16/07/2013
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Grande Histoire des guerres celtiques
Lazziano Bertoldi di Canossa

Livre IX : Les errements d'Erwys et comment notre cité retrouva son courage



Erwys, après avoir passé tout le jour à semer les funérailles dans les plaines de Velcal, voit les ténèbres ravir à sa fureur cette mémorable journée. Alors il met fin au combat, épargnant à ses soldats la fatigue de répandre plus de sang. Mais son âme veille toujours, et ne peut supporter le repos de la nuit. Au milieu de ces grandes faveurs du ciel, son cœur lui reproche de n'avoir point encore franchi les murs de Velsna. Le lendemain lui sourit pour ce projet. Il veut y diriger sans retard les épées encore fumantes, et ses cohortes arrosées de sang. Déjà il croit s'être emparé des portes, avoir embrasé les murs, et joint l'incendie du Palais des Patrices à la journée de Velcal. Mais on attribue à dieu le fait d’avoir poussé Erwys, en cette époque de malheur, à ne pas s’être mis en marche après sa victoire. Dieu, effrayé de ce dessein du chef achosien, et n'ignorant pas quel est le courroux qu’il fera encourir à ses plus ardents fidèles, et qui sera le destin de Velsa, veut mettre un frein à cette ardeur téméraire, aux espérances avides et aux vains désirs du guerrier. Elle appelle aussitôt le sommeil du sein des ténèbres silencieuses, où il a son empire.

D'horribles songes agitent l'âme d'Erwys dans ses rêves, et la remplissent de fureur. Il s'imagine couvrir de nombreux bataillons les rives de la lagune, et camper devant notre cité, aux pieds de ces eaux qu'il insulte et qui protègent la cité qu’il maudit. Il voit dieu lui-même, tout resplendissant, étendre son bras pour lancer sa foudre étincelante. Le soufre fume au loin dans la plaine. Les ondes glacées frémissent agitées, et des feux redoublés sillonnent l'espace. Alors une voix se fait entendre dans les airs: « Jeune guerrier, tu as acquis à Velcal une assez grande gloire. Arrête tes pas. il ne te sera pas plus donné d’entrer dans cette cité sacrée, que d'escalader les cieux ». Ainsi, il renonça à son attaque de Velsna au petit matin.

Commentaire : Il s’agit d’un récit traditionnel émanant là davantage du conte que de l’Histoire. La communauté historienne débat encore de ce moment d’indécision de la part du général achosien, mais tout porte à croire que ce dernier ne dispose pas des moyens lui permettant de mener un siège d’une ville aussi complexe à prendre que Velsna, située au milieu d’une lagune entourée d’eau. A partir de là, il y a là un questionnement à résoudre : quelle est donc la stratégie adoptée par Errwys Gwyndel afin de faire plier Velsna ? Tout porte à croire qu’il était persuadé de convaincre les autres cités de la plaine velsnienne d’abandonner leur alliance avec la République et de se joindre à lui s’il infligeait aux velsniens un nombre de pertes suffisamment important, ce qui aurait poussé ces derniers à demander la paix.

Tandis qu’Erwys était pris dans ses songes, frémissant de ne pouvoir vaincre sa propre prudence, les débris de l'armée velsnienne se rassemblaient à Spilate, et les fuyards étaient recueillis dans ces murs. Quel triste spectacle, hélas succédait à la défaite. Ces soldats étaient sans insignes, sans drapeaux. On ne voyait plus l'appareil majestueux de l'autorité du Conseil Communal, plus de haches portées par les licteurs. A peine soutenaient-ils sur leurs membres affaiblis, leurs corps mutilés ou abattus par la crainte, et comme brisés par une chute pesante. Tantôt ils font entendre un bruit sourd, tantôt ils gardent le silence, et restent les yeux fixés sur la terre. La plupart ne portent à leur bras gauche qu'un bouclier mis en pièces, et qui ne les couvre plus. Leurs mains guerrières sont sans épées.

Point de cavalier qui ne soit blessé. Leurs casques ne sont plus ornés de leurs plumes chatoyantes, ils l'ont arrachée avec indignation. Leurs cuirasses sont percées de traits. On en voit auxquelles les flèches ennemies pendent encore. Souvent ils appellent leurs compagnons par de lugubres clameurs. Ici on pleure Frederico, ici Tomassino et Niccolo, si dignes d'une mort moins obscure.

Mais, outre ces revers et ces maux irréparables, une frayeur impie, mal plus redoutable encore, agitait tous ceux qu'avait épargnés le combat, restes échappés au fer des achosiens. Ils se préparaient à fuir au-delà des mers, dans des climats lointains, les armes d’Achosie et l'épée d'Erwys encore dans leurs esprits. Damiano était à leur tête, et sa naissance lui donnait sur eux une grande autorité. Mais il ne s'en servait que pour les entraîner, ces cœurs sans énergie, ces velsniens ayant perdu tout courage, à de honteuses résolutions. Et déjà ils cherchaient dans quelle contrée de la terre ils iraient s'ensevelir, où n'eût pas pénétré le nom du maudit achosien, et où l'on ignorât qu'ils eussent abandonné leur patrie.

Mais à peine Pietro Balbo a-t-il appris leur dessein, qu'enflammé de courroux, et aussi grand qu'au milieu des batailles, lorsqu'il arrêtait dans la plaine le général achosien, il saisit son épée, accourt vers les traîtres, là où ils méditaient l'opprobre et la perte de leur cité. Brisant les portes, il se présente d'un air menaçant, et, brandissant son épée sur ces lâches effrayés, s’écria : « Je le jure sur mes ancêtres fortunéens, ces esprits aussi sacrés pour moi que le nom du dieu immortel, jamais je n'abandonnerai la terre sacrée des enfants de Fortuna et de Léandre, et jamais je ne souffrirai qu'on l'abandonne tant que la vie ne se sera pas retirée de moi. Et toi, Damiano, jure à l'instant par dieu, que jamais, alors même que tu verrais nos murs embrasés par les torches des sauvages du nord, jamais tu ne fuiras dans une terre étrangère. Si tu hésites, vois en moi cet Erwys qui cause ton effroi, et qui agite ton sommeil par la terreur de son nom. Vois ce glaive : il va te frapper, et jamais la mort d'un achosien ne m'aura donné plus de gloire ». Le projet de Damiano s'évanouit à ces menaces : tous s'engagent à leur tour à secourir la patrie. Ils attestent dieu, par les serments qui leur sont dictés, et se lavent ainsi de la pensée qui les souillait.


A Velsna, les sénateurs qui restent en vie dans la cité s'empressent, dans leur dévouement, de se partager les devoirs qu'ils ont à remplir. Le vieux Idilmo vole en tous lieux et crie à tous ceux qu'il voit consternés. « Croyez-moi, nous n'avons pas d'instant à perdre : hâtons-nous, et que l'ennemi tente vainement de pénétrer dans notre lagune et nous trouve prêts à nous défendre. Le malheur ne s'accroît que par la crainte, ce sont les lenteurs de l'effroi qui nourrissent la fortune ennemie. Courez, jeunes gens, volez aux églises, enlevez les armes des arsenaux, dépouillez les sanctuaires de leurs portiques, et détachez, pour combattre, tout ce qu’il y a de bronze et de fer pour en faire de nouvelles armes. Notre petit nombre suffit à la patrie, si, au moment du combat, la peur n'affaiblit pas nos forces. Que ces flots d'ennemis soient redoutables en rase campagne, je le veux. Mais jamais l’achosien n'entamera ces remparts ».

Tandis qu’Idilmo aiguillonne les esprits abattus par la terreur, un bruit vague se répand que les survivants de Velcal sont près d'arriver. Soudain une secrète indignation remplit tous les cœurs. Tels, quand le pilote d'un vaisseau brisé se présente seul sur les eaux, nageant vers le rivage désert, ceux qui surviennent s'agitent, incertains s'ils tendront ou refuseront la main à ces homme ballottés par les flots, et tous s'indignent à la vue de ces hommes. Quelle honte, dit-on, au détour des rues. Mais Idilmo cherchait à apaiser ces murmures. Il montrait combien il est honteux de s'irriter contre le malheur, et détournait la colère de tous les esprits. Il n'est pas digne d'un peuple qui fait remonter son origine à Fortuna, s'écrie-t-il, de succomber ainsi sous l'adversité, de trahir sa douleur, et de demander à un supplice la consolation de ses maux. S'il m'était permis de vous adresser un reproche, ajoute-t-il, le jour où nos enfants sont restés sur le champ de morts m'a semblé plus funeste que celui où vous le voyez revenir sans armes.

Ce discours apaise les menaces et change subitement la disposition des esprits. Tantôt ils compatissent à l'infortune de leurs concitoyens. Tantôt ils pensent à la joie d'Erwys, si eux également avaient péri. Et le peuple de Velsna tout entier crie maintenant vengeance contre les hommes peints qui étaient les seuls véritables ennemis de notre patrie.

Drapeau
La campagne d'Erwys


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Lazziano Bertoldi di Canossa

Livre X : La trahison d'Umbra



Pendant la quatrième année de la guerre, et comme Velsna sur terre était aux abois, on ordonna à ceux dont l’âge le permettait de faire une nouvelle armée et d’aller combattre au loin, là où Erwys n’était pas, en Achosie du nord, jusqu'à ce que l'ennemi eût quitté les terres des enfants de Fortuna et de Léandre. Telle était alors la vertu des velsniens qui cherchèrent à attaquer en d’autres lieux plutôt que de défendre l’indéfendable.
Si les destins voulaient que leurs mœurs dussent se perdre après toi, plu à dieu, ô Achosie ! Que tu fusses restée à terre !

Pendant que les velsniens portèrent la sur la mer et en Achosie, beaucoup de cités avaient tourné leur dos à notre République après Velcal. Maintenant disons quels sont parmi eux que le désastre des campagnes d’Erwys fit passer du côté des achosiens. La bonne foi ne tient pas longtemps parmi les mortels quand la fortune chancelle. On vit donc se disputer ouvertement l'alliance de cet Erwys qui n'avait respecté aucun traité, tous ceux, hélas qu'abattent trop facilement les revers. Les occitans, plus cruels que les autres dans leur ressentiment, et fiers de revenir à leurs haines irraisonnées dès que l'occasion s'en présente. Après eux, les inconstants citoyens de Saliera, qui, par une honte tardive, aggravèrent leur destinée. Les gens de Velcal, menteurs, dont les armes furent si trompeuses, les gens des montagnes du Zagros, nation vaine, impatiente du repos, et qui viole si indignement sa foi. On aurait dit une funeste contagion s'étendant sur tous les peuples autrefois fidèles. Les habitants de Calate, sacrifiant l'équité à la crainte, ont fait passer leurs cohortes dans le camp ennemi. L'inconstante et audacieuse Cluisi a secoué le joug des enfants de Fortuna et de Léandre. Pisna, aux remparts élevés, a ouvert ses portes amies aux hommes peint et aux barbares, apprenant ainsi aux descendants d’hommes illustres à subir le joug de vulgaires sauvaves, et à se soumettre aux volontés du démon.

Permis aux salieriens, permis aux occitans, de recommencer une guerre impie, mais que la cité d’Umbra ait pu se complaire dans les mêmes fureurs qu’eux. Qu'une ville, dont l'origine était fortunéenne, se soit unie à un chef de Barbares aux torses nus. Qui pourrait le croire aujourd'hui que les temps sont si changés ! Le luxe et la mollesse nourrie par une débauche insensée, la pudeur effacée par l'habitude du mal, un honneur infamant réservé aux seules richesses, tous les vices enfin, rongeaient ce peuple abruti par l'oisiveté et cette ville où l'on avait secoué le joug des lois. Un orgueil féroce la poussait encore à sa ruine. Le vice n'y manquait pas d'aliments. Aucun peuple de la plaine de Velsna ne tenait des faveurs de la fortune plus d'or et plus d'argent. Les tuniques à longues manches étaient teintes dans les poisons d'Assyrie. On y voyait au milieu du jour des repas splendides, des festins que surprenait le retour du soleil, des vies souillées par tous les excès, un sénat dur pour le peuple, un peuple joyeux de l'envie qui divisait les sénateurs, et la sédition mettant aux prises les cœurs ulcérés. La vieillesse elle-même, plus corrompue que la jeunesse téméraire, en augmentait les désordres. Les hommes les plus obscurs, et de la naissance la plus basse, s'offraient en foule, étaient les premiers à prétendre aux honneurs, et à réclamer la direction de l'état qui périssait. C'était même une coutume que les convives égayassent les repas en s'y égorgeant, et mêlassent aux festins l'affreux spectacle des épées nues. Souvent les tables furent inondées d'un sang, qui rejaillissait dans les coupes des victimes.

Voilà à quoi la domination des achosiens avait réduit cette cité jadis si fière. L'un d'eux, les attaquant par la ruse, cherche à exciter plus vivement encore les esprits inquiets en faveur des achosiens : c'était Pequino, nom dont le crime a fait la célébrité. Il savait bien que notre cité ne se rendrait jamais à ses demandes, il le désirait même. C'est pourquoi il donne le conseil d'exiger d'elle le partage de la souveraine autorité de Velsna sur nos plaines entre les citoyens des deux villes. Que si les velsniens refusent de s'asseoir sur ce pouvoir ainsi partagée, s'ils refusent l'égalité des honneurs et les doubles haches, ceux d’Umbra ont devant eux un vengeur. Des députés partent aussitôt. A leur tête était Virrius, plus éloquent que tous les autres, mais d'une naissance obscure, et qui, pour la violence, ne le cédait à personne. A peine a-t-il exposé au sein du sénat, assemblé en grand nombre, la demande insultante de ce peuple en démence, que tous les esprits s'irritent avant la fin de l'orgueilleux discours.

Un cri unanime est jeté par toute l'assemblée, qui refuse en frémissant. Chacun accable Virrius de son indignation, le bruit des voix fait trembler les voûtes du sénat. De toute parts on cirait : « Quoi ! dit-il, c'est là le message d’Umbra ? C'est dans les murs des enfants de Fortune et de Léandre qu'on reçoit de tels ambassadeurs ? Dans ces murs devant lesquels ni l’Achosie ni Erwys n'ont osé porter leurs armes après leur journée de Velcal ? ». En achevant ces mots, un sénateur furieux, et menaçant du geste les ambassadeurs, allait imiter la violence de ses mots, lorsque le vieil Idilmo, voyant redoubler sa violence : « O honte ! - s'écrie-t-il avec colère - oui, il y a ici un siège qui n'est pas rempli, et celui qui l'occupait c'est cette horrible guerre qui nous l'a ravi. Mais qui donc, parmi les vôtres, voulez-vous y placer ? Qui offrez-vous pour successeur à nos héros ? Est-ce toi, Virrius, que le sort et le suffrage du sénat y appelleront le premier, toi, que la gloire ne peut même pas égaler les chiens galeux qui traînent dans les rues de ta cité maudite ? Va, insensé, va où t'appellent tes vœux, et que la perfide Achosie t'accorde le pouvoir que tu cherches. »

Alors toute l'assemblée se lève et poursuit les députés de ses cris. En s'éloignant, Virrius, irrité d'un refus si outrageant, murmurait avec rage le nom d'Eerwys. Les députés se hâtent de rapporter à Umbra les réponses menaçantes du sénat indigné. Quand Virrius a fait connaître les paroles et les actes du sénat, mêlant avec art le mensonge à la vérité, il donne aux esprits troublés le funeste signal d'une guerre sanglante. Aux armes ! aux armes ! s'écrie la jeunesse furieuse en demandant Erwys. La foule se précipite de toutes parts, chacun appelle l’achosien à son foyer. On exalte les merveilleux exploits de ce boucher. On raconte comment, il a traversé le Zagros, comment il a franchi en courant ces pics voisins du ciel, comment, vainqueur sur l'Arna comblé, il en a arrêté le cours par des monceaux de cadavres, comment, encore vainqueur au lac Vadimon, il l'a rougi du sang velsnien, comment il a rendu à jamais fameuses les plaines de Velcal, comment, enfin, il a fait descendre chez les morts, au milieu des combats, les chefs les plus éclatants de notre République. A tant de faits si éclatants, on ajoute la ruine d’Aula, ce premier exploit d'Eerwys, la soumission des occitans, et ce serment fait à son père, dès ses jeunes années, d'une guerre éternelle aux velsniens.

