25/02/2015
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Le Grand voyage de Filippo DiCerva: la découverte des "îles aux épices" (1501-1504)
Partie I: De Velsna au cap Carmin




Nous sommes le 12 septembre 1502. Et rien ne présage pour les indigènes Wan de l’île de Tavaani, de la scène à laquelle ces derniers vont assister. Il ne faut pas croire que ces derniers soient coupés du monde. Depuis ce qu’ils pensent être la nuit des temps, ces derniers font du commerce avec les autres îles de l’archipel du sud, et beaucoup de femmes wan portent des bijoux qui ont été fabriqués au sud du Nazum, dans des lointains pays bien plus riches que le leur, et dont la culture est for différente. La Mer sud de Blême est un véritable microcosme politique qui n’est pas vierge. Mais pour les indigènes de Tavaani, le 12 septembre porte une sombre connotation, des caravelles frappées de fanons de lys rouges sur fond blanc. Il y en a quatre, et elles sont eu piteux état. Les marins qui sont à son bord sont épuisés par des mois de voyage : le scorbut a fait tomber les ongles et les dents de certains, les stocks d’eau sont en grande partie croupis. Mais le visage de ces Hommes s’illumine lorsqu’ils atteignent enfin les plages de l’île en barque. Les indigènes observent au loin ces individus s’agenouiller et se coucher le ventre contre le sable. Trois d’entre eux transportent depuis une caraque une grande croix qu’ils viennent planter au sol. Les indigènes ne comprennent pas : qu’est ce qui peut amener ces gens ici ? Les wan ne se rendent pas compte de ce qui fait du caractère exceptionnel de Tavaani. Car jamais ils n’auraient pensé que l’on puisse donner une telle valeur à une petite chose aussi courante. Tavaani était l’un des seuls endroits au monde où poussait les clous de girofle. Cette épice qui ici ne valait rien, était vendue à un prix plus élevé que l’or en Eurysie. Cela, les wan ne le savaient pas. Les velsniens, pour la plupart, connaissent mal cette histoire. Certes, on connait bien le nom de grands navigateurs de l’époque des grandes découvertes. Mais le chef de cette expédition, le velsnien Fillipo DiCerva, est un héros maudit. Tous savent qu’il est le premier velsnien a avoir rejoint les « Indes nazumi » par l’ouest, mais bien peu savent dirent pourquoi ce dernier a fait cela. Tout simplement parce que DiCerva a échoué. Mais pour donner toute la noblesse à cette Histoire, il faut revenir aux origines de ce DiCerva. Pourquoi un velsnien s’est-il aventuré aussi loin des routes commerciales traditionnelles de la cité ? Pourquoi ce voyage ? Dans quelle Eurysie celui-ci a vu le jour et fait ses premiers pas ?

De DiCerva on ne sait pas grand-chose de sa jeunesse, encore aujourd’hui. Tout au plus on sait qu’il provient de la petite aristocratie velsnienne, dans une famille de négociants d’épices de la petite cité de Velcal, sans doute au début des années 1460. DiCerva est né et a grandit a une époque fantastique pour les marins : celle des grandes découvertes. Le jeune DiCerva a vu des caraques partir pour l’Aleucie, et y ramener des richesses venues d’un autre monde. Le moyen-âge s’efface doucement, et un monde encore inconnu est désormais à portée de main, alimenté par un progrès technologique constant. Parmi les eurysiens, les listoniens et les fortunéens s’aventurent déjà le long de la côté afaréennes, et ouvrent de grandes routes commerciales par le sud du continent jusqu’au Nazum. Quant à l’Aleucie, DiCerva est témoin, en 1477, de la revendication du versant oriental de l’île de Saint Marquise par l’un de ses compatriotes. Les zélandiens et les galouèsants, eux aussi, sont dans la course. Zélandiens et velsniens sont alors obsédés par l’afflux d’épices provenant d’extrême orient, et cherchent désespérément une route dont les autres puissances coloniales ignoreraient encore l’existence, cherchant un passage de l’Aleucie au Nazum par l’ouest. Les premières explorations sont infructueuses : le passage nord de l’Aleucie est bloqué par la banquise, tandis que le Détroit des Alguareno, dont la découverte a été faite récemment, est déjà revendiquée par les grandes puissances de Leucytalée. Le passage y devient donc immédiatement risqué, d’autant que les courants marins ne sont guère favorables à une traversée du « grand océan » à ces latitudes. Dans le même temps, la chute de Léandre apporte à Velsna un afflux inespéré de marins expérimentés, de négociants et banquiers capables de soutenir financièrement ces expéditions.

