demander si le modèle de société qu’ils défendaient pouvait s’implanter durablement au sud.

Pour Khan la question était moins théorique que pratique. Simple déformation professionnelle : on lui avait littéralement demandé d’organiser les conditions nécessaires à la mise en place d’un changement de régime. Ou, en d’autres termes, un nouveau coup. Celui-là serait le dernier, cependant. Il devait aussi s’en assurer. Ce qu’il avait pour le moment c’était quelques fidèles, de vagues promesses Mährenienne, un Grand Kah occupé ailleurs et un pays en ruine, propice mais pas encore préparé.

L’organisation d’un coup dans la région lui semblait tout de même parfaitement faisable. Oui, il avait assez peu de doutes à ce sujet : le pays était mûr. Pourtant il fallait impérativement que le Panopticon agisse avec méthode et, plus que tout, évite toute précipitation : ne semblait-il pas évident, après tout, qu’au moindre mouvement armé il y aurait réaction internationale ? Les ennemis du peuple reculaient sur plusieurs fronts, notamment au Prodnov, et la Kaulthie était sur la route. Sacrifier le Prodnov pour la Kaulthie ? Et pourquoi pas, si la guerre semblait réellement perdue cette option serait sans doute jugée acceptable par les pontes ennemies. Et sinon ? Il fallait profiter de la guerre au Prodnov, ça au moins c’était sûr. Elle maintenait occupés d’importantes forces ennemies qui ne pourraient dès-lors pas réagir correctement à un changement de régime en Kaulthie.

C’était une question de dosage et de timing, donc. Il fallait être rapide mais ne pas se précipiter. Il fallait profiter du Prodnov tout en évitant de devenir un détour pour les renforts ennemis. Il fallait, aussi, empêcher le nouveau régime de se réorganiser, quoi que ce point semblait déjà acquis du fait même de l’incompétence de la noblesse, laquelle n’était pas en mesure d’opposer une résistance digne de ce nom aux tentatives d’ingérence ennemies.

C’était l’autre grande conclusion de Khan et du Panopticon : la Kaulthie n’avait pas de service de contre-espionnage. Ou plutôt la centralisation de ses forces de police au sein d’un même service, et la balkanisation du dit service entre les mains de plusieurs seigneurs féodaux, ministres ambitieux, officiers en grâce, avait rendu l’ensemble du réseau parfaitement inefficace. Pas qu’il en soit devenu inoffensif : il ne le serait jamais tout à fait, mais rien ne laissait présager de la possibilité pour l’ennemi d’organiser la défense de son territoire face à des tentatives d’ingérences ennemies.

D’ailleurs ça s’était bien vu : Khan avait pu organiser son réseau sans se montrer trop prudent, et il était à peu près sûr que s’il l’avait organisé à découvert cela n’aurait rien changé. On avait distribué des tracts, des journaux clandestins, des mots d’ordre. On avait profité du dernier coup pour organiser des manifestations et des mouvements de mécontentement. On avait stocké des armes et des explosifs dans des points clefs reconvertis en bases opérationnelles. Personne ne réagissait. Même lorsqu’on avait fait filtrer de fausses informations aux forces de police, pour tester leur réaction, cela n’avait pas donné grand-chose. Quelques patrouilles, une ou deux notes internes aussitôt perdues dans les archives.

Le pays était moribond, profondément moribond. En un sens ç’aurait été triste, s’il ne restait pas l’espoir Mährenien comme une preuve que tout pouvait encore s’arranger. Une preuve à laquelle Khan croyait d’ailleurs assez peu : il n’était pas dit que les représentants de la Confédération acceptent de partager leur économie, véritable fleuron d’Eurysie centrale, avec un peuple en ruine. La qualité de vie des mähreniens pourrait-elle seulement survivre à une réunification ?

mais on y était pas encor et il restait toujours d’autres solutions pour régler la question. De toute façon le problème principal tenait moins au fait que l’économie impériale était mal gérée qu’au fait qu’elle n’était pour ainsi dire pas gérée du tout. C’était le problème avec les nobles, se dit Khan. Ils étaient d’une fainéantise radicale. Quelque chose dans leur façon d’aborder le monde était nihiliste. Dans un sens qui n’avait rien de noble ou de philosophique. Un nihilisme absolu en ça qu’il représentait moins la négation des valeurs que l’absence totale de compréhension de ces dernières chez les membres de la noblesse. L’effort et le travail pouvaient passer pour des concepts lointains mais ils y étaient insuffisamment exposés. De toute façon leurs réflexes de classe ne les poussait pas non-plus à faire produire quoi que ce soit d’utile : on donnait les leviers du pouvoir et de l’économie à des individus (le terme semblait là encore usurpé) pour qui le monde se limitait à leur domaine terrien et qui ne rêvaient que de banquets et d’habits de luxe. Le luxe, chez eux, prenait forme de véritable gâchis grévant tout le reste du pays. Où en serait la Kaulthie sans ces parasites ? Où en serait-elle sans cette démarche inconsciente de pillage ?

Inconsciente, cela restait à prouver estima-t-il après un temps. Certains devaient bien se rendre compte de ce qu’ils faisaient. Certains, oui, devaient avoir une idée très précise de leurs privilèges et d’à quel point ils profitaient de ceux-là. On ne pouvait pas évoluer dans ce pays sans se rendre compte qu’il s’était dégradé. Qu’en l’espace de quelques années tout s’était effondré. On pouvait peut-être jouer l’imbécile, tout mettre sur le dos d’une guerre civile tout en niant les cinq années de rien qui fait suite. On pouvait peut-être se boucher les oreilles et hurler, fermer les yeux et secouer la tête. On pouvait ignorer tout ce qu’il y avait à constater. Mais au fond, quelque chose devait bien se rendre compte de la situation. Il y avait nécessairement une part de leur esprit qui réalisait l’état du pays, son état réel. Qui voyait les visages de plus en plus creusés des serfs, les récoltes de plus en plus maigres. Quelque chose qui voyait comme le pain était moins bon, comme les animaux étaient plus rares, comme l’on réprimait de plus en plus souvent des mouvements de colère. Quelque chose, chez eux, devait réaliser que le pays allait à la famine. Les réfugiés eux-mêmes préféraient rester dans leurs camps que rentrer dans un pays qui n’était plus le leur. Pour ces réfugiés point de salut : l’endroit qu’ils avaient quittés n’existait plus, si on les expulsait ici ils retourneraient vivre sur un cadavre. Tout ce qui n’avait pas été brûlé par la guerre avait été saisi par la Junte, puis distribué aux nobles. Le pays avait saigné jusqu’à la dernière goutte de son sang et, comme un vampire assoiffé, finirait bien par sucer celui des siens.

Cet endroit, considéra enfin Kha, avait besoin de changement, et urgemment.
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Un Mouvement est né en Kaulthie

Des années de guerre avaient fait que la Kaulthie souffrait au même titre que tout le reste de l’Eurysie centrale d’une totale instabilité propice à l’infiltration d’éléments perturbateurs. De toute façon c’était la norme en Eurysie, on ne trouvait pas une région qui n’était pas pleine à craquer de miliciens, de militants armés, d’hommes et femmes venus réaliser une certaine idée de la politique par les armes, et façonner envers et contre tous une certaine vision du monde. La différence qui séparait le mouvement de libération kaulthique de ses frères était qu’il était, et cela devait rester secret, subventionné par des puissances étrangères. C’était de toute façon entendable : la nature même du mouvement de libération était révolutionnaire et internationaliste. On ne croyait pas vraiment en la frontière Kaulthe au-delà que pour en faire une limitation arbitraire au champ d’action du mouvement. La Kaulthie, cadenassée derrière ses frontières, était en fait une prison pour son peuple, que l’on devait dès maintenant libérer du joug de l’arbitraire. Et ça ils le savaient très bien : de toute façon leur but était clair depuis les premiers jours de l’Organisation et si beaucoup de ses membres ne se doutaient pas exactement de ce qui se préparait, son coeur sensible était composé de communalistes et socialistes radicaux de tout rang, venus de toute la région et rassemblés autour d’une idée fixe : la chute de la Kaulthie pourrait entraîner la chute de la Tcharnovie. Il existait un monde possible ou ces entités territoriales finiraient par fusionner pour donner une grande et belle union. Pour devenir une nouvelle ère de lutte. On visait à étendre les limites du domaine du combat contre le capitalisme et pour les droits humains dans une région qui n’avait connu, du point de vue des militants socialistes, qu’une longue série de violences et de brutales désillusions. Du moins jusqu’à la victoire récente des libertaires en Chercheries et en Mährenie, laquelle tendait à rebattre les cartes.

L’une des grandes forces du Mouvement c’était son caractère protéiforme. Il aurait été impossible même pour un membre de ce dernier, de clairement définir ses limites et frontières : son évolution suivait une voie organique et tortueuse, comme du lierre s’étendant le long d’un mur, remplissant les porosités de ses racines et cherchant de l’eau où il pouvait en trouver. C’était un mouvement sans nom et sans visage, ou adoptant cent noms et cent visages selon les circonstances et les nécessités de l’instant. Divisé en cellules et en branches diverses, il s’animait d’une unité d’action qui restait impossible à réellement déchiffrer sans une solide implantation dans les réseaux militants centraux et une connaissance concrète des moyens d’action communalistes et révolutionnaires. C’est que le mouvement jouait de toutes les cordes de la révolution et s’organisait afin de permettre l’émergence d’une action holistique, visant non pas la simple prise du pouvoir mais la préparation d’une société alternative, capable de prendre la relève de ses ancêtres dès que le cor de guerre sonnerait. On ne voulait pas saisir le pouvoir mais bien saisir le moment. Il fallait changer l’air du temps et faire émerger de nouvelles structures comme un sous-marin remontant à la surface ou, peut-être, une plante sortant de terre, au creux d’un tronc pourri, brûlé par un éclair. La révolution serait cet éclair et le vieux monde brûlerait.

Cependant tout devait se faire dans le plus grand secret. On préparait l’action avec la certitude qu’elle était risquée et la connaissance de ces risques. C’est-à-dire : on agissait avec autant de prudence que nécessaire mais dans autant de domaines que possible.