Déjà les députés traitaient avec Eerwys. Une nombreuse cohorte d'occitans se présente en tumulte, et lui sert d'avant-garde : lui-même, à la tête de son armée, traversait rapidement la plaine. Il entre donc dans Umbra, accompagné des sénateurs de cette patrie de traîtres, et, pendant que la foule se précipite de toutes parts pour le voir, il s'abandonne à sa rage naturelle qui revient toujours au galop, au débordement de sa colère dont le sang achosien fait remonter encore et toujours. Il passe au fil des épées les rares habitants encore fidèles à notre cité.

On prépare les festins des vainqueurs suivant la coutume. Toute la ville s'abandonne à la joie, des tables sont dressées de toutes parts, et l'on célèbre ce jour par de splendides repas. Honoré à l'égal des dieux, au milieu de toute la pompe qui les entoure, Erwys occupe sur un lit élevé et recouvert d'une pourpre éclatante la première place. Des esclaves sans nombre remplissent la salle du festin, chargés les uns de servir les mets, les autres de brûler des parfums, ceux-ci de faire passer de convive en convive les coupes pleines de vin, ceux-là enfin de l'ornement des buffets. Des vases antiques d'or massif, richement ciselés, resplendissent sur les tables. Les lumières dissipent les ténèbres de la nuit, tandis que l’achosien savoure les fruits de ses victoires.
Non loin, les velsniens préparent la colère de dieu et murmurent le nom de leur victoire à venir en silence.



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Livre XI : La décadence d'Erwys et comment nous avons porté la guerre en Achosie



Déjà le dur hiver cachait sous la terre sa tête chargée de glace, ses tempes gonflées de pluies orageuses, son front tout couvert des nuages qu'apporte le vent du sud. Les vents printaniers, ramenant sur leurs ailes un air tiède et serein, réchauffaient les campagnes ranimées. L'impétueux Errwys sort d’Umbra qu’il a choisi comme une antre : la terreur qui le précède ébranle tous les pays d'alentour. Tel un serpent, longtemps enseveli sous les branchages, pendant que les velsniens soufflaient de leurs échecs de l’année passée, il sort de sa retraite mystérieuse, et, déployant ses replis, s'élance, avec une peau nouvelle, à la lumière du soleil, dresse sa tête brillante, et exhale les noirs desseins que son âme aura fait pour les enfants de Fortuna et de Léandre. Dès que les drapeaux d'Erwys ont apparu dans les plaines, la crainte en fait au loin des déserts, on s’enferme en tremblant dans les murs, et l'habitant des villes, effrayé, incertain de son sort, attend l'ennemi derrière ses remparts. Mais ce n'était plus ce vigoureux soldat qui avait percé les monts du Zagros, qui s'y était ouvert un passage en portant devant lui la guerre, qui avait vaincu sur l’Arna et souillé du sang fortunéen les eaux du Lac Vadimon. Il pouvait à peine soulever ses membres tout imprégnés de mollesse, de plaisir et de vin dont les citoyens d’Umbra le gavèrent. Il était engourdi par les accablantes douceurs du sommeil.

Ces guerriers, habitués à braver le froid des nuits, sous le poids de leurs cuirasses, insensibles à l'intempérie des saisons, et qui méprisaient l'abri d'une tente, lors même que la pluie, la grêle et la tempête fondaient sur eux. Ils ne quittaient pendant la nuit ni le bouclier, ni l'épée, ni l'arc, ni le carquois; pour qui leurs armes étaient comme d'autres membres, ils trouvent maintenant le casque trop pesant, leurs boucliers les accablent, et la javeline qu'ils laissent tomber de leurs mains ne fait plus entendre de sifflement. Cette ville d’Umbra, livrée à une vie douce et tranquille, était l'asile de gens mous, et l'on y coulait des jours exempts de soucis et de peines. Et les guerriers d’Achosie se sont attendri dans leurs chairs.

Erwys tente par tous les moyens de sortir de sa torpeur, attaque les derrières de la place forte de Gellone, dont la mer défendait les approches par devant. Mais son armée ne peut, malgré tous ses efforts, en entamer les murailles : déshonoré par cette entreprise manquée, il essaie en vain de briser les portes solides de la ville, en les ébranlant avec le bélier. Le vainqueur de Velcal demeurait arrêté devant cette cité de second ordre. Instruit par cette expérience, il s'applaudit alors de s'être prudemment abstenu de marcher sur Velsna, après avoir arrosé de sang notre République. « Vous qui m'avez reproché mon indolence, et de n'avoir pas su seconder les destins, lorsque je vous refusai l'assaut de Velsna à l'issue même de la bataille, entrez donc dans ces murs, qui ne sont défendus que par des femmes, et rendez-moi là ce repas que vous m'aviez promis dans la demeure même des enfants de Fortuna et de Léandre.». Ainsi parlait Erwys. Craignant de porter atteinte à sa gloire future, s'il abandonne, sans l'avoir prise, la première ville qu'il assiège, il veut tout oser, et il cherche dans les stratagèmes la force que n'a plus son épée. Mais voici qu'une pluie de flammes et de traits inattendus fond du haut des remparts. Tel on voit des oiseaux de feu, à l'aspect de serpents qui se glissent en silence jusqu'à leur aire, voler autour du rocher auquel il est suspendu, et attaquer avec son bec et ses serres accoutumées à porter la foudre l'ennemi, qui vient effrayer ses aiglons de leur gueule béante. Les flèches de feu s’abattent ainsi sur les barbares achosiens qui ne prendront jamais Gellone.

L’indolence du boucher d’outre-mer et la sagesse du vieil Idilmo, qui a éloigné la gorge du velsnien de l’épée d’Erwys, tempérant les ardeurs du combat, tantôt harcelant l’achosien, tantôt se repliant, a bien émousser les lames de ces barbares. Bientôt, Erwys apprend que le Sénat de Velsna se croit assez assuré de la protection du ciel pour faire passer des troupes sur son île natale, et qu’une armée est partie cette nuit même. Furieux de voir une nation dont il a ravagé les champs, si tranquille, et Velsna s'inquiéter si peu d'Erwys, il presse l'attaque avec plus d'ardeur, en vain durant trois années de plus.
En Strombolaine, cette région conquise sur les barbares suite à la première de nos guerres, la cité des antiques guerriers occitans était en proie aux troubles. Rien n’était si beau sur cette île, rien de si grand, dans tous ce pays, que la ville de Strombola, mais le très sage Ménéon, qui conquit la ville sur les sauvages, mourut de ses vieux jours peu avant la guerre d’Erwys. Une vieillesse caduque ayant mis fin à ses jours, son sceptre devint depuis, dans les mains de son neveu, un fatal instrument de tyrannie, et cette cour, jusque-là si réglée, devint le théâtre de mœurs licencieuses. Le jeune Patrice, qui n'avait pas encore seize ans, fut d'abord ébloui par l'éclat du trône.

Incapable de porter le fardeau du gouvernement, il se fia témérairement à une grandeur trop fragile. Les armes assurant à ses fautes l'impunité, il ne distingua bientôt plus le juste de l'injuste, et la modération lui parut la plus honteuse faiblesse d'un roi. Descendant de guerriers occitans par son père, cette origine devenait un aiguillon pour ses passions fougueuses. Une subite frénésie le porte à se jeter dans le parti des achosiens : le forfait s'exécute sans retard. Ol fait d'abord un traité, puis, par un second engagement, il obtient d'eux que le victorieux Eerwys évacuera la Strombolaine, mais le châtiment était tout prêt, et les furies lui refusèrent même la sépulture dans ce pays, où il ne voulait plus souffrir d'allié. Déjà les citoyens, révoltés de sa fierté, de son faste insolent, de ses débauches mêlées de cruautés, n'écoutent plus que la crainte et la colère. Ils s'unissent par des serments et massacrent ce prince. Leur vengeance va plus loin. De faibles femmes tombent sous leurs coups, ils plongent le fer dans le sein de ses sœurs innocentes, et les traînent tout ensanglantées hors du palais. La liberté, que la guerre civile a fait revivre, se livre à sa fougue et secoue le joug. Les uns demandent les achosiens, les autres les velsniens et des amis qui leur soient connus. Parmi ces furieux un troisième parti ne veut aucune de ces alliances.

Durant ce temps, le jeune Balbo est devenu un grand homme de guerre endurci par la lutte avec Eerwys, et fut fait sénateur et général des armées de la République en Achosie. Il aborde à Velathri avec une flotte, et dans tout l'appareil de sa nouvelle grandeur. Dès qu'il a tout appris, les circonstances de la guerre civile à Strombola, la division des esprits, les forces dont on dispose, quelles places tiennent pour les achosiens, quel parti favorise les velsniens, et comment Strombola obstinée a conçu le fol espoir de lui fermer ses portes, il se donne tout entier aux soins de porter la guerre aux portes de la cité.
Bientôt un vaste camp en a investi les remparts : mais l'ardeur de la guerre y a langui. Balbo voudrait, par ses conseils, éclairer ces cœurs aveuglés et apaiser leur fureur. Il fait apporter aux strombolains plusieurs offres de paix. Cependant, comme ils peuvent rejeter ses offres, et croire que sa modération est l'effet de la crainte, il n'interrompt pas le siège qu'il a commencé, et enferme la place de tous côtés. Redoublant de soin et de zèle, il déploie une nouvelle vigilance, et prépare, dans le plus grand secret, les coups imprévus qu'il va porter pour vaincre cette place. La guerre est portée en Achosie en cette sixième année de guerre.




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Livre XII : Le siège de Strombola et la bataille de la baie



En cette sixième année de guerre, toutes les villes de Strombolaine, sentant Velsna vaciller sous les coups des barbares, se liguèrent avec Achos contre les bienfaiteurs qui leur avaient donné la terre sur laquelle ils avaient élevés leurs enfants. La traitresse Strombola avait aussi rempli ses vastes murailles de troupes et d'armes de toute espèce.

Les chefs animaient par de vains discours la fureur du peuple, trop facile à se laisser conduire, et avide de bouleversements: « Frères d’Occitanie, disaient-ils, jamais l'ennemi n'est entré dans ces murs, ni dans ces quatre citadelles : notre ville imprenable a pu, grâce à la situation de son port, effacer tous les trophées des sauvages d’Achos. Nos aïeux ont vu les achosiens anéantis devant leurs murailles dans une seule victoire, et la puissante Velsna, vient à son tour s'abîmer tout entière dans la baie de notre cité, et briser contre nous ses vains efforts. » Deux infiltrés des hommes peints enflammaient l'esprit du peuple. Leur mère était aussi d’Achos, mais leur père, injustement accusé et forcé de fuir Achos a cause de son ancienne fidélité à Velsna, les avait engendrés à Strombola. Cette double origine mêlait en eux la fourberie achosienne à la légèreté occitane. Balbo, voyant que la sédition était devenue un mal sans remède, et que l'ennemi donnait le premier le signal de la guerre, atteste dieu, les fleuves, les lacs d’Achosie du nord, et tous les leixu saints qu’il connaît, qu'il est entraîné malgré lui à la guerre, et que c'est l'ennemi qui lui met à la main ces armes qu'il avait si longtemps différé de prendre. Alors il fait pleuvoir sur les murs une nuée de traits, et toute la ville retentit du bruit de ses armes. Assiégés, assiégeants sont transportés d'une même fureur, ils combattent et se précipitent à l'envie contre les courageux héros de Velsna.

Une tour, ouvrage du génie strombolain, élevait aux cieux ses nombreux étages. Les occitans avaient fait tomber, pour la construire, un grand nombre d'arbres. De là les assiégés lançaient des pins enflammés, et faisaient rouler des quartiers de rochers, ou pleuvoir la poix bouillante. On y jette de loin un javelot enflammé, et enfonce le trait incendiaire dans les flancs de la tour. La flamme l'a bientôt gagnée. Irritée par le vent qui tourbillonne, elle porte le ravage dans l'intérieur, traverse en pétillant les vingt étages de cette masse prodigieuse, dévore les poutres, et, chassant devant elle d'épaisses colonnes de fumée, monte victorieuse jusqu'au comble resplendissant qui jette au loin un éclat terrible. Une noire fumée inonde l'intérieur du mobile édifice, plus d'espérance de fuir. Les ruines de la tour, frappées comme d'un coup de foudre, s'abîment dans les cendres. La flotte des velsniens n'était pas moins maltraitée par les assiégés. A peine les vaisseaux s'approchaient-ils des murs et des habitations baignées par les eaux tranquilles du port, que des machines d'une invention inouïe y répandent le désordre et la terreur.

Une pièce de bois ronde et polie, semblable à un mât, armée à l'extrémité de crocs de fer, descendait du haut des murs, enlevait les assiégeants avec ses griffes de fer, et, en se redressant, les amenait au milieu de la ville. Non seulement les guerriers, mais les trirèmes elles-mêmes étaient enlevées par la force prodigieuse de ces machines dont le harpon mordant, une fois lancé d'en haut sur les vaisseaux, ne les lâchait plus. Le fer, s'accrochant aux madriers des navires qu'il prenait en flanc, les enlevait dans les airs; puis, les chaînes qui le gouvernaient se relâchant, on voyait, spectacle affreux !
La masse retombait avec tant de force et de vitesse, que les flots engloutissaient les navires et ceux qui étaient pris aux pièges des griffes de la machine. Outre ces terribles inventions, les remparts offraient des ouvertures adroitement disposées pour lancer impunément des traits contre les assiégeants. Leur construction même servait à masquer la ruse. Les traits des strombolains partaient de ces meurtrières, et ceux que renvoyait l'ennemi n'y pouvaient pas pénétrer. Le génie inventif de Strombola, et son adresse, plus puissante que les armes, repoussaient ainsi Balbo par terre et par mer, trompaient son généreux courage, et tout l'effort de la guerre échouait devant ces murs. C'est qu'alors il y avait des hommes, la gloire immortelle de leur siècle. Ils étaient pauvre, mais leur génie les élevaient au-dessus de tous les mortels. Tous les secrets de l'univers leur étaient connus, car Strombola était devenu entretemps un haut lieu des savoirs et des sciences. Parmi eux, le vieux Mario Piaggi était le plus grand des visionnaires. Il savait pourquoi le soleil, quand il se lève pâle et languissant, nous présage les tempêtes, si la terre est fixe ou suspendue sur son axe mobile, pourquoi la mer, de tout temps répandue autour du globe, l'environne comme un fleuve immense, d'où vient l'agitation de ses flots, et pourquoi la lune subit différentes phases. Enfin, à quelle loi obéit l'Océan, dans le flux et le reflux de ses ondes.

