11/05/2017
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Activités étrangères en Ramchourie - Page 3

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Sérénade au clair de lune
Attention : violence explicite !


Les hommes progressaient de nuit, dans l’obscurité presque totale des sous-bois. Une longue et lente marche débutait, à la faible lueur de la Lune qui, sous le feuillage, n’était presque plus qu’un rêve lointain. Ici, obscurité et silence étaient les maîtres mots ; c’est pourquoi l’on avait revêtu des capes noires comme la nuit, recouvert les sabots des chevaux de bandes de tissus visant à en amoindrir le bruit, et que l’on évitait soigneusement toutes traces de vie humaine. Vie humaine qui, si proche de la frontière Xin, se faisait pour le moins rare… mais on n’était jamais trop prudent. Tout avait été pensé : prendre des chevaux aussi sombres que possibles, voyager uniquement de nuit, dans les sous-bois, et se cacher de jour, camoufler les uniformes qu’ils arboraient et, surtout, voyager le long de la frontière avec l’Empire Xin. La discrétion serait leur plus grand atout ; mais dans l’hypothèse où on les verrait, alors ils ne pourraient être pris que pour des soldats du Céleste Empire patrouillant le long d’une frontière qui, par ces temps troublés, était quelque peu oubliée.

Les cavaliers vêtus de noir qui progressaient ainsi étaient au nombre d’une vingtaine. Voilà trois jours qu’ils s’étaient infiltrés dans le territoire de l’Empire du Soleil Éternel, entrant par le point de contact tripartite entre le Royaume Constitutionnel, le Huanping et le Céleste Empire des Ushongs. Trois jours – ou plutôt trois nuits – qu’ils voyageaient à la faveur de l’obscurité, ombres parmi les ombres, se fondant dans la noirceur de la forêt qui les abritait. Encore quelques heures de marche cette nuit. Encore quelques heures avant leur destination. Encore quelques heures avant que l’engrenage infernal ne se mette en branle. Mais tout cela serait pour demain ; pour l’heure, il fallait avancer, et dormir durant le jour.

La marche avait repris avec la tombée de la nuit. Ils avaient levé le campement une heure auparavant ; direction plein ouest. Il n’était désormais plus question de suivre la frontière : on voulait s’enfoncer dans les terres. Pas loin, non, surtout pas loin, mais suffisamment pour trouver un village. D’ailleurs, en voilà un. Au vu du nombre de chaumières et de la fumée qui en émanait, ils ne devaient pas être plus d’une centaine. Réflexion faite, une cinquantaine à tout casser. Dommage pour eux.

On enleva et rangea les capes qui cachaient leur tenue et les torchons enrobant les sabots, révélant à la lueur des torches les uniformes de l’armée impériales Xin et des membres de la clique de Xun qu’ils arboraient. Quelques uns sortirent des bannières qui, dans la légère brise de minuit, se mirent à flotter tels des fantômes. Le dragon blanc sur fond rouge de la bannière impériale y ressemblait tout particulièrement ; clin d’oeil macabre aux futurs évènements de la nuit.

On procéda alors à une descente au flambeau en règle, fondant sur le village tel l’aigle sur sa proie. Les cavaliers entreprirent alors de réveiller et rassembler sur la place tous les villageois, baïonnette au derrière au besoin. L’on pourrait penser qu’un tel vacarme et une telle agitation aurait réveillé les habitants bien avant que leur tour n’arrive, et qu’ils auraient alors pu prendre la décision de fuir, ou de s’armer pour les plus téméraires… mais que nenni : ils furent tous rassemblés dans le plus grand calmes, trop surpris et hébétés pour réagir. Il fallait les comprendre : pour eux, la guerre n’était que quelque chose de lointain ; aussi loin dans les terres du Huanping, et si proche de la frontière pacifiée avec les Xins, jamais les combats n’avaient fait la moindre victime… et bien, cela allait changer.

D’ailleurs, je me trompe : ils furent deux. Deux frères à essayer de s’échapper ; le premier courait vite, le second un peu moins, mais il était armé d’une fourche. Celle-ci ne lui servit guère lorsque la mitraille d’un cavalier emplit sa cervelle de plomb. Quant à celui qui courait vite, et bien… il courrait vite, oui, mais moins qu’un cheval au galop ; un des cavaliers eut tôt fait de le rattraper et, du tranchant de son sabre, de le passer au fil de l’épée. On ramena les deux corps sur la place, à titre d’exemple de ce qui arriverait à ceux qui chercheraient à fuir.

Le chef de la troupe se pencha vers le chef du village, lui murmurant quelques mots.

« Vieil homme, ne cherche pas à comprendre ce que nous faisons. Nous n’exigeons rien de vous, pas vos récoltes, pas votre or, pas vos bijoux, pas même la virginité de vos filles, et pourtant ton faux dieu sait combien paieraient pour ça. Rien de vous. Nous ne sommes pas là pour vous, mais pour faire passer un message. Pour rappeler une chose simple, que vous et vos dirigeants avez trop longtemps oubliée, ou plutôt choisi d’ignorer.
- Q-Quoi donc ?
- Ces terres ne sont pas vôtres. »


On sépara alors un tiers des villageois des autres – surtout des hommes et quelques enfants – et on leur attacha les poignets dans le dos. Puis, on sortit une vingtaine de pieux d’une assez grande taille. Certains prisonniers – un peu moins abrutis par leur réveil brutal et comprenant ce qui allait advenir – tentèrent de s’échapper. On leur rappela qui décidait.

Les pieux furent introduits dans l’anus des villageois qu’on avait séparés, avant d’être plantés en terre, en cercle sur la place centrale. Commença alors pour eux un long supplice du pal ; d’autant plus long que les pointes des pieux avaient été arrondies, de sorte que, en s’enfonçant en leur victime, ils repoussent les organes internes sans les endommager, prolongeant le supplice. Un des cavaliers sortit alors une flûte globulaire traditionnelle, que l’on nomme, en ces régions, un Xun, et entonna alors une triste mélodie. Deux autres cavaliers reprirent la sérénade, chantonnant cette chanson populaire ushong, qui évoquait une maison qui s’était cru l’égale de la dynastie impériale, avant d’être défaite et de disparaître dans les brumes des temps.

Is this music ?

L’horrible spectacle durant un long moment. Tous furent obligés de regarder les torturés descendre peu à peu sur les pals, s’enfonçant sous l’effet de la gravité, et de supporter les cris de ceux qui sentaient la mort se rapprocher doucement, très doucement. Ce fut là chose horrible ; sans doute la plus horrifique mise en scène que l’on avait vu depuis longtemps en ces terres du Hen. Tellement horrible que certains ne le supportèrent pas et durent détourner le regard… dommage pour eux, car ils rejoignirent aussi vite les suppliciés.

La chose, que tous durent supporter dans un silence seulement troublé par les hurlements des prochains morts, les pleurs et gémissements – étouffés – des proches et la macabre sérénade, ne prit fin que lorsqu’un des pals finit par émerger du corps d’un des suppliciés.

Le chef du village, l’air atterré et ahuri devant ce déchaînement de violence, eut alors les poignets liés, et fut attaché à la selle d’un cheval. Son cavalier commença alors à faire le tour de la place, d’abord lentement, puis en accélérant jusqu’au galop. Si dans un premier temps, le vieillard parvint à suivre – marchant, trottinant, puis courant à s’en brûler les poumons – il lui arriva malheureusement de trébucher et, malgré plusieurs tentatives, il ne parvint jamais à se relever. Il fut alors traîné au sol jusqu’à ce que mort s’ensuive, et même après, jusqu’à ce que son visage soit devenu méconnaissable, qu’il ne reste que des haillons de ses habits, et que même la chair en dessous soit zébrée d’écarlate. Sa dépouille fut empalée au centre du cercle formé par les autres suppliciés – qui, depuis le temps qu’ils étaient là, avaient presque tous atteint la fin de leurs malheurs – et le joueur de Xun lui plaça son instrument entre les mains.

Puis, car l’horreur n’était point terminée, une dizaine de villageois survivants furent séparés des autres, et attachés au pied des pals. Le chef des cavaliers lança alors une pierre à un gamin, qui l’attrapa promptement, et lui dit :

« A votre tour maintenant. Montrez ce que vous valez… si vous ne voulez pas finir comme ceux là-haut. Mais si vous le faites, nous partirons. »

Une nouvelle étape venait d’être franchie dans l’horreur. Une lapidation en règle commença alors. Les villageois, d’abord absolument pas motivés à tuer eux-même leurs proches, le furent soudain beaucoup plus lorsque les plus lents d’entre eux à se mettre à l’ouvrage furent emportés pour être empalés. Après cela, tout alla très vite, et c’est à peine s’ils ne se battaient pas entre eux pour s’emparer des pierres à lancer. Le seul à ne pas prendre part au massacre fut le religieux local, représentant du Dieu Soleil éternel, que les cavaliers laissèrent étrangement en paix. Vint alors le moment où tous ceux qui devaient mourir l’étaient.

« Très bien, très bien. Comme promis, nous allons partir… mais il nous reste une chose à faire. Il s’adressa alors aux enfants. Vous aimez jouer ? Sans leur laisser le loisir de répondre, il enchaîna : les trois premiers à atteindre le pieu avec feu votre chef de village pourront partir. Les derniers, on les emmène. »

Sans une seconde d’hésitation, tous s’élancèrent au milieu des cadavres pour rejoindre le pieu – très ironiquement – salvateur. Trois furent donc relâchés, les autres, au nombre de quatre, furent emmenés par quelques cavaliers, malgré les cris, tant d’eux que de leurs proches. Le chef de la troupe se tourna alors vers le prêtre, qui n’avait toujours pas bougé.

« Monsieur, des choses impies ont eu lieu ici, vous en conviendrez. Il me semble qu’il est nécessaire que vous et les vôtres alliez prier – tant pour le salut des âmes de ceux qui ont tué leurs proches que pour expier l’horreur de cette nuit. »

Le prêtre, abasourdi, se dirigea alors comme un automate vers la petite église du culte du Soleil. Les villageois survivants, tout aussi abrutis par toute cette violence, le suivirent sans un mot. Lorsque tous furent installés dans l’église, les cavaliers en fermèrent les ports, tandis que le prêtre commençait une messe. Les cavaliers, quant à eux, firent mine de partir avec les quatre enfants, mais ne s’arrêtèrent qu’à la lisière du village, juste hors de portée de vue des villageois.

A la lueur du clair de lune, on vit alors un panache de fumée s’élever doucement du village, puis apparurent les flammes. Les rumeurs raconteront qu’elles étaient hautes comme trois hommes, et qu’elles emportèrent tout le village en une poignée de minutes, dévorant dans une folie meurtrière tous les survivants.

Les cavaliers se tournèrent alors vers les quatre enfants survivants. Tandis que la troupe entonnait le même chant qu’auparavant, le chef s’adressa à eux :

« Ces terres ont toujours été nôtres, ne l’oubliez jamais. Si vous nous en avez chassés autrefois, ce temps est désormais révolu… Courez, courez aussi vite que vous ne l’avez jamais fait, courez plus vite encore que tout à l’heure ; cette fois-ci, votre lenteur ne vous sauvera pas. Courez, et répandez la nouvelle : nous reviendrons prendre ce qui nous appartient de droit, grâce au soutien des loyaux seigneurs de Xun. Le Céleste Empire s’étendra bientôt à nouveau sur ces terres, comme il l’a toujours fait, et comme il le fera toujours. »

Et ils laissèrent partir les enfants. Ceci eut lieu à l’heure du loup, l’heure la plus sombre de la nuit ; alors que la lueur de la Lune pâlit quand celle du Soleil ne se montre pas encore… au petit matin, lorsqu’arriva le jour, on dit que le village n’était plus que l’ombre de lui-même. Ne restait, au milieu des cendres et des cadavres des brûlés vifs, que le cercle des suppliciés, avec à chaque pal une bannière flottant au vent ; une bannière tantôt écarlate où trônait un dragon blanc dans les nuages, tantôt de mauve arborant un soleil blanc. Ainsi qu’au centre, sur son pal, le cadavre méconnaissable du chef du village, qui tenait toujours en ses mains froides le Xun. On dit que les notes de la sérénade de cette nuit résonnèrent longtemps, très longtemps, dans les campagnes du Huanping, et que les loups jaunes et mauves qui avaient dévoré un village cette nuit-là rôdaient encore, quelque part, tapis dans l’obscurité des bois...
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Le cadeau de San Stefano à Xuan Shi: l'arrivée des speculatores



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Il a les poches bien remplies...