Les branches militantes étaient classées via diverses critères parmi lesquels le plus important était peut-être le degré de radicalisation de leurs membres. Si on savait que tout le monde se rallierait au grand rêve socialiste une fois l’état de fait imposé, on ne pouvait pas convaincre l’ensemble des camarades de participer une action violente. Certains rendaient service à une échelle bien moindre et c’était d’ailleurs suffisant. Un simple bon mot à l’adresse du socialisme, prononcé au beau moment et aidant à normaliser la parole suffisait. Un simple bon mot faisait passer l’homme ou la femme du peuple à la citoyenneté, de l’individu au camarade. Et on nous offrait bien plus que des bons mots.

En Kaulthie il n’existait pas de tissus industriels moderne, et il n’existait de toute façon plus vraiment d’économie. Tout était à l’arrêt et le cadavre pourrissant de l’économie finissait de se ratatiner comme une nature morte nauséabonde, qui aurait échappé à son peintre pour s’écraser au sol, pourrir hors du cadre. L’empire n’était plus ce fossile médiéval : le temps avait repris son cours et tout s’était décomposé sur place. On marchait dans la moisissure. Pourtant il y existait les mêmes impératifs que partout ailleurs : classe laborieuse asservie, prolétariat en devenir. S’il n’était pas industriel il restait de cette internationale des esclaves, et si on ne pouvait pas exactement les syndiquer - l’action même était de toute façon illégale en Kaulthie - on pouvait tout à fait les rassembler en réseaux d’influence secret. C’est ce que les branches les plus douces et modérées du mouvement faisaient, à leur rythme aimable et bonhomme. On parlait aux gens, on s’entendait avec eux, on faisait ensemble le constat que les choses allaient mal et qu’il fallait se battre pour qu’elles aillent mieux. Non. Se battre. Le mot était violent. On ne voulait certes pas inciter à la grève. Pas encore. Mais on voulait pousser les uns et les autres à mettre des mots sur leurs souffrances et à considérer ensemble de meilleurs moyens d’action pour rendre la situation plus tolérable. Les contremaîtres payés par les nobles imposaient un travail abrutissant et jouissaient de meilleures conditions de vie. Certains étaient considérés comme des traîtres et d’autres, petits bourgeois en devenir mais chargés par une morale chrétienne qui leur faisait apprécier les faibles, réalisaient bien l’aspect intenable de la situation. Par leur biais on infiltrait progressivement les branches exécutantes du pouvoir en place. Ces fonctionnaires, ces cadres inférieurs et - plus rarement - supérieurs, ces gens écoutaient discrètement les demandes et remarques de travailleurs coalisés au sein de clubs et de groupe de parole. On envisageait ensemble les multiples possibilité de sortir gagnant de la situation. La faim faisait oublier jusqu’aux ethnies et on évitait les écueils du nationalisme en dirigeant le débat vers d’autres méthodes : après tout il fallait regarder ce qui se faisait ailleurs. La Mährenie s’imposait comme une évidence, un contre-exemple brillant comme un phare sur une colline. Mais on ne l’évoquait pas, pas directement. Le Mouvement agissait masqué, et laissait ses futurs alliés réaliser eux-mêmes où trônait leur intérêt. Travailleurs de tout les pays, prolétaires, chers amis, ne voyez-vous pas ? N’entendez-vous pas ? Il y a un son, dans les collines, celui de la liberté à venir...

Les boutiquiers étaient plus difficiles à convaincre encore que, la disette ne faisait pas leur affaire et la gabegie économique pouvait les pousser dans les bras de politiques plus habiles. Si la petite bourgeoisie était structurellement réactionnaire, l’expérience fasciste était déjà un échec, la tentative libérale s’était cassée les dents sur les réalités objectives de la politique locale et la féodalité n’apportait toujours et encore rien. Alors on pouvait leur faire miroiter une forme de modernité qui, à défaut de leur promettre la richesse des grands bourgeois, leur promettait le maintien et l’amélioration de leurs conditions d’existence. Ces gens n’étaient pas stupides, ils étaient simples. Ils voulaient manger à leur faim, avoir des loisirs, assurer à leurs enfants de bons avenirs, de bons postes, des opportunités. Ils avaient peur de ce qu’ils ne comprenaient pas, mais apprenait vite. Ils pouvaient changer et, pour beaucoup, changeaient en comprenant comment les choses pouvaient évoluer. Le temps des corporations de métier était révolu autant qu’insatisfaisant. Ne pouvait-on pas faire mieux ? On le pouvait. Il fallait organiser le soutien à la cause du mieux. La démocratie, notamment, restait accessible si on liait les intérêts de toutes les classes entre eux. Et pour se faire il fallait accepter des compromis, soit, mais aussi apprendre ce que l’on pouvait gagner à écouter les autres. En bref il ne s’agissait pas de sacrifier ses besoins sur l’autel de la communauté, mais d’attendre d’elle qu’elle nous aide. Rassembler les forces communes, fournir un effort à plusieurs. Sans crainte de perdre ce qu’on avait, avec l’espoir d’obtenir plus sinon rapidement, dans des temps raisonnables. On pouvait aussi promettre des choses que la junte et sa successeure imbécile n’arrivaient pas à obtenir : la sécurité. Les choses ne pouvaient certes pas redevenir comme avant : tout était brisé et le vieux mécanisme de la monarchie ne tournerait jamais plus normalement. Lais on pouvait créer un nouveau normal, plus juste, plus appréciable. Il y avait, dans l’idée de la liberté, une idée lumineuse. Ces petits bourgeois avaient en eux les germes d’un jacobinisme sans excès, susceptible de les faire rejoindre les rangs d’un grand changement. Qui, en fait, les poussait déjà dans les bras d’un socialisme doux, qui leur semblait préférable aux alternatives voulues par le pouvoir. Ils apprendraient.

Il y avait aussi les anciens valhemiens. Des milliers d’entre-eux avaient fuis et s’étaient dispersés dans le pays. Cette légion des ombres, muette et attentiste, recevait la nouvelle que le Mouvement existait comme une libération en soi. Leur attente n’était pas veine : ils n’étaient pas coincés dans les limbes mais installés, confortablement, dans une salle d’attente. Un jour la porte s’ouvrirait et on leur dirait, à ces miliciens d’un autre temps, qu’il était encore temps d’y croire; Et ils se dresseraient les yeux plein de larmes et d’étoiles, pensant sans doute à ce que l’avenir leur promettait encore, que tout n’était pas perdu, qu’il existerait bel et bien un temps où l’Eurysie centrale serait belle, grande et glorieuse. Un temps où l’on permettrait à ce grand et beau pays de rejoindre l’internationale. On chérissait d’avance la promesse de cet instant, et il ne faisait aucun doute pour personne que tous les possibles réémergeraient d’eux-mêmes au moment opportun. Le Mouvement était une formidable machine à rêve et à opportunités, et chaque promesse suffisait à rendre le possible plus tangible encore, agrandissant encore le mouvement. Un cercle vertueux dont on comprenait bien la nature, et calculé pour permettre à terme l’action radicale qui offrirait le pouvoir aux masses déshéritées.

Prolétaires de tout pays, unissez-vous. Il y aurait une révolution, un jour. On acceptait d’y croire, car les signes ne mentaient pas et que personne mieux que les révolutionnaires ne savait comment organiser le changement. Ce dernier aurait lieu parce qu’il était devenu nécessité, parce que l’Histoire exigeait enfin sa venue, parce que la Kaulthie avait trop traînée des pieds. Il y avait là des millions de millions d’âmes désespérées, affamées, blessées par un mauvais gouvernement, une noblesse aveugle et imbécile. Il y avait là un mouvement, et un Mouvement pour l’amener à la victoire. Il y avait là une vague, celle du peuple et de l’Histoire, et la possibilité nette de sa victoire.

Alors on travaillait, minutieusement, silencieusement, et on avançait ensemble vers la possibilité réelle de la victoire. C’était ainsi, oui, que les choses se feraient. C’était ainsi, même que les choses iraient mieux. On réglerait la question du Mal et des Mauvais dans un élan sanguin et puissant et la nation, revitalise, s’offrirait enfin des printemps fleuris.
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Préparer la révolution.


Opération d'influence clandestine visant le Saint-Empire de Kaulthie

Pays infiltrant: Mährenie et Grand Kah
Pays infiltré: Troisième Empire de Kaulthie
Prévisionnel de la date (RP) de l'action clandestine : 22/04/2013.
Prévisionnel de la date (HRP) de l'action clandestine : l'action pourra être arbitrée le 10/04/2024
Type d’opération : Infiltrer du matériel et des troupes (action à 30 000 points)


Province cible : #29419

RECONTEXTUALISATION :



Cette opération se repose sur plusieurs forces et éléments concrets :
  • La chute du Valheim ne s'est pas faite dans des conditions permettant l'extermination totale du camp socialiste, en témoigne les nombreux kaulthes arrivant à fuir le pays pour la tcharnovie et l'Altarie . On peut supposer que de nombreux kaulthes sympathisants sont restés sur le territoire.

  • La chute du Valheim a été immédiatement suivi d'un coup d’État fasciste, le gouvernement en résultant a principalement mené des purges contre la noblesse. Il a récemment été abattu par un nouveau coup, monarchiste, purgeant encore une fois les nobles favorables à l’ancien régime, on peut supposer que cette instabilité institutionnelle s’accompagne d’une instabilité plus générale impactant l’efficacité des services de sécurité de l’Empire.

  • De plus la décentralisation du pays et le retour à la féodalité crée mécaniquement de nombreuses occasions de passer sous les radars d'une administration en pleine dislocation entre les mains des nobles.

  • Plus généralement la Kaulthie est un pays ruiné par la guerre civile et dont l'économie stagne depuis. On peut supposer que les moyens dont dispose l’État pour surveiller ses frontières/assurer sa souveraineté sont impactés.