Oui, l'on peut croire qu'il avait compté les sables de la mer un par un tant il fut généreux dans son intelligence, lui auquel suffisait la main d'une femme pour mettre une galère à flots grâce à un simple levier, et pour faire monter contre la pente des montagnes des rochers entassés. Pendant que son inépuisable génie fatigue ainsi Balbo et ses troupes, une flotte achosienne, forte de cent voiles, arrive, en sillonnant la mer, au secours de Strombola. Les habitants de la ville, ranimés tout à coup par l'espoir, font sortir leurs vaisseaux du port pour les joindre à cette flotte. Les enfants de Fortuna et de Léandre, non moins résolus, saisissent leurs rames et fendent rapidement les ondes agitées. La mer blanchit sous les coups redoublés, et l'écume qu'ils soulèvent laisse au loin une trace brillante sur la surface des flots. Tous profanent avec une audace pareille l'empire de des océans ébranlé par cette nouvelle tempête. La mer retentit de clameurs dont le rivage renvoie les échos. Déjà la flotte achosienne, s'étendant sur les ondes, embrassait de ses ailes l'espace réservé au combat, et présentait comme un immense réseau sur la plaine liquide. La flotte de Velsna, rangée dans le même ordre, s'avançait serrée en forme de croissant. Soudain le son terrible de la trompette se fait entendre. La mer frappée résonne au loin du bruit aigu de l'airain : tous sont effrayés de ces sons qui rivalisent avec ceux de sa conque recourbée. A peine le soldat se souvient-il que c'est la mer qui le porte, tant il se sent embrasé de l'ardeur du combat. Rangés sur le bord de leurs vaisseaux, que l'onde fait vaciller, ils lancent une grêle de traits. L'intervalle qui sépare les deux flottes en est couvert: et les vaisseaux, poussés de part et d'autre par les matelots haletants, tracent un noir sillon sur les flots écumants. Les uns, prenant l'ennemi en flanc, brisent ses rangs de rameurs avec toute la force que leurs bras vigoureux ont imprimée à leur navire. Les autres, la proue en avant, l'attaquent de front, et le harpon du navire assaillant le retient enchaîné lui-même au navire ennemi. Au milieu de ces vaisseaux et au-dessus d'eux s'élevait orgueilleusement une galère à quatre cents rames. Jamais masse plus gigantesque n'était sortie des ports d’Achosie. Fière de ses vastes voiles, quand le vent s'y engouffrait tout entier, et qu'elle recueillait toutes les bourrasques dans ses antennes, elle ne se mouvait qu'avec lenteur, abandonnée aux seuls efforts des rames. Les vaisseaux légers des velsniens, dociles à la direction du pilote, volent à sa rencontre. Les barbares les voit venir sur la gauche et leur maître du gouvernail est percé d’une flèche. Le navire part à la dérive. On veut remplacer le pilote, mais une seconde flèche, lancée avec autant de force et de bonheur, passe au milieu de la foule qui se presse, et perce la main du marin achosien, qui allait prendre la barre abandonnée. Bientôt s'avance avec rapidité une grande nef de Saliera, montée par la jeunesse des plaines de Velsna.

Le navire furieux franchit d'un seul élan l'espace qui le séparait du mastodonte des achosiens. Il était monté sur une tour portée sur plusieurs trirèmes attachées l'une à l'autre par des crampons de fer. Il en gravit les étages, et, arrivé au sommet, il lance de là sur le vaisseau des hommes peints une torche enflammée. Des feux nourris de bitume et irrités par le vent dévorent les voiles du vaisseau. Le fléau se communique aux autres parties du navire, et atteint les premiers rangs des rameurs. Ils se dispersent en désordre et laissent là leurs rames. Ceux des derniers bancs ignoraient encore l'extrême danger que couraient les premiers. Mais le ravage du feu et la chute des torches ardentes retentissent bientôt dans les flancs de la coque. Il restait un seul endroit où les velsniens n'avaient pas encore porté la flamme, et où la fumée suffocante n'avait pas encore pénétré. C'est de là que le farouche capitaine achosien lance une grêle de pierres et essaie de retarder la funeste destinée de son vaisseau. Ceux qu'une fuite précipitée avait entassés du côté de la poupe où le feu n'avait pas encore pénétré, ne combattaient pas avec moins de courage, quoique aux portes de la mort. Mais le feu va les atteindre. Il arrive rapide comme la foudre, et enveloppe le navire tout entier. Le premier de tous, le capitaine, saisit un cordage, et se jette à la mer à demi consumé. Ses compagnons l'en retirent en lui tendant leurs râmes.

Voulant éviter le déshonneur de la capture, il se plonge l'épée dans la poitrine, reçoit dans sa main droite le sang de sa blessure, et le répand comme une libation abondante. La bataille fut ainsi terminée et le secours achosien à Strombola fut détruit. Le siège allait encore continuer de longs mois de souffrances et de sacrifices héroiques.


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Lazziano Bertoldi di Canossa

Livre XIII : La reprise de Strombola



Les achosiens, dans leur fourberie, avaient tenté Strombola dans leurs bras, mais avaient échoué à secourir les assiégés de leur flotte détruite par nos béliers et les flots de la Manche blanche.
Les velsniens se préparaient à fondre sans retard sur la ville épouvantée de cette défaite, mais une maladie pestilentielle, suite des fatigues de la mer, qu’un dieu jaloux a envoyé du ciel comme une épreuve, nous enlève cette joie. Le soleil embrase de ses feux l'air empoisonné. L'odeur s'élève des eaux stagnantes de la baie où baignent les cadavres des hommes peints, qui viennent se déposer au loin dans les marais. Une chaleur dévorante infecte l'automne tout chargé des derniers présents de l'année.

De noires exhalaisons se répandent dans les airs, comme une fumée épaisse. La terre se dessèche, et s'embrase à sa surface, elle ne fournit plus d'aliments. Elle n'a plus d'ombre pour les animaux languissants. Une noire vapeur corrompt l'éther appesanti. Les chiens furent les premiers atteints par le mal. Bientôt l'oiseau défaillant ne peut plus se soutenir dans les airs, et tombe. Les cadavres des bêtes fauves gisent dans les bois. L'horrible fléau, qui va sans cesse se propageant, attaque enfin les armées, où il sème la mort. La langue devient aride, une sueur froide coule par tout le corps, et le fait trembler. L’air de l’Achosie paraissait comme maudit par la pestilence de ses habitants. La gorge desséchée se refuse à recevoir des aliments. Une toux violente secoue la poitrine, la soif allume dans la gorge un feu mortel. Les yeux abattus ne peuvent plus supporter le jour, le nez se contracte, la poitrine rejette une sanie mêlée de sang, les os décharnés ne sont plus couverts que de la peau. Le mal se nourrit et s'augmente par le nombre des victimes. Strombola n'est pas épargnée, et le deuil n'y est pas moindre non plus que dans le camp des hommes peints, où le même fléau produit les mêmes ravages. Partout règne un égal désastre, partout pèse également la colère du Ciel, partout la mort se présente sous la même image. Le velsnien cependant ne se laisse point abattre par ces maux cruels, tant qu'il voit que son chef n'en ressent pas les atteintes.

Cette seule tête épargnée par le fléau que fut le général Balbo, semble balancer toutes les pertes. Dès que l'ardente maladie a ralenti sa maligne influence, et que la peste, avide de funérailles, s'est enfin arrêtée, Balbo, après les lustrations d'usage autour de ses troupes échappées au fléau destructeur, leur fait reprendre les armes. Tel on voit un pêcheur, quand le courant s'est apaisé, lancer de nouveau sa barque sur la mer rentrée dans son repos. Le soldat se range avec ardeur autour des aigles, et semble, au son joyeux des trompettes, reprendre une vie nouvelle. Il marche à l'ennemi achosien, heureux de pouvoir mourir par le fer, si la fortune le veut ainsi, et regrettant ses compagnons morts sans gloire, comme des bêtes, sur des couches infectées. Il jette la vue sur ces tombeaux, sur ces bûchers privés de tous les honneurs. Il aime mieux mourir glorieusement sans sépulture, que d'être vaincu par des maladies. Balbo le premier entraîne ses drapeaux vers les murs de Strombola. Le soldat a caché sous son casque son visage exténué et languissant, et voilé sa pâleur à tous les yeux, pour ne point relever l'espoir des ennemis. Les Velsniens s'élancent rapidement à la brèche, et fondent en rangs serrés sur cette ville si longtemps imprenable, dont les nombreuses citadelles se rendent aussitôt qu'ils en ont franchi la porte. Aucune ville, parmi celles que le soleil éclaire, ne pouvait être alors comparée à Strombola sur les terres d’Achosie. Elle avait des églises nombreuses, plusieurs ports dans l'enceinte de ses murs, de vastes places, de superbes monuments élevés sur des colonnes. Des masses gigantesques et des digues pour lutter contre la mer, des maisons sans nombre et égalant les campagnes en espace, des jardins consacrés à la plaisante promenade, et qu'enfermaient de larges enceintes où s'ouvraient de longs portiques. Que dirai-je des dômes éclatants de sa cathédrale ornée de proues captives, des armes suspendues dans la demeure de dieu, dépouilles enlevées aux infames achosiens, et apportées de la soumission de cette dernière vingt années plus tôt. Là se voyaient et le palais de Ménéon, orné de trophées, et les richesses dues à sa mythique conquête des achosiens. L'antiquité vénérable y apparaissait partout dans les œuvres des artistes. Nulle part, dans ce siècle, la peinture ne brilla d'un plus vif éclat que dans cette cité nouvelle.

Telle fut la ville, telles furent les richesses dont Balbo se rendit maître. Du haut des murs, il contemple cette cité, où le bruit des trompettes a jeté le trouble. Il sent qu'il lui suffit d'un signe de tête pour conserver intacte cette demeure des plus grands héros, ou pour qu'elle disparaisse le lendemain avant l'aurore.

Il gémit du droit excessif de la victoire, et, saisi d'horreur à la seule pensée de sa toute-puissance, il se hâte de calmer la furie des soldats. Il ordonne que ces maisons subsistent, qu'on épargne les églises, que les strombolains continuent de vivre sans trouble et dans la paix à condition d’honorer à jamais leur amitié avec Velsna. Dieu, alors, content de l’un de ses plus fidèles enfants, applaudit son geste et fit cesser la maladie qui parcourait la cité depuis plusieurs semaines. La mort de tant de guerriers qui avaient perdu leur vie autrement qu’en tuant des achosiens, arracha des larmes au vainqueur. Mais déjà la joie ranime toute la ville : vainqueurs et vaincus s'y livrent à l'envie. Balbo, imitant la bonté de dieu, refonde Strombola en la conservant. Elle est debout, et restera debout jusque dans les siècles les plus reculés, comme un monument des antiques mœurs vertueuses de nos généraux. Heureux les peuples, si la paix que nous leur donnons défendait aujourd'hui les villes, comme la guerre les défendait autrefois. Si le prince, dont les soins viennent de pacifier, l'univers, ne réprimait partout la fureur dévastatrice des hommes, la rapine aurait déjà épuisé la terre et les mers.

Commentaire : Ce récit de la prise de la ville paraît totalement inventé par l’auteur. Les fouilles archéologiques et sources primaires récentes suggèrent une violente prise de la cité, conformément à la pratique de la guerre en vigueur à l’époque. Comme toutes les autres, il serait bien plus probable que Strombola ait subit un pillage en règle, avec une diminution de son autonomie. Is est également intéressant de noter que c’est après la seconde guerre avec l’Achosie que la composante culturelle occitane de Strombola s’est progressivement effacée, jusqu’à totalement disparaître vers le XVIème siècle.
Mais de nouveaux malheurs préoccupaient vivement le sénat de nos sages anciens. Comment calmer l'inquiétude des troupes ? Quel est celui qui se chargerait de la guerre en Achosie, après la reprise de Strombola qui se fit au prix de pertes effroyables. L'ennemi, que la rébellion de l’une de nos cités les plus fidèles a rendu plus superbe, venait de porter la guerre dans les contrées fertiles de Velathri, belle cité de fondation récente aux frontières de notre contrôle de l’Achosie. Aussi devait-on craindre que cette ville, menacée de si près par le vainqueur, ne se soumît bientôt aux achosiens. Le sénat troublé, et jetant un regard inquiet sur l'avenir, songe aux mesures à prendre pour réparer l'échec qu'a reçu la puissance velsniennes. Il demande à dieu un chef qui ose se mettre à la tête des débris de l'armée défendant la région qui venait de subir une défaite.


Le jeune Balbo, victorieux à Strombola, était tout désigné pour cet honneur illustre. Il voulait tant venger les innombrables morts victimes d’Erwys dans notre beau pays. Mais sa famille le retient : les malheurs encore récents qu'elle déplore, la jeunesse de Balbo, tout l'épouvante. S'il passait dans ces sinistres contrés, il lui faudrait combattre, sur les cendres mêmes de ses pairs ayant vainement combattu contre ces sauvages, contre un ennemi qui a déjoué l’habileté velsnienne, qui les a vaincu, et dont le succès n'a fait qu'enflammer le courage. Ses bras, sont cependant assez forts pour soutenir cette lutte terrible. Assis sous l'ombrage verdoyant d'un laurier, dans la partie la plus retirée de sa demeure, le jeune héros s'abandonnait aux pensées tumultueuses qui agitaient son cœur. Il n’écouta ce dernier au moment de prendre les armes et de décider d’accepter l’offre des sénateurs de mener nos troupes dans le cœur de l’Achosie.


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Lazziano Bertoldi di Canossa

Livre XIV : Comment Balbo a réussit à arracher les larmes d'Erwys



Alors que le Sénat de Velsna acceptait d’envoyer à Balbo des renforts pour sa grande campagne et que Eerwys était coincé à ses errances dans les plaines de Velsna sans pouvoir prendre la cité, chacun demande à s'associer aux plus rudes travaux du jeune général. Chacun se fait gloire de partir pour cette expédition. Une nouvelle flotte descend dans les mers, et la République, entraînée par Balbo, se transporte sur les terres Achosiennes. Tel on voit les héros bouleversant les mers, élever au-dessus de l'Isthme les flots amoncelés. L'onde écumante s'abat en furie sur les roches qui retentissent, et la Manche Blanche va se confondre avec l’Océan d’Esperance. Balbo apparaît d'un air majestueux sous ses armes;,et debout sur le premier navire, il s'adresse à dieu : «Dieu qui porte toutes mes espérances, toi dont j'ose traverser l'empire. Si mon entreprise est juste, puisse cette flotte achever heureusement sa course : ne dédaigne pas de seconder nos travaux. La guerre que je porte au-delà des mers est sainte. »

A l'instant un vent frais s'élève et enfle les voiles. Déjà la flotte rapide a doublé les côtes de Zélandia, battue par la mer retentissante. Dans sa vitesse, elle a franchi la pointe de Kotios. Alors du sein des eaux ils aperçoivent de loin Achos, ces monts altiers qui poussent leurs cimes audacieuses jusqu'aux astres. Velathri, cité neuve au nord de cette île à dresser, s'offre bientôt à leurs regards.