Le jeune DiCerva fait ses premières classes de marins sans passer par la Grande École de l’Arsenal, directement dans le feu de l’action des premiers affrontements sur mer avec les zélandiens, qui s’érigent rapidement en principaux concurrents de la Grande République dans les mers du nord. Gravissant rapidement les échelons du commandement malgré ses moyens financiers limités, ce dernier est pris dans le patronage d’un riche aristocrate velsnien, comme tout individu peu fortuné ayant la volonté de faire une carrière longue dans la Marineria.

On ne sait pas exactement quand le grand projet de DiCerva émerge. Il avait un plan, et il semblerait que celui-ci soit né du manque de perspectives financières en métropole, conjugué à sa propre confiance en ses talents de marin. A l’évidence, il naît d’un profond sentiment d’injustice quant à ses propres capacités, étant persuadé que ses talents ne sont plus justifiés par une paie bien trop basse à son goût. Ce qui est certain est que les sources l’évoquant font appel à sa grande ambition, et d’une certaine cupidité, doublée d’un talent naturel pour la navigation. Les expéditions dans les mers du nord sont mal payées, en plus d’être infructueuses depuis des années. Saint-Marquise s’avère être une île pauvre, hormis en fourrure et en ambre. DiCerva, sans moyens, doit attirer des investisseurs misant sur le succès de sa future expédition, dont le Sénat velsnien lui donne la tâche depuis les années 1490. DiCerva propose don au début de l’année 1498 son nouveau tracé à quelques sénateurs qu’il juge plus aventureux que les autres. Plutôt que de tenter la route du nord engorgée par la banquise ou le Détroit des Alguareno occupé par des puissances étrangères hostiles et jalouses de leurs routes commerciales, celui-ci propose ainsi de contourner le continent par le sud, dont il clame que les courants indiquent l’existence d’un passage encore non cartographié par les velsniens. L’entreprise est risquée : les zélandiens ont déjà une longueur d’avance dans la région depuis leur revendication paltoteranne, continent encore peu connu hromis par eux et le Duc de Gallouèse. Pour délimiter théoriquement le Grand Océan, que les listoniens et fortunéens ont d’ores et déjà commencer à sillonner par la mer Blême, DiCerva fait appel à deux cartographes transfuges de l’Empire listonien : les frères Gulpo. C’est de l’un de ces frères, Girolamo Gulpo que provient la source primaire la plus importante de ce voyage, par son journal de bord. Les sénateurs velsniens sont convaincus : DiCerva trouvera le passage vers l’ouest pour la route des épices, et des plus recherchées de toutes : les clous de girofle, dont les négociants fortunéens et listoniens ont encore accès aux seules sources connues, dans le Nazum occidental. Mais ce n’était pas le seul danger, car les zélandiens, eux aussi, étaient à l’affut de nouvelles sources de girofle dont ils clamaient avoir pris la possession par l’est.

On lui confie cinq navires dont il faut faire le recrutement de l’équipage en partant de zéro, et sur les deniers de ses investisseurs. Il y en aura 227 de ces marins, provenant en majorité de Velsna certes, mais également des tanskiens, des zélandiens, des spécialistes fortunéens et landrins, sans compter les deux cartographes listoniens. DiCerva compensait ainsi la méconnaissance par les velsniens des eaux qu’ils allaient traverser. Les frères Gulpo estimaient le voyage à deux ans, durée qui sera largement dépassée par la suite. Il faut se rendre compte des tonnes de matérielles avec lesquelles sont chargés les navires : viandes, alcool qui ne croupissait pas contrairement à l’eau, fruits divers, denrées précieuses à échanger contre les clous de girofle à l’arrivée, artillerie et poudre, des centaines de litres de vinaigre afin de conserver les aliments et nettoyer les planchers de la vermine, des tonnes de cordage et de tissu pour remettre les voiles en état… L’expédition est ainsi prête au départ des Arsenaux de Velsna, le 1er Aout 1501, que le journal des frères Gulpo relate ainsi :
« Deux semaines avant l’ascension de notre seigneur, nous partîmes des arsenaux de Velsna. Les marins de la cité regardaient toujours derrière eux, car les citoyens de notre ville flottante s’étaient rendus sur les quais, et nous ont décoré des guirlandes de San Stefano pour nous porter chance. Notre première étape fut, après cette joie, de partir de la Manche Blanche par l’ouest et pour ne pas éveiller la curiosité des serpents de Zélandia, notre capitaine ordonna à notre armada de prendre la route de Nowa Velsna, à Saint-Marquise, et de les faire croire ainsi à un simple convoi. Les velsniens à bord font comme les fortunéens : ils en appellent à Dame Fortune pour les aider dans leur ruse. Et le capitaine, lui aussi profondément pieux, en fait de même. »