Le vent enfle et le bruit se fait vacarme dans la patrie des ramchoures. Les agitateurs sont légion, les armées toujours aussi nombreuses et armées depuis l'étranger...mais les biens et les équipements ne sont pas les seuls dons que les belligérants de cette interminable guerre se partagent. Avoir des armes est toujours une bonne chose, mais encore faut-il savoir s'en servir, et s'assurer qu'elles ne soient pas entre de mauvaises mains. La Ramchourie était riche de ces partenaires peu fiables, qui se caractérisaient par une incompétence particulièrement grande, quelque soit le camp. L'ancien gouvernement de la Seigneurie élective en morceaux en était la preuve, et ils arriva à la pensée des agents velsniens de la Segreda, l'espace d'un instant, que ceux ci avaient pu miser sur le mauvais cheval....sauf que par plusieurs faits, l’effondrement de ce gouvernement pouvait également être pris comme une aubaine politique. En effet, il n'était pas dans la priorité du gouvernement velsnien d'assurer l'intégrité de la Seigneurie élective, de l'avis de tous, un gouvernement de barbares arriérés et lointain, mais plutôt de faire en sorte qu'émerge de ce conflit un gouvernement qui sera en tous points fidèle et à l'écoute de tout ce que le fils du ciel lui dirait. La prospérité de l'Empire des Ushong et son contrôle sur la "province" de Ramchourie était là l'objectif premier. De tous les locaux, le fils du ciel avait été le plus fidèle, le plus ouvert au commerce, le plus à l'écoute des gens au lys rouge...et le soutien total de la cité sur l'eau quant à l'affaire ramchoure était là pour les velsniens une juste récompense accordée à l'empereur, quelque soit le sort que celui-ci leur réservait. En géopolitique velsnienne, rien importait d'autre que le pragmatisme: les pays fréquentables étaient classés comme étant à la fois une source de crédibilité politique et de perspective d'échanges fructueux. La promesse de l'établissement de zones franches ouvertes aux velsniens par l'empereur est par là même considérée comme une juste cause.

Si le gouvernement de la Seigneurie élective est tombé, il n'en reste pas moins que les anciens fonctionnaires d'état et les anciens dirigeants, eux, existent toujours pour certains, et disposent d'une assise politique et territoriale suffisante pour faire "repartir la machine". Du moins, au vu de la modernisation à marche forcée de l'Empire Xin, ce rêve est encore permis, et il ne suffirait que d'un pied à terre pour permettre au fils du ciel de "réclamer ce qui li appartient de droit". Les premiers éclaireurs velsniens, en premier lieu des agents de la Segreda, parcourent déjà la campagne, et ce depuis un certain temps. Menés par ceux que l'on nomme désormais "l'étrangère", les frumentarii parcourent la campagne, glanant des informations, attisant la révolte des paysans à l'égard de la coalition, vont jusqu'à commettre des crimes et répandre leurs bruits parmi les civils en chargeant d'autres personnes de leurs pêchés... Le travail d'une année prend lentement forme, et il commence à se ressentir. Mais ce qui est sur le point de survenir ce jour à la frontière entre la clique de Xun et le Mandat céleste ushong n'est pas de leur fait...pour une fois, car le rôle des frumentarii velsniens semble presque toucher à sa fin, au profit du labeur d'autres agents, qui eux, sont le funeste présage de quelque chose de bien plus grand que de simples mission d'espionnage. Le gouvernement communal a semblé juger la Ramchourie mûre pour devenir le nouveau terrain de jeu de ceux que l'on nome "Speculatores", ceux-ci menés par celui que l'on nomme "le faiseur d'or".

On dit souvent à Velsna que lorsque les frumentarii opèrent, il y aura entre 1 et 10 morts, tandis que l'arrivée de speculatores annonce le présage de plusieurs milliers. Pourtant, à première vue, leur rôle peut les faire paraître comme de simples pions: ils sont tout et n'importe quoi: courriers, éclaireurs, guides, guetteurs, espions militaires, agents clandestins et unités de reconnaissance de l'armée velsnienne. Mais ce n'est pas tant pour la violence de leurs actions que ceux ci sont renommés, ce qui se joue ici relève là encore davantage d'un présage funeste, car la venue de speculatores sur ces terres figure, dit-on, parmi la liste des manœuvres préfigurant des offensives de grande ampleur, telles celles qui avaient eu lieu dans la pleine velsnienne il y a quelques années encore, durant la guerre civile. Pour le moment, toutefois, ceux-ci étaient exclusivement au service du fils du ciel, et il était plus probable à ce stade, que c'est pour son armée davantage que Velsna que ces agents "préparaient le terrain". C'est donc dans cette optique qu'au soir du 10 janvier, un petit convoi véhiculé passe en territoire de la Clique de Xuan Shi, l'homme qui était peut-être le seul capable de ramener la Ramchourie dans son giron ushong. L'Empire tâtonne le terrain: il hésite, il e se rend pas encore compte de sa pleine puissance, ce qui n'empêche pas les speculatores leur travail. Si les frumentarii sont des perturbateurs, les speculatores sont quant à eux des bâtisseurs: les édificateurs d'un pôle de puissance nouveau et d'une base de départ solide en vue d'une grande invasion.

Ce fut ainsi sous bannière officiellement neutre que les mots des agents de la Segreda, au service des Ushong, parvinrent aux oreilles de Xuan Shi, l'homme qui se proclame serviteur et vassal de l'Empire. Les speculatores furent clairs et sans détour: leur venue annoncerait la livraison imminente d'armes, dans la seule mesure où Xuan Shi permettrait à ces derniers de procéder à une réforme en profondeur de l’appareil gouvernemental et militaire de la Clique, sur le même chemin que prenait alors l'Empire des Xin. Car oui, le fils du ciel et le bond en avant inoui de sa patrie faisait grand bruit: on parait de ça et là de la renaissance économique du pays, de son ouverture toute mesurée au commerce international par le biais des circuits commerciaux velsniens, de la refonte complète de l'armée impériale, qui passe lentement du statut de masse désorganisée de paysans à celle d'une armée occidentalisée, moderne et bientôt motorisée. Cette renaissance économique était le prérequis nécessaire, la première pierre permettant la remise de la pièce impériale sur l'échiquier ramchoure: il était désormais temps d'avancer les pions, et de débuter un vaste mouvement de réorganisation des forces pro-xin dans le pays, et dont le bastion à défendre à tout prix demeurait cette clique, ayant tant de fois passée d'un chef de guerre à l'autre.

Les premiers jours à la cour du "Guide autoproclamé" furent donc ceux de l'évaluation, détaillée et concise de ces agents, qui devaient déterminer les besoins matériels et humains de ce chef de guerre, dont le salut temporaire n'état pour le moment garanti que par le fait que la coalition était trop occupée à mater l'Empire Ramchoure pour régler le cas de l'ancien membre de la Seigneurie élective. Le bilan fut accablant, mais honnête: face au soutien matériel considérable dont la coalition bénéficiait, la défaite du seigneur de guerre n'était qu'une question de temps, temps qui était depuis le début de l'opération, le plus grand ennemi des agents velsniens. En cas d'offensive, on escomptait pas à ce que Xuan Shi ne tienne plus que quelques semaines, voire moins, sans le soutien ushong et velsnien. Les déficiences étaient observables tant sur le plan matériel qu'humain. L'armée de la Clique possédait des points communs frappants avec celle du gouvernement impérial de la dynastie Xin: la plupart de ses soldats étaient des levées militaires sans expérience de la guerre. Leurs officiers et le personnel encadrant étaient certes mieux lôti en termes de formation, mais il allait sans dire que la notion de mérite au poste était plus que flou pour cette troupe, dont les supérieurs profitaient de leur grade davantage par leurs relations que par un quelconque mérite acquis sur un champ de bataille. Le commandement de cette armée n'était guère mieux, et son matériel à disposition disait long sur l'utilisation que ceux-ci comptaient en faire. Les doctrines militaires du corps commandant de Xuan Shi étaient pour ainsi dire les mêmes que l'Eurysie du siècle dernier, avec une armée faiblement motorisée et donc peu mobile. Certes, le terrain accidenté de la patrie des ramchoures rendait ce facteur un peu plus explicable, mais même en tenant compte de cette réalité, la Xuan Shi n'était tout simplement as en mesure de mener une offensive d'ampleur en territoire ennemi sans devoir s'arrêter quelques kilomètres plus loin, en absence complète de logistique développée ou d'un véritable corps de génie militaire, sans parler d'une aviation inexistante qui excluait toute perspective de soutien. Faire comprendre cette réalité à Xuan Shi était là la première tâche de ce travail herculéen.

Une fois ceci acquis et cette faiblesse comprise et appréhendée, il fallait donc exposer à ce seigneur de guerre les solutions à disposition des speculatores, distinguer l'envisageable de l'idéalisme. Ainsi l'a dit l'un d'entre eux au ramchoure: "Cette situation n'est pas idéale, mais c'est la réalité. Alors il nous faut partir d'elle pour atteindre les buts fixés par l'empereur.". Le pragmatisme velsnien se mettait à compter de ce jour au service de Xuan Shi, et tut a été fait afin qu'il se rende compte que c'est probablement là le seul soutien que celui-ci aurait dans la lutte à venir, celle qui déterminera l'avenir de son idéal politique, qu'il apprécie leur présence ou non.

Le point de vue humain n'était pas le seul paramètre à prendre en compte, puisqu'il fallait également faire la réalisation de ce qu'était devenue, ce qui fut l'armée de la Seigneurie élective, celle du grand Dong Ban. La plupart de ces hommes sortaient d'une année de défaites et de revers, pour ceux qui avaient survécu à la chute de la capitale. Ils étaient également peu nombreux, bien moins qu'avant tout du moins, et que dire de cet équipement déplorable qui avait été fait leur, à ces masses de paysans que l'on avait levé pour remplacer les morts ? Autant dire que la valeur combattive de ces unités nouvellement crées était des plus douteuses. Du point de vue stratégique, cette absence totale de moyens limitait sérieusement les perspectives de Xuan Shi, et celui-ci résumait ses possibilités au travers de plusieurs scénarios de survie dans un contexte de mort inévitable. En résumé, il fallait donc partir d'une feuille blanche sur ce point également, convaincre le seigneur de guerre de s'inscrire dans une perspective plus large grâce à la promesse d'un soutien impérial qui ne tardait que trop.

Avant tout plan sur la comète et objectif inatteignable, il fallait réarmer cette troupe, et les speculatores rendirent compte auprès du seigneur de guerre des incroyables avancées du fils du ciel dans le reconstruction d'une vaste force. On lui fit ainsi languir la perspective d'un envoi d'armes à son adresse au travers de la frontière qui le séparait de son maître, le fils du ciel. Ces armes, venues du fin fond des entrailles de la Fabrique d'armes légères d'Apamée seraient plus que bienvenue dans le cadre de ce nouveau plan qui semblait se dessiner devant les yeux des speculatores au fil de leurs pérégrinations sur le territoire de la clique: tenir, défendre chaque mètre de terre, chaque centimètre, avec les dents si il le faut, en attendant l'intervention salvatrice de l'empereur. Dans le même temps, Xuan Shi devrait développer la logistique nécessaire avant de soutenir l'avancée de l'armée impériale vers l'ouest: résister tout en préparant le terrain, et devenir une base de lancement d'opérations. Il était donc nécessaire de revoir l’intégralité du système de défense conçu par le seigneur de guerre, d'en faire une forteresse, dont la nature du terrain accidenté et forestier, aiderait sans doute cette tâche. Dans le même temps, il fallait aménager des pistes logistiques au travers de la forêt et des campagnes, reliant les points stratégiques du dispositif, relié à la frontière xin. Outre ces routes de fortune, il s'agissait également d'aménager des pistes d'atterrissage en vue d'une éventuelle apparition d'une armée de l'air impériale.

Ces travaux étaient là les plus urgents, mais il y avait bien davantage à faire, en matière de formation du personnel et des hommes du rang en particulier. On fit ainsi don à Xuan Shi d'une liste de recommandations et de promesses sur ce plan:
- Livraison de matériel de la part des Xin sous peu.
- Envoi d'instructeurs depuis le territoire xin.
- Soutien financier devant permettre à la Clique d'amorcer un développement d'une armée par ses propres moyens.

Bien entendu, il fut conseillé au seigneur de guerre la même chose que ce qui fut proposé et administré avec succès aux ushong: une refonte de l'organisation opérationnelle de l'armée sur des critères plus "velsniens": l'abandon pur et simple de s formations Xin en gros régiments rappelant ceux en vigueur à Rasken au profit d'un commandement plus décentralisé, et le morcellement de ces régiments en de petites unités semi-autonomes où la prise d'initiative était fortement récompensée, ce qui nécessitait donc un commandement lui aussi formé à ces arts, dans le contexte d'une doctrine beaucoup plus agressive, faite de contre attaques et de coups de main meurtriers, même lorsque l'armée est acculée en défense.

Pour finir, il fallait bien l'admettre, que toute guerre moderne se gagnait autant sur le terrain que dans une salle de presse, et que sur ce plan tout autant, le seigneur de guerre n'était pas autant avancé que dans le domaine de la guerre. IL y avait donc la nécessité de construire un véritable service de communication, pas seulement à l'échelle de la Clique, mais de tout le pays, fondée sur les réseaux clandestins établis durant toute l'année 2016 par l'étrangère, apportant "la bonne parole" à la classe paysanne du pays des ramchoures, la parole "du bon sens", de la "conservation des mœurs et des traditions" qui est le terreau de la communication politique de Xuan Shi. Le retour à la bonne parole des ancêtres doit être assimilé au retour à la paix. De même, le rejet de l'étranger parmi une population aussi conservatrice et peu instruite se doit d'être alimentée en permanence par les colporteurs de l'étrangère, ces frumentarii implacables parcourant les campagnes. Partout soit raisonner ce slogan aussi simpliste que frappant: "Sauvez la Ramchourie, chassez les étrangers", celui là même qui st entretenu patiemment par l'étrangère depuis tout ce temps...


