
HOTSALINE : L'OND FACE À DES DIVISIONS JAMAIS VUES
Le conflit qui a embrasé l'Eurysie centrale depuis cet été est une source de division d'une ampleur encore jamais observée au sein de l'organisation, opposant les choix d'alliance teylais aux ambitions onédiennes pour le Droit international. Candidate à la domination globale, l'OND affronte sa première vraie épreuve.Erwan Le Tallec - correspondant à Manticore

Le siège du Conseil militaire de l'OND, à Bandarhan, capitale de la République faravienne.À Urreson, Oksana Grodovska n'oublie pas. Elle n'oublie pas son mari bien sûr, le sergent Nikita Grodovsky, 33 ans, mécanicien dans la chasse estalienne, tué cet été lors du bombardement de l'aérodrome de Sauvadok. Mais elle n'oublie pas, surtout, que le missile qui a pulvérisé son époux était un missile teylais. Pas seulement de provenance : il a été construit à la Fonderie militaire de Gèvre et manœuvré par les forces armées du royaume, comme les 71 autres missiles balistiques tirés par Teyla sur les infrastructures aériennes de l'Estalie communaliste dans le cadre de l'opération « Cap Sombre ». En Estalie, comme en Kaulthie, elle aussi visée marginalement par des frappes teylaises commanditées par la République d'Hotsaline, le ressentiment est fort contre Teyla, accusée non sans raison d'une attaque injustifiée.
Non sans raison, car l'opération « Cap Sombre » s'inscrit dans le cadre de la guerre qui oppose, depuis le début de l'été, l'aviation hotsalienne et celle de l'Internationale Libertaire (Liberalintern). Cette dernière, structurée autour des Communes-Unies du Grand Kah, inclut de nombreux pays d'Eurysie centrale convertis, récemment ou non, au communisme. « Cette guerre qui a définitivement embrasé l'Eurysie centrale est le savant mélange de son instabilité chronique, de la radicalité des élites hotsaliennes et de l'encerclement de cette dernière par les rouges » explique Ludovic Boucher, éditorialiste. La situation géopolitique, tendue dans la région, a donc conduit sans escalade préalable à une attaque hotsalienne sur les forces armées estaliennes. Cette agression sans casus belli ni déclaration de guerre a été largement condamnée par l'ensemble de la communauté internationale, que l'ont sait pourtant particulièrement divisée ces dernières années.
Un tel sujet, celui d'une guerre d'agression injustifiée, serait d'ordinaire un cheval de bataille pour Teyla, première puissance économique et militaire de l'Organisation des nations démocratiques (OND). Cependant, le royaume francien est aussi allié à la Confédération de Kresetchnie (qui inclus l'Hotsaline), en vertu d'un traité ratifié en 2013. La situation, inconfortable, a dû être tranchée lorsque les forces armées coalisées du Liberalintern se sont unies dans une réplique massive contre l'Hotsaline. C'est finalement les autorités hotsaliennes qui ont annoncé, lors de l'opération Cap-Sombre, disposer de l'appui balistique teylais. Angel Rojas, le premier ministre (MRU, social-démocrate) de la reine, déclarait peu après « honorer sans distinction toutes les alliances signées par Teyla ».
Voilà donc Teyla, qui milite pourtant avec l'OND pour la création de règles internationales de droit, participant à une offensive sans la légitimité morale canonique du droit onédien. Ce qui est reproché côté teylais, c'est « l'ampleur démesurée de la réponse estalienne, qui est une escalade que rien ne saurait justifier », défend le Vice-président MRU de l'assemblée nationale Antoine Croquetaigne. Comprendre : l'entrée en jeu du Grand Kah lors de la riposte estalienne. Les Communes-Unies interviennent pour la deuxième fois en un an en Eurysie. « Après Carnavale, cela fait un autre front où le Kah marche sur les plates-bandes de Manticore », explique Carles Lebiroq, géopolitologue. « Teyla est très investie en Eurysie centrale : en Illirée, à Karty, en Krestechnie... Une intervention du Kah n'était pas envisageable. Un coup porté à ses vraisemblables proxys dans la région, en revanche, était non seulement envisageable, mais souhaitable » détaille l'expert.