DiCerva prit donc la route déjà connue de Saint-Marquise, et en marin avisé, suivit le courant sud le long de l’Aleucie du nord par cabotage, n’entamant ainsi pas ses provisions là où il commerçait avec les indigènes des côtes et pouvoir à sa subsistance. Girolamo Gulpo nous livre là un témoignage précieux, et dresse un aperçu de ces cultures. Il décrit l’impression qu’il a de dépeindre des sociétés de plus en plus sophistiquées au fur et à mesure que l’armada se rapproche du Detroit des alguarenos. A une occasion, il s’arrête longuement sur un groupe en particulier, qui retint son attention :
" Notre capitaine, le treizième jour depuis notre arrivée en Aleucie, nous informa de son intention de faire amarrage dans une crique protégée des vents, qui étaient courants en cette saison sous ces latitudes. Nous fûmes accueillis par des Hommes et des femmes entièrement nus, comme le jour où notre seigneur nous créa, couverts de magnifiques peintures, et portant un seul pagne en plumes de perroquet pour tout vêtement, ce qui me paraissait proprement ridicule. Nous leur fîmes cadeaux de mouchoirs de soie et de peignes, dont les femmes comme les hommes se saisirent pour se tresser leurs cheveux soyeux. Ils nous offrirent donc de rester pour quelques jours dans la crique.

Ils nous restèrent amicales, mais au bout de quatre jours, ils commencèrent à tomber de la fièvre et de maladies inconnues. Ils prirent peur et nous devinrent hostiles, croyant qu’ils avaient été punis de nous avoir fait place parmi eux. Nous dûment repartir vers le sud. »


Au bout de quatre semaines plein sud, l’armada du capitaine DiCerva arrive à l’embouchure orientale du détroit des Alguarenos et des Barbujas. Là, les velsniens se gardèrent bien de passer au travers de ce dernier, car les colons hispaniens qui avaient conquis cet endroit gardaient jalousement le passage vers le Grand océan. DiCerva continue donc sa route vers le sud, passant au Paltoterra, là où bien peu de navires eurysiens transitaient et où les cartes étaient de moins en moins bien référencées. Au-delà du détroit des Alguarenos, les seules informations à disposition de DiCerva étaient des cartes zélandiennes et gallouèsantes, qui avaient déjà débuté la conquête de ces terres, mais qui se gardaient bien d’en donner les routes maritimes. Les marins doivent lutter contre le courant passant du Grand océan à la mer des Barbujas, et qui fait dériver les navires vers l’est. Mais les marins de l’armada finissent par accrocher la côte de Paltoterra, non sans épuisement. Les marins zélandiens confient durant cette période à DiCerva des informations précieuses sur les indigènes de la région, et dont Girolamo Gulpo a fait une vague description qui synthétise bien les quelques connaissances que ces marins avaient de ces latitudes :
« Nos informateurs nous avaient parlé de peuples qui construisaient de grandes cités au centre desquels trônaient des pyramides à la pointe dorée, et où les locaux se baignaient dans des rivières d’or. Leurs cités étaient bien plus vastes et sophistiquées que celles des indigènes aleuciens dont nous avions plus tôt fait la connaissance. Ils s’habillaient en peau de jaguar et portaient tous sur eux des bijoux magnifiques dont nous aurions pu faire grand commerce à Velsna. Mais ces démons bâtissaient également des pyramides qui étaient consacrées à des dieux païens célébrant le sacrifice des Hommes. On y allongeait au sommet d’un autel le sacrifié, dont on arraché le cœur des entrailles avec des couteaux en obsidienne. Nous ne nous arrêtâmes donc pas en ces lieux, et lorsque certains d’entre eux s’aventuraient sur les plages pour nous faire signe, nous les avertissions avec les boulets de nos bombardes. »