Ainsi, tel fut le plan que le faiseur d'or exposa à Xuan Shi, devant ce qui restait de la cour de la Seigneurie élective. Avant de prendre une telle décision, on invita les speculatores au service des Xin d'attendre, et on leur permit de flâner quelques jours durant dans les couloirs de ce qui fut un petit palais d'été à disposition de l'ancien régime. Le faiseur d'or ne se contenta pas d'accepter, mais d'apprécier ce séjour. Lui, se tenait loin de toute la violence orchestrée dans le pays par l'étrangère, et il s'acclimatait doucement aux us et coutumes de la patrie des ramchoures, sans jamais toutefois oublier la sienne. Les étrangers également étaient curieux de lui, puisqu'il apparaissait clairement comme le seul velsnien de cette petite escorte, et que de tels hommes ne se montraient que rarement dans ces murs. Il apparu que si xénophobe avéré le seigneur de guerre était, il n'en restait pas moins curieux de la présence du faiseur d'or dont il ne connaissait rien, pas même le nom, et encore moins ses motivations. Aussi, une nuit, il vint quérir sa présence, seul à seul, et de leur conversation vint une question d'une simplicité enfantine adressée au velsnien: "Pourquoi venez vous nous aider ?". Cette question, les agents de la Segreda tels que le faiseur d'or se l'étaient posés également, aussi, il avait eu le temps d'y réfléchir une année durant, et de lui advint cette réponse.

"Seigneur de guerre. Il existe en mon pays des saints patrons, semblables aux esprits qui vous protègent vous, en Ramchourie. Il y en a pour tout et n'importe quoi. On prie tel saint pour s'assurer d'être protégés lorsqu'on descend dans la mine, pour avoir du succès dans les affaires ou le commerce, pour porter chance dans les relations amoureuses, ou bien pour que la récolte soit bonne. Parfois même, des saints protègent des lieux en particulier. Il y en a des centaines, mais sait-tu quel est mon préféré, excellence Guide ? San Stefano, le patron des voleurs, des escrocs et de la dissimulation. Il peut te paraître mauvais à m'entendre ainsi parler de lui, mais sache qu'il a également une autre caractéristique, qui finalement de lui le plus grand des saints, et le plus chrétien: San Stefano est le patron des causes perdues. Il aide, il soulage ceux qui en ont le plus besoin. C'est donc aussi naturellement que cela que je me suis dirigé vers toi, Guide. Tu es sur une fine pellicule de verre, et tes chances de victoire sont infimes. Mais si tu gagnes, ton triomphe en sera que plus grand, et même une défaite héroïque de ta part aura autant de valeur que le plus beau des succès à mes yeux. C'est pour cela que je j'ai choisi, et que l'empereur des ushong t'a choisi. Alors prends toutes mes observations, celles que je t'ai faite durant tout mon séjour. Fais les tiennes, et je pense que l'on parlera encore de toi dans mille ans, que tu gagnes ou que tu perdes: le libérateur des Xin ou le héros de la cause perdue, les deux chemins qui s'offrent à toi sont fabuleux, guide. Les coalisés du Royaume Constitutionnel ont beau avoir les armes, tu possèdes l'âme de la Rachourie pour toi. Aussi, et c'est là mon dernier pour cette nuit à ton égard: de ta détermination à tenir dépend l'avenir de l'Empire Xin et de la patrie des ramchoures."


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L'Est Rouge :

Propulsés dans les vagues de millions d'hommes unis dans le culte d'une seule personne, le Nazum est définitivement un continent spécial.


Ô plaine, ma plaine, ô mon immense plaine, tu es si loin...


Il est difficile de décrire avec détails ce que nous avons eu sous les yeux pendant plus d'un an, tant cet endroit diffère de par sa singularité avec notre terre natale. Tout ce qui me semblait naturel jusqu'à là dans la vie quotidienne, dans la manière de s'exprimer, de regarder les gens et de contribuer à une communauté avait changé du tout au tout depuis que j'avais été parachuté ici. C'est comme si j'avais débarqué sur une autre planète : les arbres sont les mêmes, les êtres humains toujours présents et à vrai dire, les mêmes problèmes continuent de persister encore et toujours. On a beau être sur un autre continent, j'ai senti une profonde familiarité avec ce que j'ai vécu chez nous, il y a encore pas si longtemps que ça. La Ramchourie...une terre lointaine, beaucoup trop lointaine ; si lointaine que lorsque j'entendis par radio longue portée que notre aéronef avait été abattu peu de temps après notre parachutage, cela me fit le choc que le seul lien qui me liait à chez moi avait disparu, probablement à tout jamais. Les deux pilotes, ainsi que leur assistant technique, n'ont pas survécus au crash, on nous a intimés l'ordre de ne pas aller chercher les décombres, que la mission était prioritaire. La Ramchourie était si lointaine qu'aucune esquisse qu'une quelconque mission de sauvetage n'avait été envisagée, le SRR avait visiblement peur de perdre un autre aéronef. D'un côté, je les comprenais : risquer du matériel précieux et des hommes supplémentaires pour sauver une dizaine d'opérateurs sur-entraînés paraissait surréaliste et à vrai dire, nous étions tous volontaires à l'origine. Nous avions prêtés serment et nous n'avions pas étés forcés à s'embarquer dans cet aéronef, chacun de nous était convaincu du bienfait de la mission qui nous avait été confié : propager la Révolution au Nazum, sur les terres larvées par la guerre civile de Ramchourie. Personne n'avait dit que ce serait facile et même en face de l'adversité maintenant écrasante à laquelle nous faisons face, je n'oublie pas que je suis ici d'abord parce que je l'ai voulu. Rien ne m'aurait empêché de laisser un de mes camarades me précéder et moi, à l'inverse, de choisir les missions plus simples que le service proposait désormais en abondance en Eurysie. Mais non, j'avais décidé d'aller ici, en Ramchourie, dans un continent que nous connaissions si peu et qu'à ce jour, je ne dispose que d'informations lacunaires. Non pas sur sa situation politique, que je connais désormais très bien...non...sur les gens qui y vivent.

Les Ramchoures sont différents, d'une certaine manière. Bien sûr, rien ne nous différencie biologiquement, bien que fus fort étonné que la plupart des paysans que j'avais croisé étaient de véritables armoires à glace, qui dépassaient parfois d'une tête de plus que nous. Ces hommes n'avaient rien de militaires, ils n'auraient pas su tenir un mousquet dans les mains mais il était incontestable que physiquement, ces hommes nous surpassaient. Je compris lentement pourquoi au cours de mon séjour. Les Ramchoures ont cet éclair de naturel que nous Estaliens, modelés par la société moderne, avons oubliés et relégués aux oubliettes. Ce sont des gens très simples, aux attentes très faibles. Il en faut peu d'ailleurs pour les convaincre : de tous les hommes avec qui j'ai pu converser, discuter avec les Ramchoures les plus humbles est un exercice étonnamment reposant. Ils admettent rapidement leurs torts lorsqu'ils en ont, ils n'imposent pas leurs idées, ne s'énervent presque jamais (et lorsque c'est le cas, elle s'exprime sous une forme de colère froide passive, annonciatrice du coup de poing dans la figure que vous vous prenez quand vous allez trop loin) et ne coupent généralement jamais la parole. J'avais plutôt l'impression que c'était nous, les Slaves indisciplinés et mal polis dans nos habitudes, qui faisaient véritablement offices d'invités inconvenants à chaque passage dans un village local. Ces gens étaient également très débrouillards. En passant des années à la botte de seigneurs locaux tyranniques, d'un pouvoir central quasiment inexistant dans la vie quotidienne de la populace, avec une société communautaire entière qui n'avait jamais connu la vague immersive de l'industrialisation et surtout la guerre civile qui poussait des villages entiers à improviser pour faire face aux pénuries et à la rupture du commerce intérieur, les Ramchoures étaient un peuple particulièrement débrouillard. Je pensais être plutôt bon pour l'improvisation mais il me suffisait de croiser le peuple ramchoure pour me rendre compte que mon niveau d'improvisation était à leur niveau d'un amateurisme flagrant et pourtant, les forces spéciales m'ont appris beaucoup de choses en cinq ans de service.

Bien sûr, le tableau du peuple ramchoure n'était pas pleinement uniforme. Si le constat que j'ai fait jusqu'à là est vrai pour la majorité de la population, assommée par la précarité et les horreurs de la guerre civile et n'ayant d'autres choix que de baisser la tête et d'improviser pour survivre, il suffisait de monter la chaîne hiérarchique très verticale des Ramchoures pour se rendre compte des disparités de comportements en fonction de sa place dans la société. Parfois, il suffisait d'une autorité somme toute symbolique pour qu'un homme devienne un véritable tyran. Si la morale et surtout l'hostilité des foules nous préserve parfois de tels excès en Eurysie, les Ramchoures ont étés habitués dès leur plus jeune âge à un respect scrupuleux des formes hiérarchiques : il est naturel pour le Ramchoure d'avoir un supérieure hiérarchique, c'est aussi naturel pour lui que de marcher et de respirer. Le "Ni Dieux, ni Maîtres" ne s'applique guère ici. Car oui, les Ramchoures, au-delà de toutes leurs qualités issus d'une vision très rustique des choses, ont aussi les défauts qui accompagnent ce type de sociétés. Les Ramchoures sont incroyablement superstitieux. Bien sûr, tous les peuples ont pour habitudes d'avoir quelques superstitions ridicules mais qui font figures de bonnes anecdotes : une qui m'a fait plutôt rire, c'est que les Ramchoures pensent que secouer les jambes rend pauvre ou encore les oreilles rouges signifient qu'on sait ce qui va se passer dans la journée (oui oui, ce sont de vraies superstitions en Chine). Autant ces superstitions font plutôt rire sur le moment, ce côté très superstitieux se retourne parfois contre eux. Il en faut peu à un fonctionnaire du RPR lorsque celui-ci jubile de maudire tout un village d'une malédiction car son frère est supposément prêtre et peut infliger des malédictions à tous ceux ne se soumettant pas à la République Populaire. J'ai évidemment été choqué de l'utilisation de l'autorité religieuse par les "communistes" de ce pays mais ce qui m'a doublement choqué, c'est la soumission quasi-immédiate des paysans, d'abord rechignant à la tâche, face à ces menaces. Le RPR n'avait pas les moyens de raser ce village dans l'immédiat, plutôt proche de la ligne de front avec le Royaume Constitutionnel. Le village aurait pu passer à l'ennemi sans problème et pourtant, il s'est soumis sans faire d'histoires. Et bien sûr, il m'est arrivé d'entendre des rumeurs semblables au-delà des frontières du territoire contrôlé par le RPR, signe que cette superstition n'était pas spécifiquement liée et exploitée par le RPR mais était un trait culturel commun chez les Ramchoures, ou au moins une partie significative de leur population.

Le comportement des supérieurs, traditionnels ou institutionnels, s'avérait le plus souvent exécrable. S'il m'arrivait fréquemment de discuter avec les paysans locaux pour parler de leurs conditions de vie, de leur travail, de leurs craintes et de leurs espoirs, il m'était complètement insupportable de parler avec les chefs de village. Le plus souvent, c'était à notre capitaine de s'en charger. Ahlala, notre bon capitaine, il en a, du courage ! Pas plus intelligents ou honorables que leurs administrés, les chefs de villages font peut-être partie du Top 3 des personnes que je déteste dans ce pays : ils sont arrogants, lâches, souvent aussi incultes que leurs compères et souvent paresseux, pour ne pas dire inutiles. Pourtant, ils estimaient avoir une grandeur d'âme supérieure au reste du village et nous regardaient généralement avec un mépris qui feignait très certainement le racisme par ailleurs. J'ai vu des paysans aussi musclés que des taureaux et des jeunes débrouillards et vifs d'esprit s'agenouiller devant des vieillards ingrats, enracinés dans une logique vassalique qu'il serait difficile d'imaginer à notre siècle, encore plus en Eurysie où ce genre de scènes ne se voyait qu'en Nordfolklande. Aucune remise en cause de cette autorité pourtant vétuste et qui n'avait rien d'honorable : la preuve, il suffisait au capitaine de présenter au nez et à la barbe de ces "honorables chefs de villages" une liasse d'unitas bien fraîche sortie de l'imprimerie pour faire faillir tous leurs vieux principes d'un autre siècle et leur racisme anti-slave qui m'a sérieusement donné envie de leur faire du mal avec les dents. Avec un peu de recul, les conversations de notre capitaine avec les élites locales ont souvent finis comme ça, je crois. La corruption est endémique dans ce pays, elle fait partie de la vie courante, au point où on ne sait plus vraiment différencier les pots-de-vins des salaires...enfin pour peu que la notion de salaire soit pertinente dans les campagnes. En tout cas, la corruption est notre meilleure arme de persuasion : les élites locales sont imperméables au discours anarchiste, on l'a très vite compris au bout de quelques semaines, et même le discours daiponiste, que je vomis de toute mon âme, rentre difficilement dans les esprits. La lutte des classes est un concept abstrait pour cette population : les patrons, la bourgeoisie, l'aliénation sociale. "Tout ça, mon garçon, c'est dans les villes ! Ici, on vit comme on peut."

