Posté le : 21 août 2023 à 20:00:20
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Y a-t-il seulement plus pathétique excuse d’humanisme que l’homme blanc se raccrochant à ses fantasmes impérialistes ? C’est une question qui se pose, et sous divers moyen, à travers le globe et autour d’un constat. Les empires modernes, ceux qui ont inventés le racisme et le mépris, ceux qui ont créés la violence industrialisée, ceux qui ont fait de la cruauté mécanique et de l’appropriation de la terre sacrée par son viol systématique, sont des faits d’une certaine civilisation blanche, d’aucun diront occidentale, mais par ces contrées d’Afarée subdésertique, la nuance n’est pas évidente. On a vu, en termes clairs, bien peu d’exemples de blancs fréquentables, qui ne venaient pas aider d’une main et voler du reste. Voler, encore que le terme est aimable, car un vol bien fait se fait discrètement. Un vol bien fait se fait la nuit, ou en l’absence du volé. Un vol bien fait peut se remarquer bien plus tard. Or personne n’est dupe. Ce n’est pas un vol. C’est sanguinaire. C’est un pillage. Une brutalité de plus. Le grand retour de l’Eurysie, tant empêtrée dans ses vieilles idées qu’elle se croit encore triomphante. Imbécile eurysie, qui n’a pas compris comme le monde c’est décentré. L’Axis Mundis n’est plus le royaume froid des occidentaux et de leurs certitudes. Des décennies d’Histoire et de Science ont démontées ce grand crime, cette erreur terrible de compréhension. Le monde n’a plus un pôle. Il en a des milliers. Et chacun a son système immunitaire. Ses passions. Ses ambitions. L’homme blanc veut recréer son empire, et se trouve une pléthore d’idiots utiles et méprisables. Le second monde, celui des anciens colonisés, s’est depuis longtemps organisé. Il connaît les méthodes de son ennemi, les fixe avec attention et mépris : il n’y a rien de noble dans la méthode de l’adversaire. Rien de noble, non. Mais on ne craint pas sa victoire, car pendant que la Listonie tue par centaines dans un exemple frappant de l’accomplissement logique de la civilisation occidentale, l’Afarée s’est réveillée, et a acceptée des mains tendues. Pas seule, à la façon occidentale, pour cacher le couteau que tient l’autre. Mais tendues ensemble. Une poignée franche et fraternelle, qui ne cache rien, dit tout, jusqu’à son nom. Liberté, enfin, la liberté.
Tactiquement, maintenant, il faut reconnaître qu’il existe un avantage indéniable pour les hommes du pouvoir. Les idiots utiles et leurs petits soldats de plomb croient sans doute à la conquête d’une nouvelle colonie. Comment ne pas hurler de rire face à ces clovaniens suant comme des boeufs, parlant la langue du pays avec leur accent minable. Français ? Le français clovaniens n’a rien à voir avec le français du Gondo. Et de toute façon le Français et la langue de l’ancien ennemi. Parlent-ils les patois locaux ? Comprennent-ils l’histoire et la culture locale ? Déjà, les accusations de viol fusent. En esprit c’est tout comme : le clovanien vient aider le tyran, qui applique scrupuleusement une parodie de république, démocratie sans queue ni peuple, castrée, stérile, elle n’amènera à rien, n’aura pas d’héritiers pour la maintenir en place. Cette armée blanche se déploie. On a suivit avec amusement la Geste pathétique de leur armée, bloquée par les grandes soeurs de l’Althalj. N’ont-ils pas compris dès cet instant que cette aventure n’aurait pas de conclusion heureuse ? N’ont-ils pas compris qu’il y avait là un continent blessé d’être encore pris pour une colonie ? La nation que prétendait défendre les clovaniens n’était qu’une construction artificielle. Elle devait se défaire de ces sparadraps imposés aux dernières jours de la colonisation, pour se libérer enfin. La Clovanie, elle, venait maintenir le couvercle au sommet d’une marmite. La pression monterait. Leur plan revenait à la condamner à l’explosion. Mais après tout, ils avaient tout à perdre, et on pouvait s’arranger qu’ils perdent tout.