  • Enfin, l'Eurysie centrale est une terre de divisions ethniques et de contrebande. Les trois principaux pays de la région (Kaulthie, Tcharnovie, Kresetchnie) sont fédéraux, divisés selon des frontières ethniques tout en partageant les mêmes ethnies, et sujets aux déplacement de groupes terroristes (tels que les Raches) semblant attester d'un important degré de porosité transfrontalière.

  • Pour citer le joueur concerné, "ça pourrait transiter par la République de Kaulthie des Altars et la République de Kaulthie de l'Est (nda ; région Tcharnove), elles sont toutes les deux opposées au régime".
OBJECTIFS DE L’OPERATION
Fournir aux sympathisants du Valheim les moyens de commencer à agir. C'est à dire des armes (à termes il faudrait faire transiter environs 5 000 fusils afin de monter une authentique guérilla) et une quantité limité de personnel.


[quote]Réussite majeure : Un réseau clandestin est fondé et permet le passage progressif des 5 000 fusils, 500 Mitrailleuses lourdes, 100 mortiers légers, 400 lance-roquette transportés par quelques 500 agitateurs dans des véhicules légers tout-terrain et des véhicules utilitaires, sensés relancer la guérilla Valheimoise dans le pays, à terme.


Réussite mineure : Des difficultés logistiques ou sécuritaires empêchent le bon acheminement de l'ensemble du matériel et du personnel. Une quantité plus réduite d'individus peut passer dans un premier temps, transportant moins d'armes et d'équipement.


Echec mineur : Des problèmes répétés empêchent l'envoie du matériel par la frontière : les Valheimiens attendrons.


Echec majeur : Les valheimiens se font repérer. La tentative d'importer des armes et du personnel est connue et/ou une fusillade a lieu entre les forces de sécurité et les révolutionnaires en devenir.


LIMITES ET CONTRAINTES DE L’OPERATION

Plusieurs limites et contraintes sont à prendre en compte dans l’arbitrage de l’opération :
  • Franchement on parle de faire passer beaucoup d'armes. Peut-être qu'il faudra simplement revoir la quantité de matériel infiltré à la baisse, quand bien même l'opération pourrait prendre plusieurs mois pour s'organiser et se faire.
  • Si la Kaulthie connaît un énième changement (violent) de régime, on peut supposer que l'obsession sécuritaire ayant caractérisée la parenthèse fasciste s'accompagne d'efforts disproportionnés en matière de police.
  • Il existe peut-être des listes d'opposants ou d'exilés qui pourraient griller la couverture d'au moins une partie du personnel infiltré.
Moyens engagés :

Le Grand Kah collabore ouvertement avec les services secrets Mähreniens à l'origine de l'opération. Des planeurs seront déployés depuis le petit pays montagnard jusqu'à des pistes improvisées en bordure des bois à la frontière, où des agents des renseignements et des contrebandiers déchargeront le matériel et les hommes et les prépareront à traverser la frontière. Au delà de fausses identités d'alibis (notamment économiques, la plupart des contrebandiers passent pour des transporteurs liés à des sociétés de fret rachetées par la Mährenie ou implantée en son sein), on mise sur l'extrême pauvreté du peuple Kaulthe pour pratiquer un peu de bonne vieille corruption si besoin est. Enfin, à l'intérieur même du pays, on compte sur les efforts d'espions déjà infiltrés et de réseaux socialistes et républicains dormant pouvant être réveillés pour cette occasion.
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Trouver des adeptes.


Opération d'influence culturelle visant le Saint-Empire de Kaulthie

Pays infiltrant: Mährenie et Grand Kah
Pays infiltré: Troisième Empire de Kaulthie
Prévisionnel de la date (RP) de l'action clandestine : 22/04/2013.
Prévisionnel de la date (HRP) de l'action clandestine : l'action pourra être arbitrée le 10/04/2024
Type d’opération : Propagande idéologique (10 000 points)


Province cible : #29419

RECONTEXTUALISATION :

Cette opération se repose sur plusieurs forces et éléments concrets :
  • La chute du Valheim ne s'est pas faite dans des conditions permettant l'extermination totale du camp socialiste, en témoigne les nombreux kaulthes arrivant à fuir le pays pour la tcharnovie et l'Altarie . On peut supposer que de nombreux kaulthes sympathisants sont restés sur le territoire.

  • La chute du Valheim a été immédiatement suivi d'un coup d’État fasciste, le gouvernement en résultant a principalement mené des purges contre la noblesse. Il a récemment été abattu par un nouveau coup, monarchiste, purgeant encore une fois les nobles favorables à l’ancien régime, on peut supposer que cette instabilité institutionnelle s’accompagne d’une instabilité plus générale impactant la vie des habitants.

  • La stagnation économique de la Kaulthie et son instabilité politique en font le pays le plus pauvre d'Eurysie centrale. De nombreux kaulthes ont fuis le pays durant et après la guerre civile et certains se sont d'ailleurs réfugiés en Mährenie. Depuis la fin de la guerre civile ce qui était une province excentrée de l'Empire, aux mains d'un ordre religieux fanatique, s'est métamorphosé en une petite république communaliste appliquant avec succès une politique développementaliste. La comparaison entre la Kaulthie arriérée et stagnante et la Mährenie, moderne et offrant d'importants services sociaux à ses citoyens, peut frapper.

  • De même, les récentes élections en Mährenie et la vie démocratique, culturelle, associative et médiatique du pays peuvent éveiller, chez ceux qui avaient massivement élus les socialistes valheimiens et les libéraux-monarchistes aux élections précédant la guerre civile kaulthe, une certaine nostalgique de ce qu'aurait pu devenir le pays sans la guerre.

  • L'importante répression du régime a peut-être fait taire la contestation, mais elle a probablement créé des mécontents.

  • Selon le joueur du pays, les Seigneurs sont lésés de tout pouvoir, les rendant susceptibles de laisser faire certains courants d'opposition.
OBJECTIFS DE L’OPERATION
Il s'agit purement et simplement de gonfler les rangs de l'opposition et de préparer la population à en finir avec la monarchie en lui fournissant des arguments tant basés sur l'échec Kaulthe que sur le succès Mährenien.


[quote]Réussite majeure : L'idée qu'une autre Kaulthie est possible se répand. Une Kaulthie plus à l'image des réformes Mähreniennes, notamment. Des pans de la société commencent à se politiser dans ce sens, certains même à se radicaliser au sein de clubs politiques.


Réussite mineure : Malgré la réactivation de sphères militantes préexistantes et le renforcement de certains groupes opposés au régime actuel, le mouvement d'opposition reste avant tout caractérisé par une avant-garde politique certes déterminée, mais n'arrivant pas encore à toucher la masse populaire.


Echec mineur : La situation Kaulthe pousse au marasme, on peut supposer qu'une part importante de la population refuse l'opportunité du changement et après tout pourquoi pas ? Les précédents "changements" n'ont rien apportés de meilleur.


Echec majeur : La police politique organise des descentes sur les clubs politiques clandestins et les journaux sous-terrains.


LIMITES ET CONTRAINTES DE L’OPERATION

Plusieurs limites et contraintes sont à prendre en compte dans l’arbitrage de l’opération :
  • La Kaulthie pratique un régime de terreur et d'oppression.
  • Si la Kaulthie connaît un énième changement (violent) de régime, on peut supposer que l'obsession sécuritaire ayant caractérisée la parenthèse fasciste s'accompagne d'efforts disproportionnés en matière de police.
  • La situation politique et économique en Kaulthie peut pousser une part importante de la population à se désintéresser de toute opposition, par instinct de survie et par accablement.
Moyens engagés :

Les réseaux d'espionnage clandestin peuvent s'appuyer sur tout ce que la Kaulthie compte d'anciens républicains, libéraux, monarchistes modérés et socialistes de tout ordre. Il s'agit de distribuer des pamphlets et des journaux clandestins, d'organiser des réunions en petit comité dans les cercles universitaires mais aussi économiques - boutiquiers, marchands, petits propriétaires souffrant de la situation économique et politique du pays. Il s'agit aussi d'identifier les individus les plus radicaux ou potentiellement radicaux pour en faire de futurs militants armés.
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Vieux camarade.

Quatre ans, ça faisait quatre ans que tout était foutu. C’était beaucoup, quatre ans. Et très peu, aussi. Pas assez pour vieillir, assez pour commencer à pourrir de l’intérieur. Léon avait pourri, il ne pouvait pas le nier. Il avait pourri avec le reste du pays, avec le reste de sa terre. Que pouvait-il faire d’autre, de toute façon. Cela faisait quatre ans que plus rien avançait. Que tout reculait, même. On crevait la gueule ouverte et sans même le réaliser. Quatre années de rien, quatre années d’automne, c’était plus long qu’un siècle.

Car cela faisait quatre ans que le Valheim s’était effondré, et après lui la Kaulthie. Ils avaient voulu la république, ils n’avaient même plus la démocratie. Tout était foutu, tout était perdu. C’était la faute à personne, donc à tout le monde. Aux généraux qui n’avaient pas organisé la victoire. Aux soldats qui n’avaient pas tenu la ligne. Aux militants qui n’avaient pas rejoint la clandestinité et, avant ça, qui ne s’était jamais mis d’accord sur les méthodes du pouvoir. Tout s’était envolé. Pas grave. Le rêve sentait le soufre dès ses premiers jours. Les tensions nationalistes réveillées par quelques leaders d’un triumvirat de tête qui n’avait pas été foutu de s’entendre.

C’était faux, bien entendu. Quand ils étaient trois ça tenait encore. Impossible de savoir si c’était parce qu’ils étaient trois, qu’un équilibre s’imposait de lui-même, ou si ça tenait à Dastida Mushi. La pauvre. Elle était à la tête des armées et sa mort avait tout emporté. Mort imbécile, accidentelle. Lynchée par la foule durant les bombardements du sud. La foule s’était ensuite vengée d’elle-même, s’était dévorée. On avait mis le feu aux tueurs. Des martyrs de plus. Restait les deux autres. Un duumvirat. Tout s’était cassé la gueule, vraiment.