Oh, les villes ! Bien sûr, on vivait pas en rase-campagne toute l'année : il existait des villes. Tang'an était une ville bien particulière. L'architecture en soi m'a laissé un sentiment mitigé : la ville avait souffert des combats lors de sa prise par les troupes du RPR qui n'ont pas hésités à bombarder la ville avec leur artillerie pour la prendre. Les combats avaient eu lieu il y a presque deux ans mais on avait l'impression à certains endroits que la prise de la ville datait la veille : certains bâtiments étaient encore écroulés, d'autres étaient criblés d'impacts de balles ou d'obus qui ouvraient de manière béante les salles à l'intérieure. Un jour, un des toits tenant encore difficilement d'un des bâtiments à côté de l'hôtel dans lequel on logeait s'était effondré, sûrement faute de maintenance. Pourtant, si la ville pouvait avoir à certains endroits des airs désolés d'une ville en guerre qui me rappelait étrangement les images de Mistohir durant la Grande Guerre qu'on avait vu en cours d'histoire, il existait des endroits où Tang'an nous surprenait. Le centre-ville, par exemple, avait été relativement épargné, ce qui nous avait permis d'admirer certains bâtiments qui dataient souvent de plusieurs siècles et qui illustraient l'ancienne prospérité de ce qui fut jadis la capitale du Hen. La Ramchourie ne partait pas de rien, en fin de compte, elle avait une longue histoire derrière elle mais cette histoire ne lui apportait que peu de réconfort et surtout des choix très étroits qui ne laissaient que peu de place aux nouveautés pour un peuple qui était encore très attaché aux figures d'autorité traditionnelle et au respect de l'autorité verticale. Et la ville était là pour nous le rappeler tous les jours : si les métiers changeaient, les mentalités restaient souvent les mêmes. J'ai souvenir qu'en Estalie, la mentalité changeait du tout au tout entre Mistohir et la campagne de l'Horistia et à vrai dire, même entre un Mistohirois et un Fransovacien, les différences de mentalités étaient flagrantes. Mais ici, je ne trouvais pas de différences significatives. Certes, certaines personnes étaient plus ouvertes aux idées nouvelles et nous pûmes aborder une partie de l'élite intellectuelle de la ville, d'ailleurs souvent surveillée de près par le RPR ou carrément en filature clandestine pour "activités contre-révolutionnaires". C'était risqué de parler à ces gens car la moindre étiquette suffisait à attirer le soupçon des membres du RPR sur nous. Nous étions des invités indésirables pour eux, après tout. Ordre avait peut-être était fait de ne pas nous faire du mal, le pouvoir sachant sûrement que de notre évaluation pouvait dépendre la seule aide étrangère à laquelle Dai Po pouvait prétendre ; ça n'empêchait pas aux membres du RPR de nous voir comme des socialistes dévoyés la plupart du temps. Il fallait donc faire attention lorsqu'il s'agissait de discuter avec les opposants politiques. Si certains étaient des libéraux convaincus et méritaient amplement leur sort, d'autres étaient intimement convaincus de la cause révolutionnaire mais aussi de la profonde corruption du mouvement par Dai Po et sa mainmise hégémonique sur la République, l'absence de contestation ou plutôt l'absence d'un mouvement contestataire pertinent. Il y a bien eu l'ASLT mais celle-ci s'est faite écrasée en 2015, ne laissant derrière cette mutinerie que davantage de morts et une opposition lessivée par le raz-de-marée mortuaire qu'avait fait inonder Dai Po sur cette terre. L'opposition existait, mais elle se cachait désormais, incapable de rassembler une foule unie dans un sentiment aussi primitif qu'aliénant : la peur.

On l'a vite perçu, ça aussi : les habitants de ce pays ne voient pas le RPR avec respect, ils ne sont pas fermement convaincus de la cause révolutionnaire daiponiste et de manière générale, ils méprisent Dai Po. Du moins, en privé. En public, tout le monde est résistant, tout le monde est avec l'armée, tous sont de bons citoyens, de bons camarades, de bons révolutionnaires. C'est une ambiance assez malsaine, surtout à Tang'an, où la simple présence d'un sous-officier du RPR dans un bar quelconque suffit pour faire déguerpir la moitié de la clientèle, où le passage d'une petite troupe de l'armée du RPR suffit aux villageois à préparer les vivres en vue d'abandonner le village...on sait jamais, dans le cas où ces soldats décident de piller le coin. On savait depuis longtemps dans nos rapports que Dai Po utilisait la peur comme arme : bien que l'épisode de l'ASLT avait prouvé qu'il n'avait pas la mainmise absolue sur ses propres troupes, la peur avait quant à elle dominer les foules civiles, ceux en arrière qui pouvaient possiblement devenir de futures recrues. Quant au culte de la personnalité, il est omniprésent mais il devient véritablement évident quand vous prenez contact avec le RPR : si la population méprise Dai Po, le RPR l'adule. Bien que je pense sincèrement que ce ne soit qu'une façade qu'il nous est impossible, en tant qu'étrangers, de briser, les recrues et les soldats du RPR vouent un culte de la personnalité à Dai Po, souvent sans connaître ses idées politiques. Ils ont une vision complètement erronée de ce qu'est une révolution, ils n'ont aucune notion du marxisme la plupart du temps et la plupart des soldats voient l'accomplissement de la Révolution non pas dans l'émancipation sociale des masses, la fin de l'économie marchande ou même simplement l'abolition de l'Etat, mais dans la victoire de leur leader. C'est une constante en Ramchourie : lorsqu'il s'agit de politique, j'ai toujours eu l'impression que les Ramchoures portent en horreur la politique, ou plus précisément la responsabilité individuelle qu'incombe la politique. Il faut avoir un avis sur tout, il faut se forger son opinion soi-même, se cultiver politiquement et se battre pour ses convictions. Ouais...ça, c'est l'idée qu'on se fait de la politique quand on vit en Eurysie. Ici, toutes ces notions de souveraineté populaire ou de réflexion politique sont méconnues ou font peur par principe. Les Ramchoures préfèrent de très loin déléguer la tâche du politique à d'autres, de préférence à leur supérieur hiérarchique. Il ne fut pas anodin pour moi d'observer parfois des paysans se taire pour laisser parler leur chef de village à leur place sur l'avis politique du village ; j'ai même vu un employé de bureau faire la sourde langue lorsque son patron vint m'aborder pour expliquer à la place de son salarié la vision politique de son entreprise (car oui, visiblement, dans cette "Tang'an révolutionnaire", les entreprises fonctionnent encore à plein régime). Si j'ai pu être témoin personnellement de cette délégation volontaire et soumise de l'avis politique des plus faibles vers les plus forts, alors je crains que cette logique s'applique implacablement au régime en lui-même : personne ne remet en cause l'autorité de Dai Po car personne ne veut porter la responsabilité politique qui s'ensuit. Il existe autant de blocages culturels que factuels qui expliquent que Dai Po ait tenu aussi longtemps aux rênes du pouvoir et si des gens exceptionnels comme Hue Jin ont existés pour contester cet ordre des choses, aujourd'hui, ces personnes se cachent dans les caves en attendant leur heure.

Des opposants, on en a trouvé, certes. Des modérés, des mochenistes et même des libertaires de tout poil ; oui, ils existent. Mais ils seraient incapables de s'organiser aujourd'hui : la chute de l'ASLT a parsemé le rang des opposants et Dai Po est tout-puissant. Récemment, face à la tournure des événements, notre capitaine a décidé de nous rassembler avec une des cellules de l'opposition avec qui on travaille depuis notre arrivée. Notre capitaine est devenu fou, je pense. Je l'ai déjà vu enragé devant la défaite de l'ASLT, seule chance d'obtenir une réforme rapide de la RPR et une chance de rallier plus amplement les masses à la cause de la RPR et de consolider sa légitimité. Pourtant, depuis peu, il multiplie les commandes au marché noir : équipements pare-balles, casques de visions nocturnes de nouvelle génération et étrangement, il a réussi à négocier avec le QG pour qu'ils nous fassent passer une dizaine de fusils ESH-14 fraîchement produits en Estalie via les réseaux clandestins. Loué soit les prouesses illégales du SRR mais toutes ces préparations étaient suspectes. Alors lorsque notre capitaine exposa son plan devant toute l'équipe, surprise, et devant la cellule de Ramchoures qui nous accompagnait, complètement choquée par les propos de notre capitaine, j'avais compris que le capitaine avait tiré ses conclusions.

Il fallait tuer la Bête.
2729
Après plusieurs années sans le voir, je trouvais enfin Gary à la descente de l'avion. Je ne l'avais plus vu depuis la Translavie et n'avait pas eu de nouvelles depuis Macao. Dayto devait lui nous rejoindre dans la chambre d'hôtel. Aranja nous attendait déjà Gary et moi. Il va sans dire que cela faisait un moment que nous ne nous étions pas vu si nombreux. De Rosborg-Skaudme à Macao et Manille, nos passeports avaient le florilège des tampons de l'ancien empire listonien. Aranja se targuait même d'avoir droit au nouveau tampon délivré par les autorités de Nordlig-Kors. Elle n'avait pas vraiment bougée ces deux dernières années, le Client n'était pas des plus demandeurs exceptés maintenant.

L'arrivée nombreux au Gualitang obéissait à une logique simple : nous n'étions plu les seuls actifs en ce lointain pays. il fait bien le reconnaitre, nous n'étions pas des plus au courants de objectifs finaux des clients. Morel devait nous rencontrer plus tard dans la semaine pour nous en dire davantage aux alentours du Palais de Minh-Aû-Choh à Bonh-Zong où nous nous rendrons prochainement. En ces quelques temps, le Gualintang avait fait son œuvre et s'en sortait bien. D'après les informations du clients, une demi-douzaine de pays, amis, partenaires, neutres et hostiles opéraient plus ou moins officiellement sur le sol Ramchoure. Le Zijian a déployé un ou plusieurs navires à proximité des côtes ramchoures. Etonnant carrefour d'influence mondial que ce pays du Nazum central. D'une pauvreté sans nom qui n'a d'égal que certains des autres pays voisins. 30 millions d'âmes entourés par 100 millions de baïshanais ou quelques 35 millions de Xins. Il ne va pas sans dire que le Client n'a ici, rien de vital, mais il s'agit "d'un bon terrain d'entraînement" selon Morel.

C'est une terre d'influence où des pays se testent entre eux mais se testent aussi eux-mêmes. Les missiles et les chars sont remplacés par les embuscades et assassinats ciblés. C'est ici un autre jeu qui se joue. L'on pourrait apprendre la mort d'un tanskien ou d'un estalien que rien ne changerait vraiment à quelques milliers de kilomètres d'ici. Notre envoi ci visait à ce titre là. Un ancien listonien, fujiwais, quelques tanskiens ou encore un teylais. Un groupe hétéroclite que nous allons prochainement étendre. Cela va nous être nécessaire si nous voulons rejoindre Zangian'h. Si il sera aisé de se camoufler dans cette ville de 5 millions d'habitants, il le sera moins de traquer nos adversaires, pour la simple et même raison. Nous n'avons pas de calendrier particulier d'après le Client. Morel ne devrait pas nous end ire plus, il n'est qu'un conseiller arrogant qui se sent premier conseiller du roi. Il parle la langue mais ne connait guère plus le terrain et n'a pas quitté Bonh-Zong depuis qu'il est arrivé ici. Il y a même ses habitudes d'après Aranja. Un peu trop sans doute. Elle ne lui fait pas confiance, et moi non plus. Gary n'a pas d'avis particulier. Il ne s'exprime pas, ce qui ne me surprend pas. De toute manière, Bonh-Zong n'a guère besoin de nous, il n'y a guère de présence étrangère ici. L'objectif principal reste la capitale et nous la rejoindrons progressivement. Officiellement, ici, je suis un instituteur de français et d'anglais. Il me tarde de donner mes premières leçons. Cela m'avait manqué par le passé.
4043
Le cadeau de San Stefano à la Confédération Ramchoure: Vers un soutien occulte de l'entité septentrionale ?



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Il a les poches bien remplies...


La géopolitique ramchoure paraît décidément bien complexe pour les analystes de la Segreda velsnienne. Les entités se font et se défont, les régimes se succèdent et se ressemblent, et cette guerre civile interminable patine, au détriment principalement du peuple ramchoure, mais dont les renseignements velsniens ne font pas réellement grand cas. Une statistique de plus, une variable à ajuster au bon endroit et au bon moment. Soutenir un régime politique n'est pas tant une question d'affinité idéologique qu'une affaire de perspectives de gains financiers à plus ou moins long terme. C'est en ce sens que le gouvernement communal a procédé à un partage de ressources rarement vu à l'égard d'un pays étranger, à tel point que cela a soulevé un certain nombre de questions...Mais quoi qu'il en soit, au vu des moyens déployés et de l'identité des sénateurs impliqués dans l'opération, la cité sur l'eau semble avoir pris conscience de l'ampleur des profits potentiels dont leurs meilleurs scénarios de la Segreda font l'hypothèse pour la fin de ce conflit. La Ramchourie, qui se trouve à mi-chemin de la plus importante des voies commerciales de la Grande République, qui relie la plaine velsnienne au Jashuria, est très logiquement devenue ce terrain de jeu opérationnel pour les puissances de la région, à commencer par les Xin, pour lesquels les velsniens prennent discrètement fait et cause. Aussi, à partir de là, il est logique, certes, de voir apparaître des frumentarii détruire et piller en portant l'uniforme de la coalition, tandis que des speculatores arpentent les couloirs du palais de Xuan Shi. Mais toutes les actions prises par les renseignements velsniens ne sont pas aussi claires que celles là, et il est surprenant de constater que le soutien de la Grande République est en train de s'étendre à d'autres factions que la Clique de Xuan Shi.