Par la suite, l’armada retrouva des latitudes plus favorables pour échanger avec les indigènes, étant sans le savoir entrer dans les eaux du peuple des mounakazs, qui commerçaient beaucoup plus volontiers avec eux, en l’occurrence de précieuses vivres contre des objets en toc : miroirs, bracelets, mouchoirs et soierie de basse qualité. Mais plus DiCerva continue sa route au sud du continent, plus les conditions de navigation connaissent une dégradation continue et les températures baissent brutalement. De plus, une fois le modeste comptoir zélandien de Koninklijke Haven passé, DiCerva naviguait désormais à l’aveugle et sans l’appui de cartes existantes. L’armada était arrivée aux lisières de ce que l’on savait de ce continent. La côte était elle aussi piégeuse et Girolamo Gulpo la décrit ainsi : « Aux rochers acérés comme des dents de requins, et dont les courants ramènent constamment les navires vers elle. ». Les membres de l’armada sont alors réduits à une solution pour le moins peu orthodoxe, de l’aveu même de son capitaine. L’expédition fait le choix de faire demi-tour le 3 octobre 1501 vers « le pays des mounakazs », que Gulpo décrit ainsi :
« Les mounakazs étaient des marchands prospères qui allaient et venaient jusqu’aux navires des étrangers avec des pirogues remplies de fruits, de bijoux et de parures brillantes. Le capitaine eu alors l’idée de faire croire à notre envie de faire commerce avec ces gens, et les attirant jusqu’à l’un de nos navires, la Santa Ursula, nous prirent acte de les capturer afin qu’ils nous indiquent la route du sud. Nous les prîmes donc avec nous malgré leur mécontentement. Ils écumaient et criaient comme des taureaux, mais finirent par nous décrire un endroit où deux mers venaient s’embrasser dans la glace, et acceptèrent de nous aider en échange de leur libération. »

L’armada de DiCerva continuait ainsi sa route jusqu’à arriver à l’un des plus périlleux couloirs de navigation au monde : le cap Carmin.


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Le Grand voyage de Filippo DiCerva: la découverte des "îles aux épices" (1501-1504)
Partie II: De la découverte du passage Carmin à la traversée du "Grand océan"




« L’endroit où nous nous rendons est hostile, pour sûr, et habité par des démons. Plus nous descendons au sud, et plus la végétation des côtes de fait rare. La terre se dégarnit, et il n’y reste que de la roche déchirée à perte de vue, et des cimes majestueuses et terrifiantes. L’eau devient noire et la roche devient blanche, comme si le monde était à l’envers. Le jour ne se lève plus que trois heures et le soleil nous boude. Il ne pousse plus ici que quelques plantes, comme du céleri sauvage dont nous avons rempli de nombreux tonneaux. Et il fait froid, de plus en plus froid. Des gros glaçons, bien plus gros que ceux que l’on trouve au nord de Saint-Marquise, dérivent et viennent se perdre dans l’horizon. Cette terre n’est pas propice à l’accueil de l’esprit humain. Pour travailler, nos marins doivent se faire mal et se taper les mains, sans quoi le sang ne circule plus. Nous avons les pieds, les mains et le nez gelé. Les vents viennent frapper les navires et nous devons faire de grandes manouvres pour ne pas dériver sur les rochers. ».

Cette note du journal de Girolamo Gulpo est évocatrice de la région dans laquelle l’armada, plus de trois mois après son départ de Velsna, à l’entame du mois de novembre, l’une des périodes les moins propices à la navigation au sud du Paltoterra. Nul n’a encore, à la connaissance de l’équipage velsnien, encore naviguer dans ces eaux, à la recherche désespérée du passage dont DiCerva espère l’exstence. Chaque ouverture dans les terres, bras de mer ou estuaire est une excuse pour aller plus loin, et chercher ce passage tant attendu. Ces bras de mer forment comme des chemins parmi les montagnes. Les navires se dispersent dans chaque bras, espérant maximiser les chances de trouver son chemin dans ce dédale. Ces recherchent s’étalent sur plusieurs semaines particulièrement éprouvantes pour le moral des équipages. La grogne monte parmi les marins, en particulier les contingents étrangers de l’expédition qui n’ont jamais tenu le sévère capitaine en amitié. A chaque estuaire, les marins s’attardent sur la composition de l’eau, qui livre des indices sur la nature du lieu : est-elle toujours salée ? Et chaque impasse constitue un argument supplémentaire pour faire demi-tour. De plus, la navigation dans le détroit est bien trop dangereuse pour naviguer autrement que de jour. Au terme de deux semaines de recherche, la coupe est pleine pour certains des marins, qui, menés par le pilote zélandien de la Santa Ursula, Jan Van Claus, tente de convaincre le capitaine du bien fondé de faire demi-tour pour revenir en belle saison. DiCerva refuse catégoriquement. Les marins de la caraque en prennent immédiatement ombrage, et au terme d’une énième recherche infructueuse dans un passage supposé, et le soir, lorsque le capitaine passe en revue les navires au point de rendez vous défini pour la nuit, un navire manque à l’appel. La Santa Usula ne se présente pas à l’appel, et il s’agit qui plus est du navire doté du plus grand stock de vivres pour la traversée à venir du Grand océan. Malgré les recherches prenant une semaine supplémentaire dans cet enfer blanc, la Santa Ursula est introuvable. Le navire est reparti en sens inverse, et a déserté l’expédition. Girolamo Gulpo relate la fureur du capitaine à ce moment précis du voyage, mais également sa grande détresse :
« Notre capitaine devint de plus en plus méfiant des zélandiens des différents équipages. Il était pris par la peur soudaine de ne pas avoir eu raison, et que le passage que nous recherchâmes n’existait pas. Il fit ainsi mettre aux fers par les capitaines les 17 membres d’équipage zélandiens par les différents capitaines de vaisseau, les accusant d’avoir conspiré au départ de la Santa Ursula, et que les zélandiens avaient la volonté d’empêcher cette expédition. Il ordonna, dans sa colère, de balancer quinze des dix-sept d’entre eux à la mer, et d’abandonner les deux derniers sur un îlot. Puis, les trois jours suivants, le capitaine s’enferma dans des confessions destinées à notre seigneur, sentant la culpabilité le ronger. »