C’eut été plus aisé, maintenant, s’il n’existait pas au Gondo un fort courant de rêveurs. Beaucoup se contentent de combattre pour leur "liberté", sans mettre de définition sur le mot. Il devient creux. Liberté, conflit d’intérêt entre nantis d’une ethnie ou d’une autre, entre néo-nobles d’une classe bourgeoise oligarchique, s’abrutissant en regardant quelques opéras hors d’âge dans une capitale dénuée d’infrastructures dignes de ce nom. Quoi croyaient-ils apprivoiser, ces primains ? On regardait toute leur démarche avec une curiosité ironique. C’était comme un retournement du zoo humain. Après avoir passé des décennies à exporter la viande noir pour son bon plaisir, l’homme blanc venait se donner en spectacle, croyant peut-être qu’il suffirait de robes longues, bizarreries insensées par ces latitudes, et de chants poussiéreux pour amadouer une société qui n’avait ni le goût de l’opéra, ni celui des froufrous. On avait décolonisé beaucoup d’esprits. Les éduqués étaient à ranger en deux catégories. Les opportunistes, qui suivaient le pouvoir et applaudissaient sans y croire la valse imbécile des étrangers qui voudraient bien préserver leur pouvoir, et les autres, qui avaient conscience de la situation et l’observer avec un dégoût larvé, gardé discrètement pour eux tant le régime du président ne tolérait pas l’opposition réelle. Le peuple, maintenant, n’était pas si simple à charmer, et quand ils voyaient ces nonnes arriver, imposer leur morale, leur religion, leurs étrangetés, c’était un souvenir qui crispait les plus anciens : n’avait-on pas déjà tenté de les évangéliser ? Et pour quels résultats ? Les souvenirs refluaient hors de la plaie, comme une coulée de sang chaud, artériel. La blessure se déchirait d’elle-même sous le poids de la mémoire. Les pensionnats où l’on avait torturé des générations d’enfants. Les tombe commune. Le massacre d’un peuple par un autre, car ils étaient noires, de la mauvaise religion, tout argument était bon pour les rendre inférieures. Les nonnes n’étaient que l’avant-garde insipide et anachronique d’autre-chose, de toute évidence. L’aide qu’elles apportaient puait comme leurs idées. Ces personnes n’avaient rien à apporter au Gondo, que leurs certitudes et les intérêts de leurs maîtres. On ne connaissait pas très bien Primain. Ce qu’on apprenait sur ce pays prêtait à sourire. De tout les modèles, le leur ne faisait pas rêver. On ne rêvait pas de mourir de maladies disparues ailleurs, d’être écrasés par une église et quelques seigneurs de guerre. Et puis à quoi bon ? On avait déjà des seigneurs de guerre, ici. Et voyez le résultat.
Tout ça prêterait à rire, évidemment, si ce n’était pas l’Histoire de millions de vies, douloureuses et menacées. Il y a du triste dans le pathétique, autant que du drôle. L’affaire prête au moins à sourire.
Les démocrates, maintenant, s’organisaient. Encore que le terme de démocrate était trop incomplet, et que d’un lieu à l’autre on les définissait différemment. Ils étaient aussi bien démocrates que progressistes. Pas au sens qui faisait trembler ces réactionnaires, ce sens fantasmé d’une société imposant un progrès à sa majorité, par la force des armes. Ce sens n’existait tout simplement pas. Progressiste dans le sens où l’on avait fait le compte de l’Histoire et des erreurs, et ou plutôt qu’une stagnation, ou qu’un retour incapable en arrière, on se permettait prudemment de croire au mieux. Progressistes mais aussi libertaires. On croyait moins aux États - n’avaient-ils pas faillis le Gondo et une grande majorité de l’Afarée ? Mais aux communautés. Communautés de mœurs, de religion, d’ethnie s’il le faut absolument. On croyait, enfin, à la collaboration de forces vives et indépendantes, loin des tutelles hautaines et quelques aveugles venus de bien loin pour imposer leurs vus. Tous, ici, étaient frères et sœurs. Il ne serait jamais question de dire qu’un savait mieux que les autres parce qu’il avait les bonnes caractéristiques - raciale, religieuse, culturelle. L’humanité est de toute façon un chœur, s’il y avait de la place pour les solistes, ils devaient eux aussi suivre la partition.