Ainsi, on se surprend à voir, à l'abri des regards, des scènes étranges se dérouler au nord du pays. Les renseignements de la Segreda ont ainsi jugé que les objectifs de l'entité connue sous le nom de Confédération Ramchoure, si ils n'étaient pas partagés par ces derniers, et encore moins les velsniens, étaient une donnée négligeable, et qu'un éventuel soutien armé s'était davantage décidé par la réalité stratégique que la guerre civile ramchoure avait imposée aux velsniens. De manière indéniable, il fallait ainsi constater que la coalition possédait un ascendant certain sur le conflit, en plus de l'initiative stratégique qu'elle avait acquise depuis la prise de la capitale et la disparition de facto de la Seigneurie élective. De fait, il fallait parfois donc, pour obtenir des résultats, procéder à des rapprochements qui ne coulaient pas de source, et qui avaient le mérite de faire lever quelques sourcils dans les bureaux de la Segreda, et au sein du commandement militaire velsnien du Nazum, spécialement constitué pour les opérations de Ramchourie. A ce titre, le renforcement de toute faction capable de ralentir les efforts de la coalition dans la réunification du pays étaient les bienvenue: c'était là le sens logique de cet effort, car la victoire d'une entité, quel qu'elle soit, compliquerait fortement le laveur avec lequel les Xin s'échinent à faire rentrer l'antique province dans le rang.

Rapidement, on comprit, malgré une tentative de temporisation de cette entité à l'égard de la coalition de la capitale, que ses dirigeants tenaient celle-ci en grande inquiétude, de par sa puissance qui contribuerait probablement à la chute de la confédération dans un avenir proche, car tôt ou tard, ce n'était là qu'une question de temps avant que celle-ci ne fasse ce qui s'étit produit avec toutes les factions qui avaient pactisé avec: l’absorption pure et simple, et la dilution d’intérêts particuliers. C'est ainsi que de mystérieux émissaires parvinrent en ce mois de janvier auprès du chef de guerre Seun -Li avec une proposition des plus simples: la livraison de 10 000 fusils en échange d'une reprise des hostilités de sa part envers la coalition, et la promesse d'un soutien continuel. A prendre ou à laisser...

Certes, ce choix était des lus cornéliens, mais ils offraient à Seun-Li les deux perspectives de ce qui pourrait potentiellement advenir de sa faction: le combat ou la disparition résumé en une décision à prendre. Les velsniens étaient bien souvent avares de générosité, mais ce n'était pas le cas cette fois. L'objectif de la Segreda se dessinait progressivement: inonder la Ramchourie de matériel militaire, en premier lieu léger et destiné à l'infanterie, avant, pourquoi pas, de passer au plus lourd...


(HRP: la décision de la Confédération Ramchoure est laissée à Aestana)


3431
Extrait d'une revue de géopolitique poëtoscovienne

"Il a fallu, nécessairement, que la Poëtoscovie ne soit pas totalement indifférente aux conflits émergents au Nazum, et qu’elle souhaite y envoyer a minima quelques observateurs. Cela, évidemment, n’a rien d’étonnant. Non non non, ce qui l’est bien plus, en revanche, c’est que celle-ci l’a fait publiquement et alors même qu’elle opère une forme de retrait de ses positions internationales. Pour preuve : plus de mention de l’Antegrad, plus de mention de la Cité du Désert, et ce malgré de nombreuses difficultés rencontrées récemment. De tout cela, il faut noter que la scène internationale y est égale, puis que personne n’a interrogé le pouvoir de la Nation Littéraire à ce sujet.

En revanche, si elle poursuit dans une maigre volonté d’améliorer son image – car il demeure incontestable que le championnat d’échecs, par exemple, n’a que cette utilité –, c’est bien dans des objectifs de puissance. L’absence d’interventions diplomatiques, je n’irai pas jusqu’à dire qu’il s’agit d’une stratégie en terme de politique internationale : il en est avant tout de la stabilité nationale qui, après l’officielle chute du Tribunal International, est toute assurée d’un point de vue judiciaire. En effet, Sébastien Tesson n’est alors plus inquiété par la justice internationale pour les activités qui lui sont reprochées. Sur la scène internationale, une fois encore, aucune mention de tout cela.

Toutefois, si la Poëtoscovie a délaissé certains combats pour de multiples facteurs, il n’en demeure pas moins que le Nazum, territoire d’influence incontestable du Jashuria, notamment avec ses ambitions territoriales sur l’Empire Anticolonial Akaltien, elle ne souhaite pourtant pas abandonner son statut de puissance, non pas militaire, mais au niveau du renseignement. Si, effectivement, la Nation Littéraire possède les services d’espionnage les plus perfectionnés au monde, il convient de s’assurer que ses capacités opérationnelles suivent, notamment sur les espaces émergents. Le conflit en Ramchourie n’y fait pas exception. La proximité géographique des tensions, quand bien même la Poëtoscovie n’aurait aucune relation particulièrement développée avec les autorités immédiatement locales, semble mettre Hernani-centre en état d’alerte, qui se rend compte être restée endormi trop longtemps.

Je n’en serais pas étonné – mais cela n’engage que moi – de voir en effet les services de renseignement poëtoscoviens s’activer dans la zone. Il en va de la survie du statut de « puissance » auquel prétend l’État. Il faut bien qu’il s’en montre digne, et sorte de son apathie diplomatique dans laquelle il est resté trop longtemps déjà.

Pour l’heure, les autorités poëtoscoviennes n’ont pas indiqué clairement leur positionnement vis-à-vis des différents belligérants, mais n’a pas exclu le fait d’aider les « acteurs légitimes sur le territoire » une fois que les observateurs auront rendu leurs conclusions. En outre, il n’a pas non plus été établi que la Poëtoscovie ne souhaitait pas s’entretenir avec les différentes parties du conflit. Cela permettrait effectivement de se positionner plus facilement, car comprendre les enjeux relatifs aux conflits internes d’un pays est nécessaire à l’adoption du bon comportement. Quoiqu’il en soit, la Poëtoscovie suivra toujours la boussole du droit international et de ses principes fondamentaux.

Ces aides, purement militaires, pourraient prendre diverses formes. Tout d’abord sur le plan prévisionnel, il est tout à fait envisageable que l’État Poëtoscovie souhaite conclure un accord d’aide militaire en cas d’extrême urgence, notamment afin d’exfiltrer des combattants en dernier recours. Il pourrait également s’agir de dialoguer, non comme acteur principal, bien sûr, mais avec les deux entités opposées. Enfin, et cela serait bien plus concret, le soutien militaire pourrait être matériel, voire humain. Toutefois, c’est là un terrain sur lequel la Poëtoscovie s’est peu engagée, et il serait étonnant de la voir le faire ici alors même que le Nazum se veut territoire sous influence jashurienne."
7463
Service Permanent d'Intelligence Extérieure
Bureau des Affaires Nazuméennes


Bonh-Zong,
le 24 janvier 2017


Note classifiée (TOP SECRET)


Objet : Zangian'h


Note distribuée en main propre.




Présentation


1. Zangian'h est la ville la plus peuplée du Royaume Constitutionnel de Ramchourie (RPR). Elle abrite théoriquement entre 5 à 6 millions d'habitants bien que ce nombre fluctue selon les mouvements de réfugiés liés à la guerre civile, représentant en moyenne environ 17% de la population totale ramchoure. La capitale est située à plus de 600 kilomètres des terres a vol d'oiseau. Elle est située au cœur du territoire du Hezian, l'un des trois Etats électeurs. Elle est bordée par le fleuve menant au Golfe de Ramchourie et située à proximité des Monts Chendong au nord dans une région densément peuplée mais néanmoins relativement vallonée sinon montagneuse à l'inverse des vastes plaines du nord et du sud du pays. Elle est bien desservie en infrastructures en temps de paix et est entourée de murailles.

2. La croissance de Zangian'h, qui n'a été qu'une ville moyenne mais politiquement importante pendant plusieurs siècles, n'est intervenu qu'avec le développement d'un pouvoir centralisé avec l'indépendance ramchoure en 1903 cherchant une concentration des capacités industrielles et financières nationales, expliquant concentration démographique de la ville. La position géographique centrale au sein du pays ainsi que les connexions fluviales de la ville, renforcée par un système d'écluses facilitant la navigation selon les saisons, ont aussi joué à un rôle important dans le développement économique de la cité et sa liaison au commerce régional. En particulier, cela en a fait un important carrefour entre les produits agricoles du nord, miniers de l'ouest et l'est, et manufacturier du sud selon les informations récoltées. L'existence des Monts Chendong, qui fournissent une protection naturelle contre les vents du nord offrant une météo plus clémente à la capitale, rend néanmoins plus complexe les échanges avec les cités situés près des Dabai occidental et oriental, à l'instar de la ville de Hanting. A l'inverse, les plaines de l'ouest et le fleuve mènent directement à Bonh-Zong.

3. Zangian'h est située approximativement à 10°N, une latitude similaire à celle de Järvi, Etelämanner. Elle n'est qu'à 1200 kilomètres d'Osthaven et de notre présence aérienne sur place ce qui permet théoriquement une liaison aérienne rapide, l'aller-retour pouvant être effectué dans une même matinée. Elle reste cependant dans un climat plus tempéré, sinon parfois froid, en comparaison de Järvi. Celui-ci pourrait notamment impacter des opérations militaires si elles venaient à se tenir en période hivernale mais surtout à l'automne qui est marqué par d'importantes précipitations.


Situation

4. La capitale a régulièrement changé de main au cours des dernière années. Elle est actuellement sous l'occupation de Mei-Li. Dirigeante du Royaume Constitutionnel de Ramchourie, la "Reine Guerrière" est sans doute la personne la plus importante de Ramchourie actuellement à la suite de la réussite de sa campagne militaire. La prise de Zangian'h et la prise des terres républicaines mettant fin à la République ramchoure. Femme d'un ancien seigneur de guerre, ses objectifs politiques résident sans doute dans la réunification du pays sous la coupe du RCR. L'hypothèse qu'elle cherche elle-même à se maintenir au trône est élevé sans être pour autant une évidence et dépendra sans doute des équilibres politiques avec d'autres factions, en particulier en cas de rejet de l'idée d'une reine à la tête du pay.

5. La ville en elle-même sort d'un siège s'étant écoulé sur les derniers mois de l'année 2015. Le Gualitang, le Tahorintang et le RCR ont affrontés la République de Ramchourie, aujourd'hui inexistante. L'attribution de la capitale à Mei-Li porta un coup important au Gualitang, donc cela restait aussi l'objectif, et offre au RCR un important centre de population, de captation économique et agricole, mais aussi une certaine forme de légitimité politique. La situation n'en reste pas moins difficile du fait des destructions et destructurations de la capitale mais aussi de son tissu social et industriel.

6. La reconstruction de la ville incombe aux forces du RCR. Si elle apporte, comme évoqué précédemment, un important capital politique, économique et démographique au RCR, elle représente néanmoins dans l'immédiat un fardeau important qui pèse tant sur les finances que sur les moyens humains à disposition du RCR. D'une part, les besoins de reconstructions de la capitale demanderont plusieurs mois au mieux. D'autre part, dans l'offensive contre la République, le Gualintang et le Tahorintang ont pu récupérer des territoires agricoles et des petits centres urbains, parfois peu éloignés de la capitale. Si ils n'apportent pas le poids démographique, ils permettent toutefois, notamment au Gualintang, d'étendre son influence sur une bourgeoisie et une classe de notaires de provinces. A l'inverse, cela coupe le RCR d'une base politique, certes peu importantes, mais qui à la main mise sur plusieurs accès routiers et fluviaux à la capitale ainsi que sur des productions céréalières. En somme, sur cet aspect, l'alimentation des populations de la capitale pourrait forcer le RCR a revoir à la baisse, notamment en cas de difficulté, l'approvisionnement de ses propres forces armées pour éviter des potentielles disettes ou difficultés ponctuelles dans la capitale. A l'inverse, les autres factions pourraient décider de restreindre des livraisons à la capitale dans l'objectif d'alimenter des mouvements contestataires qui occuperaient les forces du RCR tout en pouvant affecter sa légitimité future.

7. Contrairement aux centres urbains de petites tailles (Bonh-Zong, Hanting, Pianshan), à l'exception notoire de Tang'an, le contrôle des populations civiles de Zangian'h imposera nécessairement au RCR de consacrer des moyens financiers, humains et matériels considérables. Si aucun vent de révolte n'a encore soufflé sur la capitale, la fragilité supposée de la situation ne la rend pas moins potentiellement explosive ou dangereuse. Alors que le RCR a pu soutenir un siège contre une faction définie, la capacité à endurer des actions insurrectionnelles dans la capitale reste une grande inconnue. De plus ni le RCR ni d'autres factions ne disposent de moyens de surveillances suffisants simplifiant le contrôle et la veille sur un tel centre.