La ténacité des marins de l’armada fut finalement récompensée au terme d’un mois entier d’une recherche désespérée. En progressant vers le sud, les équipages rencontrent un bras de mer bien pls large que les autres, où l’eau reste salée, et qui forme un angle droit de l’est vers l’ouest, creusant son sillon parmi les montagnes. Comme à leur habitude, ces derniers envoient deux marins en baleinière afin d’explorer le passage et de gravir les hauteurs permettant d’avoir un meilleur aperçu du passage. Et pour la première fois, ces derniers virent enfin l’autre côté, « l’autre océan » s’étendait sous leurs yeux. Dans le journal de Girolamo Gulpo, ce dernier décrit l’émotion du capitaine :
« Le capitaine DiCerva se mit sur ses genoux et pleura de joie. Et nous nous engageâmes dans une mer si vaste que l’esprit humain ne pouvait pas se représenter. ».

L’armada remonte ensuite, malgré des vents menaçant de faire dériver les navires sur les rochers, le long de la côte occidentale du Paltoterra, jusqu’à trouver un vent favorable permettant de pousser les carlingues au travers de l’océan. Après trois semaines de navigation vers le nord, l’expédition s’engage dans le vide, et entame sa longue traversée. Cependant, ces derniers ont conscience qu’avec la désertion de la Santa Ursula, les vivres sont en quantité limitée. Les marins, déjà éloignées des côtes, finissent par se convaincre de jeter les deux indiens mounakazs qu’ils avaient enlevés par-dessus-bord. La traversée du Scintillant s’avère être une épreuve épouvantable. Malgré un temps particulièrement clément, l’état des navires se détériore, et avancent de moins en moins rapidement, dans des courants relativement aléatoires. Les vivres, eux aussi, commencent à manquer malgré les mesures d’extrême nécessité prises, et les marins vivent rapidement au rythme de demi-rations. Pire que tout, les marins font l’expérience du scorbut, en particulier à bord des navires qui n’avaient fait aucun stock de cèleri sauvage. Gulpo le décrit ainsi :
« Nous étions pris d’un grand mal : nos gencives enflaient encore et encore, jusqu’à ce que les dents de nos marins tombent, et qu’ils ne soient plus capables de manger. Ils se laissaient mourir de faim ainsi. Si le seigneur ne nous avait pas donné de vents favorables, nous ne serions jamais sortis de cet océan. ».