Cette ville nouvelle, environnée d’achosiens féroces qui l'effraient sans cesse par leur attitude barbare, retient au milieu de ces nations belliqueuses les coutumes et les mœurs de la civilisation, son antique patrie Velsna, et reçoit avec amitié les étrangers qui viennent délivrer leurs marchandises dans leur port. Les velsniens passent ensuite les différents golfes de ces côtes. Ils laissent derrière eux colonies et villes achosiennes qu’ils scrutent à distance, et arrivent à portée de vue de Kheoles, fameuse coté d’Achos qu’il faudra assiéger et prendre de force.
Une fois débarqués, un coursier rapide s'élance hors de la barrière. Non seulement il devance ceux des autres quadriges. Mais, chose admirable, il précède ses compagnons d'attelage, nul regard ne peut suivre le char emporté à travers les airs. Le matin du septième jour, Balbo se présentait devant la place, dont la citadelle et les édifices semblaient s'élever à mesure qu'il en approchait. Le Sénateur Xantippe arrive par mer avec d’autres navires, à l'heure prescrite par le chef suprême de la Gardia de Velsna. Il range sa flotte sous les murs de la ville, et la bloque ainsi par derrière, en étendant ses vaisseaux sur une ligne.

Kheoles, dont la nature s'est plu à favoriser la situation, élève fièrement ses murs, que la mer baigne tout alentour. Une petite île fermait l'étroite entrée de son port, du côté où l'aurore inonde la terre de ses rayons. Mais du côté où la ville regarde le soleil se couchant lentement derrière les monts, des eaux stagnantes, que le flux augmente et que le reflux retire, languissent dans une vaste plaine. La ville, assise sur une colline, le front tourné vers le septentrion, s'abaisse en amphithéâtre jusqu'à la mer. L'accès en est défendu parle rempart éternel des flots.

Les soldats, pleins d'audace, s'efforcent de gravir la hauteur. On eût dit que la défense de la cité eut été l’une des plus imposantes d’Achosie. Dans le danger qui le menaçait, les achosiens comptaient sur les avantages de leur position, et avait fortifié la citadelle par de nouveaux travaux. La nature même du sol combattait pour les assiégés. Au moindre effort le soldat velsnien perdait l'équilibre et roulait mutilé et mort au fond des précipices. Mais à l'instant du reflux, l'eau vint à baisser, et les ondes entraînées précipitamment vers la mer, permirent de passer à gué, là où la plage était auparavant sillonnée par la flotte. Balbo se porte en silence sur ce point, où il sait qu'on ne le craint pas, et fait franchir les bas-fonds à ses soldats, qui, les pieds dans l'eau, arrivent tout à coup jusqu'au pied des murailles. Tous volent à l'attaque par les derrières de la ville, que les sauvages, se fiant aux flots, avait laissés dégarnis. Les généraux barbares s'humilient aux pieds du vainqueur, subit le joug qu'on leur impose, et la garnison remet ses armes. Ainsi fut prise cette place, que le soleil levant avait vu investir, et qu'il vit se rendre avant que son char se fût plongé dans la Manche blanche. Au lever de l'aurore, sitôt que les ombres ont quitté la terre, les velsniens commencent par dresser des calvaires en l’honneur de dieu. Balbo récompense les actions d'éclat, et le soldat intrépide obtient le prix qu'il a payé de son sang. Celui-ci étale ses médaillons sur sa poitrine, celui-là entoure son cou d'un collier d'or. Cet autre pare sa tête d’une couronne. Le premier de tous, Dino, guerrier illustre par sa valeur et sa naissance, reçoit trente bœufs avec un titre glorieux, prix de sa victoire. On y ajoute les armes de chefs achosiens battus par la ruse des enfants de Fortuna et de Léandre. Balbo distribue ensuite des lances, des drapeaux, des insignes de la valeur, comme prémices du butin, à tous ceux qui en sont dignes. Après avoir remercié dieu, et distribué les récompenses méritées, le général de notre glorieuse cité examine les dépouilles des vaincus et en fait le partage. Une partie de l'or est réservée au sénat, une autre consacrée aux frais de sa guerre. De riches présents seront offerts aux patriciens de Velsna, d'autres doivent orner nos églises. Le reste appartiendra aux guerriers dont la valeur et les hauts faits furent dignes d'éloges. Il fait ensuite venir les magistrats de Kheoles, ses prisonniers, et leur fait de grands honneurs en les épargnant.

Commentaire : Il n’existe aucune autre source que celle-ci prouvant que Balbo ait épargné la vie des magistrats de Kheoles. De même, l’auteur n’évoque pas le sac de la ville par les velsniens, et sa quasi-destruction. Preuve en est, cette ville perd presque tout rôle économique et politique dans les siècles d’occupation velsnienne qui suivent.

La rapide victoire remportée contre Kheoles avait jeté au loin l'épouvante dans le camp d’Eerwys, à des centaines de kilomètres de là, et ne laissait d'espoir aux généraux achosiens, que dans la prompte réunion de leurs forces. Un guerrier, jeune encore, venait de débuter comme un héros. Armé de la foudre de son père, il avait pris, en moins d'un jour, une citadelle fortifiée sur le sommet d'un mont, où on la distinguait à peine, et il l'avait couverte de cadavres, tandis que dans la contrée d’Occitanie le vaillant Erwys avait mis presque un an pour prendre Aula, qui n'était comparable à Kheoles, ni par ses ressources et ses richesses, ni par le nombre de ses jeunes guerriers.


Près de là en Achoisie, Eoned, le frère d’Eerwys, dont les exploits glorieux retraçaient ceux de son frère, se tenait adossé à une ceinture de roches boisées. Là campait l'élite de l'armée achosienne, composée des plus vaillants de ces sauvages. Eoned était aussi grand aux yeux de l'Achosie, qu'Eerwys était redouté dans les champs d’Umbra. Le hasard voulut que les achosiens célébrassent alors l'anniversaire mémorable de la fondation de leur République, laquelle avait remplacé les humbles cabanes de leurs tribus de jadis. Eoned, renouvelant avec joie cette fête du berceau de sa patrie, s'était livré aux plaisirs de la journée. Ses enseignes étaient couronnées de fleurs, et il offrait lui-même le sacrifice sanglant à dieu, qu’il honorait de bien mauvaise manière d’achosien, en versant cruellement le sang d’animaux. De ses épaules descendait une tunique éclatante, présent de son frère. Eerwys l'avait reçue de nombreux pillages dans les plaines de Velsna. Les achosien en faisaient maintenant un insigne de leur pouvoir malfaisant: une broderie d'or y représentait un aigle planant dans les airs, où il enlevait un enfant balancé sur ses ailes.

Eoned, couvert de cette robe dont le riche tissu rappelait tout l'art de Velsna que les achosiens volaient allègrement, rendait ses hommages à dieu sur son autel. Mais un courrier arrive en toute hâte au milieu de l'assemblée, et lui apprend que l'ennemi s'avance. Le trouble gagne tous les cœurs : Eoned abandonne la cérémonie religieuse, quitte l'autel sans achever le sacrifice, et s'enferme dans son camp.

D'un côté volent les flèches velsniennes, pour arrêter la fuite du lâche achosien, de l'autre, une forêt de lances présente la mort à quiconque ose s'approcher. Forcé de combattre, l'ennemi s'y dispose à la hâte, et n'a plus d'espoir que dans ses armes. Eoned, qui comprend la grandeur du péril, se jette au milieu de ses soldats. Porté sur un bouillant coursier, il leur tend les bras, et les anime de la voix : «Par les lauriers que vous avez conquis aux extrémités du monde, par la gloire de mon frère, je vous en conjure, prouvons qu'il y a ici un frère d'Erwys. La fortune ne nous expose à ce danger que pour nous faire connaître des velnsines, pour apprendre aux enfants de Fortuna ce que sont les vainqueurs d’Achosie !
Balbo, de son côté, anime aussi ses troupes : «Soldats, pourquoi balancer à terminer cette horrible guerre? La rapidité de votre marche est déjà pour vous un grand sujet de gloire. Il faut que votre valeur couronne à présent cette belle entreprise. Oui, on nous accusera d'avoir quitté le camp, que notre départ a laissé sans défense, si la victoire ne justifie notre audace, que votre gloire soit sans partage, et qu'on puisse dire que votre arrivée seule a défait l'ennemi. »

Les velsniens font de tous côtés un horrible carnage. Ils se porte au milieu des bataillons les plus épais et renversent autant d'ennemis que son bras lance de javelots. La victoire semble acquise aux braves citoyens de notre cité. Tout fuit à l’approche de notre armée. Une nuée de traits se répand dans les airs et dérobe le soleil. Déjà le carnage fait par les deux armées couvrait la plaine de morts, et les cadavres amoncelés dans le fleuve en touchaient l'une et l'autre rive. L'armée d'Eoned pliait tout entière, et partout, dans les rangs des achosiens, naissait la frayeur. La fortune de leur peuple se lassait, et dieu venait de tourner son regard bienveillant du côté des justes velsniens. Dam fortune nous avait fait don de cette journée. On eût dit que les plus vieux d’entre nous avaient retrouvé la vigueur de leur brillante jeunesse en voyant Balbo galoper parmi les combats. Il courait triomphant au milieu du carnage, et se couvrait de gloire à chaque pas.

Bientôt on aperçoit Eoned qui combattait avec furie à la tête des siens, entouré d’ennemis. On s'adresse à l’achosien en ces mots: « Non, tu ne n'échapperas plus à notre bras. Rends toi, achosien, car il n'y a plus ici, comme aux Zagros, de monts inaccessibles de joeur tes tours et tes fourberies. Tu ne m'abuseras plus par de vaines promesses, comme tu l'as fait déjà. ». Un velsnien intrépide, tirant aussitôt son épée, se jette sur lui et le renverse, puis il tient pressé sous son bouclier ses membres tremblants. « Si tu veux, lui dit-il, envoyer, avant d'expirer, quelque message à ton frère, nous le lui porterons nous-mêmes. »

Eoned lui répond : « La mort n'est pas pour moi un sujet de terreur. Use du droit de ta victoire, pourvu que mes maux soient bientôt vengés. Si tu veux redire à mon frère mes dernières paroles, répète lui que je charge son bras vainqueur de brûler le Palais des Patrices, et de confondre mes os et ma cendre avec la cendre de votre Dame Fortune. ». Le soldat le perce de son épée, il tranche et emporte cette tête d'un guerrier sans foi. L'ennemi, privé de son chef, n'essaie plus de résister, et le carnage est affreux. Déjà la nuit avait fait disparaître la lumière devant ses ombres.


Dans la contrée des velsniens, Erwys fait prendre à ses troupes un peu de repos et de nourriture pour réparer leurs forces, et, avant le jour, revenant sur ses pas, on lui ramène des drapeaux de son frère vaincu dans son camp que la crainte d'une surprise tenait fermé. Alors un envoyé de Velsna, portant au bout d'une pique la tête d’Eoned, qu'il a immolé, s'écrie: « O Erwys ! Cette tête de ton frère est le juste prix de l’Arna, de Vadimon et de Velcal. Fais donc, perfide, deux guerres à la fois. Réunis maintenant deux armées contre nous si tu le peux ! Voilà la récompense due à ceux qui brûlent de passer les citoyens de Velsna au fil de l’épée pour suivre tes enseignes. ». Erwys retient ses larmes, et enlève quelque chose à la grandeur du mal, en le supportant avec courage. Sa bouche est muette, mais il murmure en lui-même qu'il fera un jour à l’edprit de son frère le sacrifice qui leur est dû. Il s'éloigne alors avec son armée, et, dissimulant sa mauvaise fortune par l'inaction, il évite de s'exposer aux hasards des combats et continue d’errer dans notre pays.


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Lazziano Bertoldi di Canossa

Livre XV : Comment nous avons porté la guerre à Achos



La prise de Kheoles et la mort d’Eoned, frère d’Erwys, procura satisfaction à Balbo, dont la joie éclatait sur son visage. Pour récompenser dignement cet exploit, il couvrit ses soldats des plus beaux butons et des plus belles récompenses de la cité déchue. Puis, se levant, il fait voler de toute sa force sa lance victorieuse, symbole de l'honneur qu'il rend aux sénateurs de Velsna comme pour signifier sa victoire. Les sénateurs viennent la planter en terre sur la place San Stefano : dieu tourne de nouveau son regard sur notre cité.