8. Le contrôle en amont du fleuve de la capitale, qui prend sa source principalement depuis les chaines montagneuses du Grand-Sun et du Grand-Daô, revient au Gualintang. A ce titre, cela confère aussi au Gualintang une capacité de nuisance supplémentaire à l'encontre de la capitale et du RCR qu'il faut toutefois utiliser à bon escient. Des politiques de rétention d'eau, si elles peuvent être dramatiques en aval en particulier pour les centres urbains, et donc affaiblir la RCR, peuvent aussi mener à des réactions politiques et militaires plus soudaines et rapides. A cela s'ajoute les conséquences humanitaires et politiques désastreuses pour le Gualintang et sa réputation si il venait à suivre pareil politique. Elle est donc à écarter.

9. Pour le Gualintang, il paraît dès lors préférable de repousser la prise de la capitale autant que nécessaire. Le Gualintang devrait davantage se baser sur une campagne d'encerclement progressif et de contrôle des campagnes favorisant l'isolation progressive de Zangian'h, mais aussi augmentant le coût du maintiens de la capitale aux mains du RCR. Cette hypothèse suppose évidemment l'ouverture d'un conflit armé entre les deux factions et l'absence d'une solution politique qui est elle préférable. Compte-tenu de la croissance qui peut être attendue au sein des forces armées du RCR, tout engagement frontal est à éviter. A l'inverse, les besoins de maintenir le contrôle sur la capitale nécessiteront le maintien d'une force importante mais aussi l'approvisionnement en denrées alimentaires qui impacteront le futur de toute autre campagne militaire, en particulier sur de longues distances.

10. Il est dès lors conseillé aux agents sur place de mentionner l'ensemble de ces éléments au Gualintang et de porter à leurs attentions ces détails. Principalement, le Gualintang devrait chercher à développer son contrôle des grandes plaines agricoles du nord du pays et s'éviter, pour le moment, des campagnes militaires vers Zangian'h, mais aussi vers Tang'an et la côte. Si cela peut avoir un intérêt d'un point de vue commercial et logistique, de telles campagnes allongeraient trop les lignes du Gualintang tout en étant confronté au blocus imposé par les navires du Zijian. A l'inverse, le pont aérien entre Osthaven et Bonh-Zong permet le maintiens d'un cordon ombilical nécessaire tout en étant peu risqué.
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Ramchoures... Hens... Autant de noms aux sens variés et multiples pour les populaces à une échelle locale, mais qui demeurent finalement des expressions d'appartenance à des sous regroupement faisant parti d'un ensemble plus grand dont il est impossible de nier l'existence, car peu importe que l'on coure les steppes à cheval aux rythmes des saisons avec pour seul guilde la voute stellaire ou que l'on demeure dans les vastes cités fortifiées du sud de la région afin de profiter des échanges avec l'extérieur, chacun en son âme et conscience, au plus profond de lui même demeure un Ushong. C'est une réalité qui transcende les stériles querelles localisés, les rancunes millénaires de familles à familles et les intérêts avides de petits seigneurs de guerre dont le monde orbite autour de leur vision étriquée des plaines ensanglantées et des champs laissés en ruine par les excès de leurs vaines ambitions. Il y a certes des ethnies, mais il n'y a qu'un seul peuple, tout comme il ne peut y avoir qu'un seul empire. Cela a toujours été ainsi, qu'importe l'époque, envers et contre tout. Ce n'était pas la première fois que le Céleste Empire s'était brisé en mille morceaux face à ses contradictions et aux défis d'une ère, ce n'était guère plus que un nouveau chapitre d'un cycle se répétant encore et encore, un cycle aux phases constantes qui tel une horlogerie habilement réglée se succédaient mécaniquement en temps et en heure de manière inévitable. Un jour, les territoires disparates seraient réunifiés comme il se devait et s'engagerait une nouvelle ère de prospérité et de bienfaits qui durerait des décennies durant jusqu'à la prochaine crise... C'était ainsi, à moins que l'on n'use de ces nouvelles idées, de ces nouveaux concepts, importés d'ailleurs et réappliqués pour une durabilité accrue...

Tout n'était pas systématiquement figé dans le marbre, certaines variables étaient... Contrôlables dirait-on... Et c'était d'autant plus vrai lorsque la phase de réunification des Ushongs s'amorcerait, celle ci avait particulièrement tardé en réalité, s'étalant sur presque plus d'un siècle, mais plus longues et complexes étaient les épreuves, plus durable serait la prospérité retrouvée. Pour peu que les potentielles variables nuisibles soient évincées de l'équation. Le constat final demeurait le même, une action active était nécessaire afin d'arriver au résultat attendu car l'attentisme, la stagnation et le laisser faire du dernier siècle n'avaient guère eut d'effets sinon que d'aggraver plus encore la crise dont les conséquence se faisaient encore sentir à ce jour à travers tout l'Ancien Empire, que ce soit chez les sécessionnistes ou chez les loyalistes, les marches du Chandekolza n'en était-t-elle pas un exemple édifiant ? En proie à des famines perpétuelles et vouées à la précarité la plus odieuses en dépit de la propagande hargneuse des "nouvelles élites" qui ne faisaient que blâmer l'ancienne gouvernance impériale Ushong sans jamais trouver de solutions durable pour sortir leurs terres et leurs sujets des malheurs qui les accablaient. Et que dire de la Ramchourie, meurtrie et divisée par les ambitions d'une poignée, se vautrant dans des guerres civiles sans fins qui ne faisaient que ravager chaque année les terres et maintenir le peuple dans une pauvreté endémique transmise de génération en génération toujours en s'aggravant à mesure que les conflits internes se faisaient toujours plus violents et toujours plus incohérents, promouvant une violence insensée devenue elle même cyclique.

Pire encore, car cette fois ci, les Seigneurs de Guerres s'étaient métamorphosés en marionnettes dont les fils à peine invisibles filaient droit hors des frontières et remontaient à de lointains pays sur d'autres continents, des étrangers, ceux là même qui avaient entretenus les divisions et bâti des empires sur la ruine des nations du Nazum fut une autre époque, ces mêmes profiteurs qui confiants dans leurs vieilles méthodes étaient de retour afin d'installer un homme ou une femme de paille utile à leurs agendas et qui ne servirait qu'à acquiescer à la moindre de leurs demande... Les ancêtres des Ramchoures devaient sans doutes se retourner dans leur tombe en constatant avec horreur cela depuis l'au-delà. Ces derniers s'étaient soulevés pour "briser les chaînes de l'oppression Xin", le mal facile que l'on accusait de tous les malheurs et de tous les méfaits par habitude et raccourcis comme à chaque fois que le Mandat était descendant suite aux caprices du destin ou à une série de décisions aux conséquences calamiteuses. Et voilà que leurs héritiers, leurs descendants, les décideurs de cette ère se prostituaient volontairement et sans vergogne à des puissances voraces qui n'avaient nullement leurs intérêts à coeur par bonté d'âme. Qu'elle délicieuse ironie, et qu'elle tristesse aussi.

Certains pourraient arguer que le Céleste Empire de la Dynastie Xin était dans une situation similaire, contraint d'ouvrir ses ports aux Velsniens, entretenant des relations ambiguë avec un Grand Kah que tout opposait idéologiquement au Mandat Céleste, dispersant sa diaspora aux quatre coins du monde quitte à couper les ponts avec une partie de leur racines pendant un temps. Des choix durs, fait pour la plupart la mort dans l'âme, mais nécessaires et assumés pleinement. Il n'y avait pas d'hypocrisie dans cette démarche, pas de déni pur. L'empire était dépendant de ces liens qu'il tissait, et dont l'usage habile et la manière d'en récolter les fruits déterminerait son avenir de manière significative, les Nobles comme les Wang ou les Eunuques et ce jusqu'à l'Empereur lui même en dépit de son jeune âge en étaient tous pleinement conscients. C'était un pacte avec le diable qu'ils faisaient en leur âme et conscience, à la différence que ledit pacte avait été fait selon leurs termes, de leur fait, et qu'il était sous contrôle. Là où les Seigneurs de Guerre Ramchoure n'avaient aucune prise sur leur destin et se voyaient portés par les caprices de leurs nouveaux maîtres s'ils ne voulaient pas disparaître face à leurs concurrents.

Mais la pièce n'était pas actée, la finalité déjà décidée, le destin n'était pas figé dans le marbre. Les sacrifices des Xins n'avaient pas été vains et une nouvelle fois les concessions faites à l'étranger se révélaient comme étant une période compliquée passagère, le Mandat, de par ses performances économiques, sa prospérité et sa croissances connaissant un nouvel essor et une démographie en hausse conséquente, redevenu réellement et purement Ascendant. Ce qui concrètement signifiait qu'il disposait désormais à nouveau d'une marge de manoeuvre, certes encore limitée, mais qui plus le temps passerait, se diversifierait et augmenterait en conséquence. Et quoi que l'on en dise, le Trône du Dragon était tout sauf insensible aux souffrances de ceux là même qu'ils considéraient comme ses sujets, comme des Ushongs, fussent-ils perdus et trompés par les serpents de l'ère. C'était le rôle du Mandat que de protéger et d'assurer la prospérité du Peuple, son devoir le plus sacré sur lequel se fondait sa légitimité, la source de son Ascendance. Et alors que l'anarchie se perpétuait, que de nouveaux acteurs opportunistes apparaissaient chaque jour de plus en plus, l'heure d'agir était venue. Avec tact, avec sagesse, avec les intérêts du peuple à coeur. Ce afin de démontrer ses bienfaits, mais surtout afin d'assoir sa légitimité à nouveau et de reprendre pied, un pas après l'autre, dans la Ramchourie avec pour objectif claire et assumé de ramener cette province perdue et désorientée en proie aux assauts des vils dans le Giron de l'Empire qui serait à même de la protéger.

Pour se faire, il y avait un début à tout et solidifier des assises déjà existantes apparaissait comme une stratégie initiale optimale pour les penseurs de la Cour de Beiyfon. Pour ce faire des actes en apparences anodins devenaient le commencement de quelques choses de plus grands, ainsi cela débuta par l'envoi d'un Héraut Impérial à la Clique de Xun, auprès du dénommé Xuan Shi, une action en apparence quelconque mais qui était hautement significative et pleine de sens, car cela faisait pour ainsi dire presque un siècle que les discussions entre Beiyfon et les gouvernements successifs de la Ramchourie ou de ses morceaux en guerres civiles multiples avaient été coupés, pour la première fois depuis plus d'un siècle le Trône Impérial accordait son attention à l'un d'eux. Le symbole était fort, car cela pouvait clairement se traduire comme une reconnaissance affirmée de la légitimité de l'intéressé qui concourrait pour la réunification de la province.

Malgré tout cela ne demeurait qu'un incipit à une Histoire encore à l'écriture, le commencement de la prochaine phase du Grand cycle, l'ouverture de quelque chose de plus grand et vaste qui allait se poursuivre, s'accentuer et s'accélérer dans les mois à venir. Et en effet, le Héraut s'il fut le premier ne fut pas le seul geste, quelques semaines plus tard ils arrivèrent, passant la frontière. Les ombres des pneus battant les routes encore rustiques qui reliaient toujours la Ramchourie aux nouveaux réseaux d'infrastructure du Céleste Empire dont de grands axes bétonnés couraient désormais les campagnes afin de relier les centres urbains de première comme de moindre importance. Des files de camions avaient commencés à aller et venir, d'auguste transporteur qui ne perdirent en provenance de la Vallée de la Yongzue et qui répondaient à un ordre direct du Trône du Dragon, une expression de la volonté du Mandat Céleste qui fut transmise par le Héraut Impérial à la Clique de Xun en ces termes : Il a été proclamé que le Céleste Empire ne laissera pas le bon peuple à sa détresse, et que les corps comme les âmes se verront offrir satiété, ainsi l'Empire des Ushongs soutenant ses frères comme ses soeurs, ses fils comme ses filles, fera tout ce qu'il est en son pouvoir pour épargner les risques croissants de famine qui menacent de plus en plus à mesure que les opportunistes et les serpents sans morale ravagent les campagnes pour leurs vaines ambitions matérialistes.

Bien que cela ne concerne que la Clique de Xun, c'était là aussi un geste fort, la Loyauté se voyait récompensée, mais surtout cela servait de démonstration des capacités renaissantes de l'Empire dont la Vallée de la Yongzue, le Grenier à blé historique du pays, qui avait pourtant subit une crue dévastatrice il y a quelques années et des taux de productions déclinant se voyait à nouveau à même d'inonder de denrées et de vivres non seulement la Province de la Capitale Impériale mais aussi la Ramchourie même. Et ce via des excédents considérables que l'on devait aux réformes menés implacablement par le Trône et ses exécutants qui avaient métamorphosés, autant par les changements de normes que par les investissement et l'introduction des technologies modernes usités ailleurs, le paysage agraire. Le constat à faire aux yeux de cet étalage de richesse et de cette bienveillance dans la continuité du souvenir de l'unité impérial était très simple. Le Mandat était Ascendant à nouveau et entendait faire rayonner dans sa gloire et sa prospérité retrouvée tout ceux qui voudraient le réintégrer. Et bien évidemment, au delà de ces considérations hautement symboliques qui étaient pensées pour chambouler les opinions et rebattre les cartes de la vision que l'on avait du gouvernement Impérial, il y avait aussi tout l'enjeu stratégique de la chose. Après tout en temps de guerre, l'approvisionnement en vivres était un enjeu majeur pour ne pas dire le fondement sine qua non à toute campagne se voulant avoir la moindre chance de débuter, autant car cela permettrait d'assurer la subsistance des soldats, mais surtout cela apaiserait sur le long terme les risques d'instabilité dû à une confiance du peuple potentiellement chancelante. Après tout, des sujets nourris étaient moins à même de se soulever et accorderaient sans doutes un soutient encore plus grand à un éventuel retour planifié dans l'Empire. De surcroit, sur le long terme il y avait fort à parier que les localités ci et là, qui verraient la prospérité voisine de la Clique soutenue par la puissance agraire impériale, deviendraient envieuses et tendraient à basculer progressivement elle aussi vers des positions favorables aux intérêts de l'unité impériale.

