01/04/2018
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[RP] Chroniques - Page 4

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L'IMPLACABLE TYRAN


Soleil,
sourd et sûr,
souverain sur la saison.
Il s’assied, il s’acharne,
il sature l’air,
il sème ses sabres sur ma peau.

Les cigales cisaillent le silence,
scandent, scellent,
un chœur chaud,
sec, serré, sans cesse.

La vitre ouverte vibre,
le vent vient,
un souffle sale et sucré,
chargé d’herbes hachées au rotofil,
de résines, de poussière et de palmiers.

L'implacable tyran

Tout colle -
la chair, la chemise, le cuir des sièges.
Les manches courtes cèdent,
les épaules s’exposent,
brillantes, brûlées,
buvant la brûlure.

Il brûle tout
dans une blancheur sans bord,
les pierres pâlissent,
les routes rutilent,
les yeux plissent, prisonniers
d’un éclat implacable.

La lumière ne lâche pas.
Elle reste,
elle rôde,
elle ronge le soir,
elle refuse de se retirer.

Alors,
dans ce règne étouffant,
je trouve mon trésor :
un soda frais, sifflé d’un seul souffle,
goût glacé, giclée vive,
récompense rare,
miracle minuscule
au milieu du monde en feu.
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CEUX QUI NE DOUTENT


Ils se disent porteurs d’aurore,
mais ce qu’ils lèvent, c’est l’incendie.

Leur certitude roule
comme une marée sans rivage :
elle emporte tout,
elle noie les voix qui vacillent.

On loue leur flamme
parce qu’elle brûla d’abord des monstres,
et l’on ferme les yeux
quand elle consume des vivants.

Ceux qui ne doutent

Leur force se baptise justice,
leurs ruines deviennent reliques,
leurs cendres, offrandes.

Mais ceux qui ne doutent
sont pierres,
et les pierres ne savent qu’abattre.
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RÉJOUISSANCES


Main écorchée, serre d’ombres grouillantes, griffe où s’accrochent des racines carnivores.
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Les veines, fouets furieux, claquent, s’entre-déchirent, et vomissent leur boue brûlante dans la carcasse des os.
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Chaque filament, vipère vorace, s’enroule, siffle, lacère, étrangle le sang en festin.
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Réjouissances

La chair éclate en silence, comme un fruit pourri sous les dents d’un dieu malade, et les canaux déversent leur pus d’agonie dans les gouffres du corps.
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C’est une armée de spectres microscopiques qui mord, qui ronge, qui rit, une tempête de mâchoires invisibles qui célèbre le désastre.
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Et moi, au cœur du carnage, je laisse éclater un rictus : désormais mes veines bavardent, je ne suis plus qu’un banquet.
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CE QUE LE FLEUVE DONNE, IL LE REPREND


La pluie pilonne, pète, pèse ; un paquet de pierres liquides qui vous brise la nuque à force de vous ployer. Ça cogne dru, dru, comme si le ciel voulait vous enterrer vivant. Le fleuve bouillasse, lourdaud, gonflé de colère, couleur de fer sale et de fumée. Dans la vapeur tiède qui colle aux ratiches, qui poisse les naseaux, les navettes maronhiennes râpent l’eau, glissent en grondant, gueules basses, prêtes à mordre, à charcler. En face, le radeau des orpailleurs, rafistolé de bouts de bidons, flotte de travers, survit par obstination, planté là comme un phlegmon sur l’eau. Les tôles tordues vibrent au tonnerre, grincent comme des chicots gâtées. Les silhouettes se serrent sous cette pluie pâteuse, silhouettes de chiens traqués, doigts cramponnés à des pétoires jaunies, armes qui sentent le métal pourri. Toute la misère du monde suinte sur leurs carrures. L’air pue l’huile tiède, la vase remontée du fond, la peur rance. Une odeur que l'on vous enfonce dans la gorge à coups de marteau. Le tonnerre trique la nuit, un coup sec, un autre - le ciel cogne, cogne encore, cogne juste pour rappeler qu’il est le plus gueulard.

Premier tir. Un bruit sec. Trop sec. Trop récuré. Ça claque comme un os qu’on crouille net entre deux mains sales. Le son déchire le rideau d’eau. On dirait un mot interdit, prononcé par la nature elle-même. Les navettes beugnent en retour, éclabounent des rafales rases, rythmées, un battage de métal sur l'échine nue du monde. L’écho ricoche sur le fleuve, ricoche encore, une grande ricane creuse de la rivière qui s'en torche de tout. Les balles filent, sifflent, vrillent, se frayent un sillon dans le souffle empaissé comme de la bourbe. On les sent passer, ces vrilles viriles, ces vipères vives. Elles fouettent les écopes de leur souffle, elles tirent sur les nerfs en doigts dissous. Sur le radeau, ça se recroqueville, ça grogne, ça rameute des gueulantes crasses, des parlaches qui sentent l'humus, la fange, les années de rage en nœud dans la panse. Une vareuse rouge se troue ; l’homme dessous chancelle, surpris, puis glisse, glougloute, goutte dans l’eau charbonneuse. Il disparaît presque proprement, avalé par la mousse brune. Pas de cri. Juste un hoquet qui s’accroche à rien. Plus loin, un piroguier se cloche en deux, souffle coupé, comme ramassé par une pogne groue, esbrouie. La pluie martèle sa blessure, l’attaque sans répit, comme si elle voulait l’achever elle-même. Il tombe à genoux, les doigts cherchant prise sur le pont glissant, mais rien ne tient : tout fuit, tout glisse, tout se rit de lui.

Le fleuve boit. Noie. Avale. Nivelle. Il gobe les hommes comme de petits cailloux. Des bulles rouges remontent, éclatent en silence, se mêlent au ciel qui s’écroule en trombes. La chaleur poisse tout, pelote les nerfs, pique les paupières. On ne voit plus rien, on devine seulement. On lutte pour respirer, pour sentir son propre corps, pour savoir qui tire encore ou qui dort déjà dans l’eau chaude. Les navettes reculent d’un coup de reins du moteur, un mouvement brutal, animal. L’eau fouette, frappe, fouaille. La coque vibre, gronde, comme si elle aussi voulait mordre. Sur le radeau, un vieux au foulard noir se redresse, silhouette noueuse, décharnée, bras levés vers la nuit. Il braille un cri guttural - un cri de roc, un cri de racine, un cri sorti d’avant les hommes. Ses yeux roulent, brillent, reflètent quelque chose qu’on ne comprend pas. La mitraille le prend. Pas en morceaux - mais en festin. Il s’abat, net, raide, rendu au fleuve comme s’il retournait à un maître ancien.

Tout gronde : le ciel, les armes, le fleuve, les cœurs. Ça cogne, ça crisse, ça casse. Et les trognes se tordent, les mains moites, limaces, tremblent, les bouches happent la pluie comme du sable. Le fleuve, tout autour, suffle lourd, souffle chaud, comme un animal repu. Et quand les tirs s’essoufflent enfin, quand il ne reste que les vapeurs et le vacarme de la pluie, on ne distingue plus les morts des débris. Les silhouettes immobiles se confondent avec les planches noyées, les cordages détendus, les ombres gondées par les éclairs. Le fleuve, lui, continue. Goulûment. En grondant. En gémissant. En gardant pour lui ce que la nuit lui donne. Et dans un reflux sourd, un remous trop lent, on croirait presque l’entendre murmurer. Comme un vieux rite en faim noire. Comme un jurement qu’il ira quérir encore. Demain. Ou la nuit d’après.

Ce que le fleuve donne, il le reprend
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