En tout, ce sont 19 marins qui ne survivent pas à la traversée, victime de cette maladie que les eurysiens appréhendent encore très mal, et qui se sera correctement traitée que deux siècles plus tard. Bien que le Scintillant ne soit pas vide au sens propre, l’armada passe la longitude des premiers atolls polynésiens rattachés au continent nazumi sans s’en rendre compte, ce qui empêche un ravitaillement correct de leurs navires en eau et en vivres. La traversée dure 102 jours diurant lesquels aucune terre na paraît poindre à l’horizon, et où l’océan semble sans fin…jusqu’au jour où Gustavo Balbo l’un des vigies du San Stefano, voit poindre à l’horizon des groupes d’oiseaux, puis des branches flottant sur l’eau. L’armada de DiCerva touche terre sur ce qui est aujourd’hui un îlot inhabité sous la juridiction de l’Ostland. Cette arrivée est salvatrice, mais n’empêche pas neuf autres marins de mourir d’épuisement et de carences dans les jours qui suivent. DiCerva profite de cette halte afin de procéder à des réparations d’urgence de trois de ses navires, mais se résout au fait qu’il ne dispose plus d’assez de matelots. Après l’avoir fait entièrement vidée et dépouiller de ses cordages, il abandonne donc le San Marcos, le plus petit navire de la flotte, et qui était également le plus endommagé. Les autres vaisseaux nécessitent de laborieux travaux : les coquillages qui se sont accrochés à la coque et les dommages subis ont grandement affecté la rapidité des navires qui ont rendu cette traversée d’autant plus pénible. Les marins quant à eux, sont épuisés, et ont droit à une semaine de repos sur ces îlots dont les seules ressources sont la noix de coco. Entre la désertion de la Santa Ursula et les pertes, l’équipage ne compte plus que 151 éléments. DiCerva, poursuit ensuite sa route en suivant les courants, le conduisant au nord-ouest, ce qui est aujourd’hui l’archipel Wanmiri, beaucoup plus peuplé. Attirant la curiosité des locaux, l’armada est interpellée par des pêcheurs avec qui les marins commencent à troquer. Il s’agit du premier contact de l’équipage avec l’extérieur depuis plusieurs mois. DiCerva se pense alors proche du but, et a conscience d’avoir atteint ce que les listoniens et fortunéens appelaient « îles aux épices ». Cependant, DiCerva ne connait toujours pas l’emplacement exact de l’île d’où ces derniers puisent les clous de girofle.

Une longue enquête s’engage donc entre les velsniens et les locaux, et la barrière de la langue pèse grandement dans ces échanges. Toutefois, au prix d’une grande patience, les marins finirent par obtinrent le nom et l’île où ce qui se rapproche le plus d’une figure d’autorité résidait, à savoir un roi du nom d’Humadon, et qui les renseignerait peut-être sur les informations dont DiCerva disposait. De cette étape du trajet, le journal de Gulpo nous dresse le premier portrait connu des habitants de cet archipel par un eurysien.
« Les gens de ces contrées si disent « Wan », ce dont j’ignore la signification. Ils sont petits de taille, et au teint mât. Ils sont si nombreux sur leurs îles que l’on penserait au loin que les plages sont des vraies fourmilières. Ils sont coquets et l’élite de leur peuple aime les belles choses, ce qui signifie pour moi qu’ils sont presque aussi civilisés que nous. Ils vivent dans des maisons construites en dur et en torchis, toutes carrées et parfois de belle taille, contrairement aux gens des îlots du sud qui vivent encore comme au premier jour de notre seigneur, et dont je ne saurais dire s’ils sont aussi des wan. Les villageois nous ont dit qu’ils avaient un roi, et que ce roi avait un autre roi pour seigneur, le tout formant une pyramide harmonieuse. Chaque roi règne sur une ou deux îles, et doivent rendre allégeance à leur seigneur au moins une fois par an, en se rendant sur un autre grand îlot dont notre capitaine vient de faire la découverte. Leur regard est attiré par les reliques de notre seigneur et de Dame Fortune que nous avons ramené avec nous, et nous leur donnons des figurines en bois du fils de notre sauveur, ce qui provoque chez eux un grand enthousiasme. Mais je ne pense pas qu’ils savent ce que cela signifie. ».

Au bout de plusieurs semaines, le roitelet Humabon, après un accueil somptueux, indique le chemin à prendre afin de rencontrer son suzerain, du nom de Lupa-Lupa. DiCerva semble être en passe de réussir à trouver ce qu’il était venu chercher, et dans son journal, Gulpo fait état d’une île du nom de « Tavaani », mais que les velsniens sont toujours dans l’incapacité de situer. Sans s’en rendre compte, l’armada se dirige vers le cœur de l’archipel des Wan.


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Partie III: La foi et les clous de girofle




« Nous nous dirigions vers une grande île où était supposé se trouver le roi de ces archipels, et à qui tous les wan devaient obéissance. Nous arrivâmes aux abords d’une grande ville côtière que les natifs nommaient Jalitaya. Elle était immense, et dépassait tout ce que nous avions vu depuis notre arrivée sous ces latitudes. Elle s’étendait tant en grandeur, que les habitants aménageaient leurs maisons sur des quais qui formaient des pontons de bois qui cerclaient l’île. Les quais étaient encombrés de navires aux formes et tailles variées, et dont la provenance était for diverse. Notre capitaine eu l’autorisation de s’y amarrer. Les gens d’ici sont nombreux, et vivent les uns sur les autres. La ville est grande vue de loin, mais ses ruelles sont toutes étroites et chargées, comme si malgré sa grandeur, celle-ci se retenait désespérément de s’étendre plus encore. »

