18/09/2016
15:02:54
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[RP] Chroniques - Page 3

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CHARITÉ BIEN ORDONNÉE...


Je t'ai vu souvent parler du monde,
du vaste, de l'ample, de l'universel.
Tu tenais l'injuste entre deux doigts,
comme un papier fragile qu’on agite
mais qu'on ne froisse jamais.
Tu regardais loin,
très loin,
au point de ne plus voir
dans ton dos.

Tu étais toujours prêt à pleurer
pour ceux que tu ne rencontrerais pas,
jamais pour celui qui se taisait à côté.
Ton cœur était grand
mais il ne faisait pas le tour
de ta propre maison.

Tu m'as cru replié sur moi-même.
Tu disais que je manquais d’élan,
que mes pas étaient petits.
Mais j’ai commencé par moi,
non par orgueil,
non par oubli,
mais parce que nul ne peut verser
d’une coupe vide.

J'ai réparé des silences,
j’ai tenu la main qu'on oublie,
j’ai appris le poids d'un regard
quand il se pose, sans fuir.

Charité bien ordonnée...

Je n'ai pas crié.
Mais ce que j'ai donné a passé de main en main,
sans nom, sans drapeau.
Il est arrivé plus loin que moi,
sans nul besoin que je l’envoie.

Il y a des feux qui brûlent sans éclat,
et réchauffent pourtant.

Aimer n’est pas un grand geste
mais une suite de présences.
Ce que l'on donne vraiment
ne commence ni au sommet ni au lointain,
mais là où l'on est.
Et ce cercle,
s'il est tracé avec justesse,
s'élargit.

Charité bien ordonnée
ne regarde pas moins loin -
elle commence juste plus près.
339
LÀ OÙ EST TON TRÉSOR...


Chaque geste me façonne.
Je tends la main - rien ne répond,
sauf le poids muet de l’habitude.

Mon agenda s'égrène,
non en heures, mais en appels sourds,
en attentes qui creusent l’intérieur.

Là où est ton trésor...

Je pose mes yeux sur l’éclat -
et déjà mon souffle suit.
Ce que je cherche me travaille.

Pas de lumière promise,
seulement la lente érosion
d'un cœur modelé
par ce à quoi il se donne.
761
DE LA TECHNIQUE


Ils m'ont tendu des outils.
Leur métal froid promettait
de trancher le réel.

On m'a appris à mesurer les cimes,
à disséquer les vents,
à nommer les battements
comme on étiquette des fioles vides.

Mais rien ne tremble
dans le compas.

J'ai creusé le mot jusqu’à l’os.
Sous l'os, il n'y avait
que des copeaux
de signifiants morts.

La lumière tombe droite
sur les pages quadrillées,
mais aucune ombre n'y naît.

De la technique

Le chant ne se laisse pas plier —
il échappe entre les barres de mesure,
fuit les grilles,
s'épanche dans l’espace que le calcul oublie.

J'ai regardé une larme glisser
sur la joue d'un visage
sans équation.
Et là,
un monde a vacillé.

Je laisse les outils sur l'établi.
Je marche sans méthode
dans l'épaisseur du soir,
où chaque pas déchire un peu
du silence
que la technique ne sait pas entendre.

Et soudain,
dans l'ombre chaude d'un souffle,
quelque chose palpite -
non pour être compris,
mais pour être.
927
COURBÉS, REDRESSÉS


Il ne suffit pas de naître -
il faut respirer plus haut que soi.
Un feu passe entre les générations,
légué sans bruit
par le sang,
par la main qui corrige,
par le silence des exemples.

Le matin ne ment jamais.
Ce qui pousse
pousse encore.
Toute vertu, à peine effleurée,
dresse déjà la tête,
affamée de lumière.
Et les vices, en tanières,
rongent l'ombre
jusqu’à ce qu'une volonté les prive de dents.

Il n'y a pas de table rase.
Nous entrons tous
dans un monde déjà incliné,
où certains vents soutiennent l'élan,
d’autres plient l’échine.
On hérite d’un nom,
et d'un souffle -
incomplet, parfois fêlé,
mais encore tiède.