Pendant que certains s’évertuaient à évangéliser une population rétive à ce passéisme, personne ne rêve du moyen-âge, et pendant que d’autres tuaient à tour de bras en pensant, peut-être, apaiser le pays à force de sacrifices, d’autres forgeaient des alliances et étendaient le champ du possible.
Ça avait commencé par un geste audacieux. Après tout il n’était pas dit que Fortuna, membre de cette Organisation des Nations Commerçantes à la réputation si sulfureuse, soit ne serait-ce qu’ouverte à discuter avec des rouges. Encore moins avec des rouges en faction armée. On avait pourtant tenté l’aventure, respectueusement, à la façon du gouvernement qu’on espérait composer. On avait avancé nos objectifs, nos méthodes, nos ambitions pour la région. On avait proposé à Fortuna la seule chose, peut-être, qui pouvait servir de langage universel : une forme de prospérité. Un Gondo stable et débarrassé de la corruption ne saurait-il pas devenir un marché ? Et ne saurait-il pas collaborer dignement avec ses voisins ? Quelque-chose dans le discours avait, semble-t-il, parlé aux hommes du Triangle d’Or. Il n’y eut tout simplement pas d’opposition aux demandes des démocrates. Il y eut même des faits avérés de coopération.
En d’autres termes, les portes du nord étaient ouvertes, l’Armée Démocratique avait des ports fiables pour importer du matériel. C’était inespéré. Le Pari du commité insurrectionnel avait été un franc succès.
Pendant que des négociations se tenaient au nord, à Fortuna, les premières armes se mirent à traverser la frontière. Avec elles des formateurs kah-tanais. Eux parlaient plusieurs des langues du crû, certains, en fait, étaient même des gondolais, ou descendants de gondolais, qui avaient fuit le pays, et y retournaient maintenant pour l’aider à s’émanciper. Beaucoup d’autres venaient des communes afaréennes du nord. Ces kah-taais faisaient de leur mieux pour ne pas donner cette impression de condescendance qu’on pouvait toujours reprocher aux alliés. La pilule passait d’autant plus que, bien qu’étant théoriquement quelques volontaires internationaux, indépendant de toute initiative confédérale, ils arrivaient avec des armes de pointe, de quoi donner à la milice les moyens de ses ambitions. Ou plus prosaïquement, de sa survie.
En échange, on donna à Fortuna l’une des choses qu’elle attendait depuis longtemps : on fit en sorte de contrôler la frontière. Il ne s’agissait pas de devenir des supplétifs des douanes, mais plutôt de permettre, enfin, l’édification de camps de réfugiés et de migrants du côté gondolais de la frontière. Et à vrai dire c’était un vieux projet de l’Armée Démocratique, qui n’avait jamais pu être réalisé, faute de moyens. Maintenant que les moyens pouvaient affluer, on les utilisait à bon escient.
Ainsi, pendant que les camps de réfugiés fleurissaient sous le regard expert de travailleurs humanitaires de plusieurs nationalité, on décidé d’en faire autant d’exemples de villages idéaux. Pourquoi aller plus loin s’il y avait tout, ici ? Des formations professionnelles, des infrastructures modernes. Le chantier, aussi ambitieux que coûteux, fut réalisé avec soin, irrigué par des fonds étrangers massifs et un espoir aussi naïf qu’inépuisable envers l’humanité. Ces camps, aussi, servaient de centre de recrutement pour l’armée. Elle payait dignement, visait à rendre le Gondo meilleur, et ne s’intéressait ni aux conflits ethniques, ni à la religion de ses membres. Surtout, l’idéal auto-gestionnaire avait du charme : il s’agissait de faire chez soit ce que l’on souhaitait. Loin des rêves verticaux de quelques gouvernements en devenir rêvant d’imposer à des communautés un fonctionnement incapable de les satisfaire.
La situation continuait ainsi d’évoluer, et chaque geste ennemi offrait dix opportunités d’agir. S’il restait un certain nombre de contraintes matérielles et techniques, on espérait pouvoir rapidement en venir à bout.
Et il y avait, évidemment, la question des mercenaires étrangers.
Évidemment.