Dès que Balbo est revêtu de la haute dignité de Maître de l’Arsenal, il propose ouvertement son projet au sénat, et demande à aller renverser toute l’Achosie pour terminer cette guerre. A ces mots, le vieil Idilmo, sauveur se Velsna, se lève, et de sa bouche, d'où tombent des paroles respectées :
« Rassasié de vie et d'honneurs, dit-il, je ne crains pas que le Maître de l’Arsenal, à qui ses jeunes années promettent tant de gloire, me croit guidé par un désir jaloux de diminuer son prestige. La mienne est assez grande, et mes succès passés n'ont pas besoin d’être rappelés et bonifiés. Mais, tant qu'un souffle me restera, je me croirai criminel de manquer à ma patrie, et déshonoré même, par mon silence. Balbo, tu veux porter dans le cœur du territoire des hommes peints ? Mais le territoire de notre cité est-il donc sans ennemis, et n'est-ce pas assez pour nous de vaincre Errwys ? Quelle gloire plus grande iras-tu chercher sur les rives de Culan ? La matière de tes triomphes est près de toi, la fortune t'a donné un rival digne de ton courage. C'est le sang du cruel Eerwys que demande Velsna, c'est de ce sang qu'elle a soif. En quelle contrée, en quels lieux vas-tu traîner nos étendards ? Commence par éteindre le feu qui consume nos forêts. L'ennemi épuisé est là sous tes yeux, et tu l'abandonnes, et tu dégarnis les sept collines de leurs défenseurs ? Mais tandis que tu porteras le ravage dans cette contrée stérile, ce fléau de notre pays ne viendra-t-il pas fondre une seconde fois sur ces murs qui lui sont connus ? n'envahira-t-il pas le Palais des Partrices, qui n'aura plus de bras, plus d'armes pour le, repousser ? Quelle conquête vaut que tu quittes notre cité et que tu abandonnes notre lagune au bras d'un vieillard qui a passé l'âge des combats ? Frappés par ce barbare terrible, aurions-nous le temps de te rappeler de l’île des celtes ? C'est ici qu'il faut vaincre, ici qu'il faut délivrer Velsna de cette guerre qui depuis trois lustres y répand le deuil. Retourne ensuite au pays des sauvages, et va mériter un triomphe chez l’achosien. Mais, à cette heure, les dangers sur nos terres s'y opposent. Ton père, ce héros dont le courage a illustré ta famille, près de mener son armée sur l’Arna, revint sur ses pas se jeter au-devant d'Eerwys qui se ruait du haut des monts du Zagros sur nous. Et toi, Maître de l’Arsenal, tu songes à t'éloigner d'un ennemi vainqueur, pour l'arracher, dis-tu, par ce stratagème du sein de nos plaines ! Mais si, loin de suivre ton armée, il reste ici, sans s'effrayer, combien ne regretteras-tu pas, quand Velsna sera prise, tes conseils imprévoyants ! Mais je veux bien que, craignant pour Achos, il mette à la voile, suive ta flotte et tes drapeaux, en sera-t-il moins ce redoutable Erwys, que tes yeux ont vu camper sous nos murs ? »

Ainsi parlait Idilmo, et tous les vieillards murmuraient les mêmes plaintes. Alors Balbo prit la parole :
« J’ai trouvé Strombola subissant le joug des achosiens, sans qu’Idilmo, sans qu'aucun de ceux qui partagent son avis, songeât à y porter du secours. C'est moi, j'ose le dire, qui, malgré ma jeunesse, m'exposait à cet orage, qui osait braver la tempête et attirer sur moi tout le danger. Nos vieillards disaient de même qu'on avait tort de confier la guerre au bras d'un jeune homme, et le même le plus sage d’entre vous que j'entends encore qualifiait l'entreprise de téméraire. Mais j'en rends grâce à dieu, protecteurs de notre cité et même à Dame Fortune: Balbo, ce frivole jeune homme, ce bras d'enfant, ce Balbo, à peine mûr pour les armes, vous a rendu toute l'Achosie du nord sans échec et même prit la cité de Kheolis. Il a poussé devant lui l’achosien, et suivi le cours du soleil jusqu'aux murs de leurs cités. Il a purgé les achosiens de ce monde redevenu velsnien, et n'a ramené ses étendards qu'après avoir vu le soleil dételer ses coursiers fumants sur un rivage rendu à notre cité. Ce même Balbo vous a donné des magistrats pour captifs. A présent il ne reste plus que Cula, dernier bastion à détruire : ce sera le dernier de vos travaux. Dieu même, le père des hommes, vous y convie par ses prodiges. Erwys a déjà l’usure de la vieillesse, ou du moins il l'atteste, afin que ce ne soit pas une gloire pour nous d'avoir fait cesser de si longs malheurs par la défaite d'un vieillard. Pour moi, je reconnais ce que peut mon bras, et je sens qu'en moi la force s'est accrue avec les années. N'inventez donc point des prétextes de retard : dieu m’a réservé la gloire d'effacer l'opprobre de nos anciennes défaites. Laissez un libre cours à la destinée : cela a été pour le prudent Idilmo un titre assez glorieux de n'avoir pas été vaincu, et il est vrai qu'en temporisant les ardeurs de ces sauvages il nous a faits ce que nous sommes. Mais Eoned aurait-il été défait, si je m'étais tenu oisif, enfermé dans mon camp. Quoi ! Un jeune achosien, à peine à la fleur de l'âge, aura pu parcourir les campagnes de Velsna, s'avancer jusque sous les murs de notre cité et visiter la source sacrée de notre lagune ! Il aura pu dévorer dans une longue guerre toutes les forces de la République, et nous n'oserons transporter nos étendards sur l’île des celtes, et faire trembler à notre tour les demeures de ces monstres ! Tous les rivages d’Achosie sont ouverts au loin et plongés dans une sécurité profonde, et cette terre ennemie jouit de la paix et de l'abondance : que ce barbare connaisse enfin la crainte après l'avoir si longtemps inspirée ! Qu'elle sache qu'il nous reste des armes, alors même que nos plaines ne sont pas encore délivrées de la présence d'Erwys. Ce général, que vos timides délibérations ont laissé vieillir dans nos champs, où il a versé notre sang à grands flots depuis trois lustres, je saurai, moi, le forcer de revenir chez lui, tremblant, mais trop tard, pour ses murs embrasés. Velsna verra-t-elle donc sur ses remparts les marques honteuses des chaînes des vaincus tandis que Culan, libre d'inquiétudes, apprendra nos dangers sans en craindre pour elle, et nous fera la guerre, ses portes ouvertes ? Oui, que notre farouche ennemi batte encore nos murailles du bélier de ces sauvages, s'il n'apprend pas que je l'ai prévenu en livrant aux flammes les églises de sa chère cité de Culan. »

Le sénat, enflammé par ce discours, semble reconnaître la voix du destin et se rend aux désirs du Maître de l’Arsenal. On fait des vœux pour le salut de la patrie, et l'on permet à Balbo de transporter la guerre en Achosie. Désigné par les suffrages de tous les sénateurs, Balbo s'était rendu à l'embouchure de la lagune de Velsna, et allait avec empressement au devant d’une église où il priait par habitude. Parent du général alors chargé de la guerre contre Erwys sur l’Arna, il brillait de tout l'éclat de ses illustres aïeux. Après avoir reçu dans ses bras suppliants la bénédiction du prêtre, il se décida au départ. Alors les dames velsniennes veulent, de leurs mains, le traîner le long de la lagune, et attachent des cordages à la proue. Tout autour retentissaient les tambours frappés à coups redoublés, et les bruyantes cymbales.



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Grande Histoire des guerres celtiques
Lazziano Bertoldi di Canossa

Livre XVI : Le concours de Caratrad et du roi Gregory



La terre d’Umbra donnait asile au général achosien, qui pleurait ses malheurs et ceux de sa patrie. Là, retranché dans son camp, il se consume à
attendre l'instant favorable pour recommencer la guerre. Tel un taureau chassé des étables paternelles, et qui a perdu son empire, va cacher sa honte au fond des bois. Il s'exerce à l'écart aux combats, ses mugissements répandent la terreur au loin, il court, il bondit à travers les précipices, renverse les arbres, et furieux, va frapper les rochers de sa corne irritée. Les bergers, du haut d'un mont qui domine le voisinage, tremblent en voyant l'animal se préparant à des luttes nouvelles. Ainsi le fougueux Eerwys, qui pouvait dans sa force détruire notre cité, s'il eût eu tous les secours nécessaires, cédant aujourd'hui à la basse envie des siens, retenait son ardeur guerrière, s'arrêtait faute de ressources, et se laissait languir dans une impuissante inaction. Cependant la peur qu'on a de son bras, la terreur, qui reste aux nations de tant de victoires sanglantes, semblent avoir mis sa tête inviolable, comme sous la sauvegarde de dieu. Son nom seul lui tenait lieu d'armes, de munitions, de recrues.

Cette multitude de soldats dont le langage, l'esprit, les mœurs, se heurtent et se contrarient, demeura dans le devoir. Tout est perdu : mais le respect du chef tient encore les cœurs fidèles à sa mauvaise fortune. Ce n'était pas seulement dans à Velsna que dieu se montrait propice aux enfants de Fortuna et de Léandre : déjà la Strombolaine et l’Achosie du nord a vu les hommes peints quitter leurs plaines qui produisent leur or. Kheoles, la deuxième de leurs plus grandes cités a été prise. Déjà ces hommes, chassés de leur camp, ont mis à la voile, et sa flotte l'emporte à la hâte vers la cité de Culan, qu'agite l'épouvante. Mais voici que la fortune, après une première faveur, en ménage une autre à Balbo, qui poursuit les sauvages avec grande hâte.
Non loin de Culan, dans la plaine des trois gorges, le chef achosien McDowell s'avançait rapidement à la tête de ses bataillons barbares, aux boucliers retentissants : il entraînait avec lui, mais trop tard ses troupes. McDowell, s’il n'eût pas eu à lutter avec les velsniens, avait assez d'habileté, de ruse et de courage militaire. Mais rien de tout cela ne tenait contre l'accablant génie du général velsnien et de la bravoure supérieure de notre peuple. Déjà, dieu commençait à répandre dans les cieux obscurcis une ombre qui nuit à l'ardeur des achosiens : tout à coup, Balbo fond sur les achosiens, qui se retranchaient dans leur camp, et force partout les ouvrages qu'ils abandonnent inachevés. Ces remparts à peine ébauchés, et faits de gazon, sont renversés sur les soldats qui tombent, c'est là toute leur sépulture. De tous ces guerriers barbares, aucun ne montra du cœur, et mérita, par sa résistance, de voir passer son nom à la postérité. Balbo, lui, lance son javelot avec furie, et du coup il abat le panache flottant des casques achosiens. Le trait porte plus haut, relevé par la hache de vulgaires sauvages, prompt à le parer. Les deux lignes de bataille en sont ébranlées : le bouclier de Balbo retentit sous le poids de l'arme formidable, mais son adversaire est vaincu. Tous ensemble, les achosiens lâchent alors pied et se dispersent à travers la plaine.

Ce n'est plus un combat, mais partout le triste et sanglant spectacle du carnage. Ici, les uns frappent, là, les autres tombent. McDowell, pris au milieu des fuyards, et les mains liées derrière le dos, était traîné vers Balbo, chargé de fers. Il demandait la vie, et qu'on le laissât jouir de la douce lumière du ciel. « Les voilà donc, dit le Maître de l’Arsenal, les voilà donc ces guerriers qui demandaient pour eux l'empire du monde, auxquels devait céder la toge et la race belliqueuse des fortunéens ! S'il vous est si facile d'être esclaves, pourquoi avez-vous ressaisi vos armes ? » Balbo achevait à peine ces mots, quand un cavalier, envoyé en éclaireur, arrive et lui apprend que les gens de Caratrad, un royaume celtique du sud, ignorant les désastres de cette journée, s'approchait avec rapidité pour joindre ses troupes à celles des achosiens.

Les caratradais avaient alors pour roi Gregory, le prince le plus riche de ces contrées, et qui ne manquait pas de bravoure. Ce monarque étendait son empire sur des peuples innombrables et jusqu'aux mers les plus éloignées. Il avait, dans ses vastes domaines, beaucoup de chevaux, qui étaient réputés la terreur des combats, et de nombreuses troupes d'élite. Aucun prince d’Occitanie ou de Zélandia n'était plus riche en ivoire, en or, en étoffes de pourpre. Balbo, jaloux de s'assurer un secours aussi puissant, songeant d'ailleurs à la grandeur du péril, si ce prince se tourne du côté des achosiens, ordonne aussitôt qu'une galère mette à la voile. Dès ce jour il n'a plus qu'une pensée, la guerre d'Achosie.
Arrivé sur les bords celtiques, et dès que les vaisseaux sont entrés dans le port, il apprend que les barbares, fugitifs et tremblants, l'ont devancé sur les mers, qu'ils ont cherché dans sa détresse de nouveaux alliés, et qu'ils viennent d'entraîner Caratrad dans le parti d’Achos. On annonce à Gregory que les généraux de ces deux peuples puissants qui se disputent les armes à la main l'empire du monde, sont dans ses états. Le roi ordonne qu'on les introduise dans son palais avec les plus grands égards, et tire vanité de l'éclat qu'en reçoit son diadème. Il regarde avec une joie orgueilleuse ces deux ennemis présents devant lui, et s'adresse en ces termes au Maître de l’Arsenal :
« Illustre Balbo, quelle n'est pas ma joie de te voir en ces lieux, et que j'ai de bonheur à te contempler ! combien il m'est doux de retrouver en toi l'image de ton père. Elle respire dans tes traits. Je me souviens qu'étant allé sur les bords d'Occitanie, où j'étais curieux de voir le flux et reflux de la mer, ce grand chef vint me trouver dans le voisinage d’Aula, et sembla m'accueillir avec les plus grandes marques d'amitié. Il me fit même présent de ce qu'il avait de plus précieux dans les dépouilles de l'ennemi. Je reçu de ses mains des armes, des freins avec lesquels vous domptez vos chevaux, et les premiers qu'on ait vus dans mes états, des arcs dont la force ne le cédait pas à celle de nos javelots. Il mit à mon service des maîtres vieillis dans l'art de la guerre, pour former à vos évolutions militaires mes bataillons épars et qui combattaient sans règles. Et lorsque je leur offris en retour cet or dont nos contrées abondent, je ne gagnai rien par mes instances. Il ne prit qu'une épée renfermée dans un fourreau d'ivoire poli. Ainsi donc sois le bienvenu dans ce palais. Mais puisque la fortune a conduit aussi vers moi à travers les ondes le général achosien, daigne écouter, ô Balbo ! Ce que je vais dire, et toi puissant chef des hommes peints, prête l'oreille attentive à de sincères avis. « Qui ne sait aujourd'hui quelle tempête est venue fondre sur Velsna, quelle guerre a moissonné ses habitants, et réduit sa cité aux dernières extrémités ? Qui ne sait que les plaines de Velsna et d'Achos sont abreuvées depuis dix ans du sang de ses peuples ? Pourquoi ne pas mettre fin à ces tristes guerres ? pourquoi ne pas déposer volontairement les armes ? Vous, achosiens, contentez-vous de votre île, et vous, Velsniens, renfermez-vous dans votre cité. Croyez-moi, je ne serai pas un médiateur indigne de servir d'aussi grands intérêts, si vos esprits inclinent à la paix. »
Balbo ne permet pas au roi d'en dire davantage. La coutume de sa nation, et le souverain arbitrage du sénat empêchent qu'il ne traite en son nom : il faut renoncer à ce vain espoir d'accommodement, puisque les sages du Sénat seuls peuvent en décider. Les conseils de Gregory en restèrent là : on passa en festins le reste de la journée. Après le repas, chacun s'abandonne au sommeil, et se délivre, dans le sein du repos, de la chaîne pesante des soucis. Déjà l'aurore, quittant sa couche matinale, éclairait la terre d'un jour nouveau.