Courbés, redressés

La liberté est une fracture.
Elle délie,
elle tranche
jusqu’à l’os des illusions.
L'égalité s'y dissout
comme le sel dans l’eau des vivants.
Reste la paix -
non pas donnée,
mais sculptée,
fraternité bâtie entre deux distances,
deux silences,
deux hauteurs.

Et ce souffle,
plus fort que le sang,
plus lent que l'orgueil,
traverse un père,
une mère,
une nuit sans rancune.

Il cherche à s'élever
par ce qui fut planté,
et qui aujourd'hui
refleurit
dans un cœur
qu’on a choisi d’ouvrir.
1037
TRAVERSER


Chaque matin me délivre.
Je sors - non pour conquérir,
mais pour sculpter en silence
la forme éphémère que je crois être.

Les pierres du monde ne s’écartent pas.
Elles se laissent gravir.
Et dans l’effort,
un souffle s’épure,
quelque chose de dur fond doucement
au creux de mon nom.

Ce que je construis,
je ne le possède pas.
Je le traverse
comme on traverse un feu
qui ne brûle que les oripeaux du moi.

Le jour est lutte,
mais pas contre.
Il est friction d'avec soi-même -
un lent polissage de l’illusion.

Puis vient le retour.
L'espace chaud du foyer,
non comme refuge,
mais comme lieu d’amour où l’on désarme.

Traverser

Famille :
non pas lien,
mais offrande continue
de ce que l'on n'a jamais été.

Travailler et aimer.
Deux gestes.
Deux souffles.
L'un qui forge la forme,
l’autre qui l’efface.

Et l'homme va,
entre le feu et la douceur,
sans savoir s'il monte ou s'il s'érode.
Mais à chaque pas,
il devient moins lui-même -
et plus vaste.

La douleur ne ment pas.
Elle est l'outil d’un invisible sculpteur.
Elle n’écrase que ce qui devait tomber.
Elle creuse pour que l’amour
trouve enfin où couler.

Ce ne sont pas des fonctions.
Ce sont des métamorphoses.

Et à la fin,
quand il n'y a plus rien à dire,
l'homme ne soupire plus.
Il écoute.
Et ce qu'il entend,
c’est le murmure du monde
dans sa propre disparition.
700
MIENNE


Elle n'est qu’une fleur.
Un pli de lumière.

Ses pétales,
papier froissé par la rosée,
s’ouvrent à peine,
puis tombent
dans un soupir.

D’autres diraient :
elle fane trop vite,
elle n'a pas de parfum,
elle ne vaut rien.

Mais je sais ce que j'ai donné.

Les jours que j'ai creusés pour l’eau,
pour mieux écouter son sommeil,
le regard que j’ai dû affûter
au rythme de mes absences.

Mienne

Protégée du vent,
j'ai veillé,
chaque matin,
sa chute.

C'est dans la chute
que je la reconnais mienne.

Elle me fait mal parfois,
d'un oubli, d'un manque d’eau,
de cette fatigue qui me prend
quand je ne comprends plus.

Mais elle revient.
Toujours.
Autre.
Pareil.

Et je reviens à elle,
non par devoir,
mais parce qu'en elle
j’ai enterré quelque chose de moi.

Si elle n'était qu’une pour les autres,
elle était pour moi,
le poids de cette fidélité
qui brûle sans cesse,
sans crépiter,
dans le silence.
383
LE VIDE COMME CREDO


Le sabre n'a pas d’ombre.
Quand je le lève,
ce n'est pas ma main qui le guide,
mais ce qui précède la main.

Le pas glisse sans peser.
Le sol n'existe pas.
C'est un souffle,
ou peut-être un soupir
que le vent n'a pas su garder.

Le vide comme credo

Tout ce que je touche se défait :
l'écorce s'efface,
le rocher fuit sous le talon,
et même l'ennemi
ne tient plus dans sa forme.

Ce n'est pas le vide qui m'entoure -
je suis déjà tombé de lui.
Il n'a pas de fond,
pas de parois,
pas de nom.
523
LANCES DES DIEUX


Le vent n'a pas de visage, mais il me parle ici,
dans le silence des hauteurs où le monde se suspend.

L'air a le goût du vide, aigu, métallique,
il mord les lèvres, il griffe les poumons,
et pourtant, je respire.