En d'autres termes, le coup avait de multiples enjeux et objectifs, mais il était assurément puissant et s'inscrirait sur le long terme dans une position très favorable pour la suite des opérations.
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Morel par le verbe créait la fiction d'un autre Gualintang, qu'il définissait et élargissait d'une même phrase, du même geste. Il avait par le passé définit les contours de Nordlig-Kors ou de la Translavie, ses fleuves comme autant de frontières. Morel mentait comme mentent des historiens ou des politiques, décrivant par choix la réalité qui leur semblait la meilleure alors qu'il s'étendait en description dans le palais de Bonh-zong. Pendant plusieurs semaines, parfois même plusieurs fois par jours, il s'occupa de dessiner à l'élite de la capitale locale, aux commandants militaires et aux héraults d'Arakatur ou de Guandiya. Il améliora son art en copiant les maîtres, en appliquant les corrections, en modifiant une ponctuation trop prononcée sur cette phrase, en corrigeant une pause ici trop longue, debout devant des cartes du pays, ou assis à la bibliothèque à tracer des lignes entre des villes. Il dessinait des flèches, des décompositions organiques, puis cela l'ennuya : se pensant César il reproduisit des plans de batailles, des opérations par dizaines, tout ce qu'il pouvait imaginer. Quand un commandant ou dirigeant se montrait trop pointilleux, ou trop ignorant, alors il ne dessinait pas et se contentait du verbe, simple, pur. Morel n'avait en réalité rien pensé, rien inventé, rien imaginé. Il n'était que la parole d'un esprit étranger, confortablement installé dans quelques bureaux tanskiens.

A l'autre bout du monde, quelques conseillers pensaient et imaginaient la suite de l'influence tanskienne au Gualintang, mais aussi la suite à donner à la guerre civile. Tanska ne poserait pas les pieds à quelques rares individus prêt, alors l'expérimentation était de mise. Morel, appuyé de quelques rares informations et détails fournit par Aranja et d'autres au détour de verres d'alcools locaux, fournissait lui du contenu indispensable. La personnalité d'un maire ou d'un commandant, l'état précis d'une route dont il avait entendu parlé, les prix du blé dans cette ville "frontalière" qui se discutait à Bonh-Zong et autant d'informations que l'expert d'ailleurs ou le satellite d'au-dessus ne pouvait capter. Il tapotait régulièrement, se pensant agent secret, faiseur de roi ou génie militaire. Il en rythmait ses journées, de ses conseils et de ses grands gestes de main. Il donnait vit aux cartes dans leurs marges et par les croquis, attendant patiemment le retour, fusse-t-il favorable, des véritables penseurs militaires de l'autre côté de la Terre.

La décision avait été prise, elle venait d'en haut et n'impliquait pas d'importants moyens matériels ou humains. Elle plaçait seulement Morel sur un échiquier dont il se sentait le roi et la reine, l'indispensable et le puissant, les autre n'étaient que les fous ou les cavaliers. Dans quelques jours, peut être semaines, les appareils disposés en Caratrad et en Faravan reprendraient leurs petits balais, leur saute mouton. L'opération Leapfrog reprendrait vie dans un but bien précis. Le Gualintang recevrait de quoi se déplacer, et se déplacer vite pour arpenter les terres arides du nord. Telle était l'idée qui était née à Norja. Point question d'aller chercher Yanmang, Ur-batur ou même Luoming pourtant située non loin des premières positions du Gualintang. Non, le génie, pensait-il, était ailleurs, et il était plus fourbe. L'idée résidait dans l'original.

Depuis quelques semaines, Morel développait auprès de l'élite du Gualintang une pensée qu'il n'avait donc pas imaginée mais qu'il maitrisait néanmoins. D'un ton sur mais non moins pédagogue, il s'attaquait aux batailles des dernières années. Critiquait la prise de la capitale, démontait point par point les logiques de grands affrontements et s'adonnait à ce qu'il appelait sobrement la subtilité de la guerre. Les Tanskiens fourniraient quelques véhicules rapides, au nombre limités et à l'armement restreint sinon inexistants, lui les formations et les conseils, le Gualintang les hommes et les armes. Pour autant, même si Bonh-Zong devait être attaquée, sa défense ne serait pas la priorité.

Un soir, dans un long exposé de plus d'une heure dont il avait lui-même la recette, il s'adonna, du haut de sa chemise en lin bien rentré aux manches retroussés, à une leçon d'art de la guérilla et de la contre-campagne. L'idée était simple et il la résumait souvent simplement : laissons les contrôler les villes, contrôlons les campagnes. La concentration des forces s'achevaient et la dispersion débutait. L'affrontement frontal s'évitait et s'entamait la petite guerre, plus subtile. Il n'était pas question de ne pas se battre, mais de mieux se battre répétait-il régulièrement. En cela, la préparation tout autant que la préparation était clé. ironiquement, tant pour lui qu'aux hommes et femmes auprès de qui il donnait cours. L'arrière base montagneuse du Gualintang, les reliefs montagneux du Grand-Sun et du Grand-Daô serviraient à autant de refuges que nécessaires et la concentration dans les villes serait à éviter. Dans l'offensive qui serait menée au nord, lancée par les quelques unités prochainement formées, il l'espérait mais n'osait s'en assurer, les villes ne seraient pas la destination. Pour Morel comme pour d'autres, la classe guerrière et politique ramchoure avait ceci d'avantageux qu'elle était obsédée par la ville. Centre de pouvoir, centre démographique ou économique mais aussi de légitimité, la ville restait la quête première. Mei-Li, s'était ainsi emparée de Zangian'h, une bonne chose pensait-il. Ainsi, au Gualintang comme dans les autres régions, point de raison d'abandonner les villes, mais une infinité de raison de s'en prendre aux villes des autres. Au nord plus particulièrement, terre en partie désertique, seule les villes semblaient intéressantes. Pour Morel, convaincu du bien fondé de ses supérieurs, cela n'était pas le cas.

Il faut se dire qu'il y avait, en ce début d'année, une forme d'ironie sinon de comédie à observer ce curieux personnage, dominant par sa taille son auditeur, tenter de leur apprendre la façon réelle de mener une guerre quand lui-même n'avait jamais su tirer. Il testait sans doute ici les sommets de son art oratoire, les limites de sa conviction personnelle, atteignant en cela l'apogée de l'idée qu'il se faisait de sa personne. Le Gualintang ne chercherait point les villes du nord mais s'installerait dans les déserts et les campagnes, et surtout sur les routes. L'ennemi disait-il régulièrement, ne saurait aller se battre pour un désert, et donc pour ne rien défendre. Chaudement et confortablement installé dans ses villes, il attendrait l'assaut qui ne viendrait pas. Les villes, une à une, seront coupées les unes par rapport aux autres comme autant de petits ilots séparés par les flots. Lentement mais surement, aidé par la mobilité, les force du gualintang s'installeraient sans être trop nombreuses sur les routes et les villages. L'absence de concentration rendrait selon Morel toute action de masse inutile. Plusieurs centaines d'hommes envoyés prendre un village à l'ouest de Yindao et seulement quelques adversaires à affronter. Progressivement, les communications se feront plus rares, les rotations moins nombreuses, les concentrations adverses aussi. Un à un, les fruits muriraient. Alors, le gros des forces du Gualintang récupèreraient les fruits, un à un, réunissant ville après ville des masses critiques que l'ennemi ne pourrait opposer. Sortir d'une ville pour en défendre une autre reviendrait à l'abandonner. Défendre les campagnes autant que les villes et les seigneurs de guerre locaux et autres citadins notaires auront l'impression de dépenser hommes et moyens pour quelques rares fermes et villages. Au plus haut point de sa description, Morel s'attendait à quelques envolées sur la révolution militaire qu'il proposait vers un parterre de Ramchous. "Ne défendez pas villes si elles sont attaquées, enfermez-y l'ennemi", répéta-t-il plusieurs fois. Il n'était pas sans dire qu'il jouait la sa réputation tout autant qu'il pouvait parfois jouer sa vie.

A quelques bonnes distances de là, sur quelques pistes d'aérodromes, s'entassaient dans des avions des palettes de matériel médical, de sacs de blés et de riz, et, de temps à autres, une petite voiturette blindée dont on avait soigneusement, sur chaque pièce moteur et vitre, retiré chaque mot un peu trop tanskien. L'opération Leapfrog allait pouvoir reprendre.
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Vengeance froide :

En Eurysie ou au Nazum, l'usage d'armes chimiques à la guerre est un crime contre l'humanité et ceux qui en font usage doivent être exclus au ban de l'Humanité.




Le ciel était d'une couleur jaunâtre autour d'elle, une couleur qui n'avait rien de naturel et qui avait tout de l'artifice. Loin du rouge délavé de ses cauchemars ou du noir terrifiant des nuits les plus sombres qu'elle avait vécu, ce jaune presque banal, trop humain, lui portait au cœur une forme de familiarité mal placée, une gêne qu'elle n'arrivait pas à dissimuler face au remplacement massif du ciel, panorama du divin et du céleste, et désormais abîmé par la main de l'Homme. Ce n'était pas naturel et elle le sentait. Elle prit son courage à deux mains et baissa les yeux. Une vaste plaine, dépourvue de relief, presque irréelle. C'était une plaine qui s'étendait à l'horizon, sans aucune montagne en fond, aucune rondeur de terrain ; le paysage autour d'elle était aussi plat qu'une feuille de papier vierge. Cette plaine, vide de toute vie en dehors de l'herbe et des quelques criquets qui jubilaient autour d'elle, disparut à son tour dès qu'elle cligna des yeux pour être remplacée à son tour par un paysage de terreur. Elle y était de nouveau, encore, toujours, contre son gré. Non, c'était pas possible. Une fois de plus, le village de Pieg-Mon se dressait face à elle et autour d'elle, ce n'était pas juste des bâtiments qui s'érigeaient mais de véritables structures macabres, des montagnes de cadavres dont l'horreur n'était descriptible que par les profondes mutilations engendrées par les éclats d'obus et les balles qui lacèrent la chair comme une hache coupe le bois. Certains cadavres sont parfois incomplets, une jambe manque à l'appel, parfois un bras et d'autres encore n'ont plus qu'une tête sur laquelle prouver leur jadis existence matérielle dans ce monde. Et elle était là, au milieu de tous ces morts, elle qui n'avait pas plus de mérite que tous ces hommes, qui ne devait sa survie qu'à sa condition féminine et au machisme de la société dans laquelle elle a grandie, forçant celle-ci à servir uniquement comme infirmière sur le champ de bataille, alors même qu'elle savait se battre. Elle qui avait juré à la cause comme tant d'autres, avec une ferveur révolutionnaire qui égalait voire surpassait bien davantage celle de ses compatriotes, se voyait survivante d'un des plus horribles massacres que la Ramchourie a connu depuis le début de la guerre civile. Elle avait mérité sa place au Valhalla des grands héros de la Révolution, elle aurait pu mourir auprès des siens mais au lieu de cela, elle est restée vivante, indemne, elle a survécu là où des hommes aussi valeureux qu'elle ont faillis et son morts dans d'atroces souffrances. Alors qu'elle se lamentait sur son sort, qu'elle découvrait avec stupeur l'injustice de sa propre survie, ses poumons crachotèrent. Une odeur, insupportable, se propageait absolument partout ; une odeur si dense qu'elle ressentait que l'air devenait lourd et peut-être plus pesant encore que ses propres remords, au point de rendre le vide de ses vêtements imbibés d'une substance immatérielle mais bien palpable. Ses muscles devenaient encore plus lourds, elle avait du mal à rester debout et sa respiration devenait erratique. C'était donc ça, l'enfer ? L'impuissance, le remord éternel, l'absence de sentiment salvateur qui pourrait alléger nos consciences ? Elle ne souffrait pas le martyr, elle était mise face à ses propres contradictions, à son propre Narcisse, comme si quelqu'un l'a tenait par les cheveux devant un miroir et lui chuchotait : "Regarde, regarde à quel point tu as l'air détestable. Tu ne mérites pas de vivre et te voilà pourtant encore vivante."