Il y avait eu Foltar Cano. Un idéaliste, lui. Un bon fond. Pas un imbécile. En tout cas il croyait vraiment au communalisme. Et à l’ancienne, sans fausse pudeur. Il avait fait de son mieux, utilisé tous les pouvoirs que son titre de gardien lui procurait. Il avait lancé les élections, bataillé pour un Valheim plus juste, plus droit, pour réaliser son rêve.

Disparu, Foltar Cano. Disparu quelque part. Peut-être dans les geôles du gouvernement. Peut-être ans une région voisine. Il n’était plus qu’un mirage, une icône presque religieuse dont la photo ornait certains tracts. Il n’était plus rien qu’une idée. Déjà de son vivant il se limitait à ça, volontairement. Il pensait – il avait raison de le penser – qu’il était plus fort en image qu’en homme. Qu’il en inspirerait plus.

Enfin il y avait Konrad Kreutzwald. L’homme qui aurait obtenu le pouvoir, si la guerre civile s’était arrêtée, d’une manière ou d’une autre. Si elle avait simplement pris fin sur ses frontières, ou continuées jusqu’à la victoire finale. Dans ces conditions Kreutzwald n’aurait pas gardé le pouvoir, il aurait été chassé, évidemment Trop d’égo, trop d’ambition. Il était le genre d’homme qui finissait tuer par ses serviteurs. Il avait besoin de se distinguer des autres, alors il avait adapté le socialisme à la féodalité, et appelé son corporatisme une nouveauté. On en avait vite vu les limites, mais le front s’était effondré immédiatement après. La vérité sur Kreutzwald c’est qu’il n’avait pas beaucoup d’idées au-delà de sa propre puissance, ce qui en faisait un outil remarquable pour la révolution, tant que les deux autres étaient là pour l’empêcher de faire le con. Lui aussi avait disparu. On ne savait rien de ce qu’il était devenu. On supposait qu’il était mort, mais ses accointances avec le monde des affaires l’avait peut-être sauvé de ce sort. Oui, après tout, il pouvait bien être un pion utile, estima Léon. Un pion utile pour qui, maintenant...

Il ne se posait plus vraiment de questions depuis la chute. Parfois il repensait à ce qui avait eu lieu, à ce qui aurait dû avoir lieu. Parfois il se prenait à soupirer, en repensant aux années de lutte et de camaraderie. C’était comme s’il y était encore. Comme s’il ne pouvait pas avancer. Un membre fantôme le retenait dans le passé, avec les morts et les disparus. Il était à Aphalstèmes, sous les mortiers et les bombes. Il entendait le sifflement des ogives puis le grondement du sol qui s’ouvrait. Les maisons et les immeubles, éventrés, prenaient feu en quelques instants. Des ambulances partout. Une odeur de chair brûlée.

L’empereur lui-même avait été choqué. N’était-ce pourtant pas lui qui avait déclaré qu’il n’y avait pas de civils, à Aphalstèmes ? Que des rebelles ? Puis il avait reculé. La seule certitude, en Eurysie centrale, c’était la folie des chefs. Ici elle avait été brutale et sans merci. L’Arovaquie avait saignée aux mains de mille nationalistes et, maintenant qu’on lui offrait la chance de sortir de ces logiques ethniques, de penser, enfin, en nation, on la bombardait. Puis on prenait peur. Pathétique.

En vérité tout avait commencé avec la mort d’Albert Valheimer. C’était ça qui avait tout précipité. Sans son assassinat il aurait fallu entendre deux trois, cinq ans pour voir une révolution se produire. On se serait encore préparé, lentement mais sûrement, et au moment opportun on serait sorti de l’ombre comme une masse immense pour écraser les ennemis de la république en une fois. Au lieu de ça, Valheimer était mort. Ses vieux compagnons s’étaient partagés le royaume, avaient combattus avec vigueur mais sans brio. Ils avaient tenu le temps qu’ils pouvaient tenir face à l’Empire. Puis les deux animaux étaient morts d’un coup, effondrés de fatigue d’avoir trop ou pas assez attendu. La lutte s’était terminée par l’égorgement du Valheim, et un général ambitieux avait noyé la Kaulthie dans le sang de sa victime.

Netzistees, Alterkans, communo-libéraux. Où étaient-ils passés ? Chrétiens-démocrates, conservateurs, radicaux du centre. Eux aussi étaient partis. Restait maintenant la nette sensation d’un gâchis, un gâchis pas possible. Et la peur de la police secrète, qui rampait partout, attendait son heure avec l’exigence serpentine d’un démon attendant un sacrifice. Elle raflait sans voir et sans penser. Elle attrapait tout ce qui semblait sortir du lot. Soit rarement les bons. Oui, mais c’était suffisant pour créer la terreur. C’était bien de ça qu’il s’agissait, du reste : créer la terreur. Et voyez comme on avait peur. Peur du régime, peur de demain, peur d’avoir encore faim dans un mois, dans un an. Rien ne bougeait : quatre ans depuis la chute du Valheim, et la Kaulthie était un purgatoire.

Léon fut tiré de sa réflexion par le sifflement de la bouilloire qu’il avait mise sur le feu. Il approcha à pas lents, attrapa une moufle et la sortie de l’âtre avant de verser son contenu – du thé vert, local – dans une tasse.

Il vivait de peu. C’était déjà le cas avant la révolution et son échec, mais à l’époque il était un serf. Maintenant il était homme libre, ce qui ne changeait rien : il vivait de peu, et sur la terre d’un seigneur qui finirait par le léser. Ils finissaient toujours par léser le peuple. Sinon par malveillance, au moins par incompétence. Les seigneurs avaient l’imbécilité de ceux nés pour une tâche à laquelle on ne les préparerait jamais vraiment.

L’ancien milicien attrapa sa tasse et souffle à sa surface. Il devait tout de même reconnaître une amélioration significative : sa maison avait plusieurs pièces. C’était un de ces bâtiments construit durant la libéralisation du régime impérial, avant le putsch. Sans être spacieuse, elle disposait de plusieurs salles et d’aménagements modernes, au moins selon les standards kaulthes. Les murs étaient couverts d’un odieux papier peint vert et brun, le sol était d’un carrelage grossier et froid, les fenêtres fines et tremblaient dès qu’il y avait du vent dehors, mais c’était mieux que rien. Léon avait disposé d’épaisses couvertures de laine sur la plupart des meubles ainsi que devant chaque porte, soutenus comme des rideaux par de grosses tringles de bois. Il fallait couper l’air froid, l’empêcher de passer. On sortait à peine de l’hiver, il faisait encore très froid et humide.

Son regard s’arrêta sur la salle à manger, séparée de la cuisine par un meuble bas où il avait posé des plantes et des bibelots divers. Statuettes, peinture dans un petit cadre, baïonnette récupérée durant la guerre, empilement de livres et de carte postale. Un jour, se dit-il, la police secrète va venir. Ils vont tout fouiller, foutre en vrac, rien trouver, m’embarquer quand même. Ils me tortureront dans leur poste un peu plus haut, dans le château du baron, et me colleront un procès pour un crime que même leurs méthodes n’auront pu me faire avouer. Impossible de savoir lequel, il dépendra beaucoup de leur inspiration sur le moment.

C’était le sort auquel on avait appris à s’atteindre, ici. Combien de ses voisins avaient reçus de telle visite ? Oh ! Elles ne se finissaient pas systématiquement sur une garde-à-vue. Parfois on se contentait d’humilier le suspect, de détruire l’intérieur de sa maison. De ravager tout ce qui pouvait l’être, d’éventrer les meubles et les chaussures, de démolir le carrelage avec la crosse d’un fusil. Puis on repartait bredouille et sans rien dire, la destruction cataclysmique qui suivait le passage de la police politique était le message en soi : il ne s’agissait pas vraiment de trouver des criminels dangereux dont on supposait l’existence. Vraiment, ça n’avait rien à voir avec ça, c’était beaucoup plus simple. On voulait opprimer le peuple. Le régime avait fait le deuil des pains et du jeu. Il n’était capable d’offrir ni l’un, ni l’autre. Alors il s’achetait du temps par la terreur. Elle engourdissait tout, ralentissait l’évènement possible de la contestation. Elle était très efficace dans ce rôle, et pourrait continuer encore longtemps. Même si son destin était tracé, l’Empire Kauthle se contentait très bien du temps qu’il pouvait obtenir de la sorte. Il tomberait, sans doute, mais plus tard, à une autre occasion. C’était toujours plus tard, chez les nobles. Toujours.

Léon secoua la tête et leva les yeux au ciel. Il reposa la tasse presque vide sur le rebord de l’évier, et s’apprêta à quitter la cuisine pour son atelier. Il faisait des petits travaux de menuiserie pour gagner sa vie. Réparait aussi des fusils de chasse et de l’équipement routier. Dans l’armée il avait été membre du génie et de la logistique. Les formateurs kah-tanais lui avaient, parfaitement involontairement, donnés les clefs nécessaires pour survivre à la défaite. Grâce à leur enseignement il avait un travail, plusieurs en fait. Il était un membre utile de la communauté. Suffisamment pour y être adopté sans question, suffisamment pour qu’on lui donne le bénéfice du doute, pour qu’on soit prêt à le défendre.

Quelqu’un toqua à la porte de la maison, et Léon s’immobilisa. Qui était-ce ? Cela ne ressemblait pas à la voisine. Elle toquait plus doucement, et tard en soirée. Il était à peine dix-sept heures.

On toqua à nouveau, et cette fois Léon compris la raison de son trouble. Au-delà du fait que personne ne venait jamais vraiment le voir, il reconnaissait cette façon particulière de taper. Deux coups secs, un coup léger chevauchant un coup fort, recommencé deux fois. C’était un signal simple, mais qui lui revenait à l’esprit en même temps qu’un intense sentiment de méfiance. Il ouvrit un situé à côté de celui des couverts et sortit une boite de munitions puis, traversant le salon, il récupéra le vieux pistolet qu’il gardait dans une poche intérieure de son manteau, rangé dans la commode. Le barillet fut précautionneusement rempli, Léon passa le petit couloir qui reliait le salon au hall. On toqua à nouveau.