Les coursiers du soleil sortaient de leurs célestes étables pour reprendre le joug, et le dieu n'était pas encore monté sur son char : cependant la mer brillait de quelques traits de feu prêts à jaillir de son sein. Balbo se lève de sa couche son visage est calme et serein, il se rend au palais de Gregory.
Dès qu'il apprend la venue de Balbo, il revêt sa tunique royale. Sa main gauche est ornée d'un sceptre, insigne majestueux de son antique empire. Un bandeau blanc lui ceint la tête. Il porte l'épée à son côté, selon la coutume de sa nation. Balbo est introduit, reçu par le prince, en hôte et en ami. Il va s'asseoir près de lui dans une partie retirée du palais, où on lui rend les mêmes honneurs qu'au monarque lui-même.
« Puissant Gregory, lui dit le pacificateur de l'Achosie, dès que j'eus soumis les peuples de Strombolaine, mon premier soin et le plus ardent de mes désirs a été de venir te visiter dans tes états. La mer en courroux n'a pu m'arrêter. Je ne viens pas te demander une chose au-dessus de ton pouvoir, ou qui puisse déshonorer la majesté de ton trône. Unis-toi de coeur aux velsniens, et partage en ami nos succès. Non, les hordes de sauvages d’Achos ne peuvent pas tant pour ta gloire qu'une alliance fidèlement gardée avec le noble peuple de Velsna. Que dirai-je de plus ? le ciel n'est jamais propice à celui qui ose attaquer notre cité. » Gregory entend ces propositions avec plaisir, les accepte, et, embrassant Balbo :
« Oui, dit-il, confirmons cet heureux augure de la paix, et que les dieux présents entendent ces voeux communs de l'amitié. Prenons ici à témoin dieu. »
Mais Balbo ne savait encore rien de la trahison à venir de ce roi barbare. Le temps n'est pas éloigné où Gregory, vaincu et renversé de son trône, sera traîné par un concurrent à son trône derrière le char du triomphateur, qui vient presque en suppliant lui demander son alliance. Le traité conclu, Balbo se rend au port, met à la voile, et, secondé par un vent favorable, regagne Kheoles, terre qui lui est désormais si connue. Le peuple, avide de le revoir, accourent à sa rencontre, les achosiens du nord soumis députent vers lui leurs nations diverses. Animées du même esprit, toutes l'appellent leur roi. Pour elles, c'est le plus beau titre et le suprême honneur dû au courage. Balbo refuse leurs offres avec douceur, comme peu dignes d'un velsnien. Il apprend à ces Barbares les usages de sa patrie, et que Velsna ne peut supporter le nom des rois. Alors, n'ayant plus d'ennemi à vaincre dans ces contrées, il ne songe désormais qu'à rendre les derniers devoirs à dieu. Il convoque tous ses soldats et leur annonce le départ pour la dernière de toutes les guerres.




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Grande Histoire des guerres celtiques
Lazziano Bertoldi di Canossa

Livre XVII : L'abandon d'Achos par les caratradais et le retour d'Erwys sur ses terres fumantes



La flotte des enfants de Fortuna et de Léandre avait bravé la mer pour accoster au large de Culan, la dernière des grandes cités achosiennes. Les achosiens avaient immolé un taureau pour se rendre leur dieu démoniaque favorable, et les entrailles de la victime, jetées dans les champs, colorait de rouge les hautes herbes. Mais le bruit des ailes des corbeaux qu’ils lâchèrent sur la carcasse annonçait un mauvais augure pour eux. Ils ne s'élevaient sous la nue qu'autant qu'il le fallait pour ne point se dérober aux yeux des achosiens, qui voyaient arriver les velsniens aux rivages de leur perfide patrie. L'Achosie, voyant fondre l'orage, s'empresse d'opposer à ce déluge d'ennemis, et à leur chef redoutable, la puissance et les armes du roi des caratradais. Gregory était le seul espoir de l’Achosie, le seul ennemi que Velsna redoutât en dehors d’Errwys. Les plaines, les vallées profondes, les bords de la mer, Caratrad avait tout envahi. Il ne couvrait pas ses coursiers de brillantes étoffes, mais ses javelots, sifflant dans les airs, obscurcissaient la lumière du jour. Gregory, oubliant donc la foi jurée et le traité conclu avec Balbo, avait violé, mal conseillé par l'amour, les droits de l'hospitalité consacrés, toutes les lois divines et humaines, et il courait ainsi sacrifier son royaume à sa passion. A peine a-t-il reçu dans sa couche royale Eona, fille d'un riche magistrat achosien, jeune vierge aussi belle qu'illustre par sa naissance, que, brûlant comme pour la première fois des passions de l'amour, il se range, avec toutes ses forces, du parti d’Achos, et, au mépris de son alliance avec Velsna, transporte, comme présent de noces, ses armes du côté de son beau-père. Le général velsnien s'empresse alors de faire avertir Gregory. Ses députés n'épargnent ni les conseils, ni les menaces. Il doit rester neutre dans ses états, songer à la vengeance de dieu, garder sa foi et les serments faits à ses alliés. En vain il comptera sur l'appui d'une femme, sur un hyménée commandé par Achos, quand les armées de notre cité l'envelopperont de toutes parts. S'il repousse ces avis, le sang coulera, et sera le prix de cette lâche complaisance d'un époux aveuglé par la passion. Tels furent les avertissements et les menaces que fit entendre Balbo. Tout fut inutile : une épouse adorée rendait Gregory sourd aux avis. Balbo, irrité de voir ses efforts inutiles, a recours aux armes, et en même temps qu'il atteste devant dieu, témoin du parjure, il songe à employer tous les stratagèmes de la guerre.
Il attaque secrètement, à la faveur de la nuit, le camp caratradais formé de paille légère et de joncs entrelacés, comme le sont les huttes que le berger achosien élève çà et là dans les plaines.

Partout sa main porte le feu, et d'abord les ténèbres cachent la marche de l'incendie. Mais lorsqu’enfin le foyer dévastateur a rayonné, lançant la flamme dans tous les sens, il embrase avec bruit l'herbe grasse qui lui sert d'aliment, s'élance éclatant dans les airs, et ne connaît plus de bornes. D'effroyables tourbillons portent le ravage par tout le camp. Le feu dévore en pétillant tout ce qu'il rencontre d'aride, et de toutes les huttes les flammes s'échappent par torrents. La plupart des soldats, réveillés par l'incendie, l'ont plus tôt senti qu'aperçu. Plusieurs sont étouffés en appelant du secours. Le feu vainqueur s'est répandu partout. Armes, soldats, rien n'échappe à ses rapides atteintes. L'horrible fléau s'étend comme l'onde furieuse, et le camp incendié vole en étincelles au plus haut des airs. La tente même de Gregory est bientôt la proie des flammes, dont le ravage s'étend au loin avec un bruit lugubre. Le roi allait périr, si un de ses gardes, accouru dans cette extrémité, ne l'eût arraché tout tremblant, à son sommeil et à la mort qui le menaçait. Mais lorsque le roi de Caratrad eût réuni ses forces à celles des achosiens, et que la vue des nouvelles troupes tirées de son empire eût un peu calmé le désespoir de cette funeste nuit, alors la colère, la honte et l'amour, comme autant d'aiguillons, irritèrent son âme. Il frémissait de rage, en songeant que sous sa tente la flamme avait presque atteint son visage, et qu'il n'avait échappé qu'avec peine, et en fuyant, demi-nu, au milieu de ses soldats épouvantés. A la lumière du jour et à la face du soleil, disait-il, personne n'eût pu vaincre Gregory. Ainsi parlait l'insensé ami des achosiens, dont la dieu allait abaisser l'orgueil, en arrêtant sa langue téméraire. Bientôt il se jette hors du camp, pareil à un fleuve impétueux qui, entraînant les arbres et les rochers, inonde ses rives de ses flots écumants, et court tomber au fond des précipices. Il appelle à grand cris ses troupes, et les précède sur un orgueilleux coursier. Dès que les braves velsniens l'ont aperçu de loin, ils saisissent leurs armes, et volent à sa rencontre. « Vois-tu, se disent-ils en eux-mêmes, vois-tu ce roi médiocre s'avancer aux premiers rangs, et nous offrir la bataille ? Puisse mon bras avoir l'honneur de le punir, car il a profané sa propre parole, il a violé le traité fait avec notre général. Qu'il lui suffise d'avoir échappé à l'incendie de son camp. » Aussitôt une grêle de traits part de leurs mains. Le premier javelot, traversant les airs, va se fixer aux narines de son coursier qui semblait vomir le feu. L'animal ensanglanté se dresse et frappe l'air de ses pieds, puis il tombe épuisé, se débat sous les traits qui le percent, et livre Gregory à l'ennemi. En vain le roi essaie de fuir, de soulever ses membres fatigués, et d'arracher le trait de sa blessure : les velsniens l'entourent et le saisissent.

Aussitôt ses bras sont chargés de chaînes. O honte ! ô terrible exemple, pour qui se fie à la fortune ! Déjà d'indignes liens tiennent captive cette main qui avait porté le sceptre. Le voilà précipité du fait de la grandeur, celui qui naguère avait vu sous ses pieds les royaumes et les couronnes, et la Manche blanche obéir à ses lois jusqu'au rivage de l'Océan. La défaite et la retraite de Caratrad dans leurs odieuses terres est suivie du carnage de l'armée des achosiens. Les odieux sauvages, habitués à fuir, tournent le dos précipitamment, et dieu condamne lui-même leur téméraire entreprise. Achos, comme un corps mutilé parle fer, ne se soutenait plus que par Eerwys. Absent dans les terres de Velsna, il retardait encore, par l'éclat de son nom, la ruine de cette cité qui s'affaissait avec fracas. L'extrémité où elle est réduite la force de réclamer cet appui qui lui reste dans son désastre. C'est à lui qu'ont recours ses concitoyens tremblants, lorsqu'ils se voient abandonnés de dieu. Et par cette supplique un vaisseau, sillonnant les flots, porte à Erwys les ordres de la patrie : on lui mande qu'il se hâte, de peur qu'arrivant trop tard, il ne retrouve plus les murs de Culan. L'Aurore se levait pour la quatrième fois, lorsque le vaisseau aborda aux rivages de l’Achosie. Des songes affreux agitaient Erwys.

Accablé d'inquiétude, à peine s'est-il abandonné au repos, qu'il lui semble voir ses anciens ennemis vainvus fondre ensemble sur lui, l'épée nue, et le chasser de l'Italie. Les ombres des velsniens, accourant en foule de Velcal et de Vadimon, le poussaient dans les flots. Lui-même, prenant la fuite, cherchait à se sauver par le chemin connu du Zagros, et en même temps il tenait embrassé le sol de Velsna, et y collait sa poitrine. Enfin, une force irrésistible l'entraînait vers la mer et le livrait aux tempêtes pour l'emporter au loin.

Les aristocrates achosiens l'abordent au milieu du trouble que lui causaient ces songes. Ils lui transmettent les ordres de sa patrie et l'instruisent de l'extrême danger qui la menace : l'armée de Caratrad a été défaite, et ce roi, chargé de fers, à qui on refuse la faveur de mourir, est réservé pour un triomphe devant le Palais des Patrices. Achos, déjà affaiblie par les défaites réitérées sur leurs terres et l’abandon de leur allié, n'a plus d'autre chef que ce timide guerrier. Eux-mêmes ils ont vu, Hélas ! Triste et médiocre spectacle ! Le camp des achosiens incendié dans le silence de la nuit, et la terre celtique éclairée au loin des reflets de cet horrible supplice. L’heure du jugement approche pour les barbares.




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Grande Histoire des guerres celtiques
Lazziano Bertoldi di Canossa

Livre XVIII : La bataille des Grandes Plaines et la fin de la nation impie des achosiens



Pendant que les achosiens s'arrêtent sur le rivage de la cité d’Umbra, l'ardent Balbo menace de réduire en cendres leur patrie, où Eerwys pourrait rentrer encore dans tout l'éclat de ses hauts faits. Après ce discours, où ils ont retracé les malheurs et les craintes d’Achos, les envoyés fondent en larmes et baisent sa main avec un respect religieux. Eerwys les avait écoutés d'un air farouche, les yeux fixés vers la terre. En proie à la plus vive inquiétude, il se demandait en lui-même si l’île celtique valait un si grand sacrifice. Enfin il s'écrie : «O monstre fatal au genre humain ! ô envie ! Tu ne souffriras donc jamais que rien ne s’élève, et qu'une grande renommée croisse à sa hauteur ! Depuis longtemps j'aurais pu renverser Velsna, la mettre au niveau du sol, emmener en esclavage cette nation vaincue, et donner des lois à toute sa plaine. Tandis qu'on me refuse de l'argent, des armes, des soldats, pour remplir les vides que la cité maudite a fait dans nos rangs, tandis que les nôtres nous laissent manquer de vivres et de blé, toute l'Achosie est en feu, et le velsnien frappe de sa lance les portes de Culan. Erwys est enfin la gloire, l'unique soutien de sa patrie : elle n'a plus d'espoir que dans son bras. Oui, nos enseignes vont obéir à la voix du sénat qui nous rappelle : nous sauverons la patrie, et toi aussi, achosien !

Après ces paroles prononcées d'une voix tonnante, il lance les vaisseaux à la mer et met à la voile en déplorant son malheur. Aucun ennemi n'osa ni le rappeler, ni l'attaquer dans sa fuit. On regarde comme une faveur de dieu qu'il se retire ainsi librement et qu'il délivre enfin nos terres. Velsna lui souhaite un vent favorable et s'estime heureuse en contemplant ses rivages abandonnés par l'ennemi. Ainsi, lorsque le vent cesse de souffler avec fureur, et rend le calme à la mer, le marin ne fait plus de voeux pour obtenir des vents propices. il lui suffit de voir cesser l'ouragan terrible, et dans cette paix rendue aux ondes, il voit le gage d'une navigation désormais facile. Toute l'armée d'Eerwys avait les yeux fixés sur les flots, mais lui, il ne pouvait détourner ses regards des terres sacrées de Velsna. Des larmes, qu'il voulait retenir, inondaient son visage, et il poussait sans cesse de profonds soupirs. On eût dit que, banni de sa patrie, il quittait ses pâturages chéris, et qu'il était entraîné vers la triste terre de l'exil. Déjà la flotte s'avançait, poussée par les vents favorables. Les montagnes du Zagros commençaient à se plonger sous l'horizon. On ne voyait plus ni Velsna, ni le pays de l’Occitanie. Il se dit alors à lui-même, en frémissant de rage : « Suis-je donc maître de ma raison? n'ai-je pas mérité la honte de ce retour, pour avoir pu me décider à quitter cette terre maudite ? N'eût-il pas mieux valu laisser périr le nom de ma cité dans les ruines fumantes d’Achos si c’était pour détruire Velsna ? Eh quoi ? Est-ce bien Erwys qui, après la journée de Velcal, a pu ne pas lancer ses foudres sur le Palais des Patrices et renverser les statues de la cathédrale San Stefano ? J'eusse porté l'incendie sur les eaux de la lagune sans y trouver de défenseurs, et fait subir à ce peuple le sort de la pire de ces infamies. Mais pourquoi ces regrets ? Qui m'empêche en cet instant de fondre sur elle, le fer à la main ? Oui, retournons vers ces murs, reparaissons sur les rives de la Léandra, par les chemins qui me sont connus. Il ne me faut que suivre la trace de mes campements. Tournez les proues du côté de Velsna, quittez la route de l'Achosie. Je saurai faire revenir Balbo au secours de de sa cité investie.