L’armada de DiCerva parvient enfin, après plus d’un an de voyage, à amarrer dans un port comme étant considéré comme étant connecté à des mondes que les marins connaissaient. Il apparaît évident que Girolamo Gulpo, dans ses témoignages, reconnaît certains navires Xin que les velsniens connaissent déjà, la plupart du temps par des biais indirects. De même que des flottes marchandes provenant vraisemblablement du monde musulman, peut-être Banairah, mais que Gulpo a du mal à associer à un État en particulier. Les velsniens, sans le savoir dans un premier temps, ont amarré à un terminus important d’un grand nombre de circuits commerciaux auxquels eux même sont connectés en leur extrémité occidentale. C’est donc cet équipage épuisé qui fait la rencontre du roi Humadon, la découverte mutuelle de deux mondes. DiCerva, dans le cadre d’un accueil cordial, lui fit la requête pour laquelle l’expédition avait amarré : les clous de girofle. Gulpo en fait état :
« Le roi Humadon était le plus riche de ces îles, et le plus puissant. Et il le montrait par la richesse et la générosité dont il fit preuve auprès de nous. Il était grand et beau, et portait plus de bijoux encore que les roitelets que nous avions croisés. Nous eûmes le droit à des provisions pour notre vaisseau sans même qu’il n’eut encore demandé ce que nous étions venus faire en ses terres. Humadon, curieux, nous en fit la demande : qu’étions-nous donc venus faire ici. Le capitaine répondit simplement par ceci : « Les clous de girofle. ». Ce devait être pour eux une denrée dont ils comprirent la valeur, puisque le roi Humadon changea son humeur du tout au tout. Il avoua à notre capitaine qu’il en est était un possesseur important, mais qu’à notre surprise, il ne pouvait en vendre en grande quantité parce que d’autres gens de notre espèce leur avait acheté un monopole sur la vente de ces plantes. ».

DiCerva et son équipage comprirent avec un grand malaise : l’île de Tavaani était la propriété d’un roi, et les zélandiens avaient gagné avant les velsniens un privilège d’exploitation exclusive. Il s’agit d’un point de bascule important dans cette expédition : les velsniens ont monté une expédition de plusieurs années dans la quête d’une nouvelle source de clous de girofle pour finalement apprendre que ceux qui les produisaient n’en vendaient qu’au seul pays de Zélandia. Les témoignages font état d’une rupture franche dans la psychologie de Filippo DiCerva à compter de cette rencontre. Désemparés, les velsniens sont toutefois autorisés par Humadon à prendre résidence temporaire à sa cour. La mission commerciale en perdition prit des accents de plus en plus mystiques et religieux, et les velsniens se firent missionnaires, ce qui n’était pas dans les habitudes de ce que nous savons de DiCerva. On peut supposer qu’il s’agit là d’une manière de trouver un but nouveau à l’expédition, qui passa près de 5 mois à circuler d’île en île afin d’y convertir les wans. Finalement, cette manœuvre de DiCerva se révéla payante, puisque le roi finit par convoquer audience à DiCerva, en lui faisant savoir qu’il se montrait intéressé par cette foi nouvelle qui commençait à se répandre parmi la population. Lui-même lui annonça que 800 aristocrates wans entendaient accepter le baptême, et parmi eux sa reine. Connaissant les motivations du voyage des velsniens, ce dernier promis que si DiCerva parvenait à soumettre par la conversion un roitelet rétif à son autorité du nom d’Ommonon, celui-ci accepterait en personne la conversion et l’autoriserait à embarquer avec eux autant de clous de girofle que ces derniers voulaient. Gulpo écrit à propos de la conversion de la reine :
« Au beau matin sur une plage de l’île de Jalitaya, la reine fit son apparition avec foule de grands de leur royaume. Ils étaient des centaines. Le roi eu la promesse de notre capitaine que la foi de notre seigneur ferait de lui le plus grand des rois, et lui permettrait d’unifier toutes les îles à sa connaissance. La reine vint en grande pompe pour écouter la messe. Elle était magnifique, avec la bouche et les ongles très rouges. Elle portait un beau chapeau en feuilles de palmier pour la cacher du soleil. Plusieurs suivantes étaient dans son sillages, toutes déchaussées. Le capitaine lui montra l’enfant de bois fils de notre seigneur, qu’elle aima beaucoup. Le capitaine lui en fit don, et elle accepta avec beaucoup de remerciements et de gratitude. Nous lui demandâmes de le mettre à la place de ses idoles, car c’était en souvenir du martyr du fils de dieu. Notre capitaine se persuada de pouvoir guérir les malades comme le christ. Le roi fit venir à lui son frère malade, et comme par miracle, lorsque le capitaine lui toucha le front, sa forte fièvre disparut dès le lendemain. »