« Qui est-ce ?
Un camarade ! »

La voix était pressante, mais heureuse. L’homme qui se trouvait derrière cette porte ne parlait pas bas parce qu’il avait peur, mais parce qu’il savait qu’il s’agissait simplement de la chose à faire. La police politique ? Sans doute. Léon hésita. Il aurait pu tirer à travers la porte et fuir par le jardin. Mais s’il s’agissait d’un policier il ne s’était sans doute pas déplacé seul. Il approcha de la porte, hésita encore, puis la déverrouilla.

L’homme qui lui faisait face était petit, incroyablement souriant et pas le moins du monde inquiet du pistolet que tenait Léon. Il lui sourit.

« Je peux entrer ? Il faut qu’on parle. »

Et car Léon en bougeait pas de l’encadrement de la porte, l’autre acquiesça.

« C’est vrai que ça doit sembler étrange. Je suis le camarade Obsidienne, travaillant pour la section de libération populaire de Kaulthie. Les affaires reprennent, camarade. Si tu me permets l’expression. »[justify]
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Les locaux du Service de Sécurité Extérieur de la Mährenie était pleine de cette agitation taiseuse, électrique, qui caractérisait les périodes de travail intense. L’étape d’avant était plus calme, moins taiseuse, et celle d’après commençait à remplir l’air de stress. Mais à ce stade on était encore calme. Rien ne pouvait encore dégénérer et on pouvait, au pire, ressentir une forme d’appréhension face à la potentialité que les chosent aillent mal. Mais c’était se projeter dans l’avenir. Oublier qu’on était au présent. Et la charge de travail qui tenait les mähreniens occupés ne leur permettait pas exactement de se projeter ou de se perdre en considérations d’avenir. Ils vivaient dans l’instant et dans ce qui caractérisait se présent : mission, nation, électricité, plans, des plans dans des plans. Ils voyaient par la lorgnette les parties d’un plan immense, composé à cent, mille mains. Un plan qui permettrait d’éviter la guerre promise en précipitant son arrivée. C’était un métier d’espion, en somme : ils le vivaient bien.

Installé derrière un petit groupe d’hommes patientant tous devant la machine à café, Nyx, elle, vivait bien la situation. Elle avait rejoint les rangs du Service assez récemment. Il n’existait pas vraiment d’espion de métier en mährenie. Comme tout dans ce petit bout de monde moderne, il n’existait que du neuf. Les agents du renseignement extérieur étaient eux aussi neufs, formés à l’école de l’Inquisition et du Grand Kah, l’une des meilleures du monde, selon ceux-là même. Logique. Ils n’allaient pas nier leur propre talent, et ils avaient tout intérêt à survendre leur puissance à leur protectorat d’Eurysie.

C’était à son tour de commander. Elle pianota sur l’écran tactique du distributeur et sélectionna un thé vert. L’écran indiquait « intense », elle n’avait aucune idée de ce que ça pouvait bien signifier dans ce contexte. La machine se mit à vrombir. Nyx patienta.

Ce n’était d’ailleurs pas que le bradavo kah-tanais dérangeait Nyx. Elle prenait les choses avec un calme remarquable et une absence assez radicale de souverainisme. Sans le Grand Kah, pas de Mährenie moderne. Sans le Grand Kah, pas d’accès aux études supérieures pour les femmes, pas de droits sociaux ou civiques, pas de sécurité non-plus. Elle ne pouvait pas en vouloir à un pays qui avait certes remodelé la région à son image, mais pour le mieux. Elle n’avait pas encore trouvé de raison de se plaindre. Pas de raison, en tout cas, dépassant par sa gravité ce qu’elle avait pu subir du temps des Rosiques.

Machinalement, elle caressa son épaule droite. Il y a longtemps, on y avait marqué le nom de son ancien conjoint, au fer rouge. Les chirurgiens de l’Égide lui avaient assurés qu’ils pouvaient le faire disparaître, mais elle avait refusé cette offre. Elle pourrait toujours changer d’avis, plus tard. Mais pour le moment elle avait encore besoin de savourer l’absence de cet homme, que lui rappelait cette marque. La cicatrice rappelle que la blessure s’est refermée. La cicatrice rappelle que ça ne fait plus mal.

La machine ne vrombissait plus. Elle se pencha pour attraper sa tasse et se retourna pour récupérer une touillette en bois et du sucre disposés dans un tiroir en plastique, à côté du distributeur. Son thé enrichit, elle touilla, offrant un sourire chaleureux aux quelques collègues qui attendaient encore dans la salle de repos, et se dirigeant pour sa part vers la sortie.

Les architectes n’étaient pas Mähreniens, ça elle en était sûr. Pas kah-tanais non-plus, selon elle. Les lieux ressemblaient à beaucoup de chose mais pas à de l’architecture kah-tanaise. Mais qui qu’ils soient, les architectes avaient fait un bon travail. Les lieux étaient bien organisés, bien construits. On savait vaguement qu’il s’agissait d’un bureau ministériel, à priori lié à un secteur de la recherche, ce qui permettait de justifier les nombreux instruments de mesure qui se trouvaient sur le toit, notamment. L’endroit était installé à l’écart de Sankt-Joseph, enclavé entre un parc public et un parc naturel. Un parking sous-terrain, deux bâtiments de bureaux reliés par une passerelle et plusieurs étages de sous-sol. Un monorail sous-terrain permettait de rallier l’ensemble à un pose de l’armée, permettant un renfort de sécurité si besoin, et de transférer des prisonniers de façon discrète. C’était la grande idée des supérieurs, ça. Les monorails. Ils voulaient en mettre partout, relier autant de structures militaires que possible par ce biais. Plus spécifiquement, ils voulaient creuser la terre montagneuse du pays et créer des bunkers, des entrepôts secrets, l’infrastructure de la défense, disaient-ils. Au début, selon les rumeurs internes au service, on voulait parler d’infrastructure de la défaite, puis la Protectrice de la Mährenie avait fait remarquer que de telles infrastructures défensives assureraient moins la victoire qu’une défaite plus longue, et douloureuse pour nos ennemis. Un commentaire qui avait sans doute refroidit les généraux de cette jeune armée, probablement enivrée par la modernisation rapide du pays. C’était difficile de garder la tête froide quand la Mährenie avait l’économie la plus dynamique d’Eurysie centrale. La politique la plus transparente et démocratique. Le meilleurs niveau de vie. Difficile, aussi, de ne pas oublier qu’elle couvrait quelques dizaines de milliers de kilomètres carré au mieux, accueillait moins d’un huitième de la population des pays voisins. Qu’elle était, pour tout son mérite, une toute petite chose.

Mais une chose hargneuse, et capable, et avec des services secrets. Nyx et tant d’autres assuraient quotidiennement que ce petit bout de territoire ne se retrouve pas, un jour, intégré à l’un de ses grands et dysfonctionnel voisin. Ce n’était pas facile, mais c’était nécessaire. Et Nyx y trouvait une grande satisfaction.

Elle arriva devant le poste de sécurité qui séparait la salle de repos de la section destinée à l’observation des opérations en cours, ce qui signifiait en fait aux opérations kaulthes. Il n’y avait réellement que ça. La Tcharnovie avait été quelque peu oubliée depuis la fin du régime de Chercherie. On avait remobilisé tout les moyens à disposition du Service vers le sud. Plus urgent. Bien plus urgent. Elle présenta son passe au gardien situé derrière une vitre blindée, et attendit patiemment que les portes blindées ne s’ouvrent pour la laisser passer. Cette section avait été construite en dernier et on le ressentait clairement. Quelque chose, dans l’esthétique des lieux, était très modérément autre. Peut-être dans la texture du revêtement plastique des murs et du sol. Peut-être dans l’éclairage du plafond. Selon Nyx cela tenait au fait que l’on avait pas importé les matériaux utilisés dans cette section, mais qu’on les avait fait sur place. Il y avait une importante industrie pétrochimique, maintenant, en Mährenie. L’un des fleurons nationaux, encore que ça le temps seul permettrait de le déterminer. Pour l’heure cette qualification tenait encore du vœux pieu.

Restait à savoir si le temps permettait à la Mährenie de disposer de son Histoire propre. De ses fleurons, de ses succès, de ses échecs. De ses mythes nationaux et de ses ambitions, de ses vieilles haines et de tout le reste. C’était une nation, déjà, mais une nation d’institution. Une nation choisie, une communauté qui manquait encore, peut-être, de liant. D’ailleurs c’était aussi sa force, ce qui lui permettrait peut-être de changer les choses dans la région : de réintégrer la Kaulthe, de la transformer en profondeur. C’était l’une des deux causes probable de sa disparition : retour à une Kaulthie démocratique, ou...

Ou invasion par le Saint-Empire. Il fallait considérer le plus dur avec le plus grand sérieux afin de s’assurer qu’il n’arrive jamais. Nyx passa son badge sur la porte de la salle de contrôle des opérations et en passa le seuil, jetant son gobelet désormais vide dans une poubelle située à l’entrée. Les lieux témoignaient de la situation générale du pays : de grandes ambitions, des moyens limités mais utilisés avec soin. On était loin d’une de ces immenses salles pouvant accueillir plusieurs dizaines d’agents de renseignement, derrière leurs immenses écrans. Cependant on en était pas loin. Construite sur trois pallier situés chacun plus bas que l’autre, on avait disposés une trentaine de postes de travail par sections géographiques, séparés entre deux par des murs de verre épais. Des agents armés montaient la garde près des entrées et sorties - il y en avait une en bas et une en haut - et un grand écran mural diffusait des informations générales sur la situation de chaque région administrative du Saint-Empire. Nyx salua certains de ses collègues qui s’étaient retournés à son arrivée et se dirigea vers la section dépendant d’elle. C’était la section des frontières nord, celle qui allait être le plus mobilisée dans les prochains jours, et dont l’essentiel de la mission consisterait pour les prochains mois à assurer le bon transit d’armes et d’hommes du côté Kaulthe. En d’autres termes, son efficacité aurait un effet direct sur la suite des opérations et si un succès pouvait avoir un impact important sur sa carrière, un échec risquait de l’impacter tout aussi radicalement, et de façon autrement plus négative. Pour autant, et comme à son habitude, elle prenait les choses avec beaucoup de calme. Sous l’œil attentif des membres de sa section, elle s’installa à son poste, se saisit d’un stylo et le tapota contre le rebord de son bureau. Puis elle se racla la gorge.