L'intervention teylaise est donc à lire sous le prisme de la rivalité croissante entre Lac-Rouge et l'OND, commencée par la rupture entre le Kah et le duché de Sylva, et accentuée par l'intervention kah-tanaise à Carnavale. Mais elle prend avant tout en compte les intérêts teylais, vu que seul Manticore dispose de vrais appuis en Eurysie centrale. Dans le même temps, le royaume entre en contradiction avec le principal projet onédien, porté par Tanska et soutenu, récemment encore, par l'arrivée du Califat d'Azur comme membre observateur de l'organisation. En intervenant, Teyla prend-elle le risque de faire voler en éclats l'unité de l'OND ? Les premiers retours de son aventure balistique l'ont laissé croire.
Alors que, de toutes parts, Teyla est la cible d'accusations au pire, de réprimandes au mieux - comme c'est le cas de la Gallouèse qui a demandé des explications par la voie de son ambassadeur à Manticore - ses alliés onédiens bottent en touche. La politique de l'autruche semble avoir été choisie par les chancelleries de la Yukanaslavie, du Royaume-Uni et du Faravan, qui se contentent de renvoyer la question à une « affaire non-communautaire », c'est-à-dire qui ne regarde que Teyla. Du côté de la Sylvie, de Tanska et de l'Empire du Nord, on dit comprendre l'intervention teylaise et condamner, dans le même temps, la politique étrangère et guerrière du gouvernement hotsalien. En retrait, Norja explique « ne pas soutenir » les frappes teylaises. Mais le gouvernement sylvois, lui, avance que Teyla avait « fait preuve de diplomatie », locution qui laisse perplexe un diplomate gallèsant en poste à Bourg-des-Mahoganys. Teyla est donc lâchée dans son soutien de l'OND, les autres membres tentant mordicus de sauver la face de leur projet légaliste.
Il n'empêche que ce projet prend, avec l'opération « Cap sombre », un mauvais coup. De quoi attiser les tensions au sein d'une OND qui, jusque là, parlait d'une seule voix. À Manticore, où siège le Conseil général de l'OND, on sent d'ailleurs un certain malaise vis-à-vis de cette situation. Interrogée au sujet de Teyla, une source diplomatique tanskienne insiste sur la condamnation de l'Hotsaline, pourtant alliée du royaume, et celle de la riposte communaliste en reprenant le récit d'une « escalade décisive ». Après avoir esquivé le sujet du rôle teylais, le diplomate finit par reconnaître son inquiétude que l'affaire prenne de l'ampleur. Il confirme toutefois que Tanska sera derrière Teyla en cas d'attaque ciblée contre elle.
C'est peut-être la dernière certitude de l'OND dans cette affaire. L'article 5 de la Charte de Bandarhan, qui prévoit la défense mutuelle en cas d'attaque sur l'un des membres signataires. Aujourd'hui, tous les membres de l'OND sont signataires de cette charte. Une source militaire gradée de l'armée teylaise nous confirme que « le seul bloc qui se fera à cent pourcent derrière Teyla, c'est si on active l'article 5 suite à une attaque sur notre sol ». Une autre source militaire, faravienne, nous explique que si tensions il y a, elle concernent les diplomates, pas les militaires réunis par le Conseil militaire de Bandarhan. De quoi rappeler que l'OND dispose sans doute de la plus grande armée au monde, et que cette armée, déjà engagée à Carnavale, est en ordre de marche.
Mais encore faut-il tomber d'accord sur l'usage que l'on fait d'une telle armée. Pour la première fois, le projet onédien semble confronté aux intérêts de certains États membres et rencontre un défi fondateur. Le positionnement azuréen, très critique de l'Hotsaline et de Teyla, achève de consacrer la dichotomie entre les intérêts teylais et légalisme onédien. Sur le plan diplomatique, un « bloc à cent pourcent derrière Teyla » semble chimérique. Les dernières certitudes de l'OND reposent désormais sur ce qu'elle a déjà bâti, et non sur ce qui est à bâtir. Son grand défi sera maintenant de voir si elle peut repartir de l'avant. Beaucoup de choses sont en jeu aujourd'hui, à Manticore.