
Que la Paix d'Allâh soit sur vous.
Excellence,
Je vous remercie pour la missive sincère et argumentée que vous m'avez fait parvenir ce matin, qui témoigne de l'élégance de la diplomatie teylaise. Aussi je ne saurais que confirmer avant toute chose que nous respecterons toute discrétion au sujet de l'annonce que vous m'avez faite en exclusivité, et que nul n'en sera par nous informé, qu'il s'agisse d'un Etat tiers ou de représentants de la société civile. Nous laissons le soin à l'Organisation des Nations Démocratiques de prévoir le nécessaire pour la mise en oeuvre de sa décision souveraine. Jamais l'Azur ne se rendra responsable d'avoir rompu la confiance avec ses estimés partenaires.
Je souhaite aussi par la présente, préciser certains éléments de notre échange afin que nous puissions nous entendre limpidement sur les intentions réelles du Califat constitutionnel d'Azur, qui, si j'en comprends vos propos, demeurent incomplètement comprises par votre Excellence et, de façon suivie, par les Etats membres du Conseil Militaire.
Je ne saurais proférer à l'égard de votre Excellence des « mensonges. » Mes interrogations se basent sur une lecture extérieure des événements, certes sans doute incomplète, mais néanmoins attentive ; elles ne consistent absolument pas en accusations ou incriminations, ce que le Diwan n'a pas fait ni en privé, ni en public. La qualité des réponses que vous avez apportées démontre que les interrogations que j'ai émises sont légitimes.
Je vous confirme que l'Azur ne s'estime aucunement « directement concerné » par la guerre à Carnavale, au-delà de son intérêt légitime pour un conflit à haut risque chimique pour ses partenaires au sein et à l'extérieur de l'Organisation. Aussi, nous ne saurions que solliciter des informations et faire part de nos réflexions à nos partenaires. Vous n'avez d'ailleurs constaté aucune tentative du Diwan de s'immiscer dans le conflit et dans sa résolution, qui n'est malgré tout pas si éloigné de notre continent, l'Afarée, en raison des liens évidents et profonds qui lient Carnavale à son entité coloniale cramoisiste. Je suis naturellement reconnaissante à votre Excellence d'avoir apporté des informations précises et argumentées aux questions de l'Azur.
Je dois néanmoins vous narrer la perspective azuréenne sur le conflit à Carnavale, non pas dans sa dimension d'élimination d'une menace mortelle, qui est, vous le savez, notre compréhension commune justifiant les opérations de l'Organisation ; mais dans sa dimension récente, en particulier depuis que Madame Castelage, héritière d'une des grandes maisons capitalistes et porte-parole autoproclamée des autorités carnavalaises, a demandé l'intégration de Carnavale au sein du Grand-Kah, en plein conflit, donnant aux affrontements de nouvelles perspectives effroyables.
L'Azur n'a pas encore précisé sa position sur cette question, qui comme vous l'avez malgré tout rappelé, ne nous regarde pas au premier chef. Nous nous abstiendrons, sauf si la situation explose, de commenter les affaires intérieures à Carnavale et entre les acteurs de cette scène que sont les Etats membres de l'Organisation, la Principauté ou ses autorités putatives, et désormais le Grand-Kah qui a, je le crois, l'intention de donner suite à cette requête de Madame Castelage. A titre privé, je vous informe cependant que le Diwan observe avec une grande surprise cette manoeuvre inédite et contradictoire de la part de Carnavale. Néanmoins, le principe de réalité pose aujourd'hui que l'hypothèse d'un rapprochement entre le Grand-Kah et Carnavale est sur la table.