« Au rapport messieurs-dames. »

Et attendit en souriant. Elle ne prétendait pas être une génie capable de condenser les centaines d’information que brossaient « ses gars ». Mais on avait jugé qu’elle pouvait diriger une section et c’était ce qu’elle faisait, au mieux de ses capacités. Dans la grande majorité des cas ça signifiait simplement les rassurer, leur donner l’impression qu’ils étaient supervisés. Selon elle, elle avait un rôle de messagère glorifié. Faire passer les informations entre la section et les autres. Donner quelques instructions ou recommandations, lesquelles émanaient parfois de l’avis général de ses hommes, parfois de celui de ceux « d’en-haut ». En attendant elle voulait savoir où en était les opérations, et si quelque chose s’était passé durant la nuit. Probablement pas puisqu’on ne l’avait pas dérangé.

« Les opérations sont en cours, il faudra encore environs trois semaines pour qu’on puisse réellement parler en termes de résultat.
Les contrebandiers ?
Coopèrent pleinement. Certains sont idéologisés, la plupart sont simplement content d’être payés.
Et les fonctionnaires ?
Coopératifs. Eux aussi sont bien payés. »

Elle ferma brièvement les yeux. La Kaulthie était un état alliant deux qualités primordiales : il était très pauvre, et extrêmement autoritaire. Le règne de l’arbitraire permettait la corruption. Le système avait du mal à ne pas s’auto-dévorer et tout le monde vouait prendre sa part, au moins une petite, avant que l’ensemble ne coule. C’était bien ça. Tout coulait, et la cause portait un nom : la Mährenie. C’est à dire que l’action de la Mährenie portait en elle les germes de son propre accomplissement. La promesse de sa victoire lui assurait le soutien d’agents qui, sans elle, n’aurait pas fait acte de sédition. La vraie force, estima pensivement Nyx, émane de la certitude rendue contagieuse.

« En termes de coûts ?
Il y a des dépassements.
Plus de dix pourcent ?
Non. Moins. Y compris en se limitant aux actions en cours. On est sur du… Trois point seize pourcent. »

Moins de 10% de dépassement ça revenait à dire qu’il n’y en avait pas. Les budgets étaient pensés avec le dépassement en tête. Dix pourcent c’était encore acceptable. L’administration commençait à grincer des dents autour de 20% sauf accident. Cas grave on pouvait monter jusqu’à 50%.

« Bon. Rien à signaler, donc.
Tout est normal à ce stade.
Bien. Au boulot alors. »

Les agents pivotèrent vers leurs écrans, elle s’installa derrière le sien. Au boulot. Surveiller et compiler des données. Faire des liens logiques. Beaucoup d’attente.

Et un jour, bientôt, dans trois semaines, il y aurait du changement.
1700
Suite aux événements liés à la Kaulthie, le Tsar avait eu vent de l'établissement d'une frontière militarisée située chez son voisin du nord. Il était quelque peu surpris mais n'y prêta pas plus attention, en effet, la région où était située cette frontière était montagneuse et forestière, et par conséquent inhabitée. Néanmoins, afin d'étouffer ces relations diplomatiques mauvaises, il confia cette mission au Ministre de la Défense Nationale, Alexander Jükov, en effet, cela relevait du militaire en raison de la présence militarisée en Kaulthie. Alexander Jükov prit un convoi direction le pont Der Valheim, dans la voiture, une discussion avait commencée.

Alexander Jükov: Rapport de nos troupes sur places adjudant-caporal ?
Adjudant-Caporal: Sieur Jükov, les Kaulthes ont établis une véritable enceinte militarisée tout le long de nos frontières, nonobstant, ils ont laissés des ouvertures appelées checkpoints, nous nous dirigeons vers le plus important, le pont Der Valheim.
Alexander Jükov: A quoi sert ce pont ?
Adjudant-Caporal: Selon eux, des personnes voudraient fuir notre pays, ils leur en donnent l'occasion. Egalement, ce pont servirait de point de rendez-vous à une discussion.
Alexander Jükov: Mhhh... J'ai un plan, voilà ce que nous allons faire.

Il restait quelques minutes, lorsque la voiture arriva, Alexander Jükov avait finit d'exposer son plan. Il descendit de sa voiture, 10 soldats Kartiens l'attendait, il leur expliqua son plan.

Alexander Jükov: Bien soldats ! A présent, j'ai besoin d'un volontaire qui effectuera le rôle principal.
Lieutenant Dimitri: Je me dévoue mon commandant.
Alexander Jükov: Je té félicité, pour ta bravoure, dès la fin de la mission, vous serez promu Lieutenant.

Ledit plan d'Alexander Jükov commença.

Militaire Kartien

Le Lieutenant Dimitri était non armé, il ne possédait qu'un drapeau blanc et se dirigea vers le pont, à découvert. Il avait pour ordre de s'approcher du pont et de dire que le Ministre de la Défense Nationale était prêt à dialoguer.
5180
L’hélicoptère fend la nuit, ses pales hurlant au-dessus des montagnes enneigées qui séparent le Saint Empire Ambarois de la Kaulthie. À l’intérieur de l'engin, l’atmosphère est lourde et pesante. Cinq silhouettes, vêtus de treillis sombres et cagoulés, veillent sur leur prise de guerre : l’Empereur Guillaume IV, menotté et bâillonné, attaché solidement pieds et poings au siège central. Son regard est brûlant de colère et d’incompréhension, mais il reste fixe et muets tel une statuts, observant ses ravisseurs avec une grande intensité.

« Putain, c’est réel. » lâche Voss dans un souffle, les mains crispées sur son fusil d’assaut. « On a vraiment l’Empereur, là, avec nous. »

« Commence pas à paniquer maintenant, Voss. » grogne Ilya depuis le cockpit, les yeux fixés sur les instruments de vol. « C’est trop tard pour les doutes. »

« Il a raison. » intervient Marek, assis à l’arrière, un pistolet posé sur sa cuisse. Il lance un regard amusé à Guillaume IV. « On vient de faire ce que personne n’avait jamais osé faire dans l’histoire de l’Empire. On a arraché l’Empereur à son palais, sous le nez de ses précieuses forces impériales. »

Un ricanement s’élève de la part d’Anya, la seule femme du groupe. Elle décroise les bras et s’approche de leur otage, s’accroupissant devant lui.

« Je me demande ce qu’il pense, maintenant. » dit-elle, les yeux plissés. « Il doit se demander comment des "parasites" comme nous ont pu réussir là où tant d’autres ont échoué. »

Elle tend la main et arrache brusquement le bâillon de la bouche de Guillaume IV. L’Empereur inspire profondément, retrouvant son souffle, avant de les scruter un à un.

« Vous n’avez aucune idée de ce que vous venez de provoquer. » lâche-t-il, d’une voix profonde, rauque mais impérieuse.

« Oh, mais si. » rétorque Marek en haussant les épaules. « Nous avons parfaitement conscience de ce que nous faisons. Nous brisons le mythe de votre invincibilité. »

Guillaume IV laisse échapper un rire amer.

« Vous croyez sérieusement que votre coup d’éclat va vous mener quelque part ? Vous avez fait de vous les ennemis publics numéro un. Le Conseil de Régence ne négociera pas avec vous. Et le peuple, lui, ne vous pardonnera jamais. »

« Le peuple ? » Anya éclate de rire. « Quel peuple, Majesté ? Celui que vous avez muselé, surveillé, emprisonné dès qu’il osait contester votre règne ? Celui que vous avez réduit au silence sous prétexte qu’il était une "menace pour l’ordre impérial" ? »

« Un peuple endormi finit toujours par se réveiller. » ajoute Ilya depuis le cockpit.

« Sauf que vous, vous n’êtes qu’une poignée d’illuminés. » réplique Guillaume IV, son ton empreint de mépris. « Vous pensez être les héros d’une révolution, mais en réalité, vous n’êtes rien de plus que des terroristes en cavale. »

« Terroristes ? » Marek serre la mâchoire. « Tu veux parler des méthodes terroristes ? Comme celles que tes forces ont utilisées contre nous ? Contre nos familles, nos idées ? Quand tu as interdit nos journaux, fait disparaître nos compagnons, démantelé nos cercles de discussion comme si nous étions la peste ? »

« On nous a poussés à ça. » renchérit Voss, la voix chargée de rancœur. « On a essayé les débats, les manifestations pacifiques. Mais dans ton Empire, il n’y a pas de place pour les contestataires, pas vrai ? Alors, maintenant, on joue selon tes règles. »

Un silence pesant s’installe. L’Empereur fixe chacun d’eux, sondant leurs visages à la recherche de la moindre faille. Mais il n’y voit que de la détermination, teintée de colère et d’amertume.

« Vous êtes complètement fous. » finit-il par dire.

« Peut-être. » murmure Anya. « Mais au moins, nous sommes libres. »

Le vrombissement des moteurs s’intensifie alors que l’hélicoptère survole la frontière nord de Kaulthie. En contrebas, les montagnes escarpées et les forêts denses offrent une couverture naturelle, rendant tout repérage par radar pratiquement impossible. Ce passage, isolé et hostile, leur permet d’échapper aux contrôles aériens kaulthiens et d’éviter une interception inopinée.

« On est en Kaulthie. » annonce Ilya en scrutant le paysage nocturne. « Aucun signal d’alerte, aucun radar qui nous a accrochés. On est invisibles. »

« Ces montagnes nous ont sauvés. » commente Voss en observant les écrans du cockpit. « Pas de riposte, pas de chasseurs kaulthiens. Si l’Empire nous cherche, il devra le faire au sol. »

« Reste à savoir si nos contacts seront là. » murmure Marek.

« Et s’ils ne viennent pas ? » demande Elias, le regard inquiet.

« Alors on improvise. » répond froidement Marek.

Le silence plane un instant, seulement troublé par le bourdonnement sourd de l’hélicoptère.