Après avoir fait forte impression, les velsniens se résolurent à respecter le marché contracté auprès d’Humadon, et se rendirent sur un îlot où résidait le roitelet nommé Ommonon et ses sujets. A peine arrivés, les velsniens se rendirent compte que des bancs de sable empêchaient les caraques de l’armada de s’approcher des villages wans afin de les bombarder. Gulpo mentionne alors que ces deniers durent débarqués de l’eau jusqu’aux genoux, devant parcourir un bon kilomètre avant d’atteindre la berge. Mais rapidement, la situation dégénère pour les eurysiens sans soutiens d’artillerie. Le maître de bord relate ainsi :
« Leur nombre était sans fin, peut-être près d’un millier. Les arquebuses et les arbalètes ne leur faisait pas peur, et ces derniers les arrêtaient de loin avec leurs boucliers en bois. Tant de javelots et de flèches pleuvaient que nous pouvions avancer qu’avec peine. Voyant cela, nous essayâmes de les disperser en envoyant trente de nos meilleurs hommes mettre le feu à leurs foyers. Nous brûlâmes quarante de leurs maisons pour leur donner la peur. Mais ils n’en devinrent que plus furieux, tant et si bien qu’ils acculèrent notre capitaine qui fut frôlé de flèches empoisonnées. Ils plantèrent deux flèches dans son armure, et il nous commanda de nous retirer. Eux, nous suivaient, et comme ils connaissaient le capitaine, ils hurlaient après lui et l’assaillirent pendant plus d’une heure, notre capitaine combattant de l’eau jusqu’aux genoux. Plusieurs fois il fut poignardé, et même alors à cet instant, il se tourna vers nous, regardant si nous étions tous repartis. Tout ce que nous avions à faire était de repartir. »

Filippo DiCerva meurt ainsi le 3 février 1503.

L’armada se retrouve désormais sans capitaine, et c’est ainsi que le pilote du San Stefano, Pietro Larino, et en ayant échoué la mission que le roi Humadon leur avait donné. Bien plat en excuses, les meilleurs hommes de l’armada furent tout de même invités à un grand banquet d’adieu donné par Humabon à Jalitaya, qui leur promit malgré leur défaite une grande cargaison de clous de girofle. La plupart des responsables de l’expédition : pilotes, quartiers-maîtres, capitaines de vaisseaux acceptèrent, laissant leurs hommes sur les navires à quai. Mais les velsniens ne se doutèrent pas du piège qui leur était tendu, et ces derniers furent massacrés durant le repas. En effet, les roitelets wans se plaignaient de plus en plus de ces « invités encombrants » auprès d’Humadon, qui dos au mur, se résolu à se débarrasser des velsniens, les accablant pour l’attaque qu’il avait lui-même commandé à ces derniers. A ce stade, l’expédition ne compte plus que 120 hommes d’équipage. Ces derniers sont désormais perdus en territoire hostile, sans capitaine, et avec des provisions de plus en plus maigres. L’expédition prit un tournant véritablement chaotique, les velsniens enchaînant les pillages de villages côtiers et de navires de pêche, et massacrant sans vergogne tous les locaux croisant leur chemin, en enlevant des wans au passage dans l’espoir de montrer aux sénateurs celsniens « à quoi ressemblent les gens de l’autre côté du globe », et également dans l’espoir de trouver l’île de Tavaani. Par ces locaux, le nouveau capitaine, Larino nous enseigna ainsi l’emplacement exact de l’île, à travers un dédale de récifs et de hauts-fonds. Le 27 mars 1503, les eurysiens épuisés atteignent enfin l’île de Tavaani. Gulpo relate :
« Lorsque nous débarquâmes, nous mirent tous les genoux à terre et priâmes dieu. Nous plantâmes le drapeau de la Grande République sur la plage et avons fait revendication de cette île au nez et à la barbe des zélandiens. Nous avons pris possession cette terre au roi Hunnadon pour le punir de sa méchanceté à notre égard. Lorsque les natifs vinrent nous voir, nous leur avons fait la demande de voir où étaient les clous de girofle. Et sans doute effrayés, ils nous montrèrent de bonne grâce où poussent les arbres qui leur donnent naissance. Tavaani était une maison dieu dont la beauté ressemblait à un paradis terrestre. Mais désormais, il nous fallait remplir nos cales et repartir, car les zélandiens et tout autre mauvais sang aurait la hâte de piller également cet endroit. »


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