Tout est lumière, blessante et pure,
comme si le ciel avait versé tout son sel sur les crêtes.

Lances des dieux

Les roches percent la blancheur comme des os sous la peau d'un géant,
immobiles, veilleurs d'éternité.

Je tends l'oreille - rien.
Le silence ici n'est pas absence, il est présence plus grande que moi.

Le sommet n'est pas loin.
Mais déjà, je suis arrivé - au seuil du monde,
là où le souffle du ciel touche enfin la peau.
1072
POUR QUE LE MONDE TIENNE ENCORE


Ils ne parlent pas fort,
mais leur silence a la densité des choses vraies.
Sur la table, deux bols tièdes,
et l'ombre lente des souvenirs
qui s'étire sur la nappe.

Rien ne scintille -
et pourtant, dans la manière
dont il ajuste le coussin sous son dos,
ou dans le temps qu'elle met
à poser sa main sur la sienne,
quelque chose passe
qui échappe à tout calcul.

Ce n'est plus la passion,
ni le battement désordonné
de ce qu'on nomme l'élan.
C'est une sorte de présence,
tissée d'années, de regards croisés
et d'absences traversées sans fracas.

On ne peut rien mesurer ici.
Ni l'intensité d'un geste,
ni le poids d’un souvenir qui revient
lorsqu'elle rit d'une vieille anecdote
qu'il feint d'avoir oubliée.

Pour que le monde tienne encore

Ce n'est pas un miracle,
et pourtant ça ne s'explique pas.
Comme la lumière du soir
qui entre par la fenêtre
et fait briller la poussière en suspension.

Le monde peut bien chercher
les ressorts du cœur
dans la géométrie du cerveau -
eux savent
que certaines vérités
se devinent dans une ride nouvelle,
dans un silence respecté,
dans la chaleur d'une présence
au moment où l'on ne dit rien.

Ils n'ont pas besoin d'y croire.
Ils le savent -
comme on sait que le vent passe,
invisible et réel,
sur la peau qui frissonne.

Et cela suffit
pour que le monde tienne encore.
1382
HISTOIRE D'UN SOT


Un homme au front plissé, le verbe acéré,
vivait seul,
chargé de diplômes, de soupirs,
et d'une grande bibliothèque où personne n'entrait.

Il méprisait l'heure, le thé chaud, le chant d’un oiseau sur un fil,
et surtout - surtout !
le rire du voisin d’en bas qui chaque matin sifflotait en arrosant son palmier.

« Quel sot ! » grondait le Malin,
« À quoi bon cette joie sans cause ?
Ne voit-il donc pas l’absurde de la vie ?
Il n'a ni thèse, ni théories,
pas même un journal du matin !
Il va et vient pour trimarder, sa vie est celle d'un chien.
Il est heureux comme un crapaud sous la pluie.
C’est dire s'il est bête. »

Il ricana, mais un jour,
pris de curiosité ou de rage (nul ne sut),
il descendit parler au Content.

Celui-ci l'accueillit
avec un coussin, un sourire,
et du jus de wassaï.

Le Malin parla longtemps,
expliqua tout :
l'inutilité, l'ennui,
la souffrance du monde.


Histoire d'un sot

Le Content écouta, hocha la tête,
puis dit simplement :
« Je ne sais rien de tout cela.
Mais j'aime bien quand il fait beau.
Des fois j'ai mal, puis la pluie balaye tout. »

Le Malin, outré, remonta chez lui, en rage.
Et dans son grand salon froid, il se mit à rire tout seul
- nerveusement, comme pour se rassurer.

Il se dit que l'idiot était plus idiot qu'un rêve,
plus simple qu'un caillou, plus léger qu'une plume sans vent.

Alors le Malin, de plus en plus fébrile, rassembla toute sa colère,
son mépris, sa science, les jeta contre l'indifférence joyeuse,
espérant une faille, une réaction, une plainte - mais rien ne vint,
sinon le souffle tiède du matin, le bruit de l'arrosoir sur la terre.

Le silence était immense, doux, insupportable.
Sa rage ne trouvait ni cible, ni écho,
et sa souffrance, grandissante,
tournait sur elle-même comme un feu sans vent.
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