Dieu, qui au ciel voit Erwys en proie à ces furieux transports, et dirigeant sa flotte vers le rivage, refuse, et bouleverse l'onde dans ses abîmes, poussant loin des bords les flots amoncelés. Les pôles ébranlés mugissent ; les éclairs brillent à chaque instant, et le ciel en courroux se décharge sur la flotte. Les feux, les nuées, les flots, la furie des vents conspirent sa perte, et la plus sombre nuit s'étend sur la mer. Poussé par le vent, un tourbillon, mugit contre le mât, fait siffler les cordages avec un bruit affreux, et du noir abîme élève une vague immense qu'il brise au-dessus de la tête d'Erwys.
Saisi d'effroi, le héros s'écrie, en portant ses regards vers le ciel et la mer : « Que tu fus heureux, ô mon frère ! ô Eoned ! devenu en périssant l'égal de dieu ! Toi, qui as trouvé dans les combats une fin glorieuse. Toi, à qui les destins ont permis de saisir encore d'une main mourante la terre de Velsna. Et moi, je n'ai pu laisser la vie dans les plaines de Velcal, où tant de généreux guerriers ont péri. Alors même que j'accourais portant la flamme destinée au Palais des Patrices, la main de dieu n’a pu m’y guider. ». Tandis qu'il exhale ainsi sa douleur, l'onde, agitée par les vents contraires, se précipite à la fois sur les deux flancs du vaisseau, et s'élevant de part et d'autre, le tient comme englouti dans un vaste gouffre, et de peu Eerwys faillit perdre la fin en tempête, comme d’un divin avertissement. Il débarqua, diminué et affaiblit par la traversée, prêt à affronter les mânes du destin face à Balbo.


Dans les grandes plaines de Culan, l'armée achosienne partait au-devant du camp ennemi. Erwys, qui avait vieilli sous les armes, et qui savait combien les louanges sont puissantes pour enflammer les cœurs, anime ses soldats du feu de sa parole, et allume dans tous les esprits la passion de la gloire.
« O toi, qui m'apportas les têtes saglantes de nos ennemis sur l’Arna, je reconnais ton bras. Toi, tu t'élanças le premier au-devant des coups du grand du vieux Balbo, père de notre fardeau de ce jour, pour enfoncer ton épée dans son flanc. Toi, tu enlevas les dépouilles de nombreux velsnien, et rougit ton fer de son sang. Et toi, voici la main qui te perça d'une lance du haut des murs de la fière Saliera. Mais je vois ici cet autre foudre de guerre, qui frappa de tant de coups les enfants de Fortuna et de Léandre. Viens, approche aux premiers rangs, toi qui renversas tant de corps dans le Lac Vadimon. Suis-moi à travers les bataillons ennemis, toi dont la bravoure triomphante m'apporta, à la journée de Velcal, je ne l'ai point oublié, les têtes de nos ennemis fichées sur des pointes de javelots. O le plus intrépide des achosiens ! Jeune guerrier, je reconnais tes yeux ardents et ton visage aussi redoutable que ton épée même. Ainsi je te vis autrefois, aux bords fameux des fleuves de nos rivaux, lorsque tu serrais l’un de ces chiens dans tes bras vigoureux, et que, malgré ses efforts, tu le plongeais dans les eaux. Mais toi, qui trempas le premier ton fer dans le sang du père de Balbo, sur les rives glacées de l’Arna, poursuis comme tu as commencé, et n'épargne point le sang de son fils. Quoi ! soldats, craindrais-je à présent dieu, fussent-ils au milieu de la mêlée, lorsque je vois encore ces masses formidables qui, sous mes yeux, voltigeaient sur les montagnes du Zagros, et foulaient aux pieds leurs cimes voisines du ciel ? Lorsque je revois ces guerriers dont les mains et le fer ont répandu l'incendie et le carnage dans les champs de la cité impie ? Toi qui as lancé le premier trait contre les murs de Velsna, et dont la gloire le cède à peine à la mienne, serais-tu ici moins courageux ? Ai-je besoin de t'animer, toi qui, lorsque je bravais l'orage, le tonnerre, dans toute cette tempête, m'excitais à tenir ferme contre une vaine bourrasque, et voulais devancer ton général dans l'attaque du Palais des Patrices ? Dois-je aussi échauffer votre courage, vous à qui je dois l'éclatante ruine de la cité d’Aula, vous pour qui les premiers jours de cette guerre ont été si glorieux ? Soutenez, je vous en conjure, soutenez d'une manière digne de vous et de moi la gloire de vos armes. J vais revoir, après trois lustres, la patrie chancelante et mes pâturages que j'ai quittés depuis si longtemps. Je reverrai mon fils et ma fidèle épouse, et je le devrai à votre valeur. Il ne nous reste plus une seconde maison, si nous sommes vaincus. Mais c'est aussi le dernier combat pour les velsniens. L'empire du monde, disputé entre nous, connaîtra aujourd'hui son maître. » Ainsi parlait Erwys.

Les velsniens, au contraire, ne pouvaient souffrir les lenteurs d'un discours. Balbo ouvrait-il la bouche pour leur adresser la parole, les soldats demandaient le signal du combat. Les enfants de Fortuna et de Léandre n’ont pas besoin de mots vains et creux. Tandis que dieu fixe la destinée des achosiens et de son général, les deux armées marchent au combat, pleines d'ardeur, et frappent le ciel de leurs cris. Jamais, depuis cette époque, la terre ne vit combattre deux peuples plus puissants, ne vit de plus grands capitaines aux prises, à la tête des forces de leur patrie.

Le prix immense de la bataille était tout ce que couvre le ciel. Revêtu d'une pourpre éclatante et le visage peint comme le barbare qu’il était, le chef achosien s'avançait dans les rangs. Une crête flottante s'agitait sur son casque, dont elle augmentait la hauteur. La terreur effroyable de son grand nom le précède, et l'épée redoutée qui a martyrisé Velsna brille en ses mains. D'un autre côté, on reconnaît Balbo aux brillants reflets de l'écarlate. Il porte le bouclier terrible sur lequel sont représentés les combats fameux de son père et de son oncle. Le casque élevé qui couvre son front lance au loin la flamme. Malgré tant d'armes et tant de soldats, c'est dans les chefs seuls que réside tout l'espoir du triomphe. Bien plus, suivant que l'amour ou la crainte anime les cœurs, on reconnaît que, si Achos eût donné naissance à Balbo, le sceptre de la victoire passerait aux mains des achosiens ; et que, si Erwys était né velsnien, la République serait, sans nul doute, maîtresse de toute la terre. Déjà le ciel est ému du sifflement des rapides javelots, et une horrible nuée obscurcit les airs. L'épée brille, les armées se rapprochent, les guerriers se trouvent face à face, l'œil plein de colère et de feu.
Les téméraires, qui s'offrent imprudemment aux premiers coups, sont renversés, et cette contrée haïe de dieu est abreuvée du sang de ses enfants. Balbo, emporté par son bouillant courage, fier de sa haute stature, s'élance avec toute la fougue de la jeunesse contre les premiers bataillons d'hommes peints, et fait voler ses javelots sur tout le champ de bataille. Tel le citoyen de Velsna, aux membres colorés d'azur, attaque les rangs serrés de l'ennemi. La formation achosienne avait resserré ses bataillons, selon la coutume de sa patrie, immobile comme un mur impénétrable partout hérissé de lances. Mais les rangs des soldats couverts de blessures s'éclaircissent à mesure qu'ils tombent, et offrent aux velsniens de larges ouvertures. Une troupe nombreuse s'y jette semblable à une masse qui s'écroule, et châtie ces achosiens parjures.

L’armée de notre cité renverse les plus illustres guerriers, et son bras moissonne au loin cette jeunesse fameuse dans l'univers par tant de victoires. Ceux qui ont rasé tes murs, ô Aula ! Et ont commencé cette guerre impie par d'affreux ravages. Ceux qui ont souillé les ondes sacrées de l’Arna en y mêlant des flots de sang, ceux qui ont témérairement aspiré à la ruine de notre cité, sont tous égorgés à la fois. On voit expirer ceux qui se vantaient d'avoir foulé le mystérieux sentier des immortels, et de s'être ouvert le Zagros, inaccessible aux humains. A cette vue, la terreur se répand dans toute l'armée, qui se précipite partout où la crainte l'emporte. Comme lorsque l'incendie se propage parmi les édifices d'une cité, et que la violence du vent accroît encore sa furie, des tourbillons de flammes s'élèvent jusqu'au comble des maisons. Soudain, le peuple épouvanté accourt, et se jette de tous côtés en désordre, comme dans une ville prise d'assaut.

Les troupes achosiennes, abandonnées et tremblantes, cherchent en vain Erwys, et ce bras accoutumé à frapper de si terribles coups. Les uns pensent qu'il est tombé sous le fer. Balbo redouble ses efforts et disperse l'ennemi qui fuit au loin dans la plaine. Déjà Culan tremble derrière ses remparts. La défaite de cette armée répand une vague terreur dans toute l'Achosie. Les bataillons en désordre fuient rapidement jusqu'aux rivages les plus éloignés.
Erwys était épuisé de fatigue. Vaincu, il s'arrête enfin sur une éminence voisine, d'où se déroule à ses regards l'affreux spectacle du carnage. Se présente l'horrible plaine jonchée de ses soldats. Déjà l'ennemi approchait et gravissait la colline : « Que le ciel ébranlé, se dit le héros, s'écroule sur ma tête que la terre s'entrouvre sous mes pas. Je suis vaincu, mais jamais on effacera la journée de Velcal de la mémoire des hommes. Velsna, tu abandonnerais l'empire du monde, avant que le nom ou les hauts faits d'Erwys fussent oubliés des nations. Et toi, Velsna, ne crois pas désormais n'avoir plus rien à redouter de mon bras. Si je survis à ma patrie, c'est dans l'espoir de reprendre les armes. Sois donc aujourd'hui victorieuse : accable tes ennemis, mes vœux sont remplis au-delà de mes espérances, si l'attente de mon retour fait trembler sans cesse les femmes et les cités de la plaine velsnienne, incapables de goûter la paix. »

A ces mots il s'échappe au milieu d'un groupe qui fuyait, et trouve, sur les montagnes opposées, une sûre retraite. Ainsi se termine cette guerre. Les citadelles d’Achosie s'ouvrent aussitôt d'elles-mêmes au Maître de l’Arsenal.
Balbo enlève à cette patrie le droit d'être injuste impunément, lui ravit ses armes, ses lois gravées dans le vide, et ses richesses, aliment de son orgueil. Toute sa puissance tombe. On porte sur ses grands navires des torches enflammées. Bientôt, ô douloureux spectacle pour les achosiens ! La mer est tout en feu, et les affreuses lueurs de l'incendie épouvantent les habitants. Balbo, en possession d'une immortelle renommée, et le premier des velsniens honoré du nom de la terre conquise, traverse de nouveau les mers pour revoir cette Velsna qui n'a plus de rivale, et rentre dans sa patrie avec la pompe éclatante du triomphe.



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L’Agricola, ou comment éviter une vie de décadence zélandienne par le travail de la terre
Par le Sénateur Pietro Jacomelli (1493)
Livre I


Le négoce et le commerce, seraient des carrières fort lucratives, si elles n’étaient pas aussi versatiles. De nos jours, les jeunes velsniens partent en Aleucie faire fortune dans des entreprises hasardeuses, et beaucoup meurent ou rentrent sans le sou, sans même avoir remboursé la moitié de ce qu’ils ont engagé dans leurs affaires. Si seulement ce métier était également honnête et produisait des citoyens forts, cela se saurait également. Mais il n’a l’air de créer que des hommes frêles, et parlant comme des gens des contrées zélandiennes, leur donnant leurs coutumes et leurs mœurs déplacées, étrangères à toutes les bonnes pratiques. Ce que je nommerais la « décadence zélandienne ».

Les lois de nos ancêtres qui ont fondé notre cité condamnait le voleur à l’amende du double, tandis qu’elles imposaient celle du quadruple aux usuriers. Cette disposition nous montre à quel point un tel citoyen était plus pernicieux qu’un chapardeur. Et lorsqu’ils voulaient louer un bon citoyen, ils lui donnaient les titres de « bon agriculteur » et « bon fermier ». Que je le dise : la carrière de négociant peut donner une saine vie certes, mais c’est parmi les cultivateurs que naissent les meilleurs citoyens et les hommes les plus courageux. Les bénéfices sont moindres, certes, mais ils sont fort honorables, stables et nullement odieux. Ceux qui se vouent à la culture de la terre n’ourdissent point de complots et ne souhaitent pas la mort de leurs concitoyens, à contrario de la richesse du négoce venant d’Aleucie et d’Achosie, laquelle peut corrompre les esprits faibles. Cette réflexion que je partage à la jeunesse est le propos préliminaire de l’ouvrage que je leur ai promis.

Acheter et disposer de son domaine :
Honnête citoyen, lorsque Dame Fortune frappe à ta porte et te donne l’idée de faire l’acquisition d’un domaine, garde-toi en premier lieu de t’offrir à n’importe quel prix. Ne te contente pas d’une visite et arpente ces terres et inspecte le sol. Il faut qu’il soit de grasse qualité, demande la distance qui le sépare des sources d’eau et surtout, demande à son vendeur depuis combien de générations sa famille s’en occupe. S’il y a raison que cette dernière soit restée pendant des siècles, cela peut-être un indice de Dame Fortune. C’est également à la qualité de la terre que nait la qualité des hommes et des femmes. Regarde ton interlocuteur et sa famille, si ce sont des gens de bien. Demande-leur aussi si cette terre a autrefois vu grande bataille, car le sang des hommes braves irrigue les sols fertiles. Examine l’apparence des parcelles voisines, car elles partagent sans doute la même fertilité dans la même contrée. Choisis un ciel serein et peu troublé par les tempêtes. Autant que possible, la parcelle doit être en pente, au pied de hautes collines, et il vaut mieux qu’elle regarde au midi car c’est en cette direction que le soleil inonde notre cité de plus de soleil. Idéalement, la parcelle sera située non loin d’une cité ou d’un bourg empli de gens travailleurs et laborieux, au bord d’une mer ou d’une rivière, car il faut prendre un soin particulier à l’écoulement des récoltes. Lorsque vous inspectez les pressoirs à vins, regarde bien leur nombre. S’il y en a peu, cela veut dire que le rendement est faible, et qu’il faut demander à son propriétaire le pourquoi de cette situation. Epargnes toi le luxe dans la qualité de tes outils, et recherche seulement une qualité suffisante pour la nature de ce que Dame Fortune fera pousser dans ta parcelle. Un champ peut être tout aussi bien productif si il est entre les mains d’un homme prodigue, qu’il peut être ruineux s’il est aux mains d’un dépensier.
Si tu me demande mon avis pour ce qui est du meilleur domaine, je te réponds ainsi : le vin est ce qui rapporte le plus, le potager arrosable vient ensuite, à la suite de quoi l’oseraie, l’olivier, la prairie, les céréales et pour finir, la friche.