Si elle était aussi détestable que ça, alors elle devait disparaître comme les autres. Elle rejoindrait les grands héros anonymes de l'Histoire, ceux qui ont crus en une justice équitable, en une Révolution salvatrice qui sauverait ses compères, sa famille et ses amis de la pauvreté, de la tyrannie et des maladies. Elle ne cherchait la gloire que dans l'accomplissement de quelque chose de supérieur à elle, elle avait accompli ce rôle selon elle. Pourquoi aller plus loin que ça ? Tant que sa mort servait un temps soit peu à la cause dont elle s'est tant démenée...et si cela peut alléger son propre fardeau. Il n'y a pas de mal à ça. De sa poche, elle s'apprête à saisir un revolver, elle était prête à en finir. Puis soudain, une main vient saisir le bas de sa veste, une main profondément crispée, ensanglantée, à peine discernable d'un autre bout de chair quelconque. Elle tourna la tête vers cette main et vit, allongé sur le ventre, un homme en uniforme. Sur le bras tendu vers elle, elle pouvait discerner le brassard de l'ASLT mais ce ne fut pas ce détail anodin qui retint son attention. Elle regarda le visage de l'homme allongé devant elle et reconnut instantanément son père, le regard déformé par la peur. Une partie de son crâne avait disparu, on pouvait distinguer sur les bords de sa blessure mortelle des bouts de cuivre de l'éclat d'obus qui lui a été fatal. Pourtant, il était encore là, vivant. Elle commençait à voir trouble, ses yeux commençaient à être imbibés de larmes, lui bloquant la vue. Son père, son héros, l'homme qui lui enseigna la justice, l'égalité et le pardon ; un homme bon, qui ne méritait pas de mourir ainsi, qui avait toujours considéré sa fille comme le joyau triomphal de sa vie, comme la lumière de son existence et le sens de sa matérialité. Comment se faisait-il qu'il était là ? Elle regardait la bouche de son paternel gesticuler, elle n'entendait que des marmons, à moins que ses oreilles étaient bouchées. Elle ne comprenait rien à ce qu'il disait, c'était une suite d'onomatopées incompréhensible. Elle, avait la bouche bée, incapable de dire le moindre mot, sidéré par la situation horrifique à laquelle elle faisait face. Puis elle eut le courage de sortir un mot de sa bouche :

"Papa..."
Soudain, tout devint clair, elle entendait distinctement, son corps était moins lourd, l'effet du gaz autour d'elle s'estompait autour d'elle, bien qu'il restait présent et continuait de gêner les mouvements de son corps. Son père prit une voix grave :

"Ren, écoute moi ! Tu dois fuir !
- Papa, je...
- Ne discute pas ! Va-t-en, rien ne t'attend ici à part la mort et la désolation ! Ne meurs pas ! Fuis, sans te retourner !
- Non je ne peux pas...
- DEGAGE NOM DE DIEU !
"

Elle se redressa brusquement. C'était contre sa volonté. Non, elle ne voulait pas le laisser là. Elle ne pouvait pas abandonner son père, elle s'était promise de protéger sa famille du mieux qu'elle pouvait dans cette guerre fratricide. Pourtant, son corps, lui, avait visiblement fixé ses impératifs à la place de son esprit et commença à marcher à reculons du village. Plus elle reculait, plus elle reprenait son souffle, plus son corps s'allégea et ses larmes sur ses joues séchaient. Mais elle ne voulait pas : qu'importe la souffrance causée, elle voulait rester auprès de lui, elle n'avait pas le droit de l'abandonner à son sort. Alors qu'elle reprenait le contrôle de son corps, qu'elle souhaitait à nouveau avancer vers lui, elle rassembla toutes ses forces pour tendre le bras vers le village, vers son père dont elle distinguait à peine la figure fracassée au milieu du sang, des morceaux éparpillés de chair et de boyaux qui recouvraient le sol. Mais qu'importe, sa volonté ramenait Ren vers lui. Alors qu'elle était sur le point de courir vers lui, elle s'écria :

"Non, attends, je ne vais pas t'abandonner ici ! Papa ! PAP-"

Elle se réveilla brusquement, droite comme un piquet sur le lit sur lequel elle dormait. Son cri de terreur à son réveil avait dû attirer l'attention car quelques secondes seulement passèrent qu'un homme s'approcha d'elle et s'agenouilla à sa gauche.

"Ren, est-ce que ça va ?"
Elle reconnut immédiatement son officier Ivan, ses traits visiblement inquiets comme d'habitude. Bordel, c'était pas le moment de flancher. Elle fit un geste de la main pour balayer son air angoissé pour se retourner vers Ivan, d'un air semi-confiant qui devait masquer la terreur de son visage :

"Oui, bien sûr, lieutenant. Comment je pourrais aller mieux ?
- Je vois. Ne vous surmenez pas alors.
"

Ivan se releva pour aller au niveau de la fenêtre, rejoignant les autres camarades de Ren en train d'observer depuis la fenêtre l'extérieur du bâtiment qui abrite le gouvernement et l'état-major de Dai Po. Elle se souvint de ce qu'on attendait d'elle : une des rares survivantes du massacre de Pieng-Mon, au départ une simple infirmière de combat, elle avait été une des premières à s'engager auprès des cellules résistantes survivantes de l'ASLT puis à s'engager auprès des Estaliens lorsque ceux-ci cherchaient des contacts locaux pour renverser Dai Po. Tireuse d'élite, on lui avait confié cette mission capitale de faire partie du commando d'assassinat du leader de la RPR et de l'éliminer, tout en commandant une dizaine d'hommes issus de la même cellule qu'elle pour diriger l'opération, le tout chapeauté par les Slaves qui les accompagnaient. On l'avait choisie parmi une centaine d'hommes pour faire d'elle un leader d'unité, dans une société alors fortement patriarcale, y compris chez les soi-disant communistes de la RPR qui ne voyaient pas davantage mieux le rôle de la femme que leurs rivaux si ce n'est dans des rôles purement traditionnels, dépourvues de tout rôle politique ou décisionnel. C'était osé de la part des Estaliens de la nommer à une telle position mais Ivan, celui qui incita le plus que Ren prenne les commandes de l'unité, avait argumenté en sa faveur : c'était la plus déterminée de tous, la plus intelligente, une des plus adroites au tir et probablement celle qui a le plus de rancœur sur Terre envers Dai Po que n'importe qui d'autre. Tous ceux qui avaient rejoints les Estaliens dans cette lutte clandestine étaient de grands brûlés, des gens qui en voulaient personnellement à Dai Po et à son régime sanguinaire. Tous avaient pour but d'abattre la Bête définitivement. Mais elle ne souhaitait pas seulement abattre la Bête, en elle résidait une résilience, une force meurtrière qui ne cherchait rien d'autre qu'une cible, qu'un but, qu'une quête salvatrice vers la rédemption et le pardon. Le cycle inévitable de la haine rongeait l'être tout entier de Ren et Ivan, ça, le savait très bien. C'était le pion idéal en quelque sorte. Elle se foutait bien de savoir qui les Estaliens allaient mettre à la place de Dai Po, quelle politique ils allaient mettre en place, quelle stratégie ils vont employer contre leurs adversaires au-delà des territoires contrôlés par les daiponistes. Tout ce qui lui importait, c'était la tête de Dai Po et de ses fidèles, ces criminels de guerre qui avaient gazés ses camarades, ses frères d'armes et sa famille, brisant tous les codes d'honneur de la guerre et vendant leur humanité au Diable, espérant que celui-ci soit suffisamment clément pour leur accorder la victoire. Ils se trompaient lourdement : la Justice frappe toujours, tôt ou tard. Le crime de guerre ne paie pas, jamais. Elle était l'arme de la Justice, elle n'avait vécue jusqu'ici que pour ça. Tout le monde l'appelait Ren Xuegang mais dans le fond, cette "Ren" était morte depuis longtemps, depuis que les premiers nuages de pestilence mortelle furent propagées au-dessus de ce maudit village. Rare spectatrice du massacre, son ancienne elle était morte avec les autres ; son ombre actuelle n'était que la représentation matérielle de l'esprit de ses frères d'armes tombés au combat pour sauver la Révolution, la cause qui serrait leur cœur à tous, afin de mettre fin à la dictature daiponiste. Morts pour une cause juste, ils ont droit en retour à la rédemption, au repos éternel. Mais pas tant que leur bourreau ne les as pas rejoints et subisse les flammes de l'Enfer à son tour.

Elle se leva alors, elle prit son fusil d'assaut et rejoint alors ses camarades. Ils allaient devoir bientôt bouger du bâtiment pour éviter d'être repérés. Bientôt, le bâtiment qui leur faisait face brûlerait, au même titre que ses occupants. Elle imaginait déjà le massacre, les âmes des daiponistes écorchées par le feu ardent, le même qui sauvera la Patrie de leur tyrannie. Qu'importe le reste, elle allait faire subir personnellement à ces monstres ce que ces derniers avaient fait subir à ses camarades. Alors que l'équipe s'apprêtait à partir, elle chargea dans son treillis quelques grenades qui traînaient sur la table de la salle. Les grenades portaient des descriptions en cyrillique, complètement incompréhensibles pour la quasi-totalité des Ramchoures, y compris pour les équipes faisant front commun avec les Slaves venus les épauler. L'inscription marquait en gros Novitchok (A-234) ; une signification que seuls les Estaliens et Ren connaissaient. Pourquoi l'avaient-ils informée ? C'est simple : c'est elle qui en a eu l'idée.
1106
Déploiement Lav P'iri en Ramchourie. CONFIDENTIEL.

Objectifs : Retrouver Temüjiin Shagdarsüren et neutraliser les dernières forces fidèles à ce traître.

Matériels déployer :

Humain :
- 20 ALI niveau 11 --- 20 soldats professionnels, faisant partie de la Communauté des mercenaires arméniens.
- 20 ALI niveau 11 --- 20 soldats professionnels, faisant partie de la Communauté des forces défensives géorgiennes pour la défense des nomades.
- 5 agents secrets faisant partie de la Communauté des forces secrètes persanes.
- 3 apothicaires faisant partie de la Communauté des médecines turciques.
- 2 médecins faisant partie de la Communauté des cliniques et hôpitaux des Quatre Vallées.

Transport terrestre et matériel utile :
- 45 chevaux.
- 1 véhicule blindé niveau 1, transportant 2 mitrailleuses lourdes niveau 1, du matériel médicale, du matériel en cas de panne, de la nourriture, de l'eau et du matériel utilisé par les espions.
- 1 véhicule radar niveau 3.

Transport aérien :
- 1 avion de transport tactique niveau 1.
- 1 hélicoptère de transport moyen niveau 2.

Les espions Lav P'iri seront transportés dans l'hélicoptère de transport moyen en partant de l'aéroport de Dzyun Tovli pour atterrir à Yanmang. Quelques jours plus tard, le reste du déploiement fera le même trajet en utilisant l'avion de transport tactique.
2673
La chasse aux amis d'antan.


02/05/2017

Majid Khoshkam découvrit Dzun Tovli pour la première fois. La statue de la reine-mère des Quatre Vallées surplombait la ville. Il était impressionné par sa taille, mais il ne l'était pas pour sa symbolique. Ses ancêtres étaient arrivés dans la vallée du Yucesoy, en provenance de l'île d'Angoran, après les faits d'armes de la Générale Azaria Bokuchava. Elle ne représentait rien pour lui. Au pire, elle représentait l'excuse, pour certains, d'exploiter et de discriminer son peuple. Mais bon, peu lui importait maintenant, le Code Communautaire s'était ériger et avait gagner dans le but de mettre un terme aux conflits ethniques. Majid était petit lors de la guerre d'Arakhamia, mais il avait assez de souvenirs déchirant pour soutenir cette démarche avec insistance. Tout le reste ne l'intéressait pas. Il s'était engagé dans la Communauté des forces secrètes persanes, affilié au Code Communautaire et se battais depuis quelques années, chez lui, dans le but de détruire les ennemis de cette institution.

On l'avait convié en ce jour à la capitale pour lui confier une mission spéciale. Son dévouement pour la cause de l'apaisement ethnique et son efficacité avait poussé l'état-major à l'appelé pour coordonner cette mission d'importance. Lui et quatre de ses camarades avaient été choisis spécialement pour effectuer une mission hors du territoire des Quatre Vallées. Tous furent stupéfaits par cette annonce. C'était la première fois que le Code Communautaire allait se mêler des affaires des autres. Pour une fois, que ce n'étais pas l'inverse. C'était tellement improbable que Majid n'avait jamais pensé à accomplir son destin hors de ses frontières. Cette perspective l'emplissait de joie, d'autre peuples avait besoin de lui, le sien étant maintenant largement épargné par les injustices ethniques. Pour renforcer sa légitimité à l'international le Code Communautaire avait décider de s'impliquer indirectement dans la guerre civile Ramchoure. En soutenant le Confédération, il soutenait officiellement les causes des minorités ethniques face à l'impérialisme et haine injustifiée que subissent les Ramchoure nomades du Nord. Son chef, Seun-Li, avait été contactés par le Code Communautaire et des liens d'amitié ont pu être tissés, notamment par un investissement Lav P'iri sur le sol de la Confédération. L'éminent Seun-Li prônant la défense des frontières actuelles, avait été préférer à son ancien camarade Temüjiin Shagdarsüren prônant la conquête de la capitale Zangian'h le plus rapidement possible. Le Code Communautaire considérait, au vu de la puissance du Royaume Constitutionnel, qu'une défense solide épuisant les troupes ennemies était plus efficace sur le long terme qu'une attaque directe qui avait très peu de chance d'aboutir. Toutefois, le but du déploiement des cinq espions dirigé par Majid n'était pas de tuer Temüjiin Shagdarsüren. Premièrement le but était de le retrouver car il s'était cacher au Nord du pays et deuxièmement il fallait discuter avec lui pour essayer de le rallié à notre cause. En cas d'échec, il fallait le capturer, en utilisant la force si nécessaire...
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