« Vous êtes sûr qu’ils vont nous couvrir ? » intervient soudain Guillaume IV, relevant légèrement la tête. «La Kaulthie n’est peut-être pas un allié de l’Empire, mais ce n’est pas pour autant qu’ils voudront risquer un incident diplomatique. »

Un sourire ironique se dessine sur le visage d’Anya.

« Trop instable pour que l’Empire puisse y envoyer son armée sans déclencher un cataclysme. La Kaulthie est notre échappatoire. »

Le tonnerre gronde au loin. L’hélicoptère entame sa descente vers un terrain vague dissimulé en pleine nature. Seules quelques lumières tremblotantes, dissimulées sous des bâches, trahissent la présence de véhicules postés dans l’ombre. Les phares s’allument brièvement, signal de reconnaissance attendu. C’est le moment critique.

« À tous les coups, la Garde Impériale doit déjà être à nos trousses. » souffle Voss.

« Qu’ils viennent. » répond Anya avec un sourire amer. « L’Empire a toujours dicté les règles. Cette fois, c’est nous qui avons les cartes en main. »

Les pales ralentissent alors que l’hélicoptère touche le sol dans un nuage de poussière et de feuilles mortes. Les portes s’ouvrent brutalement. La nuit kaulthienne avale les ravisseurs et leur otage, tandis que le Saint Empire Ambarois, lui, retient son souffle.
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Le début de la coopération militaire :

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Quelque part en Arovaquie.

Dans un trou sommaire à la lisière du bois, deux soldats kaulthes se préparaient. L'un commença à surveiller les alentours avec ses jumelles avant de scruter le ciel. Il se demandait si un aéronef ne passerait pas par là. Ce fut effectivement le cas : deux avions de chasse estaliens allaient passer juste au-dessus d'eux. L'observateur fit signe à son camarade de se relever de son trou, duquel il extirpa un MANPADS. Il lui fallut seulement quelques secondes pour verrouiller sa cible.

"Verrouillage de la cible. Cible infrarouge acquise. Paré à faire feu.
- Feu, feu, feu.
"

Après avoir verrouillé sa cible, le soldat kaulthe appuya sur la gâchette du MANPADS, la radio commença dès lors à fuser :

"Equipe Bravo-Three, une élimination confirmée. Continuez comme ça, terminé."

Les deux avions estaliens virèrent alors de bord, le premier faisant tout simplement demi-tour tandis que le second sembla esquiver la zone entourant le binôme qui venait de leur tirer dessus. Evidemment, tout cela était purement fictif. Aucun acteur de ces événements n'avait réellement tiré sur une cible quelconque, le MANPADS était muni d'une munition factice mais dont la mise à feu était enregistrée depuis le centre de contrôle de l'armée kaulthe. Et c'est normal puisqu'il ne s'agissait ici que d'un entraînement.

Dans le courant fin Avril 2016, le Comité de Défense Mutuelle (instauré par le traité de défense mutuelle entre l'Estalie et la Kaulthie) s'est décidé à effectuer un exercice d'entraînement conjoint entre Estaliens et Kaulthes. En effet, le 15 Avril dernier, le Commissaire à la Guerre estalien Dane Pelikan a estimé qu'il était temps que l'Estalie améliore les capacités défensives de son allié kaulthe et que la Fédération prévoyait en cela de doter l'armée kaulthe prochainement de systèmes anti-aériens afin de conférer aux Kaulthes une structure de défense anti-aérienne en cas de raid aérien. Cette stratégie défensive, déjà employée à l'échelle stratégique sur le sol estalien, a été défendu et privilégié au Comité de Défense Mutuelle par la partie estalienne : la Kaulthie ne dispose pas d'aviation et pour cause, elle ne dispose pas des infrastructures encore nécessaires à l'entretien d'une flotte d'aéronefs et les capacités aériennes actuelles de l'Estalie interdisent encore Mistohir de dégarnir l'Armée de l'Air Rouge pour combler les lacunes de son allié kaulthe. En conséquence, l'Estalie a proposé une alternative au sein du Comité de Défense Mutuelle : la défense anti-aérienne. Une telle défense ne nécessiterait dans les faits qu'un entretien maigre en infrastructures, en munitions et en carburant et peut être allégé par la rationalisation de l'utilisation des batteries anti-aériennes afin de couvrir le plus de territoires possibles.

Dans le cadre de cet approvisionnement futur, l'Armée Rouge a cependant posé une condition : il faut former les officiers kaulthes à la pratique de la défense anti-aérienne. Pour cela, l'Armée Rouge a récemment fourni plusieurs milliers de MANPADS aux forces armées kaulthes, principalement composés d'unités d'infanterie, afin d'habituer et de rôder en la matière l'état-major kaulthe à la défense anti-aérienne et aux exigences de cette dimension. Afin d'entraîner ensuite la réactivité des troupes kaulthes avec les MANPADS reçus, il a été demandé à la 1ère Escadre de Chasse "Sky Reapers" de se déployer en Kaulthie temporairement dans le cadre d'un bref exercice conjoint de deux semaines, le but de l'exercice étant de tester les défenses kaulthes afin que les conseillers militaires du CDC puissent noter les faiblesses et les forces constatées et guider ainsi les futures mises au point du système anti-aérien kaulthe.
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Couronne de la Résistance Grammarnasie
Manifestation pro-kaulthique à Dativeldorf,
le gouvernement opère sa répression habituelle

3 juillet 2016
Communiqué officiel grammarnasi associé

Une fois de plus, une manifestation de contestaires au régime dictatorial grammarnasi s'est tenue à Dativeldorf, capitale du Landkreis de Verrätersteil, une région bien connue pour être peuplée de catholiques impériaux, en opposition aux catholars du reste du pays. Ces impériaux se font régulièrement remarquer par leur volonté de séparatisme vis-à-vis du Grammarnasistein, qui les oppresse depuis des années.

Cette fois-ci, bien que l'AfD (Agentur für Demokratie, la police politique grammarnasie) n'ait visiblement pas prévu un évènement d'une telle ampleur, les manifestants n'ont pas pu arriver au bout de leur traversée de la ville sans qu'un régiment de police ne parvienne à les encercler. Environ la moitié ont pu s'enfuir, et le gouvernement annonce avoir capturé "une vingtaine de traîtres", ce qui semble fortement minimiser les chiffres totaux. Selon nos observateurs sur place, on comptait plutôt les participants en centaines.

Une photo prise par l'une de nos courageuses observatrices sur place.
Une photo prise par l'une de nos courageuses observatrices sur place.
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On écoute :

L'Eurysie Centrale, cette région sans soleil la moitié de l'année, chouette les vacances kaulthes, ça m'a coûté 10 000 unitas.



Quelque part dans la vallée de Bründwig,
à quelques dizaines de kilomètres de la frontière kaultho-kartienne,
Fédération de Tisbruch.


Il caillait sec, c'est le moins qu'on puisse dire. Rien d'anormal, on était en novembre. En cette période de l'année, le climat n'était pas très clément pour les habitants d'Eurysie centrale, encore moins pour les Kaulthes. La situation n'était guère arrangeante sur le sol kaulthe mais attendez d'être maintenant à vingt ou trente mètre de hauteur pour ressentir en plus du froid le vent soufflant de Mère Nature arrachant vos frêles épaules dans l'abîme hivernale du vieux continent. Pour n'importe quel novice, une telle température serait insupportable et paralysante, il suffirait d'imaginer un Aleucien habitué aux climats équatoriens pour se rendre compte de l'écart qui séparait parfois les habitants d'Eurysie centrale avec leurs compères du reste du monde, le froid avait tendance à durcir les hommes. Du moins, c'était la rumeur. Pour Aleksei, cette température figurait parmi ses routines, ce qui avait levé parmi ses compères kaulthes un léger élèvement de sourcil lorsque celui-ci monta sur une des tours de communications flambant neuves mises en place par le Comité de Reconstruction kaulthe il y a quelques semaines. Certes, les Kaulthes étaient habitués depuis leur naissance aux températures peu accueillantes de l'hiver mais monter à plusieurs mètres d'altitude avec une telle température n'avait rien d'habituel chez eux. L'expert estalien avait donc étonné la foule kaulthe lorsqu'il monta sur cette tour sans aucune once d'hésitation. Soit cet homme était particulièrement courageux et expérimenté, soit il embrassait pleinement la folie avec lui. Peut-être un peu des deux ? En tout cas, ce qu'il était en train de faire avait visiblement choqué les Kaulthes et tant mieux à vrai dire : ça dissuadera quiconque de le suivre, de l'observer et de le surveiller sur le moindre fait et geste qu'il effectuera une fois au sommet de la tour de communications. Une fois au sommet, il entra dans le radôme de l'antenne, étant désormais à l'abri des regards indiscrets pour effectuer enfin sa démarche, il sortit l'ordinateur portable de son sac à dos, connecta celui-ci au terminal de l'antenne et utilisa la porte dérobée dans le logiciel de celui-ci pour rediriger enfin les signaux de l'antenne vers un centre d'analyse à distance, située dans la campagne kaulthe, loin de toute civilisation. Ce que les Kaulthes en bas de l'antenne ne savaient pas, c'est que Aleksei, le technicien estalien recommandé à la commune par le Comité de Reconstruction, était un agent sous fausse couverture du SRR (SETR, le service d'écoute du service de renseignement estalien), participant à une énième opération des services de renseignements estaliens. Quoi ? La Kaulthie n'est-elle pas l'alliée de l'Estalie ? Pourquoi le SRR s'en prendrait aux Kaulthes ? Eh bien, ce n'est pas tout à fait exact, on ne s'en prend pas aux Kaulthes directement.

Les antennes de l'ambivalence :

En effet, alors que les Estaliens s'attèlent progressivement à aider la Kaulthie à se reconstruire sur tous ses aspects, certaines zones sont déjà sujets à des reconstructions des télécommunications afin de fluidifier le réseau de communications kaulthe afin de stimuler davantage la reconstruction économique. Cependant, derrière le discours de volonté d'aide et de coopération de l'allié estalien se cache toujours un objectif plus discret, celui de profiter de la reconstruction pour installer des capacités d'écoute passives et actives, déguisées en éléments civils.