L'Azur ne peut totalement se désintéresser des affaires du monde, et, s'il ne s'y ingère pas ni n'y compte parader, est attentif aux problèmes de ses partenaires. L'Organisation des Nations Démocratiques bien entendu, mais également le Grand-Kah, qui est un partenaire important du Califat. Refusant de rompre avec ses bonnes relations le liant à tous ses partenaires, le Diwan est soucieux de ne pas voir la situation sur place dégénérer en une escalade diplomatique voir militaire entre le Grand-Kah et les Etats membres. Nous ne nous interposerons cependant pas, sauf si la situation devenait extrême ou si nos partenaires requérraient un médiateur, charge que nous ne convoitons absolument pas, et que nous laisserions d'ailleurs plutôt à de grands Etats eurysiens qui auraient la préférence des parties concernées. Demeure notre inquiétude de cette confrontation entre deux grandes puissances auxquelles l'Azur est lié : l'Organisation et le Kah. Le Diwan ne souhaite pas se voir contraint de renoncer à l'un ou l'autre de ces partenariats.
Le Diwan demeure circonspect face au terme polysémique d'« opération humanitaire », dans lequel il entend surtout « opération. » Selon son expérience, la réussite de toute oeuvre humanitaire réside dans la bonne coordination des acteurs qui y participent, et cela demeurera je le crois la position de l'Azur en toute matière humanitaire : la coordination doit toujours être la plus large possible, et les opérations humanitaires unilatérales sont par nature suspectes à nos yeux. Nous n'avons donc aucune sympathie particulière malgré les bonnes intentions affichées par les auteurs de telles opérations, tant qu'un cadre basé sur la coopération ne garantit pas le caractère « humanitaire » plutôt que politico-stratégique de ces « opérations. » Les affaires de la politique et de la stratégie ne sauraient se dissimuler euphémistiquement derrière des impératifs humanitaires. L'Azur en tous cas n'y recourra pas ; nous n'avons pas honte de notre épée, et de faire la guerre, sans épithète humanitaire, quand elle est juste. Aussi, l'Azur ne fait pas partie des Etats qui applaudissent aux intentions humanitaires du Grand-Kah, tant que celles-ci ne sont pas coordonnées à une oeuvre humanitaire globale.
Vous disposez à présent d'éléments complémentaires sur notre perspective qui, je l'espère, éclairent à vos yeux les intentions de l'Azur quant à ce dossier compliqué. Je me permets de croire que la perspective azuréenne que je viens de décrire est en réalité partagée par un très grand nombre d'Etats, qu'ils se trouvent en Eurysie, au Nazum, en Afarée ou ailleurs, et qui, sans intention de s'ingérer dans ce conflit épineux, et néanmoins soucieux d'éviter une nouvelle attaque criminelle de la part de Carnavale, considèrent avec circonspection le caractère « humanitaire » des activités dans un pays saturé par la pollution chimique et les idées exterminatrices, avec appréhension l'immixion du Grand-Kah sur la scène carnavalaise, et avec terreur l'idée d'un emballement entre les acteurs sur place.
Le dernier point concernant la présence d'agents azuréens à Carnavale sera résolu par notre décision de les mettre immédiatement à l'abri. N'étant pas membre du Conseil Militaire, l'Azur ne saurait intégrer l'initiative One Eye et mettre en oeuvre un partage systématique de renseignements avec le Conseil Militaire. La possibilité d'un partenariat en matière de renseignement est cependant toujours ouverte de notre côté, dans des coordonnées respectueuses de nos intérêts mutuels. J'attire votre attention sur le fait que l'Azur a déjà joué un rôle positif vis-à-vis du Conseil Militaire en matière de renseignements, en déployant quelques unités à Estham afin de renforcer le contre-espionnage local après le bombardement. Les autorités de l'Empire du Nord, averties de cette coopération bénévole, sauront vous confirmer cela.
La transparence entre nous est gage d'une bonne relation, capable de s'étoffer et de se renforcer, et de traverser les écueils de la politique mondiale. J'espère que ma missive, qui réajuste certains points et précise beaucoup ma pensée, sera accueillie positivement par votre Excellence, car c'est mon voeu.
Je vous prie d'agréer aux salutations respectueuses du Diwan.

Houria Ben-el-Teldja
Ministre des Affaires étrangères de plein exercice
07.05.2017