Les devoirs du chef de famille :
Sur ta parcelle, toi et les tiens sont tenus de respecter un ordre établi et une marche du monde que nos ancêtres ont depuis la fondation de notre cité. Le premier devoir du propriétaire est de saluer ses gens et de recevoir leurs respects. Si tu en as le temps, inspecte ton domaine une première fois le matin, sinon remets cette besogne au lendemain et respecte là absolument. Entoure-toi d’un intendant, car dés que tu as examiné l’état des cultures, des clôtures et des bâtiments, tu dois lui indiquer ce qui doit être fait de première urgence. Interroge sur la quantité de vin et d’autres denrées cultivables qui peut être cultivée pour les prochaines moissons pour en dégager une somme qui pourrait en être dégagée auprès des commerçants locaux de la cité. Une fois cette tâche accomplie, l’intendant pourra établir une estimation de l’étendue des travaux à effectuer et affecter tes gens en conséquence.
Ensuite, il faut faire l’énumération des contretemps ayant pu réduire ce rendement, et en accréditer la cause. L’inclémence de la température, le nombre de jours de pluie, la négligence des serfs. Si ce sont les serfs qui ont manqué à leur devoir, il faut les fouetter et les punir. Il faut aussi affecter des paysans à l’entretien du domaine et non seulement des récoltes : le goudronnage des futailles, le balayage des bâtiments, la ventilation des grains, le nettoyage des semences et le raccommodage des vieilles cordes sont d’autant de tâches importantes à effectuer avec sérieux. Alloue d’autres paysans au curage des fossés qui forment les limites de ta parcelle, de même qu’il faut couper ses buissons, paver la voie publique de graviers pour que rien n’y pousse.
En cas de maladie parmi les paysans, demande en premier lieu à l’intendant si il y a eu des morts, et ensuite, inspecte la nourriture donnée, car elle était peut-être pourrie ou avariée. Change là au besoin et baisse les rations des malades si ces derniers ne peuvent pas manger davantage. Après avoir mis le calme dans toutes ces nouvelles à régler de ce jour, il te faut te lancer dans les tâches de longue haleine qui font la différence entre un domaine administré par des fainéants et celui que se doit de diriger un velsnien. Car il faut faire le compte de la caisse et du stock de grains de l’année passée. Il faut aussi compter le fourrage, le vin et l’huile. Tu demanderas conseil à l’intendant sur ce dont le domaine manque et qu’il faut acheter. Enfin, il faut faire la revue du bétail afin de constater les ventes qu’il est possible de faire. Les bœufs au grand âge sont à se débarrasser, tout comme certains veaux et agneaux sevrés. Toi, maître de maison, tu dois te faire vendeur plutôt qu’acheteur à chaque fois que nécessaire.

De quels paysans s’entourer :
A ton installation, il te faudra t’assurer que tes obligés et tes gens soient de bonne fréquentation et d’honneur, tant dans la qualité de leur travail que dans celle de leur âme. Les paysans velsniens que l’on trouve sur nos côtes sont d’un naturel travailleur et fier, ils ne rechignent pas à la tâche. Les occitans, qu’on trouve dans l’arrière-pays en revanche, sont d’une motivation et d’un entrain aléatoire. Tu peux faire quelque chose d’eux s’ils sont bien dirigés, mais sans chef clair, ils deviendront oisifs et gros. Si tu choisis tes terres en Achosie, fais-y bien attention, car Achos est peuplée d’une bien mauvaise race de fermiers. Je n’ai trouvé aucune qualité humaine pour les décrire. Ils sont chapardeurs, ne travaillent pas ou contre leur volonté, rudes et rétifs à toute forme d’autorité. L’usage du fouet est recommandé si tu fais l’acquisition d’une terre en Achosie, et que tu n’y a que cette main d’œuvre. Mais je te conseille de faire venir au plus vite une main d’œuvre du continent pour repeupler tes terres.


Travaux que toi, débutant, tu te dois d’effectuer dans ton domaine:

Dès ton début, occupes toi de planter, mais il réfléchit longtemps avant de bâtir. Pour planter, ce n'est pas la réflexion qu'il faut, c'est l'action. Si ton domaine est planté, tu pourras songer à bâtir lorsque tu auras atteint un âge de sagesse, et que tu auras définitivement mesurer la fertilité de ton sol. Bâtis dans de telles proportions que ton domaine soit en rapport avec tes constructions, et tes constructions avec votre domaine. ll faut qu'un père de famille possède de beaux bâtiments d'exploitation, qu'il y réunisse des celliers pour l'huile, pour le vin, des futailles nombreuses, afin qu'il puisse attendre la hausse, ce qui augmentera sa fortune, et donnera du relief à sa prudence et à sa réputation. Il aura de bons pressoirs, afin que le travail soit bon. De peur qu'elle ne s'altère, l'olive sera pressée Immédiatement après la récolte. Songe aux grandes tempêtes qui arrivent tous les ans, et qui ne manquent pas de faire tomber les olives. Si tu fais la récolte de bonne heure, et que tes ustensiles sont en ordre, tu n’auras rien à redouter des tempêtes, ton huile sera meilleure et plus verte. Si au contraire l'olive séjourne trop longtemps sur le sol ou sur un plancher, elle pourrit, et ne produit qu'une huile désagréable et puante. Toute espèce d'olive donne une huile verte et de bon choix, si on la fabrique à propos. Sur une surface de cent vingt arpents plantés d'oliviers, il faut avoir deux assortiments d'ustensiles. Si les arbres sont vigoureux, les rangs serrés et la culture judicieuse, il faudra trois machines solides et isolées, afin que si les meules venaient à se briser, on puisse en avoir de rechange. Chaque machine aura ses lanières de cuir, on réunira six leviers, douze aiguilles, des câbles particuliers, deux moufles glissant sous des cordes de genêt. On marchera plus vite avec huit poulies en haut et six en bas. Si on veut faire des roues, le travail est moins expéditif, mais aussi moins pénible.


Comportement à l’adresse du voisinage :

II faut avoir des étables bien construites, et un bon voisinage. Ayez de bonnes étables, de bonnes écuries, et des râteliers. Les barres de ceux-ci seront distantes d'un pied avec cette disposition, les boeufs ne gaspilleront point leur nourriture. Ayez des bâtiments de maître en rapport avec votre fortune. Si votre campagne est assise sur un bon fond, bien construite et orientée, si elle est meublée convenablement, vous la visiterez plus souvent et plus volontiers, elle s'améliorera, on commettra moins de fautes, et on récoltera davantage, car rien ne remplace l'œil du maître.

Soyez affable à l'égard de vos voisins, et n'offensez pas vos gens sans raison. SI vous obtenez l'affection du voisinage, vous écoulerez plus facilement vos produits, et vous trouverez sans peine des bras pour exécuter vos travaux à la journée ou à forfait. Si vous bâtissez, ils vous aideront en payant de leur personne, ou en vous donnant leurs attelages et leurs matériaux. S'il vous arrive quelque chose de fâcheux, ils vous prêteront une assistance bienveillante.
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L’Agricola, ou comment éviter une vie de décadence zélandienne par le travail de la terre
Par le Sénateur Pietro Jacomelli (1493)
Livre II


Si tu as suivi tous mes conseils jusqu’à présent, alors toi, citoyen modèle de notre République et propriétaire terrien méritant sa classe censitaire, contrairement aux marchands d’étoffes efféminés, tu es désormais à la tête d’un domaine agricole dont la terre est fertile, dont les paysans sont productifs et dont la maisonnée respecte à la fois dieu et Dame Fortune. Tu disposes de tes premières cultures, mais tes terres ne sont pas encore ce qu’elles devraient être, et tu tardes à construire des aménagements. Je te prie donc de continuer l’écoute de ces conseils si tu veux pérenniser mes indications.



Devoirs du Maître de Maison :


Immédiatement après l’acquisition de tes terres, entoure-toi d’un Maître de Maison qui remplira les devoirs de ton intendance. Toute sa conduite sera bien réglée, il observera les jours de fêtes dédiées à San Stefano et à la Dame Fortune, respectera le bien d'autrui et fera respecter le sien. Il devra avoir ses propres talents afin d’apaiser les disputes de tes domestiques. Si quelqu'un a commis une faute, la punition sera équitablement proportionnée au délit par le Maître de Maison, et tu devras régulièrement veiller à ce que ce soit le cas et que tes punitions soient bien appliquées par ce dernier. Il veillera à ce que les paysans soient bien entretenus, qu'ils ne souffrent ni la faim ni la soif, et surtout à ce qu'ils s'abstiennent de mal faire ou de voler. Le mal ne se fera qu'autant qu'il le voudra bien, et s'il l'a permis, le maître ne laissera pas son indulgence impunie. Qu'il soit reconnaissant du bien qu'on lui a fait, afin de stimuler les autres à bien faire. Le Maître de Maison sera sédentaire, toujours sobre, et n'ira pas ailleurs quêter un festin. Qu'il tienne les domestiques en haleine, et fasse exécuter tes ordres. Qu'il ne se croie pas plus habile que toi, qu'il traite les amis de sa maison comme les siens propres. Qu'il écoute ceux qu'il lui aura donnés pour conseils. Que ses pratiques religieuses soient confinées dans les carrefours, ou près de son foyer, car tu es le seul père de cette famille qui doit veiller au culte. Qu'il ne prête à personne ni semence, ni aliments, ni grain, ni vin, ni huile sans ton autorisation. Qu'il soit seulement en relations avec deux ou trois fermes, pour prêter ou pour emprunter ce dont on a besoin, après cela il n'aura d'affaires avec qui que ce soit. C’est là important car trop de fermes à entretenir ne sont pas une bonne solution de productivité. Qu'il compte souvent le fruit de la récolte en ta présence, et seulement en ta présence. Qu'il ne retienne pas contre les conventions ni les ouvriers, ni les journaliers, ni les vignerons. Qu'il n'achète ou ne récolte rien à ton insu sous la peine du fouet. Qu'il éloigne les parasites, surtout si ton exploitation se trouve en Achosie. Qu'il ne consulte pas de prêtre pour le bien spirituel de tes paysans sans ton autorisation. Qu'il n'épargne pas sur la semence, car c'est une mauvaise économie et que son investissement est plus rentable que l’inverse. Qu'il surveille tous les travaux, afin qu'il sache comment ils s’exécutent, et que, sans se fatiguer, il paye souvent de sa personne, car c’est par l’exemple que les paysans sont dirigés. Ce faisant, il connaîtra les dispositions de tes gens, qui n'en seront que plus ardents au travail. Il n'aura pas autant de loisir pour se promener, mais sa santé sera plus robuste et son sommeil plus paisible. Debout le premier, il se couchera le dernier : auparavant il s'assurera si les portes de la ferme sont closes, si chacun est couché à son poste, et si les animaux sont affourragés. Il aura le plus grand soin des bœufs, et flattera les bergers, afin que leurs animaux soient bien tenus. Il tiendra en bon état les charrues et les socs. Il ne conduira ni troupeaux, ni chariots, ni charrues sur la terre détrempée. Car sans cette précaution, les endroits piétinés seront stériles pour trois ans. Les troupeaux et les bœufs recevront régulièrement de la litière et leurs pieds seront nettoyés. Qu'il éloigne la galle des moutons et du gros bétail. Que tous les travaux se fassent à propos, car en agriculture tout s'enchaîne de telle sorte, qu'un travail retardé retarde tous les autres. Si la litière manque, on prendra des feuilles de chêne, et on les mettra sous les pieds des moutons et des bœufs. Qu'il ait soin d'amasser un bon tas de fumier qu'il le conserve avec soin, et lorsqu'il le transportera, qu'il l'étende et l'éparpille. L'automne est le moment du transport. C'est à l'automne qu'on découvre les racines des oliviers et qu'on les fume. C’est enfin à l’automne que se fait la moisson des céréales. Quant au regain et aux herbes de la seconde coupe, elles seront bien sèches, dans le même but. Après les pluies d'automne il sèmera les raves, les fourrages, et les lupins.


Nombre d’aides et de paysans qu’il faut mettre à disposition du Maître du Maison :

Pour cent arpents de vigne on aura : un Maître de Maison accompagné d’un surveillant, de dix ouvriers, un bouvier, un ânier, un homme pour les grands arbustes et un berger : en tout, seize personnes. Deux bœufs, deux ânes pour les chars, un pour la meule. Trois attirails de pressoirs, des futailles suffisantes pour recevoir le produit de cinq vendanges, et donnant chacune huit cents mesures. Vingt futailles pour le froment. Pour chacune d'elles les couvercles et chaperons nécessaires. Il faut six urnes couvertes de genêt, quatre amphores du même genre, deux entonnoirs, trois passoirs à osier, trois passoirs pour arrêter les fleurs, dix vaisseaux pour le moût : deux chars, deux charrues. Un joug pour les chars, un joug pour la vigne, un pour les ânes.


Les différentes espèces d’oliviers sur nos terres de Velsna :

Les terres de Velsna comptent un grand nombre d’espèces, aussi, leur culture peut être piégeuse et tu dois t’affairer à reconnaître chacune d’entre elles, et à les planter dans le bon sol. L’olivier noir du Zagros doit être dans un sol crayeux et découvert, conformément à l’endroit où il vit sauvage. Au contraire, il faut mettre dans une terre riche ou fermée les espèces vivant à sur les rivages de Velsa et que nos ancêtres ont importer de Fortuna et de Léandre. Les télanes noires à longs pédoncules de Léandre nécessitent un soin tout particulier. Si vous avez un pré arrosé vous ne manquerez pas de foin, s'il ne l'est pas, fumez-le et mettez-y le feu afin d'avoir du foin. Près de la ville de Velsna, vous aurez des jardins dans tous les styles, toutes sortes d'arbres d'ornement, comme des oignons de Velcal, le myrte palissadé de Vatluna, soit le noir, soit le blanc, le laurier de Munda, celui de Teyla, celui des forêts, des noix nues, des avelines de Fortuna et de Canossa. Un jardin de ville, surtout pour celui qui n'en a point d'autre, doit être planté et orné avec tout le soin possible.


Où planter arbustes et arbrisseaux :

La terre qui est peu éloignée des vues veut être plantée en vergers, c’est là son orientation naturelle, comme un achosien n’attendant que d’être conquis. Le bois où les ramilles peuvent où être vendues, ou être réservées pour ton usage sont recommandés, cela t’apportera un grand revenu. Voici ce qu'il faut semer dans ce même terrain, et quelle espèce de vigne il faut marier aux arbres : c'est le grand et le petit aminéen velsnien, et l'apicien de Strombola. On conserve ces raisins dans des pots noyés au milieu des mares, ou dans du vin cuit, ou dans du moût, ou bien dans de la piquette. Ceux que vous suspendrez seront les raisins à graines fermes, et les gros aminéens.

On peut également les sécher au foyer d'un forgeron, aussi bien qu'au soleil. Les fruits seront les pommes de coing, la cognasse de Saliera et d'autres fruits de garde, telles que les pommes vineuses et les grenades.

Pour que ces fruits ne tombent point prématurément, on enfouira au pied des arbres de l'urine ou du fumier de porc. Les poires seront celles de Velsna, (et des semailles excellentes confites dans du vin cuit), la vendange et la courge. Plantez aussi et greffez bon nombre d'autres espèces, des olives orchites, et posiennes, qui sont les meilleures à confire, soit entières dans la saumure, soit meurtries dans l'huile de lentisque. Dès que les orchites seront noires et sèches, saupoudrez-les de sel que vous secouerez cinq jours après, exposez-les au soleil pendant deux jours, ou bien mettez-les dans du vin cuit sans les saler. Lorsque vous voudrez conserver des cormes, soit par la dessiccation, soit dans une infusion de vin cuit, faites-les bien sécher auparavant : agissez de même pour les poires.

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