Tout commence par la cartographie des emplacements stratégiques. On cherche surtout les points en hauteur (collines, bâtiments dominants dans les villes, pylônes radio) situés non loin des frontières que l'on souhaite surveiller (en l'occurence, proches des frontières de Karty, de l'Altarie et de Rasken principalement). Plus la ligne de vue est claire vers le territoire, mieux c'est. Dans les bandes VHF (30-300 Mhz) et UHF (300 Mhz-3 Ghz), l'écoute est très sensible à la topographie. Pour les signaux micro-ondes, utilisés notamment par les faisceaux hertziens civils ou militaires, on vise les corridors de propagation entre relais. Quant aux satellites, on installe généralement des antennes à grand grain orientées vers des orbites fixes (GEO) ou en balayage pour les orbites basses (LEO). Une fois les points choisis par le Comité de Reconstruction, vient l'intégration technique gérée par les agents sous couverture du SRR. Cela peut se faire dans le cadre même des travaux de reconstruction, sous la supervision (et la complicité) d'ingénieurs estaliens. Par exemple, lors de l'érection d'une tour de télécommunications, on installe un ensemble d'antennes sectorielles classiques pour assurer le service local mais en même temps, on fixe une ou plusieurs antennes directionnelles à haut gain, camouflées dans des radômes standards, voire intégrées simplement dans les modules existants. On peut ainsi masquer une antenne longue portée en la faisant passer pour une antenne relais. A l'œil nu, pour un technicien local, rien ne semble suspect et même si l'antenne est repérée, son apparence civile lui confère une certaine légitimité.

Les câblages sont ensuite redirigés non pas vers les équipements de commutation classiques du réseau public kaulthe mais vers un système d'acquisition de signaux spécifiques, basé sur des SDR (software-defined radios). Ces dispositifs sont petits, discrets et sont configurables à distance. L'unité peut être intégrée dans un local technique, un conteneur blindé ou un étage isolé du bâtiment relais, parfois même dans un simple caisson d'alimentation électrique. Ces équipements sont conçus pour collecter, trier et transmettre les signaux d'intérêt (fréquences radio, flux micro-ondes, métadonnées GSM) vers un centre de traitement déporté du SRR, installé dans une zone reculée et sécurisée, généralement au fin fond de la campagne kaulthe pour conserver une certaine discrétion. Pour acheminer les données, plusieurs options sont possibles pour le SRR. On peut utiliser une liaison fibre optique dédiée discrètement intégrée dans les trames réseau ou bien une liaison micro-ondes point-à-point cryptée, orientée vers le poste de commandement du SETR dans la zone. Dans les cas les plus sensibles, un module d'enregistrement local est utilisé avec une récupération périodique physique par un opérateur sous couverture du SETR. Le tout repose évidemment sur une porte dérobée logicielle, intégrée dans l'architecture même du réseau reconstruit, au niveau directement du firmware des routeurs, des relais d'accès ou même des OS embarqués.

Les antennes ainsi installées peuvent remplir plusieurs fonctions selon leur orientation et les objectifs stratégiques. Certaines sont là pour intercepter les communications hertziennes militaires : liaisons entre pelotons, transmissions des garde-frontières ou communications non-chiffrées. D'autres captent les signaux GSM en transit, en particulier dans les zones frontalières, où les téléphones passent d'un réseau à l'autre générant des paquets d'identification exploitables. D'autres encores sont tournées vers le ciel, scrutant les émissions descendantes de satellites de communication civils ou militaires mais dans ce cas présent, aucun des voisins de la Kaulthie qui nous intéressent disposent encore de tels systèmes de communications satellitaires, ce n'est donc pour l'instant pas nécessaire. Bien sûr, ces écoutes sont purement passives mais il est entendu qu'elles peuvent être utilisées de manière plus active et agressive en émettant des requêtes et en créant de fausses cellules GSM (type IMSI catchers longue portée) afin de perturber légèrement les communications adverses pour tester leur redondance ou leurs réactions. Bien entendu, de telles méthodes suggère aussi un risque de détection bien plus élevé, ce qui explique que le SRR ne se réserve cette usage qu'en cas d'état de guerre.

Objectifs du SRR :

L'objectif premier du SRR qui est en somme assez banal pour un service de renseignement, c'est la captation des communications étrangères sensibles situées aux frontières de la Kaulthie, bref du SIGINT. A travers les antennes, les fibres et les routeurs compromis, il ne s'agit pas d'écouter la Kaulthie, qui reste un pays allié, mais d'observer ceux qui gravitent autour d'eux. Dans le cas de la Kaulthie, sa position géographique centrale en Eurysie centrale fait du pays un excellent observatoire périphérique pour les services de renseignements estaliens, surtout dans le cadre d'opérations qui pourraient viser l'espace centro-eurysien (que ce soit Karty, Rasken, l'espace kresetchnien ou même plus à l'ouest de la Kaulthie). Concrètement, le SRR, à travers cette opération, cherche principalement à intercepter les transmissions chiffrées entre ambassades grâce à des attaques par corrélation temporelle ou par analyse du trafic chiffré, à identifier les signaux de commandement militaire, à cartographier les flux diplomatiques sensibles et enfin exploiter les métadonnées (qui par à qui, combien de temps, à quelle fréquence et sur quels segments du réseau). A partir de cette collecte brute, des algorithmes peuvent identifier des mouvements diplomatiques ou militaires bien plus rapidement.

Ensuite, sur le plan opérationnel, l'idée est de rendre la stratégie régionale estalienne plus réactive. L'intérêt est de pouvoir détecter en temps quasi-réel toute modification dans le rythme des communications critiques d'un des pays voisins de la Kaulthie. Un regain d'activité dans les communications d'une division militaire voisine, la saturation d'un réseau militaire isolé, une montée en charge d'un canal radio jusqu'à là calme et discret. Le but est de repérer les signaux faibles des mouvements militaires, des exercices, des mobilisations ennemies ou même des opérations clandestines. On vise ici la détection précoce des manoeuvres militaires via les pics d'utilisation de bande VHF/UHF ou les communications cryptées spécifiques, le repérage des corridors logistiques ou de ravitaillement qui dépendent de relais civils (réseau routier, ferroviaire, etc.), le suivi des flux d'information internes en cas de crise ainsi que la surveillance des canaux de communication d'urgence qui sont généralement rarement utilisés mais qui sont extrêmement révélateurs lorsqu'ils s'activent.

Enfin, le dernier objectif, beaucoup plus secondaire, c'est une capacité de contre-attaque du SRR sur son allié kaulthe. En effet, la Kaulthie reste certes un allié mais aussi un pays instable, il est évident que le régime kaulthe pourrait être ciblé par une opération clandestine adverse visant à renverser son gouvernement. Il est tout aussi probable que des éléments réactionnaires subsistent dans la nation kaulthe et tentent malgré leurs moyens actuels de prendre le pouvoir. Malgré la faible plausibilité de ces scénarios où le régime kaulthe ami s'effondrerait et retournerait sa veste contre l'Estalie, le SRR préfère jouer la carte de la prudence et disposer d'un moyen d'écouter ce qui se passe en Kaulthie, non à des fins d'ingérence politique mais afin de protéger l'actuel régime et permettre au SRR une certaine marge de manoeuvre qui lui permettra de contre-attaquer et de maintenir un régime pro-estalien en Kaulthie.
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L'imagerie de Bergrun en Kaulthie.

Petit pays pas vraiment influent dans le monde, Bergrun restait un lieu assez connu, et ce, grâce à une solide activité touristique et commerciale, plus précisément concentrée sur le terroir. Comme on le disait, le tourisme et le terroir se renforçaient mutuellement : le premier appelait à consommer le second, qui lui encourageait à visiter le premier. La liqueur, bière, nougat, tisane, charcuterie, pâté, les montagnes russes loduariennes à flanc de montagne, les pistes de ski, les chalets et hôtels, les petits villages traditionnels, ses innombrables paysages et ses monastères. Tout cela contribuait à un imaginaire collectif qui faisait immédiatement savoir de quoi l'on parlait lorsque l'on évoquait Bergrun ou ses habitants. De par sa proximité géographique, la Kaulthie n'échappait pas à cela et s'y vendait (officiellement ou par la contrebande) tous ces bons produits qui réchauffaient le cœur. Il en était de même pour les sites touristiques et les villages, ouverts à tous sans distinction. Il devait y avoir très peu de Kaulthes qui ne connaissaient pas cet imaginaire bergrosish ou qui ne connaissaient pas quelqu'un qui était en plein dedans. Qui n'avait pas un ami parti skier là-bas, ou consommant régulièrement de la charcuterie et de la bière de Bergrun ? Aussi petit qu'était le pays, il était très parlant, bruyant même, et il attachait une importante attention à faire la publicité de ses produits.

Il y avait en particulier deux axes pour faire ladite publicité : la communication officielle et le bouche-à-oreille. Dans le premier cas, il s'agissait sobrement d'employer les médias traditionnels : une petite mention dans un journal, une apparition à la radio, un bref passage à la télévision ou un encarté sur internet. Vacances de rêves ou déjeuners appétissants étaient des sujets qui attiraient facilement l'attention lors d'un quotidien ennuyeux de travail.
Mais c'est sur le second point que Bergrun était vraiment bruyant, quand les vacanciers satisfaits retournaient chez eux pour partager des photos du pays et de ses montagnes, parler de leurs aventures et de leurs activités, le tout en ramenant en souvenir des kilogrammes de charcuterie et boisson. Ces produits étaient d'ailleurs bien plus parlants sur les étales de marché et les magasins qu'à la télévision. Voir une pièce de sauciflard entre deux émissions du journal télévisé était une chose, la voir à l'épicerie quand on a le cabas dans une main et le porte-monnaie dans une autre était déjà plus décisif. Et une fois satisfait de leur commande, ils en parlaient à leurs amis.

C'est de cette façon que Bergrun se créait cette image positive auprès de tous, y compris des Kaulthes, un pays agréable qui laissait rêveur, qu'on souhaitait visiter pendant les vacances, ou consommer les produits traditionnels en attendant.
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